Donc, la position officielle de l’Union Africaine (UA) est connue. Après moult atermoiements et un long silence gênant. Pas de sanctions, une bonne chose pour le Tchadien lambda. Pas de condamnation du coup d’État, une mauvaise chose. L’UA a choisi d’accompagner la junte avec des conditions. Est-ce le bon remède? L’UA a-t-elle posé le bon diagnostic? Est-elle le bon docteur au chevet du grand corps malade, le Tchad?
D’abord, pour éviter de prononcer ces deux mots « coup d’État », un long communiqué officiel aligne les :
« Prenant note… », « notant les déclarations faites par… », « appelant en outre les dispositions .. », « attirant particulièrement l'attention… », « prenant dûment note du rapport de la Mission d'enquête… », « compte tenu de la complexité de la situation politique et sécuritaire.. » etc.
En fait le docteur UA a dit beaucoup de choses, mais à soigneusement évité de dire le plus important : condamner fermement le coup d’État. Ensuite, le docteur a écrit son ordonnance au malade : un gribouillage en guise des mesures d’accompagnement et ses restrictions. Il aurait fallu condamner pour ensuite faire avaler facilement la pilule. Et pourtant cette condamnation était facile à dire et serait en symbiose avec les principes de l’UA. Elle devrait figurer dans les premières lignes de tous ce jargon bureaucratique. L’UA a démontré qu’elle était incapable de nommer les choses. D’être simplement intelligente. En refusant de condamner, le coup d’État, elle est entraînée par les « spin doctors » de la junte à poser le mauvais diagnostique. En poussant l’analogie médicale plus loin, l’UA ne pourra pas bien administrer son remède à son patient. Elle n’est, peut-être pas, le bon docteur. Tellement pas bon docteur qu’elle n’est obsédée que par la question du terrorisme, de stabilité et de sécurité. Elle a oublié une réalité importante : le. Tchad n’a jamais eu depuis 30 ans une armée nationale et républicaine. C’est plutôt une armée clanique au service des intérêts d’une catégorie de personnes. La majorité des Tchadiens interrogés aurait pu éclairer les experts africains lors de leur séjour au pays au fort moment de la crise. Bref, les recommandations de ce « grand machin africain » se buteront aux réalités têtues de l’exercice clanique du pouvoir.
Ensuite, au sujet des sanctions, très peu de Tchadiens sont pour les sanctions. Ce qui est détestable c’est de stigmatiser tous ceux qui brandissent ou promeuvent les sanctions. Ils sont perçus du coin de l’œil comme des traîtres à la nation alors qu’il s’agit bien d’un coup d’État. Un coup difficilement justifiable sur le court terme et insoutenable pour le long terme au cas où la junte tente de s’accrocher ou de proroger les délais de 18 mois. Contrairement aux discours ambiants, les réalités ne peuvent être au-dessus des textes. Cet étrange argument servi par les tenants du pouvoir pour faire croire que les principes institués dans la Constitution sont des idées hors du réel est irrecevable. Pourtant tout le monde sait que ce sont les principes qui sont la matrice des réalités dans la mesure où les acteurs sont de bonne foi.
Aussi, au jour d’aujourd’hui, personne ne peut justifier en quoi l’imposition du président de la transition Mahamat Kaka est conforme aux réalités. Elle n’est rien d’autre qu’une grosse entorse à la réalité constitutionnelle et institutionnelle. Tous ces agissements, ceux de l’UA et de certains opposants tchadiens, qui ont joué aux « infirmiers soignants » du malade Tchad, peuvent encourager la junte à ne rien céder. En justifiant leur ralliement ou en accompagnant la junte militaire par la « realpolitik », cette opposition fait de la « petite politique » au bénéfice de leurs chapelles politiques. L’écrivain français Voltaire disait que la politique est le moyen des hommes sans principes pour diriger des hommes sans mémoire. Peut-être qu’enfin les Tchadiens auront de la mémoire pour faire payer ces hommes politiques « courts-termistes ». Et qui ont sciemment ou inconsciemment fait rater une occasion unique de rassembler les Tchadiens pour redresser le pays.
Enfin, pour le Tchad les principes sont importants pour changer la réalité, car le pays est à un tournant majeur. Quand on entend ceux de l’opposition qui se sont précipités pour « accompagner » la junte, on y décèle une prétention naïve de croire qu’ils sont réalistes. Et qu’ils arriveront à petite dose à déjouer les ambitions de la junte. Une junte qui se pose en héritière du régime passé. Les opposants qui y participent n’ont aucun plan, aucune stratégie pour contrecarrer la junte qui a tous les leviers du pouvoir entre les mains. Ils n’ont rien fait de positif sinon à contribuer à affaiblir l’opposition. Ils ont par leur précipitation poussé la société civile à jouer leur rôle. Fort probablement, ils reviendront demain, au nom des principes, dirent aux Tchadiens qu’il faudra changer de prince. Alors qu’ils ont tout fait pour rater cette ultime occasion de remettre les compteurs à zéro. Et de donner la chance à ce pays meurtri de renaître de ses cendres.
Bello Bakary Mana