Donc la campagne électorale a commencé officiellement depuis quelques jours. Le candidat et président sortant Idriss Deby Itno rempile pour la 6e fois. Oui, vous l’avez bien lu. C’est la 6e fois. Dans un autre pays, le débat sur la candidature du candidat Deby Itno aurait fait débat. Pas au Tchad où l’attentisme et la paresse intellectuelle en sont les ADN. Bref la précampagne était injuste. Et la campagne électorale actuelle est terne et déséquilibrée. Pourquoi?
D’abord, la précampagne. Elle a duré quelques semaines. Il n’y avait que pour le président Deby Itno. Il a fait le tour du pays, posant une seconde première pierre sur la première pierre d’il y a 5 ans. Promettant les mêmes routes et les mêmes infrastructures d’il y a 6 ans. Le même disque rayé. Les mêmes endroits. Le même discours. Le Kaftan et le turban du raïs dépassaient un peu trop. Personne ne croit. Ces promesses sont insensées parce qu’électoralistes. Et tenez-vous c’était en pleine période de la Covid-19 et du couvre-feu. Seul, le Maréchal et son parti, le Mouvement Patriotique du Salut (MPS) étaient autorisés à braver le méchant coronavirus. Un film tragicomique où le scénario étaient écrit d’avance avec des acteurs qui s’affranchissaient allègrement des toutes les règles du plateau. La mise en scène était tellement grossière que le premier quidam aurait compris que c’était une campagne électorale avant l’heure. Une campagne déguisée en tournée présidentielle. Elle était injuste et inéquitable. Surtout que les médias publics comme des enfants de la chorale du dimanche étalaient sur les ondes, payés par tous les Tchadiens, cette grossière campagne. Tant pis alors pour les esprits naïfs qui croient qu’il suffit d’être président candidat pour réaliser des miracles. Simplement parce que même si le Maréchal Président Candidat veut, il ne peut rien, car les caisses de l’État sont vides.
Ensuite, la campagne officielle a démarré depuis le 11 mars. Le paysage politique est terne. Plusieurs poids lourds politiques se sont retirés de la campagne. Quelques poids légers sont dans la course. Pour combien de temps? Peu d’entre eux ont les moyens de continuer à battre campagne. La plupart sont, comme le disait un politologue, « des accompagnateurs ». Bien avant le déclenchement officiel la tension sociale avec la plateforme syndicale revendicative était un caillou dans la chaussure du président. Le caillou s’est métastasé. Il est partout dans le corps du candidat. Deby Itno ne s’est surtout pas aidé en continuant à verrouiller l’espace public empêchant l’expression de la société civile, de certains acteurs politiques et comme si cela ne le suffisait pas il a double-verrouillé Internet. L’affaire Yaya Dillo a été la gaffe de trop qui a permis de tout déverrouillé tellement la bavure était indéfendable. Le Maréchal s’est retrouvé, dans cette affaire, à découvert et sans troupe tout en offrant à Dillo une stature de brave opposant. Cette aventure montre deux grandes faiblesses du président : soit il n’a pas de bons conseillers autour de lui. Soit il n’écoute que lui-même. C’est là le danger d’un pouvoir seul. Et d’un système sclérosé par l’usure du pouvoir. Deby Itno apparaît alors comme le dirigeant d’un système qui n’a toujours pas compris que le bébé né en 1990, à son arrivée au pouvoir, est un adulte de 30 ans. Un adulte qui n’a aucune perspective devant lui à part être militaire et avec un peu de chance être fonctionnaire de l’État. Mais de quel État?
Le 13 mars. Jour de lancement de campagne du candidat du consensus Idriss Deby Itno. Lieu : au stade Idriss Mahamat Ouya. Les Tchadiens ont vu et entendu un candidat véhément, presque martial. Il a arrosé d’une insulte vulgaire ses adversaires politiques. Et a qualifié certains hommes politiques des officines au service de l’étranger. Une sortie qui donne le ton d’une campagne sans relief où les arguments ont laissé la place à l’improvisation. C’est à se demander si le candidat a un programme. Elle a parasité 1h de discours. Le public ne parle que cette injure. Elle semble être la seule vilaine idée restée gravée dans la mémoire du public. Tout le Tchad en parle. Les internautes tchadiens tournent le tout en dérision.
Enfin, le parti au pouvoir le MPS ne semble pas être un vrai parti. C’est un assemblage d’hommes et de femmes qui ne produisent aucune réflexion après 30 ans au pouvoir. Cela se sent. Cela se voit. Cela s’entend. Il suffit de discuter avec ses leaders pour comprendre qu’ils sont dans une impasse. Le MPS n’est finalement qu’une bannière où les plus opportunistes écrasent les plus travaillants. Et les plus roublards enfarinent les plus honnêtes. Plus personne ne sort du lot. Les uns par crainte d’être écartés. Les autres sont occupés à meubler la taverne du Maréchal à coup des « présidents fondateurs » et des « grâces à votre clairvoyance ». Ce manque de débat patent au sein du parti fera-t-il, enfin, revenir le Maréchal sur la confiance qu’il accordé à ses amis politiques incapables de lui proposer un programme et de le défendre. Ils sont fort probablement en train de conduire le candidat Deby Itno vers l’abîme. Parce qu’il n’y a aucune tête pour réfléchir et produire des idées innovantes. Ils préfèrent produire des éloges « gondwanaises » à la Mahamane. Entre temps, les Tchadiens ont évolué. Ils n’attendent rien du candidat président. Ils ont appris à le connaître depuis 30 ans. Il a désappris à les connaître depuis 30 ans. Dans cette élection, le candidat Deby Itno doit regretter n’avoir en face de lui que des poids plumes de la politique. Il compte certainement sur un fort taux de participation pour se consoler. Les Tchadiens se bousculeront ils le 11 avril devant les bureaux de vote? Surtout que plusieurs organisations politiques et de la société civile s’organisent pour appeler au boycott. Le Maréchal fait le pari de gagner cette bataille électorale avec un fort taux de participation. Cible presque inatteignable tellement cette campagne est terne et morose.
Bello Bakary Mana