mardi 19 mars 2024

Musique : rencontre avec Beral Mbaïkoubou

Written by  Oct 09, 2003

Beral Mbaïkoubou connu aussi sur le nom du provocateur d’art, est un artiste aveugle, un génie qui joue sa guitare et chante avec maestria. C'est un des grands espoirs de la musique Tchadienne dont la virtuosité artistique n'est pas un secret. Ialtchad Presse est allé à sa rencontre chez lui à Walia(N'djamena), il nous parle de lui, de son art, de son pays

Ialtchad Presse : - Bonjour Monsieur Beral Mbaïkoubou, si on veut vous connaître ?
Beral Mbaïkoubou : Je suis Beral Mbaïkoubou, artiste musicien satirique et solitaire, mon nom de guerre est le Provocateur d’Art.

Ialtchad Presse : - Comment êtes-vous arrivé dans la musique Mr Beral ?
Beral Mbaïkoubou : Dans la musique je suis arrivé de manière assez banale grâce à un oncle artiste guitariste en la personne de Todo Etienne, qui m’a déjà donné le goût quand j’étais enfant parce qu’il habitait avec nous. Malheureusement, il n’a jamais pu m’apprendre à jouer. A sept ans, j’étais entré au Centre des Ressources pour les Jeunes Aveugles en 1988. Là, j’étais d’abord initié au piano, mais cela ne m’a pas plu, parce que j’avais pris cela au début comme de l’amusement. Six ans plus tard, en 1994, il a été introduit dans le Centre des cours de guitare. 
C’est en ce moment que je m’étais investi, parce que j’en rêvais auparavant. Après avoir appris à jouer en 1994, j’ai interprété jusqu’en fin 1998 ou j’ai pu enfin avoir une guitare sèche propre à moi. Et, c’est à ce moment que je me suis mis à faire de la musique, j’ai commencé à écrire mes propres textes et à les chanter.  

Ialtchad Presse : - Quelles ont été vos inspirations Beral ?
Beral Mbaïkoubou : Au début j’étais entré dans la musique pour pouvoir être le plus romantique possible. Parce que pour moi la guitare va bien avec quelque chose de romantique, de doux. J’ai donc interprété Hervé Villard, et je m’étais dit tout d’un coup qu’il fallait plutôt s’occuper à traiter des vraies questions humaines. Pour le Style, je n’ai pas eu de guide. J’ai simplement décidé tout seul de faire de la musique satirique. Quant à la Rythmique, c’est simplement du à mes débuts d’interprète. Comme je l’ai déjà mentionné j’ai interprété Hervé Villard, d’autres chansons françaises comme celles de Georges Moustaki par exemple. Cela m’a donné un goût de la rythmique française en plus du grand amour que j’avais pour la langue française. Ainsi, je suis arrivé à me mettre dans le style classique français. Et c’est plus tard, il y a juste un an que j’aurai découvert Georges Brassens et j’ai compris que nos styles se frottaient.

Ialtchad Presse : - Vous parlez tantôt de provocateur d’art, que voulez-vous dire réellement par provocateur d’art ?
Beral Mbaïkoubou : Oui, provocateur d’art, il y a plusieurs explications. La première raison et la plus facile, c’est que je fais de la musique additionnée à la poésie. Nous nous convenons tous que la musique est un art brouillant, agité et tapagé. Par contre la poésie, elle est douce, elle fait rêver, etc. Mettre ensemble ces deux arts qui ont des caractéristiques opposés relèverait de part et d’autre à inciter une provocation. La seconde raison relève du lyrisme de la poésie. C’est à dire qu’on en use de la poésie pour des fins plus homériques mais moi j’en use pour de la pornographie critique et provocatrice. Et puis en dernier lieu, pour ceux qui n’aiment pas le vrai, c’est à dire la vérité, ceux qui n’aiment pas qu’on les dise clairement les choses, dénoncer ce qu’ils font revient à les provoquer. Alors j’ai compris que ce serait couper de l’herbes sous leurs pieds ou alors leur marcher sur leurs langues; se prononcer provocateur d’avance pour qu’ils n’aient rien à dire.

Ialtchad Presse : - En quoi peut-on dire que votre musique est engagée ?
Beral Mbaïkoubou : C’est une musique engagée parce que je m’obstine à dire tout haut ce que les gens pendant longtemps ne pensaient pas. Cela est témoin de l’engagement, si nous nous en tenons à Jean Paul Sartre. D’autre part je pense que c’est engagé parce que j’ai frustré les valeurs empiriques de l’art. C’est à dire à travers la musique on pourrait çà et là glaner de piécettes qui permettraient de faire vivre la carcasse humaine. Mais j’ai toujours négligé cette dimension pour saisir quelque chose de plus profond et de plus intérieur. Si vous écouter quelques-uns de mes textes, ce sont des pornographies sèches. Je pense que lorsqu’on fait de la musique avec une telle pornographie, une telle ouverture, étaler les mots tels qu’ils sont, de manières à ridiculiser le plus possible les inconscients, la honte de la société, je pense que c’est cela l’engagement. 

Ialtchad Presse : - À part la musique, faites-vous d’autres choses dans la vie ?
Beral Mbaïkoubou : Oui, je fais autre chose cela demeure toujours dans l’art. J’écris beaucoup. J’écris des textes de poésies, j’écris également quelques essais et de temps en temps des petites pièces de théâtre. Bref, j’écris beaucoup.

Ialtchad Presse : - Écrire et faire de la musique, n’est-ce pas faire la même chose? 
Beral Mbaïkoubou : Oui, pour bien chanter, il faut écrire son texte, et pour bien écrire il faut chanter le thème en tout temps dans sa tête, c’est comme l’âme et la conscience, l’une ne va pas sans l’autre. Moi je me retrouve extrêmement bien là-dedans. Je profiterai de cette question pour également remonter les bretelles à certains, qui, ici au pays justement, il y a des gens qui, lorsqu’ils veulent faire la musique abandonne l’école. Je pense que cela revient à prendre l’histoire à contre-fil. Parce que l’on ne pourrait pas faire un art véritable, lorsque l’on n’est pas intellectuel. Même si aujourd’hui on entend que  tel ou tel autre artiste n’a pas poursuivi très loin les études, et bien rendez-vous compte qu’il a abattu un travail plus important que l’école, parce que la culture autodidactique est plus lourde que la scolarisation. Donc, je pense qu’il n’y a pas d’art sans intellectualisme.

Ialtchad Presse : - Peut-on aujourd’hui parler d’une musique tchadienne à l’image du Makossa camerounais ou du Dombolo congolais ?
Beral Mbaïkoubou : J’ai toujours été contre ces idées de musique tchadienne, musique camerounaise etc. Il n’est de pays qui n’a pas de musique, parce que pour moi la musique tchadienne, c’est celle qui est faite par un Tchadien, quelle que soit la rythmique. Parce que ce sont les questions dont on traite qui font la musique. De ce fait, si nous traitons des questions tchadiennes dans une rythmique congolaise, camerounaise etc., ça reste tchadien parce que de toute façon tout le monde conviendrait avec moi que le Dombolo par exemple est une rythmique de composition Est Africaine ou encore des origines des Antilles, des Caraïbes etc., et à ce titre-là, il n’est d’aucun pays qui possède exactement une rythmique 100% de chez lui. De ce fait je dirais qu’il y a de la musique tchadienne. D’autre part s’il s’agit de la rythmique culturelle originale tchadienne, cela existe, et si les gens veulent en faire promotion tel que, même sans philosophie, l’on dise que, quelque part tel rythme est tchadien comme on dit aujourd’hui que le Makossa est camerounais, le Mapouka est ivoirien, etc. Eh! bien il faudrait que les artistes-promoteurs de cette rythmique se mettent ensemble et se soudent. Mais nous ne pourrons jamais créer une rythmique tchadienne, lorsque Maître Gazonga parlera de Daraba Léyine comme la danse de chez nous, et que, Anélie Châtelain parlerai par exemple de la balançoire, Saint Mbete BAO de rongondo, chacun va de son coté, dans cette mesure on ne pourrait jamais rien mettre en commun et ça resterai un éclatement continu.

Ialtchad Presse : - Aujourd’hui tout laisse croire que les artistes tchadiens rencontrent énormément des difficultés pour s’exporter. La preuve, on ne retrouve presque pas la musique tchadienne sur le marché international. Quels sont réellement les problèmes ?
Beral Mbaïkoubou : La toute première entrave c’est l’ignorance. C’est que partout ailleurs ce sont ceux qui ont les moyens qui investissent dans l’art. Mais aujourd’hui nos hommes affaires entendent par affaire l’achat d’une voiture et revenir la vendre. Ou bien la revente des chaussures, etc. On ne comprendra jamais que l’art constitue également un produit d’exploitation. Et lorsqu’on n’a pas d’appui derrière, cela ne pourrait pas marcher. D’autre part il y également l’ouverture du dialogue, parce que je prendrai mon cas personnellement. J’ai pu rencontrer moult personnes peut-être disposées à soutenir mon art, mais ils m’invitent plutôt à faire un art pas satirique. Je pense que cette intention de limiter l’inspiration artistique est également une entrave. À cela s’ajoute le manque de structure parce que de toute façon même si on est financé, il faudrait peut-être se rendre à l’extérieure pour pouvoir sortir un produit. C’est une autre paire de manches. Parce qu’on aura beau résolu la question des producteurs. On rencontrera celui des structures. Des structures qui n’existent pas sur place. Je crois que c’est un peu le problème.  

Ialtchad Presse : - Comment jugez-vous aujourd’hui l’indifférence de nos autorités par rapport à l’art que vous faites ?
Beral Mbaïkoubou : Oui il faut dire que nos gouvernants aujourd’hui se foutent quelques peu de l’art, peut-être parce que l’art est une nourriture de l’esprit et de l’intériorité. Vous savez dans un pays aussi reculer que le nôtre, les priorités sont d’ordre empirique. Je voudrais dire que l’on voudrait d’abord saisir les premières vues qui sont à des fins matérielles. 

C’est à dire, on voudrait satisfaire sa faim, sa soif parce que cela est matériel, par contre l’art qui contribue à forger l’intériorité humaine, l’âme, la profondeur, etc. Cela n’est pas du tout facile à saisir. Ce qui fait que les artistes aujourd’hui sont laissés pour compte oserai-je dire parce qu’il n’y a pas de structures de production. Il n’y a pas une prise en charge des artistes en tant tel et d’ailleurs on les associe même pas à des grandes décisions. De toute façon un artiste qui se respecte devient automatiquement un maître à penser, parce que chaque artiste a une philosophie, c’est un penseur. Donc on devrait à ce titre-là, les associé à toutes les décisions importantes pour que le public s’y retrouve. Néanmoins, je voudrais dire que jusqu’ici nous avons tiré à boulet rouge sur les autorités, mais il est un autre aspect, qui est le respect de l’artiste lui-même. Parce que l’artiste devrait être comme je l’ai dit tantôt maître à penser. Et si nous avons une philosophie, cette philosophie ne doit pas seulement se déterminer sur la scène. C’est à dire lorsqu’on entend un artiste sans le connaître et qu’on le rencontre en chair et en os, il faudrait qu’il soit exactement ce qu’il détermine dans son œuvre artistique. Hélas, aujourd’hui nos artistes donnent l’air de prendre simplement un plaisir ludique, à dénoncer ou à étaler toute une suite de vertus alors que lorsqu’on les rencontre, ils sont eux même le prototype des dénonciations qu’ils font. Je pense que dans ce sens, ça ne marchera pas. Et nous nous laissons également berner par certaines idéologies peut-être novices. Mais des idéologies qui semblent être un retour aux sources, ben, j’en suis très fier lorsqu’on parle de la promotion de l’art tchadien, de la rythmique tchadienne, de la Culture de chez nous, etc., cela me flatte, mais en même temps je rigole parce que, on comprend avec un peu d’abus toutes ces connotations en ce sens que, je suis pour que l’on prenne le Bazaka, le Sai, le Gourna et autres mais pour en traiter des problèmes sérieux. Mais de là à prendre ces rythmiques et les assimilées à des arts anciens, de nos ancêtres qui ont eu souvent des chansons ludiques, des chansons vides de sens, qui ne traitaient d’aucun problème, je pense que ces dimensions relèvent d’une attitude Moyenâgeuse qu’il faut absolument faire évoluer.

Ialtchad Presse : - S’il vous est demandé de résumé en quelques mots l’état actuel du Tchad, que diriez-vous ?
Beral Mbaïkoubou : Le Tchad est pris en otage par l’inconscience, la mauvaise foi et la corruption. Parce que les gens nous font avaler n’importe quoi. Nous buvons au jour le jour du venin. Hélas, nous ne nous en rendons pas compte simplement parce que l’on a développé plus la carcasse que l’esprit. Je voudrais dire que, le ventre ici chez nous pèse plus lourd que la tête, et évidemment, on ne peut que manger plus et penser moins. Ainsi, le pays va à reculons. Il faut le dire tout haut. Et surtout, la démocratie aujourd’hui est une parodie. Il n’existe pas de démocratie véritable. J’en profite pour vous dire une anecdote. Il y a si peu, le Directeur du Centre Culturel Français(CCF) m’a aidé à obtenir une éventualité de financement de la part de la représentation de la Banque Mondiale ici sur place pour une production d’Album et la condition qu’on m’a posé c’est de présenter dans cette cassette financée par la Banque Mondiale des chansons qui ne toucheraient aucunement au régime. J’ai craché sur le projet pour la simple raison que la Banque Mondiale ne peut pas en même temps chaque année nous réclamer des progrès dans la preuve démocratique et de la même gueule nous demander de ne pas toucher à notre régime. Je pense que cela revient à louvoyer, à glisser des peaux de banane aux gens, et même si ma voix ne pouvait pas porter assez loin à mon niveau tout seul individuellement, j’ai refusé le projet et je sais que c’est déjà grand-chose dans la recherche d’une liberté, d’une démocratie réelle.

Ialtchad Presse : - Y’a-t-il des questions que vous aimeriez qu’on vous pose ?
Beral Mbaïkoubou : Je ne sais pas, mais on pourrait revenir après aussi longtemps que possible sur les questions de la démocratie, de la violence ou du dialogue entre les hommes etc. Parce que, aujourd’hui l’on profite de certaines valeurs nouvelles pour faire passer beaucoup d’insanités. Par exemple au nom de la démocratie, l’on légalise n’importe quoi, simplement parce que les hommes ont pensé que la majorité signifie déjà beaucoup de chose. Partout dans nos sociétés humaines et même sur toute la terre, les imbéciles sont les plus nombreux. Alors qu’est ce qui empêche que le choix de la majorité soit le choix le plus banal. D’autre part on pense que, lorsqu’on donne un avertissement, lorsque les hommes sont sermonnés concernant une question quelconque, alors, il ne faut plus insister. Parce qu’on dit qu’un homme avertit en vaut deux, mais qui dit que deux hommes n’ont jamais valu l’imbécillité, la question se pose.

Donc je pense qu’aujourd’hui ce qu’il faudrait promouvoir dans la jeunesse, c’est une notion de révolution concrète, non pas la révolution dans les armes peut-être, mais une révolution sèche, c’est à dire parvenir à épouser le sacrifice. Je donne raison à un philosophe qui disait que : « la liberté et la vie ne vont pas de pair. » Les gens rêvent aujourd’hui d’être libres mais en même temps ils ne veulent pas se sacrifier. Et là, ça sera simplement palabrer sur la 25ème heure, jamais ils n’auront de résultat à cette attente.

Ialtchad Presse : - Pour conclure ?
Beral Mbaïkoubou : Je ne peux finir sans dire deux choses. D’abord à Ialtchad Presse, c’est peut-être un coup de chapeau que je lui rendrais, parce que jusqu’ici le Tchad n’a pas pu avoir un moyen aussi colossal que cela d’exportation des connaissances du pays pour la simple raison que les gens ne s’y intéressent pas. Mais tout d’un coup Ialtchad Presse est intervenue dans la démesure puisque c’est directement dans la haute technologie. Les sites Internet je pense que c’est ce qu’il y a de plus performant pour l’instant et cela mérite vraiment une reconnaissance. C’est ne pas facile mais continuez, votre travail est louable. Quant à ceux qui éventuellement épouseraient mes idées, je pense que nous irons au-delà des applaudissements, qu’ils deviennent plutôt un duplicata des toutes ces pensées que j’étale afin que, à chaque coin de la terre les inconscients se trouvent le plus emmerdés possible, et là, nous pourrons n’est-ce pas leur tailler les croupières, et un jour parvenir à prendre la tête de sorte, pour bâtir le paradis terrestre sans exagération. 

Ialtchad Presse : - Merci Monsieur Beral Mbaïkoubou.
Beral Mbaïkoubou : C'est moi qui vous remercie 

Interview réalisée par
Hamid Kodi Moussa

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