L’année 2024 en Afrique au plan sécuritaire est à l’image du monde global où ne cesse de se multiplier les zones de conflits réels ou potentiels, ainsi que la contestation, voire la désintégration de l’ordre international issu de la Seconde Guerre mondiale que leurs initiateurs estimaient à même de garantir une paix planétaire durable. Du Yémen à la Syrie, de la bande de Gaza à l’Ukraine, les principes fondateurs de la Charte des Nations unies sont mis à mal, y compris par ceux-là qui en sont les garants au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. L’Afrique, riche de son capital humain et matériel et objet de convoitises affirmées des puissances dominantes de la scène géopolitique mondiale, n’a pas échappé, en 2024, hélas ! à ce désordre grandissant et inquiétant du monde, comme au temps de la guerre froide.
Les tendances qu’affiche cette détérioration de la sécurité dont l’Afrique a été le théâtre en 2024 ont toutefois une configuration spécifique et peuvent être rangées sous quatre registres : les violences étatiques et paraétatiques ; les actions déstabilisatrices des acteurs exogènes ; les déplacements consécutifs aux conflits et à l’accentuation du dérèglement climatique ; les extrémismes religieux.
Les violences étatiques et paraétatiques sont pour la plupart les conséquences d’une crise de l’alternance démocratique et de la gouvernance qui ne cesse de s’étendre dans nombre de pays africains, qui semblaient pourtant avoir emprunté pour la longue durée le chemin de la modernité politique tant souhaitée par les peuples. Dans les pays de la nouvelle Alliance des États du Sahel (AES) par exemple, l’année 2024 était supposée être une année d’élections libres et démocratiques pour un retour à l’ordre constitutionnel, mais il n’en fut rien. Non seulement cet impératif semble désormais repoussé aux calendes grecques, mais en outre l’arsenal répressif contre les forces politiques d’opposition, contre les voix dissonantes dans la presse ou contre les acteurs
les plus en vue de la société civile, s’est considérablement renforcé.
De nombreux médias ont été suspendus, tandis que certains journalistes ou promoteurs de médias se sont retrouvés derrière les barreaux pour délit d’opinion. En Guinée, certains acteurs de la société civile sont portés disparus dans des conditions encore non élucidées, connus pour leurs voix dissonantes envers la junte au pouvoir. Dans le même temps, on assiste à la création de forces paramilitaires, mais qui exercent sur les populations des actes de justice privée, des violations graves de droits humains, au nom de la lutte contre le terrorisme.
Les attaques terroristes, dans ces États comme dans bien d’autres en Afrique, ont connu en 2024 une augmentation inquiétante.
Ces nébuleuses de la violence religieuse ont causé de nombreuses pertes en vies humaines au Tchad et dans le bassin du lac Tchad de manière générale.
Elles sont demeurées très actives dans l’ensemble du Sahel et se sont illustrées par leurs actions de nuisance dans des pays tels que le Togo et le Bénin.
Leur enracinement et leur expansion ne détruisent pas seulement des vies humaines et des biens. En raison des moyens militaires déployés pour les combattre, les investissements consacrés à l’élévation du standard de vie des populations sont compromis.
Les acteurs exogènes à ces conflits, dont la médiation est pourtant indispensable pour y mettre un terme, sont malheureusement parties prenantes et les exacerbent au lieu de les arrêter. C’est le cas de la guerre au Soudan, qui est en train de devenir une « guerre mondiale africaine », comme le fut la guerre du Congo dans les années 1990. Avec des millions de déplacés internes et externes, la guerre au Soudan n’a cessé de croître en intensité tout au long de l’année 2024. Ces déplacés internes, qui essaiment dans les nombreux pays voisins dont le Soudan est frontalier, ne constituent pas seulement pour ces États une préoccupation humanitaire, mais aussi un enjeu de sécurité nationale dont nul ne peut prédire l’issue en 2025.
Les voies maritimes africaines ont été, en 2024, des lieux de prédation d’un terrorisme grandissant. Ces pirates des mers se sont illustrés par une criminalité toujours plus audacieuse sur ces voies de circulation maritime, portant par leurs attaques de sérieux coups aux économies du continent. Ils ont mis à profit la faible sécurisation de ces espaces comme ceux qui agissent sur terre dans les forêts du bassin du Congo, détruisent le couvert forestier, pillent les essences et causent par là des pertes fiscales considérables aux États.
Ces tendances sécuritaires préoccupantes sur le continent africain en 2024 s’estomperont-elles en 2025 ? L’heure n’est pas à l’optimisme.
En effet, le retour à la Maison-Blanche de Donald Trump et le retrait immédiat des États-Unis de nombreux traités et organisations multilatérales laissent présager une dérégulation internationale encore plus grande, porte ouverte à toutes les aventures prédatrices et à une loi non écrite de la jungle.
Face à cet état inquiétant du continent africain, une mutualisation des moyens et des efforts des États est plus urgente que jamais, de même que la conversion de ses gouvernants aux vertus de la bonne gouvernance.
Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle