Donc cela fait deux mois jour pour jour depuis que le Conseil Militaire de Transition (CMT) a pris le pouvoir par la baïonnette. Cela s’est passé vite. Trop vite comme le clignement des yeux. Le CMT a fait semblant de faire passer à la trappe toutes les institutions. Quelques jours après, il rétropédale en maintenant certaines institutions, par exemple l’Assemblée nationale (AN). Quelques idées ont été lancées comme des ballons d’essai. Un Premier ministre est désigné. Un gouvernement est formé. Depuis lors beaucoup de bruit. Beaucoup de futilités. Beaucoup de paroles. Finalement très peu d’actions concrètes pour faire tourner la transition à plein régime. Cette nonchalance voulue ou pas, fait tourner la transition en rond.
D’abord le CMT s’ennuie à force de ne pas avancer. Pour s’occuper, la junte n’a rien trouvé de mieux que de convoquer le public à travers le communiqué de la direction du protocole d’État de la présidence (DGPEP) qui dit informer les Tchadiens sur les formules d’appellation du président de la transition. Les Tchadiens attendent le démarrage du processus de la réconciliation, la feuille de route du gouvernement, etc. Au lieu de cela, le président de la transition Mahamat Kaka s’occupe de ses titres. Il a décidé par le truchement de la DGPEP que tout citoyen ou ses collaborateurs qui veulent lui écrire ou lui parler doivent dans une correspondance l’appeler : Général de Corps d’Armée, Président du Conseil Militaire de Transition, Président de la République, Chef de l’État.
Ou : Général de Corps d’Armée, Président du Conseil Militaire de Transition, Chef de l’État
Ou encore : Président du Conseil Militaire de Transition, Président de la République, Chef de l’État, Chef suprême des Armées. Le dernier titre est semble-t-il réservé aux militaires.
A l’oral, il faudra dire : Excellence.
La priorité de la junte ne semble pas être le démarrage de la transition. La DGPEP rappelle à l’ordre certains qui prennent un peu trop leurs aises en appelant le président de la transition Mahamat Kaka. Surtout les journalistes. Seulement la DGPEP fait dans le zèle en octroyant le titre de président de la République au chef de la junte. Le président de la transition peut s’octroyer les titres qu’il veut sauf celui de Président de la République. Mahamat Kaka ne pourra l’être que s’il décide de se présenter aux suffrages des Tchadiens. Et qu’il les gagne. Pas avant.
Ensuite, le gouvernement. Il ne semble pas avoir le volant du gouvernail de cette transition. Rien ne se passe comme il se doit. Tout se décide à la présidence. Le Premier ministre Pahimi Padacké Albert (PPA) est semble-t-il trop contrarié, trop à l’étroit. Le peu d’initiative qu’il entreprend est contrecarré à la présidence. L’entourage du président de la Transition s’amuse à lui faire la leçon. Les conseils de ministres sont devenus fades. PPA avale beaucoup de couleuvres. Le ministère de la Réconciliation et du Dialogue qui est censé impulser la feuille de route n’a toujours pas, deux mois après, ses locaux. Acheik Ibni Oumar et son embryonnaire équipe squattent toujours les suites de l’hôtel Radisson Blu. L’équipe du Premier ministre fait pareil aux villas des hôtes ou à l’hôtel du Chari, on ne sait plus. Comment peuvent-ils travailler efficacement? Quand vont-ils s’installer aux bonnes adresses? Comment? Comment?
Enfin, le Conseil National de Transition (CNT) est sur toutes les lèvres. Et dans tous les esprits. Un comité ad hoc est mis en place. Ses membres sont désignés. Tout le Tchad attend l’annonce de la liste des cooptés. Tout le pays veut en faire partie, mais il n’y a que 93 places. Ça joue des coudes au portillon. Il semble que le président de la Transition exige qu’il faille être lettré et de bonne moralité pour en faire partie. Il veut aussi du sang neuf. Et un Conseil ouvert sans politique « politicienne ». C’est une bonne chose, mais le jeu politique à ses propres codes, ses propres règles, ses propres réalités et sa propre raison. La tentation est grande de continuer à faire de la petite politique avec cet organe. D’ici à voir plus clair, le CMT et le gouvernement piétinent. Le risque de l’enlisement est sérieux. Très sérieux.
Bello Bakary Mana