Qu’est ce qui a pris le leader de l’opposition tchadienne Saleh Kebzabo lors de sa déclaration à Backchoro, un village perdu dans la région du Mayo-Kebbi? Je me pose encore cette question. Je cherche encore la réponse. Lui Kebzabo tenir un discours pareil. Je voulais lui poser la question avant d’écrire cette chronique. Je me suis ravisé en monologuant « il me fera une réponse de politique ». Je me suis assis devant mon ordinateur. Une fine neige tombait sur la ville. Une idée me traverse l’esprit et me suggère un titre qui résume cette sortie : Kebzabo a fait son bachibouzouk à Backchoro. Il vient peut-être de signer sa mort politique. Je dis bien peut-être. Mes premières phrases claquent sur le clavier de mon ordinateur.
Ils sont ainsi….
Je le croyais homme d’État, il se révèle homme de tribu avec son « moi aussi je suis un Banana ». Je le croyais homme politique d’envergure, il se révèle politicien provincial. Je le croyais esprit espiègle, il se révèle un esprit tribal. Je le croyais tchadien, il se révèle « Banana ». Je le croyais franc, il se révèle expert en double langage. Un pour les intellectuels « éduqués ». Un autre pour les villageois sans éducation. Il a déçu beaucoup des gens.
Donc Kebzabo prend fait et cause pour les agriculteurs. Serait-il tombé bas? Oui il est tombé plus que bas. Au fond d’un fossé. Dans les entrailles de l’incitation à la haine entre Tchadiens. Dans la détestation de l’éleveur. L’essentiel de son discours dans le village de Backchoro se résume à cela. Qui l’aurait cru? Faudra écouter et réécouter ce discours pour s’en rendre compte.
À l’entame de son discours, Kebzabo se décrit comme « Banana » en opposition au « non Banana ». Sublimement il suggère d’être contre l’autre, ceux qui ne sont pas « banana » et qui peuplent la région. Surtout les pasteurs peuls et autres. Les non Banana qui agressent, envahissent leurs champs et détruisent leurs récoltes. Où? Au Mayo-Kebbi. La zone la plus pacifique du pays. Pacifié depuis des générations. Même au temps les plus troubles du pays éleveurs et agriculteurs ont vécu en parfaite harmonie. Dans un esprit que beaucoup d’autres tchadiens ne comprennent pas. Le génie MK. Je me rappelle feu mon grand-père l’illustre Imam Modibo Soudy lorsque dans la panique de la guerre civile amis et disciples accouraient vers lui. Qui réclamant une prière pour la paix. Qui s’interrogeant sur la malédiction de la violence qui ravageait le pays. Assis sur sa natte et son tapis en peau de chèvre, il interrompait sa lecture du Saint Coran, relevait la tête et leur répondait inlassablement : « vaguez à vos occupations. Bongor et le Mayo-Kebbi seront tranquilles ». Et ce fut le cas. Rien de grave ne s’est passé dans la région, mais ça s’était dans le passé me rétorquera-t-on.
Les propos de Kebzabo, des propos aussi chargés, personne ne les comprendrait au Mayo-Kebbi. Surtout après une tuerie entre éleveurs et agriculteurs. Cette sortie manque de sagesse. Surtout qu’elle vient de la part de celui qui prétend diriger un jour ce pays. Ce n’est pas à la hauteur de l’homme. Quelles qu’en soient les circonstances, verra-t-on le défunt professeur Ibni Oumar tenir un tel langage après le sang versé? Il serait facile de dire que c’est la politique. C’est simpliste de dire que c’est précampagne électorale.
Dans sa diatribe, M. Kebzabo est allé loin. Trop loin comme aucun d’autre ne l’a fait. Est-ce de la frustration politique? Il y a quelques esprits retors qui tentent de justifier ces propos par la déliquescence de l’État. L’injustice du régime. Le comportement des généraux éleveurs. Faut-il pour cela s’attaquer à des paisibles citoyens? Pire, il semble que cette sortie est voulue, préparée et l’endroit pour le prononcer sciemment choisi. Si c’est un calcul politique, c’est une faute grave. Si c’est une stratégie délibérée, c’est une double faute politique. Kebzabo n’est, désormais, plus ce poids lourd politique reconnu par presque tous les Tchadiens. Il est, après sa sortie aux yeux de ceux qu’il appelle les « nordistes » sans éducation. Et qui ont des bons postes alors que les sudistes « clandoman éduqués » tirent le diable par la queue, un homme qui prône la haine.
« ..les éleveurs ont appelé au secours leurs parents de Kélo, de Moundou, de Laï, de Gagall. Ils sont venus de partout à cheval, à moto habillés en noir, ils crient partout Allahou Akhbar. Ils viennent égorgés. Tout ce qu’ils rencontrent, ils allument le feu ». Il rajoute, « …l’histoire des éleveurs avec les flèches doit s’arrêter. Pour l’arrêter, vous les jeunes, vous devez vous organiser, organisez-vous avec les sifflets. Ne dormez pas la nuit même par tour de garde organisez-vous avec les sifflets quand les bœufs s’approchent sifflez… » Cette phrase à elle seule suffit amplement. Ce n’est ni plus ni moins que d’appeler les villageois à s’organiser en milice d’autodéfense. Il relative tout cela en soutenant qu’ils n’auront pour toutes armes que leurs sifflets. Qu’est-ce qui garantit que ce sera le cas?
Kebzabo appelle aussi au nombre. Et donne la technique pour vaincre la horde des éleveurs venus envahir les terres des sudistes cultivateurs, les vrais propriétaires des terres, comme si être éleveurs est synonyme de citoyens sans droits, surtout sans droit à la terre. Cette histoire éleveurs agriculteurs est devenue un fonds de commerce pour tous. Kebzabo s’il était honnête devait expliquer l’origine de la rixe qui a vu les siens, « ces agriculteurs », égorger un paisible vieil éleveur rentré du marché à bétails avec une centaine de millions en poches. Plus quelques autres millions appartenant à ses proches parents qui, après des années de durs labeurs, se préparaient à aller à la Mecque, remplir leur devoir religieux. Non. Il passe tout cela entre pertes et profits politiques haranguant des gens qui ont vécu ensemble depuis la nuit de temps oubliant au passage que les éleveurs sont aussi de la région. Et peuvent aller, venir et s’installer où et quand ils veulent dans ce vaste pays.
Enfin, une épée de Damoclès pend sur la tête de l’ex-chef de file de l’opposition. Le ministre de la Justice a saisi l’Assemblée Nationale pour lever l’immunité politique du député Kebzabo qui a bien prêté le flanc. Certains de ses amis crient à la mise à mort politique. D’autres croient dur comme fer que c’est une cabale contre leur chef. Bref, ses adversaires politiques en profitent pour achever la bête politique. Kebzabo ne savait-il pas que la politique est une fosse à lions ? Même ses parents culturels, les Peuls, sont fâchés. Ils l’ont exprimé à travers leur association Tabital Pulaaku. Dommage. En bon bachibouzouk qu’il se débatte pour en sortir au plus vite. Sinon c’est peut-être sa mort politique…enfin, peut-être.
Bonne année.
Bello Bakary Mana