De son nom d’état civil Mawndoé Célestin. Il est une personnalité du monde de la musique. Il se démarque par son talent, sa bienfaisance, son rythme et ses chansons qui expriment l’amour, la paix et la solidarité. Artiste il a beaucoup fait pour son pays. Et continue d’œuvrer pour sa société.
Parlez-nous un peu de votre parcours, de vous et ialTchad
Moi comme beaucoup d’autres jeunes tchadiens j’ai commencé dans les rues du quartier Moursal après avoir constaté que le Tchad ne me donnait pas les moyens comme plusieurs artistes de mon époque. On était tous obligés de partir, on était la génération de Afrotonix parce qu’il fallait aller chercher à faire notre métier ailleurs. Et tout de suite au Niger, j’ai produit mon premier groupe qui s’appelait « Inchallah ». Je suis ensuite parti au Burkina pour faire de la sculpture et de la musique après j’ai monté un projet avec un rappeur burkinabé qui s’appelle Smarti qui est devenu Yeleen. 10 ans après je suis rentré au Tchad après je suis reparti en France monter un autre projet qui s’appelle « Neige du sahel » avec des musiciens français je suis revenu au pays. Je suis allé au canada pour enregistrer mon album après j’ai monté le projet de festival au Tchad. Je suis allé pour 3 ans en Côte- d’ivoire auprès du groupe magique système d’où j’ai acquis des expériences en termes d’administration culturelle.
Pourquoi vous avez choisi « ce nom au nom de l’art » ?
Le projet « Au nom de l’art » d’abord le nom est imposé de lui-même. Il est venu naturellement, je voulais un truc qui résume mieux ma vie, mon côté musicien et mon côté sculpteur, je voulais trouver un lien entre ces deux. Pour moi, l’art c’est aussi la transmission, il permet de nous réinventer, de se projeter nous-mêmes. C’est à partir de là que je me suis dit, « il est temps que je rentre chez moi et que je partage tout ce que j’ai appris et vécu hors du pays ». Pour moi, il n y’a pas meilleure richesse que la connaissance. Je pouvais monter ce projet avec des enfants qui vont apprendre à sculpter, qui vont faire de la musique et ouvrir un atelier qui va leur permettre de s’épanouir. J’arrive au Tchad, l’Institut Française me dit, « on peut te donner les moyens de réaliser ce projet. Alors j’ai commencé à réunir quelques enfants tchadiens et j’ai voulu partager cette expérience avec eux sur la notion de la beauté et la fierté d’être tchadiens ». L’art permet aux gens de se sentir fiers d’appartenir à un pays. C’est l’art qui a fait connaître la Jamaïque à travers Bob Marley, donc l’art aujourd’hui va nous permettre de faire connaître notre culture, nous avons une culture extraordinaire. Et comme nous sommes une de génération de guerre, l’art aujourd’hui va permettre à la nouvelle génération de se définir autrement. Il faut leur enseigner la beauté, il faut que les enfants disent que nous sommes fiers d’être tchadiens. Nous avons nos langues, nous avons notre façon de voir le monde. Le projet qui est parti du sculpture-musique est devenu une résidence de création. Je souhaite monter au nom de l’art, une académie. Plus, on laisse la place aux politiciens ils viennent parler à la place des artistes alors je mets mon art au service de tous les confrères artistes pour qu’ils puissent s’exprimer en leurs propres noms.
Qu’est-ce qui vous a attiré sur le site de Gaoui
C’est l’aventure avec les enfants. Comme on voulait aborder la thématique de résidence de création dénommée « le retour des Sao », je voulais amener les enfants à connaître leur origine. Donc il fallait partir à Gaoui. Une fois sur le site on apprend que les Sao c’est une légende. On s’intéresse à cela et on est tombé sur les femmes potières de Gaoui. Au départ elles nous ravitaillaient en argile et on faisait nos sculptures. Avec l’avènement de la Covid-19, on a monté un projet pour récolter une centaine de sacs de riz pour aller donner aux populations de Gaoui. Et je me suis dit, comme le proverbe « au lieu de donner du riz, apprenez aux gens à cultiver ». Alors je me suis dit la poterie qu’elles ont ça devrait être économique au-delà de l’art, ça peut être touristique ce qui a fait qu’on a monté un projet autour, je n’ai pas attendu l’aide du gouvernement. Cela ne m’intéressait pas de dépendre de quelqu’un je me suis dit on peut faire de chose sans rien attendre du gouvernement tel que nettoyer devant chez toi tu n’as pas besoin de l’État. Donc on se mit dans cette aventure Dieu merci avec une petite équipe nous a permis d’être de lauréat dans d’autres pays on a fait des stands et des ateliers. C’est un projet qui va être vraiment économique avec la création de cet espace avec des expositions on va créer des activités autour de ce site il faut que ça fasse vivre le village en termes de l’économie et faire vivre le pays en termes de tourisme et il faut que ça soit pour les jeunes un espace artistique pour permettre aux habitants de ce site de se faire des activités. Le projet au nom de l’art qui était au départ un enregistrement des clips est devenu une résidence de créations comme un arbre qui pousse beaucoup de branches. Dès qu’on a entendu parler de dialogue national inclusif on se dit voilà l’occasion on va venir dire à la population que vous entendez parler de ce dialogue, mais si vous vous dites que c’est une affaire de politiciens et vous restez en dehors de ça les politiciens viendront mentir dans votre bouche ils viendront vous définir à votre place. Des gens prétendent venir parler pour vous. Si vous avez des leaders politiques ou associatifs qui parlent de vous, intéressez-vous à ce qu’ils disent. Pendant qu’on est une communauté de jeunes et qu’un politicien parle au nom de la jeunesse et les jeunes eux-mêmes ne sont pas au courant. De quoi va-t-il parler ? Je pense que c’est une occasion en tant qu’artiste de donner son avis, on n’est pas « doukou sakite », « le fanan sakite », un simple artiste. Nous sommes des artistes qui savent ce qu’ils veulent et ce qu’ils valent dans le développement de ce pays dans l’unité de ce pays pour la paix de ce pays. On connaît la contribution des artistes, c’est pourquoi on s’engage à ne pas militer pour un parti politique. Ce qui m’intéresse dans le projet « Hini da Tchad, fadal gong » est d’amener les Tchadiens à s’intéresser dans la vie politique de leur pays.
Avez-vous mené une contribution concrète concernant le dialogue national inclusif
On est sur cette voie depuis. Actuellement ce on est sur le terrain. On a d’abord fait une chanson dans ce clip, on a fait venir des artistes comédiens, etc. Qui sont dans la peau des politiciens ? On a organisé notre dialogue, on a discuté et on a tapé du poing sur la table. On a dit qu’est-ce qui n’a pas marché depuis le premier président N'garta ? Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’on a laissé la religion prendre le dessus sur nous ? Pourquoi on a laissé le Nord et le Sud prendre du dessus sur nous ? Pourquoi on a laissé le Français et l’Arabe prendre le dessus sur nous ? Pourquoi on a laissé tout ça ? À la fin on s’est rendu compte qu’on a qu’un seul pays qui s’appelle le TCHAD. Et que si par exemple ce pays est divisé, je suis sûr que la partie du Nord le désert, va me manquer. Parce que moi je suis un sahélien, je suis aussi sûr que la partie Sud va manquer aux habitants du Nord. Il y a eu même des mariages nord-sud. Il faut que ça soit comme ça, on aura de chose à raconter. Si ce pays est divisé, il y aura beaucoup de choses qui seront divisés même notre façon d’insulter va me manquer.
Est-il possible d’être soi-même lorsqu’on est artiste ?
Je crois que oui c’est ce que je fais. C’est pourquoi je ne laisse ni les religions, ni les politiques, ni les traditions me définir. Moi je sais que je suis un artiste, j’ai la définition de ce que je fais je ne peux pas me laisser manipuler non. Je sais qu’aujourd’hui on peut rester soi-même. Je ne cours pas après la gloire. Par exemple je ne cherche pas à être célèbre, ça ne m’intéresse pas d’être célèbre. Les gens qui sont célèbres sont des gens qui ont besoin d’être célèbres pour être heureux. Ils ne sont pas heureux en réalité. Sinon être célèbre même est une sorte de prison, partout où tu passes les fans vont t’arrêter. La célébrité ne m’intéresse pas si ça me permet de mettre ma célébrité au service de développement. Aujourd’hui je peux utiliser ma célébrité pour chercher de l’argent comme ce que je suis en train de faire pour construire de salles de classes pour des enfants. Ça c’est important pour moi donc pour ne pas peut-être me perdre dans les idées. On peut vraiment être soi, c’est un choix. J’ai choisi d’être moi, c‘est pourquoi j’entends les gens me disent Mawndoé il faut être comme les autres artistes. Je dis vous êtes malade, pourquoi vous ne demandez pas aux autres artistes d’être comme moi ? Pourquoi vous voulez que je sois comme quelqu’un d’autre pour que vous m’aimiez ? Je ne vous demande pas d’être ce que vous n’êtes pas. Je ne peux demander aux Tchadiens d’être des Camerounais. J’accepte les Tchadiens et je les aime comme ils sont et c’est parce qu’ils sont des Tchadiens qu’on les appelle Tchadiens, s’ils sont des Camerounais on les appellera camerounais. Être soi-même c’est être vrai et quand on est vrai on vit heureux.
« HINI DA TCHAD » c’est un nouvel album ou un titre de clips ?
C’est un titre que j’ai fait à deux volets. Il y a « hini da Tchad talab », généralement quand tu vois ça hé faut faire attention. Tu peux même te faire doubler parce que la corruption a atteint un niveau scandaleux, faramineux et il y a « hini Tchad, fadal » c’est notre côté hospitalier les détails à écouter dans le clip.
Quelle est votre influence musicale ?
Je consomme de tout quand tu as la chance d’être un enfant de N’Djamena. Tu côtoies le Nord, le Sud, tu consommes le Kissar (espèce de pain traditionnel), le èches (pâte de semoule, mil), etc. Dans le bus j’écoute du Ahmat Pecos, de la musique congolaise auprès de mes parents ou dans les bars et de cérémonies de mariage, la somme de tout me nourrit. Je suis aussi artiste sculpteur donc je prends du tout et après je choisis ce qui me ressemble plus. J’en fais le combat pour mon pays. Nous sommes en mondialisation les Congolais ont leur rumba et nous au Tchad, on a quoi ? Il ne faut pas qu’on ait honte de ce que nous sommes. Il faut qu’on dise avec fierté qu’on a notre « èche be moula daraba », c’est ça nous. Par exemple, si un Congolais arrive au Tchad et va au quartier Moursal, il va tellement écouter des chansons congolaises qu’il va se sentir chez lui alors qu’il est au Tchad. Pourquoi on ne peut pas proposer quelque chose de chez nous ? Les Tchadiens à un state où s’il veut pleurer, il va pleurer comme quelqu’un d’autre, mais qu’est-ce qui se passe avec nous ? Pour moi être Tchadien, c’est une grâce. Je dis toujours on ne peut pas être des Camerounais ou des Congolais. On est des Tchadiens on a une superficie de 1 284 000km2 avec plein de diversité, je baigne dans des cultures différentes, je n’ai pas besoin de changer le Tchad pour le monde avec le Tchad, je peux changer le monde.
Qu’est-ce qui vous a touché ou surpris au cours de votre carrière musicale ?
J’ai bien fait de revenir au pays et me sentir utile dans mon pays finalement, quand on est chez soi on a une nouvelle perception du pays. Tu crois que tu vas ailleurs et revenir les gens vont te regarder bien, j’ai essayé comme beaucoup de gens ont essayé, mais je pense qu’on peut revenir du dehors avec beaucoup de choses comme la connaissance et l’ouverture d’esprit. Au fait on se rend compte qu’il y a des choses juste à côté que, mais tu n’avais pas vu. Ce n’est pas ce que je vois maintenant, il a fallu que je parte dehors pour me rendre compte qu'il y avait beaucoup à faire, s’il y avait de personnes comme moi à l’époque et qui étaient là pour me dire Mawndoé « voilà tu as ça ici », peut-être je ne serai pas obligé de partir tout le monde n’est pas obligé d’être parti, mais on peut partir et revenir partager de chose avec les siens. Il y a de chose que j’ai mis 20 ans avant d’apprendre, aujourd’hui je peux apprendre à un jeune en 2 ans. Prendre l’expérience et l’adapter à notre culture, souvent je suis mal compris. Les gens pensent que si tu reviens au pays ce que tu as échoué. La majorité des Tchadiens n’ont pas l’amour propre ni pour eux ni pour le pays. Tout ce qui est étranger est bon, mais le produit local est mauvais. Alors que l’extérieur est aussi fait par des personnes comme toi et moi, qui ont accepté de nettoyer les routes et construire, c’est une question de volonté. Ma philosophie est : « à défaut de changer le Tchad, je change ma vie ». Ici je peux être un artiste millionnaire sans le soutien d’un parti politique quelconque. On me dit le pays est mal gouverné je dis oui c’est vrai, mais qu’est-ce que je fais ? Je n’ai que mon art, je suis comme un boutiquier qui vend du pain pour faire vivre sa famille. Si je veux ouvrir un commerce, il faut me laisser expérimenter sans me démotiver. Il faut arrêter d’instrumentaliser les gens. Ce n’est pas parce que je suis artiste que je suis derrière un parti politique. Ce pays a existé et existera toujours.
Quelle est votre plus grande folie ?
Ma plus grande folie est d’être rentrée au pays parce que tu reviens pour te battre, mais tu vas te retrouver en train de te battre contre les tiens. Je crois que c’est ma plus grande folie. Mais s’il faut le refaire je le referai avec plaisir, je ne le fais pas pour ceux qui sont contre moi, mais pour la génération à venir pour leur dire qu’il ne faut pas laisser de con, surtout des politiciens illuminés vous définir. Vous avez la possibilité d’être des grands économistes, mais être un grand économiste. Ce n’est pas attendre qu’un homme politique change ta vie. Il ne faut pas prétendre être politicien démocrate et dire que celui qui n’est pas avec toi est contre toi. Il y a des personnes comme moi anticonformistes, si tu es économiste et qu’il n’y a pas de boulot pour toi tu peux commencer avec le petit commerce.
Êtes-vous un homme timide ?
Oui je cache ma timidité en parlant beaucoup et derrière mes lunettes. Il faut être heureux quand quelqu’un d’autre est heureux on doit s’accepter tel que nous sommes avec nos différences. Le Tchad est tellement riche qu’il faut seulement qu’on apprenne aux gens à bien l’exploiter et aimer les choses de chez nous. J’espère que l’art permettra à la génération suivante d’être éveillée et faire renaître en eux l’amour propre de soi et de la patrie.
Réalisation Maryam Mahamat Abakar