La dépigmentation volontaire, un phénomène dangereux
Dans les provinces, à N’djaména ou partout ailleurs sur le continent africain, le phénomène de la dépigmentation prend une envergure avec son cortège des conséquences sanitaires et socio économique parfois fatale pour les usagers.
Selon le Dr Béassemda Jatiby, Médecin Généraliste au service des maladies infectieuses et de dermatologie de l’Hôpital Général de Référence Nationale (HGRN), chargé des consultations dermatologiques, il est difficile de situer avec exactitude les causes de cette pratique qui les dangers, prend de l’ampleur sur le continent africain, spécifiquement au Tchad. Cependant, la dépigmentation se définit comme le fait pour une personne de peau noire d’y appliquer des lotions ou produits cosmétiques en vue de l’éclaircir. Ces produits détruisent le taux de mélanine qui donne la coloration foncée à la peau et la rendent plus claire.
Appelé « ambi » dans le langage tchadien, la dépigmentation serait observée au milieu du 20è siècle chez les ouvriers noirs aux Etats-Unis d’Amérique. Ce phénomène provient d’un traumatisme après la traite des noirs et la période post coloniale où, l’homme blanc, reste inconsciemment un model supérieur pour l’homme de couleur. Le teint claire est perçu comme un puissant critère de valeur dans nos sociétés africaines au point où, la femme, pense qu’être plus claire, la rendra plus jolie, plus lumineuse, plus occidentalisée, par conséquent, à avoir plus de chance de se trouver un compagnon digne d’elle.
Il existe plusieurs produits utilisés dans la dépigmentation de la peau. On peut citer entre autres l’hydroquinone (le plus connu et le plus utilisé), l’arbutine, l’acide kojique, l’acide azelaïque. L’hydroquinone a longtemps été le principal agent dépigmentant utilisé en cosmétique. Toutes les substances dépigmentant fonctionnent sur le même principe que l’hydroquinone, c’est-à-dire l’inhibition de la mélanine.
L’épiderme, les cheveux, et les poils sont colorés par des pigments : les mélanines, et ces pigments mélaniques servent à protéger l’épiderme et les couches profondes de la peau des agressions externes, en particulier les rayons ultra violets dont le rôle est connu dans le survenu des cancers de la peau.
Comment expliquer l’envergure que prend cette pratique vue le nombre des adeptes qui va crescendo ?
De l’avis de Madame Assira, habitante du quartier Kabalaye (N’djaména), adepte de « ambi » elle aussi, une femme à la peau claire attire plus des regards sur elle et séduit mieux que la femme à la peau foncée. La plupart des hommes aiment les femmes à la peau claire, peu importe qu’elle soit naturelle ou dépigmentée volontaire. Ce sont ces hommes qui nous encouragent à appliquer davantage ces produits, ajoute-t-elle déconcertée. Pour Dr Béassemda Jatiby, l’usage de lotions éclaircissantes exprime le complexe d’infériorité de certaines personnes de couleur à l’égard des Blancs. Par souci d’esthétisme, de suivisme ou par méconnaissance, dans tous les cas, la dépigmentation volontaire ne concerne pas seulement les citadines. Bien de femmes en province et dans les villages s’adonnent à cette pratique pernicieuse.
Les scientifiques affirment que dans chacune des races, l’épaisseur de l’épiderme, la structure du derme et sa vascularisation, la répartition de la pigmentation, la richesse et la qualité des annexes (glandes sudorales, sébacées et phanères), la densité des poils et l’équilibre écologique de surface, varient considérablement. Ce qui explique l’importance des paramètres sociaux, environnementaux et dermatologique dans la couleur de chaque individu. Si la peau humaine possède ces qualités, la modifier, fait encourir le risque de compromettre l’équilibre naturel. Les conséquences sont inéluctablement fâcheuses pour les adeptes sur la santé, les revenus financiers et les liens sociaux.
Nombre de femmes et d’hommes qui s’adonnent à cette pratique, limités par la faiblesse de leur revenu se rabattent sur des produits cosmétiques les moins chers. Ceux-ci n’ont pas la même composition et les mêmes effets que les produits originaux. Pourtant, ces lotions contiennent des corticoïdes (anti inflammatoires), de l’hydroquinone (antiseptique). De l’avis de Dr Béassemda Jatiby, ces produits cosmétiques qui proviennent des pays comme le Nigeria, le Cameroun, la Côte-d’Ivoire, l’Afrique du Sud, de l’Asie et certaines pays d’Europe ont des compositions chimique qui ne respecte pas les normes esthéticiennes et dermatologiques.
Les usagers des produits dépigmentant s’exposent à plusieurs complications dermatologiques dont le plus connue est le cancer de la peau. Certaines personnes se font injecter du quinacore en vue d’un éclaircissement harmonieux de leur peau. L’injection de quinacore blanchit la peau certes, mais affaiblit le système immunitaire, au point de rendre la peau vulnérable aux agressions externes. L’utilisation régulière des corticoïdes favorise les mycoses (maladies de la peau dues aux champignons). De l’avis de Dr Béassemda Jatiby, on suspecte fortement les corticoïdes présents dans les produits éclaircissants d’entrainer des accouchements des bébés frêles, avec petits poids à la naissance.
L’hypertension, le diabète et d’autres souci de santé peuvent survenir après un long usage des produits dépigmentant à base de corticoïde parce que certains jeunes utilisent des produits qui ont une très forte teneur en hydroquinone parfois jusqu’à 22 degrés. La destruction de la mélanine, cette protection naturelle de la peau contre les rayons ultra violets, peut-être fatale. Privée de la vitamine D, la peau devient très vulnérable à toute sorte d’agressions externes des rayons solaires. Cela peut causer le cancer de la peau, voire le cancer du sang ; la cicatrisation des blessures après une intervention chirurgicale devient compliquée et peut conduire éventuellement à la mort. Au-delà de ces complications, la peau est exposée aux acnés, aux brulures, et à l’eczéma etc.
En dehors des conséquences sur le plan sanitaire, il faut noter a fortiori les conséquences sur le plan financier. En effet, l’usage des produits dépigmentant, nécessite d’avoir toujours de l’argent. Christine E. appelée « Kiki la blanche » à cause de la blancheur de sa peau, conséquence de l’utilisation des lotions dépigmentant, confie que malgré qu’elle soit salarier dans une entreprise de la place, elle se voit obligée de « gérer » plusieurs partenaires pour subvenir à ses besoins mais surtout pour ne pas manquer de sa lotion éclaircissante. « Ce maudit produit nous pousse à honnir notre propre corps en jetant dans les bras du plus offrant ». Cette complainte qui sonne comme une rédemption est plus que symptomatique.
Au plan social, l’usage de « ambi » peut être source d’exclusion. En effet, il arrive des fois que la personne, adepte des lotions éclaircissantes fasse l’objet d’une stigmatisation et discrimination notoire de ses proches à cause de l’odeur répugnante de son corps. « Je peux manger la nourriture que prépare une femme qui s’est déteint la peau. Cependant, en aucun cas, je ne partagerais la nourriture avec elle en période de chaleur à cause de l’odeur répugnant de son corps. Cette odeur peut me faire vomir tout ce que j’ai mangé » souligne avec dédain Dakou Mahamat.
Contrairement à l’opinion de plusieurs personnes, le phénomène de dépigmentation n’est pas seulement l’apanage de l’Homme de couleur c’est-à-dire le Noir d’Afrique. Les Asiatiques, les Indiennes, les Latinos ou Afro-Américaines et certaines Antillaises la pratiquent également. A l’opposé, certains européens veulent à tous prix se bronzer la peau en s’exposant dangereusement aux rayons solaires.
Nombre de nos concitoyens continuent de se dépigmenter volontairement la peau en dépit des conséquences qui peuvent conduire jusqu’à la mort. L’arrêt à temps peut éviter certaines conséquences lointaines et minimiser les séquelles déjà installées sur la peau. Même si cet arrêt ne les supprimer totalement, cela peut éviter l’issue fatale.
Dingamnaïel Kaldé Lwanga