Édito

Édito (60)

Donc le Mouvement Patriotique du Salut (MPS), ex-parti au pouvoir tente d’organiser, plus de 40 jours après la mort de son fondateur le défunt ex-Maréchal et ex-président Idriss Deby Itno, un congrès extraordinaire, le 12 et 13 juin, pour redynamiser le parti. Malgré les coups de téléphone pour comprendre les enjeux de ce congrès extraordinaire, rien n’y fait. C’est silence radio. La loi de l’omerta. Alors que cache ce congrès organisé en l’absence du Secrétaire Général Mahamat Zène Bada? Est-ce le « coup de Parti » après le coup d’État?

D’abord, les militants et certains membres du Bureau Politique National (BPN) sont étonnés et surpris par la convocation de ce congrès. Ils évoquent derrière les rideaux l’éventuel remplacement du Secrétaire General (SG) Mahamat Zène Bada qui est hors du pays pour raison de santé. Les « zenebadistes » sont choqués par le manque d’empathie de certains « camarades ». Pour les « pro congrès », l’organisation de cet évènement ne vise qu’une chose : se préparer aux futures échéances politiques. Les amis du SG, eux, pensent à faire capoter la rencontre ou à faire rentrer dare-dare leur leader et prendre à rebrousse-poil tous les « anti-Zene Bada » qui ont accepté de se faire organiser un congrès par des mains invisibles en haut lieu. Ces mains ont un objectif : reprendre le parti à leur compte. Un parti qu’elles considèrent comme une propriété personnelle. Un héritage que le SG leur disputait en affirmant son indépendance. Et en prenant un malin plaisir à contester consignes et instructions provenant du cabinet civil de la présidence. Pour le SG pas question de prendre ses ordres ailleurs que dans son BPN. Surtout après la mort du président Deby Itno. Il tente, sans s’en cacher lui et ses amis, de prendre le parti en leur compte comme héritage. Et à se poser personnellement comme le leader incontestable. Certains membres du parti  veulent se débarrasser de Zène Bada au nom de la nouvelle donne politique. Il faut donc le faire partir. Comment? En organisant, en son absence, ce « coup de Parti » avant qu’il ne soit trop tard. Réussiront-ils? Difficile à dire. Échoueront-ils? Les paris sont ouverts.

Ensuite, Zene Bada et ses amis n’ont pas dit leur dernier mot. Depuis quelques heures, une hypothèse circule comme quoi le remuant SG reviendra. Il a déjà fait ce coup au Maréchal de son vivant. Certains de ses amis disent qu’il récidivera en utilisant la même recette : retourner les militants de base à son avantage. Mais ses proches lieutenants affirment que Zène Bada n’a pas apprécié ce coup de poignard dans le dos. Il a voyagé mercredi, le lendemain la convocation du congrès est sortie, signée P.O. (par ordre). Alors qu’il n’a donné ni ordre ni instruction. Le SG dit-on engagera la bagarre. Il croit que beaucoup des militants feront barrage à ce « coup ». Zène croit dur à son étoile. Elle ne pâlira pas selon ses lieutenants avec la disparition du Maréchal.

Enfin, depuis la France, le SG à travers un communiqué engage les hostilités. Il demande l’annulation de ce congrès. Le parti joue-t-il sa survie? Implosera-t-il? Si ceux qui veulent organiser ce congrès persistent, ils auront mené le parti à sa perte à peine plus d’un mois après le décès du président fondateur. Depuis sa disparition, militants, sympathisants et admirateurs se sentent orphelins. Ils sont désemparés parce que le parti ne s’était pas préparé à cette subite réalité. Le MPS étant déjà une maison vide. Sans meubles. Sans animateur. Tout reposait sur le seul président fondateur comme dirait le comédien Mahamane. Ce congrès est définitivement source des divisions. Il y a bien longtemps que le feu couvait dans cette maison vide qu’est le MPS. Avec ses tiraillements la maison est en feu et menace de s’écrouler. Il sera difficile de la rebâtir tellement ses fondations reposaient sur un seul poutre, le défunt Maréchal. Le parti est en train d’agoniser. Il mourra peut-être après le président fondateur….enfin peut-être.

Bello Bakary Mana

Donc le Conseil Militaire de Transition (CMT) a plus d’un mois d’existence. Il a été créé dans un moment particulier. Pour les uns, il est illégitime parce qu’issu d’un coup d’État; pour les autres, il est une chance parce qu’il est une bouée de sauvetage qui a empêché le pays de sombrer dans le chaos. Où en est le CMT et le gouvernement?

Le président de la transition Mahamat Kaka parle peu. C’est peut-être une qualité. Mais dans cette période d’incertitude, être silencieux est un handicap. Pis cela devient même un problème. Le jeune président est certainement en train de s’en rendre compte. Il faut qu’il parle. Qu’il parle de temps en temps. Qu’il parle en disant des choses sensées. Qu’il se prête à l’exercice. Il l’a fait en rencontrant les partis politiques, la société civile, etc. C’est bien, mais il ne suffit pas de parler pour parler en répétant des choses déjà dites et connues. La parole d’un président de la transition ne doit ni être rare, ni banale. Bref, lors de sa rencontre, Mahamat Kaka dit en substance aux Tchadiens que la transition fait son chemin dans le calme, la paix. Que les 18 mois seront respectés (il ne reste plus que 17 mois). Que la junte ne confisquera pas le pouvoir, etc. Et que donc tout va bien.

Non tout ne va pas bien comme veut le faire croire le président de la transition.

D’abord, la primature est restaurée dans la nouvelle structure de transition. Un Premier ministre (PM) est nommé. Il y a eu erreur sur le casting de ce PM et du choix de certains ministres de ce gouvernement. On le voit. On le sent. Ça commence à tourner en rond. À ronronner. Certains ministres ne sont pas à leur place. Un remaniement s’impose pour ajuster les choses. Il faudra d’abord commencer par la primature en remettant en marche la machine administrative qui a été détruite il y a quelques années par feu Maréchal. Pahimi Padacké Albert est bien placé pour remettre les choses en place. Il a été le dernier PM de l’ancien régime. Et le premier PM de la transition. Il peut faire plus et vite pour remettre la machine en marche et expliquer sa feuille de route. Les Tchadiens ne voient rien de clair 40 jours plus tard. On sait à peine où sont les bureaux de la primature. Ce que fait le PM. Il bricole, dit-on. L’adresse où loge la primature est presque inconnue. Le PM est peu vu, peu entendu et pas questionné par les médias sur sa feuille de route et sur les affaires courantes. On ne sait pas grand-chose de ses actions futures. Tout est touffu et approximatif.

Ensuite, il y a un élément important de la machine du nouveau système : le ministère d’État à la Réconciliation et au Dialogue national. L’idée est géniale. La personne responsable de faire fonctionner cette machine est la personne la plus apte : Acheikh Ibni Oumar. Il est « travaillant » comme disent les Canadiens français, ouvert, humble, modeste et à l’écoute. Il a su rester neutre depuis son retour au pays. Il a beaucoup de qualités. Seulement, il faudra qu’il exige à ce qu’on y mette les moyens rapidement à la disposition de son département. Il faudra aussi qu’il mette vite en place son équipe et à imposer sa méthode pour faire avancer les choses. Le président de la transition et son PM reconnaissent l’important rôle de ce ministère. Hélas, ce ministère un mois après n’a pas un bâtiment public à lui, n’a pas de personnel, n’a pas un budget spécial d’installation ou de démarrage compte tenu de la mission centrale qui lui est assigné celle d’être la matrice du dialogue qui permettra aux Tchadiens de  se réconcilier et se pardonner. Il faudra que le CMT fasse vite pour donner rapidement à ce ministère les moyens d’agir.

Aussi, l’autre organe important de la transition, le Conseil National de Transition (CNT) fait l’objet de toutes les convoitises. L’ex-parti au pouvoir le Mouvement Patriotique du Salut (MPS) réclame la part du lion. Les partis de l’opposition, la société civile, les myriades des diasporas et les personnalités indépendantes, tous, se livrent une guerre sans merci pour faire partie du CNT. Chacun veut arracher une part du butin, un morceau du gâteau. S’en est rendu explosif et presque sans issu. Le CMT n’a pas le choix que de créer un Comité ad hoc confié au Vice-président de la transition. Ce Comité se chargera de sélectionner les 93 membres de cet organe législatif. Qui dit Comité, dit report ou tactique pour mieux noyer le projet. Ou encore pour mieux éliminer les candidatures. Ou encore pour rendre plus opaque le processus de sélection. À vos candidatures et périls serait-on tenté de dire. Et comme si cela ne suffisait pas, les forums, les symposiums se multiplient ces derniers jours. Tous ont en tête le futur forum de dialogue ou de réconciliation. Tous veulent se positionner. C’est légitime, mais il y a un jeu malsain qui s’y déroule. Et qui risque de favoriser les mêmes sans rien apporter de bénéfique au pays. Déjà dans le décret fixant les critères désignant des membres du CNT, y apparait une faute grave. Le décret laisse entendre, subtilement, que la maitrise d’une des langues officielles le Français ou l’Arabe n’est plus obligatoire. Place donc aux analphabètes. Qui a dit que le Tchad a changé? Le CMT et le gouvernement doivent tirer cela au clair. Ils doivent simplement retirer cette disposition du décret.

Enfin, les  jeunes du Conseil National de la Jeunesse du Tchad (CNJT) réclament leur place et affirment que le Tchad sans eux n’est pas le vrai Tchad. Les Chefs traditionnels aussi se sont concertés entre eux. Ils préparent à leur façon le futur forum sur le dialogue et la réconciliation. Mais avant cela ils réclament plus du pouvoir. Ils veulent même se substituer à l’administration publique. Ils exigent d’avoir une immunité juridique. Bref, ils ont oublié que la république des chefs de canton est morte avec le Maréchal. Mahamat Kaka et le gouvernement de transition ne doivent pas céder aux injonctions moyenâgeuses de ces chefs traditionnels. Ils resteront tout au plus des auxiliaires de l’administration. Et pour qu’un nouveau Tchad émerge, il faut faire table rase des anciennes mauvaises méthodes. Et détenir la légitimé par la voix du peuple. Vox populi, vox dei.

Bello Bakary Mana

Donc, la position officielle de l’Union Africaine (UA) est connue. Après moult atermoiements et un long silence gênant. Pas de sanctions, une bonne chose pour le Tchadien lambda. Pas de condamnation du coup d’État, une mauvaise chose. L’UA a choisi d’accompagner la junte avec des conditions. Est-ce le bon remède? L’UA a-t-elle posé le bon diagnostic? Est-elle le bon docteur au chevet du grand corps malade, le Tchad?

D’abord, pour éviter de prononcer ces deux mots « coup d’État », un long communiqué officiel aligne les :

« Prenant note… », « notant les déclarations faites par… », « appelant en outre les dispositions .. », « attirant particulièrement l'attention… », « prenant dûment note du rapport de la Mission d'enquête… », « compte tenu de la complexité de la situation politique et sécuritaire.. » etc.

En fait le docteur UA a dit beaucoup de choses, mais à soigneusement évité de dire le plus important : condamner fermement le coup d’État. Ensuite, le docteur a écrit son ordonnance au malade : un gribouillage en guise des mesures d’accompagnement et ses restrictions. Il aurait fallu condamner pour ensuite faire avaler facilement la pilule. Et pourtant cette condamnation était facile à dire et serait en symbiose avec les principes de l’UA. Elle devrait figurer dans les premières lignes de tous ce jargon bureaucratique. L’UA a démontré qu’elle était incapable de nommer les choses. D’être simplement intelligente. En refusant de condamner, le coup d’État, elle est entraînée par les « spin doctors » de la junte à poser le mauvais diagnostique. En poussant l’analogie médicale plus loin, l’UA ne pourra pas bien administrer son remède à son patient. Elle n’est, peut-être pas, le bon docteur. Tellement pas bon docteur qu’elle n’est obsédée que par la question du terrorisme, de stabilité et de sécurité. Elle a oublié une réalité importante : le. Tchad n’a jamais eu depuis 30 ans une armée nationale et républicaine. C’est plutôt une armée clanique au service des intérêts d’une catégorie de personnes. La majorité des Tchadiens interrogés aurait pu éclairer les experts africains lors de leur séjour au pays au fort moment de la crise. Bref, les recommandations de ce « grand machin africain » se buteront aux réalités têtues de l’exercice clanique du pouvoir.

Ensuite, au sujet des sanctions, très peu de Tchadiens sont pour les sanctions. Ce qui est détestable c’est de stigmatiser tous ceux qui brandissent ou promeuvent les sanctions. Ils sont perçus du coin de l’œil comme des traîtres à la nation alors qu’il s’agit bien d’un coup d’État. Un coup difficilement justifiable sur le court terme et insoutenable pour le long terme au cas où la junte tente de s’accrocher ou de proroger les délais de 18 mois. Contrairement aux discours ambiants, les réalités ne peuvent être au-dessus des textes. Cet étrange argument servi par les tenants du pouvoir pour faire croire que les principes institués dans la Constitution sont des idées hors du réel est irrecevable. Pourtant tout le monde sait que ce sont les principes qui sont la matrice des réalités dans la mesure où les acteurs sont de bonne foi.

Aussi, au jour d’aujourd’hui, personne ne peut justifier en quoi l’imposition du président de la transition Mahamat Kaka est conforme aux réalités. Elle n’est rien d’autre qu’une grosse entorse à la réalité constitutionnelle et institutionnelle. Tous ces agissements, ceux de l’UA et de certains opposants tchadiens, qui ont joué aux « infirmiers soignants » du malade Tchad, peuvent encourager la junte à ne rien céder. En justifiant leur ralliement ou en accompagnant la junte militaire par la « realpolitik »,  cette opposition fait de la « petite politique » au bénéfice de leurs chapelles politiques. L’écrivain français Voltaire disait que la politique est le moyen des hommes sans principes pour diriger des hommes sans mémoire. Peut-être qu’enfin les Tchadiens auront de la mémoire pour faire payer ces hommes politiques « courts-termistes ». Et qui ont sciemment ou inconsciemment fait rater une occasion unique de rassembler les Tchadiens pour redresser le pays.

Enfin, pour le Tchad les principes sont importants pour changer la réalité, car le pays est à un tournant majeur. Quand on entend ceux de l’opposition qui se sont précipités pour « accompagner » la junte, on y décèle une prétention naïve de croire qu’ils sont réalistes. Et qu’ils arriveront à petite dose à déjouer les ambitions de la junte. Une junte qui se pose en héritière du régime passé. Les opposants qui y participent n’ont aucun plan, aucune stratégie pour contrecarrer la junte qui a tous les leviers du pouvoir entre les mains. Ils n’ont rien fait de positif sinon à contribuer à affaiblir l’opposition. Ils ont par leur précipitation poussé la société civile à jouer leur rôle. Fort probablement, ils reviendront demain, au nom des principes, dirent aux Tchadiens qu’il faudra changer de prince. Alors qu’ils ont tout fait pour rater cette ultime occasion de remettre les compteurs à zéro. Et de donner la chance à ce pays meurtri de renaître de ses cendres.

Bello Bakary Mana

Donc, Mahamat Kaka, le nouveau prince, tente de s’asseoir temporairement sur le fauteuil présidentiel. Il est à peine assis que, les mêmes avec leurs cortèges de « motions de soutien », « bureau de soutien », accourent, s’agitent pour lui signifier qu’ils l’aideront à s’éterniser sur ce fauteuil. Pour cela, ils sont montrés dans les médias publics. Leurs messages sont diffusés, et commentés par notre paresseuse presse publique qui rabâche les oreilles des Tchadiens avec des reportages creux. Et des commentaires sans consistance, oubliant que l’heure est grave. Les temps ont changé. Les Tchadiens aussi. Le Tchad de demain ne sera pas celui d’un clan ou d’un autre. Il sera celui de tous ou de rien. Les premiers signaux envoyés par le jeune prince ne sont pas satisfaisants. Pourquoi?

D’abord parce que voyager au Niger, au Nigeria, c’est bien. Ce sont des voisins immédiats. Il est important d’avoir des bons rapports de voisinages. Mais il semble que le président de la transition est allé pour démanteler les ramifications de la rébellion dans ces pays. Il serait obnubilé par l’idée de combattre les autres Tchadiens qui ont pris les armes. Pourtant, il faut privilégier le dialogue. Aucun camp ne sortira vainqueur de ce face à face morbide. Surtout qu’il y a désormais un ministère de la Réconciliation et du Dialogue. Il faut laisser le patron de ce département agir. Lui donner les moyens de le faire. Et veiller à ce qu’il ait les mains libres et l’écoute du palais. La réconciliation doit concerner tous les Tchadiens en armes ou pas.

Ensuite, la tournée de l’autre frère cadet dans certains pays africains. Cette tournée n’a pas lieu d’être. Il faudra changer de pratique. Il y a un ministre des Affaires Étrangères, c’est à lui de s’occuper de cette tournée d’explication. Les mauvaises habitudes ont la vie dure, mais il faudra s’en débarrasser le plus rapidement possible pour ne pas piéger la transition dans les réflexes claniques. C’est aussi pour cela qu’il faudra éviter les nominations claniques en faisant comme si rien n’a changé dans le pays. Oui le régime a changé. L’ancien régime n’est plus. L’actuel régime est bien un régime de transition. Cela signifie vers un autre régime que les Tchadiens choisiront librement avec l’aide de la communauté internationale. Aucun Tchadien n’a l’intention de se laisser faire.

Aussi, le Premier ministre de transition Pahimi Padaké Albert (PPA) a présenté son programme politique. Un programme en 9 points. Objectif : parachever l’œuvre de développement de la paix entamé par le défunt Marechal. Encore le Maréchal. PPA et son équipe sont incapables de comprendre que le Maréchal est parti vers la destination finale. Il ne reviendra plus. Il faudra tourner la page pour en écrire une autre. Personne n’avancera en citant le défunt Maréchal partout et pour rien. Bref, la transition n’a pas besoin d’un programme politique, mais plutôt d’une feuille de route

Enfin, les Tchadiens ont soif d’avancer dans la vérité. Ils tendent l’oreille vers Addis-Abeba où l’Union Africaine (UA). Ils attendent le fameux Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) qui après ses atermoiements va décider, selon plusieurs sources, d’accompagner le Tchad. Autrement dit pas de sanctions malgré le coup d’État militaire du fils, malgré la répression des manifestants, malgré que tout cela va à l’encontre des principes et des règles de l’UA.  L’ex-président Laurent Gbagbo a raison de dire, « le problème des africains, ce qu’ils ne respectent pas les textes qu’ils se donnent. Comment voulez-vous qu’on les respecte? ».

Pire, l’UA parle de situation particulière et mettra des conditions particulières pour cela. On sait que l’armée tchadienne est devenue quasiment le supplétif de l’armée française. Pour les ouest-africains, les Tchadiens sont leurs protecteurs. Ils doivent mourir pour leur région, leurs pays, mais n’ont pas droit à la démocratie et ses bienfaits. Ils ferraillent durs dans les instances pour que rien ne change. Que la junte qui a mis le fils contre toutes les lois républicaines  ait toujours la haute main sur le pays. Ils servent tout le baratin sur la stabilité, la sécurité aux Tchadiens pour faire semblant de faire quelque chose sans rien faire. Ce piège dans lequel est tombé l’UA donne l’impression que les Maliens, défendus et protégés en grande partie par l’armée tchadienne méritent un président civil et beaucoup d’indulgences que le Tchad. C’est injuste. Les Tchadiens attendent de voir les arguments, les garde-fous que le CPS mettra pour empêcher la junte de croire qu’elle a les mains libres. Et qu’elle n’est que la continuité de la politique du défunt Maréchal et de ses amis politiques.

Bello Bakary Mana

Donc Pahimi Padacké Albert (PPA) a composé son gouvernement de transition. Ils sont 30 ministres et 10 secrétaires d’État. Ils vont gérer cette transition. Un gouvernement dans un contexte particulier. Un gouvernement représentatif? etc. Est-ce un gouvernement de crise? Il donne l’impression de la continuité de l’ex-régime. Pourquoi?

D’abord pour « l’union sacrée » chère au Premier ministre PPA, il faudra attendre. Ce n’est pas un gouvernement de crise. C’est un gouvernement ordinaire en temps de crise. En tout cas avec cette équipe la crise risque de s’éterniser. De se transformer en quelque chose d’autre, de plus grave, enfin peut-être. C’est un gouvernement qui œuvrera, peut-être, pour que dialogue s’enclenche. Pas plus. Mais pour l’instant c’est du « plus ça change, plus c’est pareil ». Les Tchadiens ont le sentiment d’un éternel recommencement. Un gouvernement dit de transition qui reprend presque les mêmes. Oublie la société civile. Fait quelques rafistolages. Rajoute un nouveau visage. Retire un autre. Et se retrouve avec une bande de copains, des vieux copains des gros vieux parti, d’anciens alliés, des nouveaux alliés et d’ex-alliés. Rien n’est calibré.  Ni équilibré. Que pourra faire un tel gouvernement sous l’œil de la junte? Pas grand-chose. Les Tchadiens attendaient un gouvernement de large ouverture et de mission. Ils ont un gouvernement mi-figue, mi-raisin. Et pourtant le moment est grave.

Aussi, quelles sont les figures importantes de ce gouvernement? Crédibles. Influents. Rassurants. Pas grand monde. Il y a Acheikh Ibni Oumar (AIO). Un homme désintéressé peut-être. Un homme qui n’aime pas faire beaucoup des vagues. Il est prêt à rendre encore service à son pays, mais s’il n’est pas bien entouré, il sera submergé, avalé par les vagues, les remous et les frustrations. Il est peut-être à sa place, mais il aurait été plus efficace comme Premier ministre que PPA. En propulsant Acheikh à la tête de ce ministère, la junte lui demande de repartir parler avec ses anciens amis qui le raillaient lors de son retour au pays. Mission difficile, mais pas impossible. Il a les épaules larges pour mener à bien cette mission. Il doit bien s’entourer et exiger d’avoir les mains libres.

Ensuite, la surprise est l’entrée du secrétaire général du parti pour les libertés et le Développement (PLD) Mahamat Ahmat Alhabbo. C’est une grande figure qui a quitté le gouvernement il y a 20 ans. Il dirigera le ministère de la Justice. Un département sensible et discrédité depuis longtemps. La tâche sera difficile, mais Alhabbo est bien à la hauteur de la responsabilité. C’est un homme exigeant qui pourra bien remettre de l’ordre. Son entrée au gouvernement est un sacrifice pour influencer positivement la transition.

L’Union nationale pour le développement et le renouveau (Undr) a 2 postes ministériels. Son chef Saleh Kebzabo n’y figure pas. Il n’a pas non plus fait entrer des poids lourds de son parti comme les Azocksouma Djona et les Célestin Topona. L’opposant historique se ménage-t-il pour les échéances prochaines? Certainement. Il a déjà adoubé à demi-mot le Conseil Militaire de la Transition (CMT). Il accepte que son parti soit dans l’action gouvernementale tout en restant sur ses gardes. Kebzabo fait son « en même temps » et ses calculs politiques.

Enfin, la grande absente est la société civile. Cette omission ou refus est une faute. PPA devait en principe faire des efforts pour rallier une ou deux grandes figures telles que Barka Michel, Mahamat Nour Ibedou ou encore Max Lolngar. Il est vrai que ce sont des durs à cuire, mais le gouvernement aurait gagné en crédibilité et serait un peu plus dans la voie de l’union sacrée. L’autre grand absent est le clivant jeune leader Succès Masra et les Transformateurs. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste Succès Masra a fait bouger les lignes. Il a su malgré les reproches des uns et des autres rester sur sa ligne. D’ailleurs lui et sa troupe n’ont aucun intérêt à aller servir de caution aux mêmes qui depuis plus 30 ans se partagent le pouvoir. Un refus qui risque peut-être de leur jouer des tours dans une prochaine élection nationale. Tous les calculs des uns et des autres est une vieille façon de faire de la politique. C’est cela qui donne le sentiment à la majorité des Tchadiens d’être dans un éternel recommencement.

Bello Bakary Mana

Donc Deby père n’est plus. C’est Deby fils qui est là. Il est imposé par un groupe des généraux au mépris des textes de la République. Il est adopté par l’État-major militaire du grand chef blanc, la France, au mépris de la souveraineté du pays. Les deux cercles sont copains-copains. Ils ont créé le Conseil Militaire de transition et ses organes. Le Conseil National de Transition (CNT) et le gouvernement de transition. Un Premier ministre (PM) vient d’être nommé. Il s’agit de Pahimi Padacké Albert (PPA). Est-ce le bon choix? Que peut-il apporter de neuf celui qui a été le dernier Premier ministre du père? Et le tout premier Premier ministre du fils?

D’abord lorsque la primature fut abolie par le défunt président, PPA, dit-on, se vantait de dire que c’était parce que le président ne le supportait plus. Le voilà de retour. Espérons que le fils puisse le supporter durant les 18 mois de transition. Le choix de PPA donne le sentiment que le fils est dans les pas du père. Et PPA est la caution civile de la junte. Elle n’a pas fait beaucoup d’efforts pour trouver quelqu’un de plus rassembleur. Quelqu’un qui a une forte personnalité. Et qui peux animer un gouvernement de crise. Et qui puisse dire, de temps à autre, par nécessité et Intérêt Général non à la junte.

Aussi, le choix de PPA ne semble pas être un choix consensuel, mais plutôt un choix dans la droite ligne du père. Un choix comme une prière au nom du père. C’est un signe que Deby Itno vivant aurait fort probablement choisi comme Vice-président la même personne. PPA est réputé être un « accompagnateur professionnel ». Le nouvel homme fort aurait dû faire un autre choix. Un choix nouveau. Différent. Un choix osé dans un contexte particulier où il faut chercher à apaiser, à rassurer. PPA réussira-t-il? Surprendra-t-il? Difficile à dire. L’intéressé demande l’union sacrée. Vœux pieux. Impossible de l’avoir lorsqu’on est plus imposé que nommé. PPA n’est pas la solution, il est une partie du problème. Il est bien vrai qu’en politique presque tous les coups sont permis. La junte par son choix recycle PPA pour s’assurer que le système battu par le père puisse continuer à servir de levier au fils. Et d’accoudoirs aux alliés du parti au pouvoir. PPA n’apportera rien de nouveau. Rien de plus. Il est et restera une continuité. Il reprend la primature où il l’a laissé. Il fera semblant de faire du neuf avec le fils.

Ensuite, tout le monde suit depuis quelques jours les sorties baveuses du patron du parti au pouvoir le Mouvement patriotique du Salut (MPS).
Zene Bada se débat comme un diable dans l’eau bénite pour dire aux Tchadiens que le Tchad est un pays particulier. Et qu’heureusement il y a le CMT. Il est pieds et mains liées à la junte. Alors qu’il pouvait si le MPS était un vrai parti demander une transition civile. Cela aurait été au bénéfice du parti et de son Secrétaire Général. Le MPS aurait pu enfin se remettre en cause, débattre entre membres, restructurer, animer l’héritage du président Deby Itno et de mesurer son réel poids lors des prochaines échéances électorales. Au lieu de s’atteler à relever ce défi, le parti de Bamina s’adonne à son exercice favori : la paresse intellectuelle et la servitude volontaire au profit du fils Deby. Sur le plateau du journaliste Alain Foka, le militant des droits humains M. Ibedou a bien résumé les ambitions du MPS. Étape 1 : faire démissionner Mahamat Idriss Deby de l’armée. Étape 2 : le propulser président du parti. Étape 3 : faire de lui candidat. Étape 4 : le faire élire président.

Enfin, la junte change de position. Elle referme la porte du dialogue parce qu’elle a entendu de la bouche du grand chef blanc un soutien inconditionnel doublé d’une menace envers quiconque menacerait le pouvoir du fils de l’ami de la France. L’ami du père est forcément l’ami du fils. Quelqu’un disait que les pays n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Emmanuel Macron fait croire que son adoubement empressé n’est que de l’affection amicale au fils éprouvé. Les Tchadiens regardent tout cela étonnés et fâchés. La France n’a encore rien compris à ce pays. Son empressement à imposer la junte ne résoudra rien. Cela risque même d’envenimer les choses comme à l’époque du Conseil Supérieur Militaire (CSM). D’ailleurs ce CMT ressemble un peu au CSM. Le refus du dialogue avec la rébellion du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact) est une mauvaise idée. La junte, forte du soutien de la « France jupitérienne » campe sur ses positions au nom du Père, du Fils et de de Jupiter, Macron.

Bello Bakary Mana

Donc le président Deby Itno est mort. Il est mort, peut-être, comme il le désirait : sur-le-champ de combats. Paix à l’âme de ce fils du pays. Ialtchad Presse salue ici le chef qu’il a été bien que la rédaction n’a pas toujours été d’accord avec sa méthode de gouvernance. Nos traditions tchadiennes nous obligent à jeter à la rivière les divergences après la disparition d’un compatriote. Les mêmes traditions nous obligent aussi à se tenir silencieux durant la période de deuil, mais la situation du pays oblige la rédaction à exprimer son désaccord.

Le chemin emprunté pour assurer la transition n’est pas le bon chemin. Suspension de la constitution, dissolution de l’assemblée nationale et du gouvernement. En lieu et place, les Tchadiens, surpris, ont désormais un Conseil Militaire de Transition composé uniquement des généraux. Durée :18 mois. Pourquoi ce schéma n’est pas bon pour le pays? Pourquoi la France est à la manette? Pourquoi? Pourquoi?

D’abord le rôle complice de la France dans cette boiteuse transition. On attendait que la France républicaine rappelle clairement à ceux qui tentent de garder le pouvoir de respecter la Constitution tchadienne. Non. Les Tchadiens constatent que la « France francafrique » s’embarque dans ses vilaines pratiques et s’autorise à parler pour les Tchadiens. On entend des analyses bidon sur les médias français jouer aux antennes propagandistes : alliés, partenaires, etc. Et cerise sur le gâteau, un communiqué de presse dit en substance « l’attachement de la France à la stabilité et à l’intégrité du territoire tchadien ». Dans le même communiqué, cette maladroite France dit prendre acte de la mise en place du Conseil Militaire de Transition (CMT). En quoi la France est-elle concernée dans le destin du Tchad? Dans cette sortie, la France cautionne non seulement un coup d’État du CMT, mais elle veut imposer aux Tchadiens les mêmes personnes, le même système qui durant plus de 30 ans a asservi le Tchad. Pire, ce CMT n’a aucune légitimité, aucune légalité. Il n’est pas créé et mis en place pour les intérêts des Tchadiens. Il est mis en place pour les intérêts de la France, du clan au pouvoir et de ses obligés. Ce CMT n’est qu’une machine à déclencher la guerre civile. Une guerre civile qui sera dévastatrice. Une guerre civile dont la France sera responsable.

Ensuite le CMT est une mauvaise idée. Les Tchadiens observent toutes ces manigances avec beaucoup de flegme, mais cela n’est que trompe-œil. Déjà les tensions sont constatées ici et là dans les casernes. Et surtout, une chevauchée de l’opposition armée n’est pas à exclure, si le CMT insiste ou persiste à vouloir confisquer le pouvoir. On entend les spécialistes d’un jour parler de l’armée tchadienne, mais les Tchadiens savent entre eux qu’il n’y a pas une armée tchadienne structurée qui pourra jouer son rôle d’arbitre en protégeant la République. Il y a plutôt une bande de guerriers habituée à protéger un système clanique sous les radars de la France. Une armée qui au fil du temps est devenue un supplétif de l’armée française. Tout cela, les Tchadiens en sont conscients. Ils ne veulent plus qu’on leur confisque leur destin par toutes sortes d’entourloupes.

Aussi, ce qu’il faut aux Tchadiens est simple. C’est premièrement que le CMT fasse marche en arrière en permettant un retour à l’ordre constitutionnel. Deuxièmement, former un gouvernement d’union nationale composé des Tchadiens compétents et dévoués à assurer la transition avec pour seule mission la réussite de cette transition. Troisièmement, cette transition convoquera une grande conférence de vérité où tous les Tchadiens viendront discuter de leur avenir. Cette transition aura aussi la responsabilité d’accoucher une nouvelle constitution et d’organiser des élections libres et transparentes. Une des règles de cette constitution consistera à bannir la lutte armée. À sacraliser la démocratie comme seul moyen d’accéder au pouvoir. À protéger la Presse et la consacrer comme chienne de garde de la démocratie. À limiter le nombre des partis à 4 grandes familles politiques, selon les valeurs dominantes socioculturelles du pays. Cela pour éviter l’héritage des myriades des partis politiques qui ne sont des partis que de nom. Et qui n’existent que pour pervertir les mœurs politiques.

Enfin, quelle honte! On entend les « petits caciques » du moribond parti au pouvoir le Mouvement Patriotique du Salut (MPS) les Zen Bada et les Padaré de ce monde nous sortir la chansonnette de défense de la patrie,  de l’intégrité du territoire pour justifier le coup d’État du fumeux CMT. Le MPS est mort avec son président fondateur, cela il faudra que les dirigeants de cet ex-parti le comprennent, l’assimilent et l’acceptent.

Aux dernières nouvelles, le CMT propose dans sa Charte de transition la mise en place deux organes dénommés : Conseil National de Transition (CNT) qui jouera le rôle du parlement et un gouvernement de transition qui s’occupera des affaires courantes. Une autre manigance de taille est glissée dans l’article 89 de cette charte. Elle dit que la durée initiale de 18 mois peut être prorogée une seule. Bref, 18 mois de plus. Donc, offrir la possibilité au CMT de durer 3 ans.  La majorité des Tchadiens ne veut pas de ces combines qui mèneront le pays dans une aventure sans lendemain. Le Tchad de demain se fera sans ceux-là mêmes qui ont mené ce pays dans le gouffre. À moins d’être entendus et pardonné. Et la France n’imposera rien au pays des hommes libres et fiers.

Bello Bakary Mana

Donc le Mouvement Patriotique du Salut (MPS), parti au pouvoir, a fait le plus difficile : renverser une dictature féroce. Et n’arrive pas à faire le moins difficile : être un grand parti d’idées. Pourquoi?

D’abord, l’animation de la vie politique. Le MPS devait s'en occuper comme les prunelles de ses yeux. Hélas, le constat est plus qu’amer. C’est le désert politique. Ce mouvement qui s’est défini comme le Salut du pays n’a pas réussi à se transformer en un véritable parti politique porteur de grandes idées révolutionnaires. Il n’a pas non plus réussi à tirer vers le haut l’opposition. Depuis trois décennies ce parti n’a pas su ou pu conquérir les esprits. Le président Deby Itno et ses amis se sont contentés du pouvoir. Ils n’ont pas mis leur mouvement à l’abri de l’histoire. Pourtant, ce mouvement a une belle histoire. Pour rappel : tout a commencé avec le mouvement du 1er avril 1989, œuvre de quelques officiers à leur tête l’actuel président Deby Itno. C’est une histoire réelle mais qui avait un côté romanesque tellement le régime Habré semblait invincible. Ces jeunes officiers prennent le maquis. Un an plus tard, ils arrivent au pouvoir en chassant une dictature qui a fait 40 000 morts. Ils proposent à leurs compatriotes : la liberté et la démocratie. Ils avaient tout pour réussir. Ils ont tout fait pour échouer. Aujourd’hui la belle histoire a tourné en fiasco. Le MPS n’est plus que l’ombre de lui-même.

Ensuite, vu de l’intérieur, le MPS est un vrai « souk ». Sa structure administrative, sa hiérarchie, l’engagement militant sont vidés de leur sens. Un indescriptible désordre y règne. Le Secrétariat général du parti n’a aucune initiative sauf celle que le Palais Rose veuille bien le lui laisser. Il est réduit à gérer les batailles de tranchées des différents groupes d’intérêts. Pas de place pour des courants de pensée. Des clans sévissent les uns, les autres, se coltinent pour un oui ou pour un non. Une sorte de mêlée générale où les cancans des militants et des commerçants-militants a remplacé les idées. Il n’y a pas des visages porteurs d’idées. Ceux qui ont essayé d’implanter la culture de débats d’idées ont tous échoué. Au MPS on n’aime pas les idées. On déteste les intellectuels. On aime le folklore. La culture du « bling-bling » et du brouhaha stérile s’est incrustée au plus profond des entrailles du parti

Conséquences : le MPS est une maison vide. Pour comprendre cela, il suffit de suivre la présente campagne présidentielle. Aucune idée neuve. Aucun débat nouveau. Pourtant les sujets ne manquent pas comme par exemple le nouveau régime appelé avec pompes et sirènes « présidentiel intégral ». Il est en soi un sujet de débat. Les cadres du ce parti sont incapables de meubler leur maison fondée depuis plus de 30 ans.

Aussi, on n’entend ni le parti, ni le candidat, ni ses alliés aborder les problèmes du quotidien des Tchadiens. Par exemple les délestages intempestifs d’électricité. D’ailleurs, ils ont repris de plus belle en cette période de chaleur intense. Le mois de ramadan approche à grands pas, mais aucune solution ne pointe à l’horizon. Le parti du Maréchal candidat mène campagne en faisant fi de ce problème. Pas un mot, pas une seule idée pour amorcer un début de solution à un problème de plus de 15 ans. Fatigués, des citoyens se sont organisés pour dénoncer l’incapacité de la Société Nationale d’Électricité (SNE) à fournir l’électricité à ses clients. Une pétition pour une répartition équitable et permanente de l’électricité à N’Djamena circule sur le Net (secure.avaaz.org). Les Tchadiens veulent que le candidat du MPS parle de leurs difficultés : l’eau potable, l’électricité, la lutte contre le paludisme, la cherté de la vie, la santé pour tous, etc.  Le Maréchal est muet sur ces sujets concrets.

Enfin, au lieu de parler des difficultés de ses compatriotes, le Maréchal et ses amis se perdent dans des bravades stériles. L’une de dernière sortie du président candidat est de clamer publiquement que la démocratie n’est pas le désordre. Oui mais la démocratie c’est aussi la liberté de manifester pacifiquement. Une sortie en chasse une autre, la toute fraiche trouvaille du Maréchal est de dire publiquement lors de son meeting dans la ville d’ Amtimane ceci : « la démocratie nous ne l’avons pas apporté par avion ni par bus. Nous l’avons apporté par le sang et les combats ». Il faut se rappeler comment le Maréchal débarqua, à l’époque, l’ancien Premier Ministre issu de la Conférence Nationale Souveraine, Fidel Moungar. Il avait employé la même formule « M. le Premier Ministre, je ne suis pas venu au pouvoir par un vol Air Afrique ». Cette phrase rappelle des mauvais souvenirs. Elle retentie dans un Tchad sans espoir. Et au milieu duquel traîne une maison vide, le MPS. A l’intérieur de cette maison le maître des lieux croit dure comme fer que c’est lui ou le chaos. Certains copropriétaires préfèrent le garder pour éviter ce chaos. D’autres veulent l’éjecter en créant le chaos. Un dilemme cornélien.

Bello Bakary Mana

Donc la campagne électorale a commencé officiellement depuis quelques jours. Le candidat et président sortant Idriss Deby Itno rempile pour la 6e fois. Oui, vous l’avez bien lu. C’est la 6e fois. Dans un autre pays, le débat sur la candidature du candidat Deby Itno aurait fait débat. Pas au Tchad où l’attentisme et la paresse intellectuelle en sont les ADN. Bref la précampagne était injuste. Et la campagne électorale actuelle est terne et déséquilibrée. Pourquoi?

D’abord, la précampagne. Elle a duré quelques semaines. Il n’y avait que pour le président Deby Itno. Il a fait le tour du pays, posant une seconde première pierre sur la première pierre d’il y a 5 ans. Promettant les mêmes routes et les mêmes infrastructures d’il y a 6 ans. Le même disque rayé. Les mêmes endroits. Le même discours. Le Kaftan et le turban du raïs dépassaient un peu trop. Personne ne croit. Ces promesses sont insensées parce qu’électoralistes. Et tenez-vous c’était en pleine période de la Covid-19 et du couvre-feu. Seul, le Maréchal et son parti, le Mouvement Patriotique du Salut (MPS) étaient autorisés à braver le méchant coronavirus. Un film tragicomique où le scénario étaient écrit d’avance avec des acteurs qui s’affranchissaient allègrement des toutes les règles du plateau. La mise en scène était tellement grossière que le premier quidam aurait compris que c’était une campagne électorale avant l’heure. Une campagne déguisée en tournée présidentielle. Elle était injuste et inéquitable. Surtout que les médias publics comme des enfants de la chorale du dimanche étalaient sur les ondes, payés par tous les Tchadiens, cette grossière campagne. Tant pis alors pour les esprits naïfs qui croient qu’il suffit d’être président candidat pour réaliser des miracles. Simplement parce que même si le Maréchal Président Candidat veut, il ne peut rien, car les caisses de l’État sont vides.

Ensuite, la campagne officielle a démarré depuis le 11 mars. Le paysage politique est terne. Plusieurs poids lourds politiques se sont retirés de la campagne. Quelques poids légers sont dans la course. Pour combien de temps? Peu d’entre eux ont les moyens de continuer à battre campagne. La plupart sont, comme le disait un politologue, « des accompagnateurs ». Bien avant le déclenchement officiel la tension sociale avec la plateforme syndicale revendicative était un caillou dans la chaussure du président. Le caillou s’est métastasé. Il est partout dans le corps du candidat. Deby Itno ne s’est surtout pas aidé en continuant à verrouiller l’espace public empêchant l’expression de la société civile, de certains acteurs politiques et comme si cela ne le suffisait pas il a double-verrouillé Internet. L’affaire Yaya Dillo a été la gaffe de trop qui a permis de tout déverrouillé tellement la bavure était indéfendable. Le Maréchal s’est retrouvé, dans cette affaire, à découvert et sans troupe tout en offrant à Dillo une stature de brave opposant. Cette aventure montre deux grandes faiblesses du président : soit il n’a pas de bons conseillers autour de lui. Soit il n’écoute que lui-même. C’est là le danger d’un pouvoir seul. Et d’un système sclérosé par l’usure du pouvoir. Deby Itno apparaît alors comme le dirigeant d’un système qui n’a toujours pas compris que le bébé né en 1990, à son arrivée au pouvoir, est un adulte de 30 ans. Un adulte qui n’a aucune perspective devant lui à part être militaire et avec un peu de chance être fonctionnaire de l’État. Mais de quel État?

Le 13 mars. Jour de lancement de campagne du candidat du consensus Idriss Deby Itno. Lieu : au stade Idriss Mahamat Ouya. Les Tchadiens ont vu et entendu un candidat véhément, presque martial. Il a arrosé d’une insulte vulgaire ses adversaires politiques. Et a qualifié certains hommes politiques des officines au service de l’étranger. Une sortie qui donne le ton d’une campagne sans relief où les arguments ont laissé la place à l’improvisation. C’est à se demander si le candidat a un programme. Elle a parasité 1h de discours. Le public ne parle que cette injure. Elle semble être la seule vilaine idée restée gravée dans la mémoire du public. Tout le Tchad en parle. Les internautes tchadiens tournent le tout en dérision.

Enfin, le parti au pouvoir le MPS ne semble pas être un vrai parti. C’est un assemblage d’hommes et de femmes qui ne produisent aucune réflexion après 30 ans au pouvoir. Cela se sent. Cela se voit. Cela s’entend. Il suffit de discuter avec ses leaders pour comprendre qu’ils sont dans une impasse. Le MPS n’est finalement qu’une bannière où les plus opportunistes écrasent les plus travaillants. Et les plus roublards enfarinent les plus honnêtes. Plus personne ne sort du lot. Les uns par crainte d’être écartés. Les autres sont occupés à meubler la taverne du Maréchal à coup des « présidents fondateurs » et des « grâces à votre clairvoyance ». Ce manque de débat patent au sein du parti fera-t-il, enfin, revenir le Maréchal sur la confiance qu’il accordé à ses amis politiques incapables de lui proposer un programme et de le défendre. Ils sont fort probablement en train de conduire le candidat Deby Itno vers l’abîme. Parce qu’il n’y a aucune tête pour réfléchir et produire des idées innovantes. Ils préfèrent produire des éloges « gondwanaises » à la Mahamane. Entre temps, les Tchadiens ont évolué. Ils n’attendent rien du candidat président. Ils ont appris à le connaître depuis 30 ans. Il a désappris à les connaître depuis 30 ans. Dans cette élection, le candidat Deby Itno doit regretter n’avoir en face de lui que des poids plumes de la politique. Il compte certainement sur un fort taux de participation pour se consoler. Les Tchadiens se bousculeront ils le 11 avril devant les bureaux de vote? Surtout que plusieurs organisations politiques et de la société civile s’organisent pour appeler au boycott. Le Maréchal fait le pari de gagner cette bataille électorale avec un fort taux de participation. Cible presque inatteignable tellement cette campagne est terne et morose.

Bello Bakary Mana 

Qu’est ce qui a pris le leader de l’opposition tchadienne Saleh Kebzabo lors de sa déclaration à Backchoro, un village perdu dans la région du Mayo-Kebbi? Je me pose encore cette question. Je cherche encore la réponse. Lui Kebzabo tenir un discours pareil. Je voulais lui poser la question avant d’écrire cette chronique. Je me suis ravisé en monologuant « il me fera une réponse de politique ». Je me suis assis devant mon ordinateur. Une fine neige tombait sur la ville. Une idée me traverse l’esprit et me suggère un titre qui résume cette sortie : Kebzabo a fait son bachibouzouk à Backchoro. Il vient peut-être de signer sa mort politique. Je dis bien peut-être. Mes premières phrases claquent sur le clavier de mon ordinateur.

Ils sont ainsi….

Je le croyais homme d’État, il se révèle homme de tribu avec son « moi aussi je suis un Banana ». Je le croyais homme politique d’envergure, il se révèle politicien provincial. Je le croyais esprit espiègle, il se révèle un esprit tribal. Je le croyais tchadien, il se révèle « Banana ». Je le croyais franc, il se révèle expert en double langage. Un pour les intellectuels « éduqués ». Un autre pour les villageois sans éducation. Il a déçu beaucoup des gens.

Donc Kebzabo prend fait et cause pour les agriculteurs. Serait-il tombé bas? Oui il est tombé plus que bas. Au fond d’un fossé. Dans les entrailles de l’incitation à la haine entre Tchadiens. Dans la détestation de l’éleveur. L’essentiel de son discours dans le village de Backchoro se résume à cela. Qui l’aurait cru? Faudra écouter et réécouter ce discours pour s’en rendre compte.

À l’entame de son discours, Kebzabo se décrit comme « Banana » en opposition au « non Banana ». Sublimement il suggère d’être contre l’autre, ceux qui ne sont pas « banana » et qui peuplent la région. Surtout les pasteurs peuls et autres. Les non Banana qui agressent, envahissent leurs champs et détruisent leurs récoltes. Où? Au Mayo-Kebbi. La zone la plus pacifique du pays. Pacifié depuis des générations. Même au temps les plus troubles du pays éleveurs et agriculteurs ont vécu en parfaite harmonie. Dans un esprit que beaucoup d’autres tchadiens ne comprennent pas. Le génie MK. Je me rappelle feu mon grand-père l’illustre Imam Modibo Soudy lorsque dans la panique de la guerre civile amis et disciples accouraient vers lui. Qui réclamant une prière pour la paix. Qui s’interrogeant sur la malédiction de la violence qui ravageait le pays. Assis sur sa natte et son tapis en peau de chèvre, il interrompait sa lecture du Saint Coran, relevait la tête et leur répondait inlassablement : « vaguez à vos occupations. Bongor et le Mayo-Kebbi seront tranquilles ». Et ce fut le cas. Rien de grave ne s’est passé dans la région, mais ça s’était dans le passé me rétorquera-t-on. 

Les propos de Kebzabo, des propos aussi chargés, personne ne les comprendrait au Mayo-Kebbi. Surtout après une tuerie entre éleveurs et agriculteurs. Cette sortie manque de sagesse. Surtout qu’elle vient de la part de celui qui prétend diriger un jour ce pays. Ce n’est pas à la hauteur de l’homme. Quelles qu’en soient les circonstances, verra-t-on le défunt professeur Ibni Oumar tenir un tel langage après le sang versé? Il serait facile de dire que c’est la politique. C’est simpliste de dire que c’est précampagne électorale.

Dans sa diatribe, M. Kebzabo est allé loin. Trop loin comme aucun d’autre ne l’a fait. Est-ce de la frustration politique? Il y a quelques esprits retors qui tentent de justifier ces propos par la déliquescence de l’État. L’injustice du régime. Le comportement des généraux éleveurs. Faut-il pour cela s’attaquer à des paisibles citoyens? Pire, il semble que cette sortie est voulue, préparée et l’endroit pour le prononcer sciemment choisi. Si c’est un calcul politique, c’est une faute grave. Si c’est une stratégie délibérée, c’est une double faute politique. Kebzabo n’est, désormais, plus ce poids lourd politique reconnu par presque tous les Tchadiens. Il est, après sa sortie aux yeux de ceux qu’il appelle les « nordistes » sans éducation. Et qui ont des bons postes alors que les sudistes « clandoman éduqués » tirent le diable par la queue, un homme qui prône la haine.

« ..les éleveurs ont appelé au secours leurs parents de Kélo, de Moundou, de Laï, de Gagall. Ils sont venus de partout à cheval, à moto habillés en noir, ils crient partout Allahou Akhbar. Ils viennent égorgés. Tout ce qu’ils rencontrent, ils allument le feu ». Il rajoute, « …l’histoire des éleveurs avec les flèches doit s’arrêter. Pour l’arrêter, vous les jeunes, vous devez vous organiser, organisez-vous avec les sifflets. Ne dormez pas la nuit même par tour de garde organisez-vous avec les sifflets quand les bœufs s’approchent sifflez… » Cette phrase à elle seule suffit amplement. Ce n’est ni plus ni moins que d’appeler les villageois à s’organiser en milice d’autodéfense. Il relative tout cela en soutenant qu’ils n’auront pour toutes armes que leurs sifflets. Qu’est-ce qui garantit que ce sera le cas?

Kebzabo appelle aussi au nombre. Et donne la technique pour vaincre la horde des éleveurs venus envahir les terres des sudistes cultivateurs, les vrais propriétaires des terres, comme si être éleveurs est synonyme de citoyens sans droits, surtout sans droit à la terre. Cette histoire éleveurs agriculteurs est devenue un fonds de commerce pour tous. Kebzabo s’il était honnête devait expliquer l’origine de la rixe qui a vu les siens, « ces agriculteurs », égorger un paisible vieil éleveur rentré du marché à bétails avec une centaine de millions en poches. Plus quelques autres millions appartenant à ses proches parents qui, après des années de durs labeurs, se préparaient à aller à la Mecque, remplir leur devoir religieux. Non. Il passe tout cela entre pertes et profits politiques haranguant des gens qui ont vécu ensemble depuis la nuit de temps oubliant au passage que les éleveurs sont aussi de la région. Et peuvent aller, venir et s’installer où et quand ils veulent dans ce vaste pays.

Enfin, une épée de Damoclès pend sur la tête de l’ex-chef de file de l’opposition. Le ministre de la Justice a saisi l’Assemblée Nationale pour lever l’immunité politique du député Kebzabo qui a bien prêté le flanc. Certains de ses amis crient à la mise à mort politique. D’autres croient dur comme fer que c’est une cabale contre leur chef. Bref, ses adversaires politiques en profitent pour achever la bête politique. Kebzabo ne savait-il pas que la politique est une fosse à lions ? Même ses parents culturels, les Peuls, sont fâchés. Ils l’ont exprimé à travers leur association Tabital Pulaaku. Dommage. En bon bachibouzouk qu’il se débatte pour en sortir au plus vite. Sinon c’est peut-être sa mort politique…enfin, peut-être.

Bonne année.

Bello Bakary Mana

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