samedi 23 novembre 2024

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« N'Djaména-Malabo : petit pont de poussières et de misères »

N’Djaména-Malabo. Qu’est ce qui peut rapprocher ces deux villes de deux pays totalement différents ? Je crois que N’Djamena, ville poussière à l’architecture sahélienne, et Malabo, ancien comptoir colonial espagnole vieillissant de la côte atlantique devenue capitale de la Guinée équatoriale peuvent aisément être comparées. 

Il y a dix ans, la partie citadine de Malabo se limitait à ce qui est devenu son centre – ville aujourd’hui avec ses restaurants neufs, ses petites rues entièrement pavées et ses lampadaires. N’Djamena, il y a dix ans, montrait le visage d’une ville en pleine reconstruction après les affres des guerres civiles des années 80. Malabo, en ces temps-là, en dehors du centre-ville, ressemblait plus à un gros village de la savane tchadienne qu’à autre chose. Les gens qui l’avaient connue à cette époque, et qui connaissent aussi bien le Tchad, la comparaient volontiers à Kelo… en 1990.

Dix années plus tard, le boom pétrolier aidant, Malabo commence par prendre des allures d’une véritable petite ville, avec des rues entièrement bitumées, ses lampadaires, ses magasins et ses restaurants, des espaces verts et des zones nouvelles d’habitation en pleine construction. Tout dans la ville sent le pétrole à plein nez. Des immeubles poussent un peu partout, de nouveaux quartiers apparaissent chaque année, des hôtels et des restaurants sont inaugurés tous les six mois, un nouvel aéroport, un stade en construction, une université en chantier etc. Le pétrole ici, bien que mal géré comme un peu partout en Afrique semble avoir profité à toute ville. Il suffit pour s’en convaincre de voir le nombre de voitures en circulation dans la ville. Il y a une dizaine d’années, les statistiques officielles de la ville dénombraient juste une centaine de voitures. On compte aujourd’hui plus de 150 000 véhicules roulant en Guinée Équatoriale, dont plus de trois-quarts seulement à Malabo. La ville continue par connaître encore des problèmes d’alimentation en eau potable et en énergie électrique. Mais le tout nouveau complexe gazier construit par la société Marathon prévoit dans un avenir proche un système connectant la centrale thermique de la ville à ses propres usines de production électriques. Tout le monde s’accorde à reconnaître que l’évolution de la ville a été extraordinaire. Il reste à Malabo le défi de changer de culture pour passer du mode de vie villageois avec ses pesanteurs, à un mode de vie citadin, plus ouvert sur le monde et aux autres.

N’Djamena, je le disais, il y a dix années, avait alors fait mine de vouloir rompre avec son passé morbide et humiliant de ville assassine. Mais quelque chose a certainement dû se passer entre 1992 et 2005. La poussière et les dépotoirs sont aujourd’hui les principaux habitants de la ville. Chaque jour qui passe apporte son lot de saletés et de destruction. On détruit d’anciens quartiers soi-disant pour réhabiliter des rues ou créer des espaces verts pour en réalité simplement aménager des pâturages pour les moutons et les vaches des ministres et des nouveaux riches qui poussent chaque nuit dans la ville. Si Malabo a aussi le syndrome de la création du nouveau riche, N’Djamena semble être déjà rentrée bien loin dans la phase morbide de cette maladie qui a pour origine la corruption. La corruption en Guinée Équatoriale est aussi importante, et tous ceux qui viennent pour la première dans ce pays en expérimentent l’amère pilule dès leur première descente d’avion. Mais au Tchad, le mal a pris des formes et des proportions monstrueuses qu’il en a fini par dénaturer l’allure et l’architecture de notre capitale. L’indécence qui caractérise cette maladie (la corruption) se répercute jusqu’a sur les modèles de construction et de décoration de nos maisons. Les maisons « à étages », signe suprême de richesses s’il en est, poussent dans tous les quartiers, aussi bien dans ceux prétendument riches que dans ceux où la misère semble avoir investi toutes ses économies. Construire une maison à étages dans un quartier comme Arbou-Soulbak où dès que la fenêtre dépasse deux mètres on peut regarder dans les toilettes de son voisin. Cela est pire que le manque de décence. C’est un manque d’éducation. De toutes les façons, les N’djaménois et les Tchadiens dans leur grande majorité, ont oublié le sens du mot « honte ». Ou alors ils seraient nés après l’invention de ce mot par Dieu.

N’Djamena, ville cruelle, ville poussière, pour paraphraser Eza Boto, et plus près de nous, notre compatriote Nimrod Bene Djangrang. N’Djamena, condamnée à disparaître sans doute, par la faute de ses enfants, qui jouent à se faire peur toutes les nuits à coups de pistolets et de couteaux, et qui passent chacune de leurs journées à s’auto escroquer, à s’auto corrompre.

Il est vrai que Malabo n’est pas mieux lotie en termes de corruption. Mais en Guinée au moins, on remarque toutes de suite qu’il y a eu un effort, voulu et soutenu, pas encore avec toute l’énergie qu’il aura fallu, mais au moins cet effort a été fait. Et continue d’être fait pour donner une fierté à la ville. Chaque responsable guinéen, aussi corrompu soit-il, est fier de vous dire qu’il est guinéen, et qu’il travaille pour la Guinée. Je n’ai pas vu, ni entendu un responsable tchadien parler de la fierté d’être tchadien, encore moins de la fierté de travailler pour le Tchad. Comme je le disais dans un précédent article, le sens de l’histoire semble être la qualité au Tchad la moins partagée. Aucun de nos maires à N’Djamena ne s’est jamais adressée de façon solennelle à ses administrés pour leur parler de la fierté d’être N’Djamenois. Aucun ne le pourra d’ailleurs, eux tous, ces maires dont la seule fierté reste le nombre de leurs épouses épousées après leur nomination.

Amine Idriss Adoum 

Sans aller chercher dans les indicateurs économiques et sociaux, force est de constater que notre pays reste à la traîne dans la course à la modernité en Afrique. Pas de routes, peu d'écoles, pas d'hôpitaux, pas d'intellectuels ou alors très peu, et assurément un système politique, social et culturel des plus archaïques, et des dirigeants parmi les plus nuls de la planète.

Allez pourtant dire cela à mes compatriotes et ils vous sauteront dessus à coup de canons et de coutelas bien aiguisés. Notre histoire récente elle-même n'est pas des plus glorieuses. Guerres fratricides, massacres et spoliation des siens, apartheisation des ethnies et des groupes sociaux, on dirait que les dieux ont assurément classé le Tchad dans les tiroirs des damnés de l'histoire.

Pendant que les autres avancent les Tchadiens font de grands pas pour reculer, tout en expliquant aux autres que c'est là leur voie à eux du progrès (sic). Le pire dans cette histoire c'est que nous sommes bien conscients que nous reculons, et pourtant nous continuons à nous délecter dans cet enfoncement. Cette attirance morbide pour le suicide a commencé il y a seulement quelques années, aux moments des grandes sécheresses  des années 80, et quand les FAN( Forces Armées du Nord), s'étant déjà emparé du pouvoir et tronqué leurs sinistre sobriquet "Force Armées du Nord" par celui non moins tordu de Forces Armées Nationales Tchadiennes (FANT),s'étaient lancées dans une véritable campagne de vendetta dans la brousse profonde. Si l'exode rural au Tchad existait bien autrefois, il a pris une ampleur massive sous l'effet conjuguée des sécheresses des années 80, des FAN bien sûr, mais aussi (et la encore ce sont les FAN) de l'appel de Hisseine Habré à tous ses co-régionnaires de se déverser dans N'Djamena pour le «recolonisé". Idriss Deby est venu compléter le tableau en affamant les campagnes à son tour et en demandant lui aussi aux siens de venir prendre leur butin à N'Djamena.

Les effets de tous ses facteurs ont été désastreux pour notre identité de citadins tchadiens. Chassés par les FAN, FAP, MPLT, MPS, FAR, etc. Tous ces groupes de bandits bizarrement appelés « politico-militaires» de la brousse du Centre et Sud ou des dunes désertiques du Nord, nos compatriotes ont migré massivement vers les quelques faméliques regroupements de maisons que nous osons encore appeler villes et qui portent le nom  ridicule (parce que jamais nom n'a autant  juré avec sons sens propre) de N'Djamena, Moundou, etc. 

Autrefois nomade ou pratiquant une culture sur brûlis donc constamment en déplacement, l'homme rural tchadien se retrouve, par le fait des facteurs précités, embarqué dans un environnement totalement différent où il ne devrait pas avoir besoin de faire de la culture sur brûlis ou de faire transhumer son bétail. Mais comme son irruption dans cet environnement totalement nouveau pour lui ne s'est pas fait de son propre et plein gré, il n'a pas vu pourquoi il devrait abandonner les principes moteurs qui ont guidé sa vie jusqu'à ce jour. De plus, meurtri par plusieurs mois de fuites, son atavisme ancestrale de maraudeur a vite fait de refaire jour.

Du coup, N'Djamena et Moundou, villes qui ne devraient logiquement pas avoir un statut de cités parce qu'elles ne remplissent plus aujourd'hui aucun des critères qu'il faudra pour cela, se sont très vites transformées en taudis fantomatiques, grouillant de saletés et de puanteurs, gérées par des bandits de grands chemins qui ont pris le titre de politiciens, et ou la seule caractéristique visible reste l'envie de partir qu'affichent ses habitants. Rien de structurel, rien de permanent, tout est construit sur le mode du temporel et du temporaire, sur le mode du départ. Personne n'est chez soi, surtout pas tous les nouveaux venus chassés par la sécheresse ou par les FAN/FAP/FAR/MPS, etc. Poussés en villes malgré eux par les injonctions d'un Hisseine Habre/Idriss Deby les appelant à venir profiter des richesses (imaginaires) de la ville.

Au demeurant, tout ceci reste classique de l'histoire de la formation de toute ville. Le seul ennui avec le Tchad, ce que si au départ les traits de N'djamena se devaient bien d'hériter de cette période trouble de son histoire, en principe avec le temps les blessures devraient être gommées, et non accentuées. Que Nenni !

Au Tchad, où la déstructuration du passé reste un exercice très fort quand il s'agit de se fermer les yeux, on accumule non seulement les blessures sur nos villes, mais en plus, on en ouvre de nouvelles. Et elles sont nombreuses, faites de manière volontaire. Les citadins d'hier, complètement engloutis dans la masse des nouveaux venus, ont perdu tout repère. Le désordre et la saleté ont tout envahi, jusqu'à nos cours. Ceux qui devraient en principe donner le tempo pour aider les arrivants à intégrer la ville et ses structures ont baissé les bras dans les meilleurs des cas. Le plus souvent, ils ont tronqué leurs habits de citadins contre des pratiques dites traditionnelles d'un autre âge. Le rural a fini par absorber l'urbain et le campagnard posséder la cour du citadin.
Résultat : des villes nauséabondes, où il fait mal vivre, et d'où la culture a pris ses jambes à son coup. Plus de cinéma, pas de théâtre, plus de bibliothèques. Pour tromper leur échec les N'Djamenois ou les Moundoulais, qui ont non seulement été complètement digéré par les nouveaux venus et leurs pratiques, mais se sont aussi laissé bouter hors du champ économique et décisionnel (le pouvoir politique) se sont lancé dans une course folle contre la bouteille de la gala. La seule distraction reste l'alcool, ou battre sa femme et injurier ses voisins !

Que faut-il faire finalement ? Chasser les nouveaux venus ? En fait les nouveaux venus comme je les appelle font maintenant partie du paysage de nos «villes ». Il faudrait plutôt exhorter le politique à mettre en place de véritables campagnes de sensibilisation sur le sens de ce qu'est une ville, une cité. Au lieu de folklorique rond points qui n'ont pour seul résultat que de rendre la circulation des voitures plus difficiles et vider à la vitesse de la lumière les caisses des municipalités (il faudrait être un maire complètement idiot pour remplir une ville entière de rondpoint et compter cela dans les réalisations politiques.) On fera mieux d'investir dans la construction de parcs et de centres de loisirs, de cinémas et de zones d'animations. Mais finalement je crois que tout ceci n'arrivera pas. Surtout quand on se souvient d'où sortent nos maires et avec quelles organisations politiques ils sont liés.

À bientôt, et ne vous gênez pas pour me répondre si vous vous sentez visé

Amine Idriss Adoum 

“Si le « monde arabe », plus particulièrement sa partie moyen-orientale, est en train d'être recolonisé, c'est qu'il était « colonisable » écrivait Bechir Ben Yahmed dans son éditorial du 5 Mars 2005 dans l’Intelligent.com de la même semaine. La même phrase pourrait être appliquée avec plus ou moins de bonheur à l’analyse du cas Tchadien. Si les Tchadiens chaque jour qui passe courbent l’échine un peu plus, ce que leur déterminisme les destine peut-être à le faire. Si les Tchadiens sont encore le peuple le plus retardé d’Afrique, c’est parce que leur parcours historique, de même que leurs structures sociales et culturelles actuelles les destinent à demeurer les derniers de la course à la modernité. Si Hisseine Habre, et aujourd’hui Idriss Deby se sont imposé par la force et la bêtise avec une facilite aussi déconcertante aux Tchadiens, ce que les Tchadiens étaient peut être  « soumissables ».
En guise d’illustration je vous recommande une lecture : Les Pays du Tchad dans la Tourmente de Jean Claude Zeltner, ouvrage paru il y a plus d’une décennie, décrivant les évènements intervenus dans la période 1880-1902 dans le bassin Tchadien. Le Livre de Zeltner qui fait la part belle à la narration des faits d’armes des principaux protagonistes des guerres coloniales effectue aussi un détour temporel et interroge les deux ou trois siècles ayant précédé le début du fait colonial dans les pays du bassin du Lac Tchad. Il interroge avec beaucoup de lucidité les systèmes sociaux et culturels des grands regroupements d’alors : le Kanem-Bornou déclinant, le Ouaddaï au crépuscule de son apogée, et le Baguirmi déjà dans la force de l’age. Il nous livre une photographie saisissante d’une portion de l’histoire en plein déclin, un tableau humaniste d’une région du monde ou l’esclavage et la chasse à l’homme sont élevées aux rangs de vertus. Une enclave d’Afrique abritant des sociétés certes ayant été toujours en contacts avec le monde extérieur mais où curieusement les peuples et les choses sont demeurés encore « intactes ». L’arrivée des nomades arabes d’abord, puis l’irruption brutale de Rabbeh bientôt suivi des européens va bouleverser définitivement l’ordre des choses dans ce monde vaste comme la France d’alors.

Si au Cameroun voisin, ou encore au Congo ou au Sénégal, la pénétration européenne s’est effectuée graduellement (premiers contacts marchands avec les côtiers, ensuite les missionnaires, puis après les colons), l’immixtion des colons dans les affaires des pays du bassin Tchadien s’est fait en une seule étape. Bien sûr il y a eu Barth, il y a eu aussi Nachtigal et quelques autres explorateurs. Mais ce n’était alors que des missions scientifiques, et pas grand-chose. Les blancs ont fait irruption dans cet espace ou moment où il commençait sa recomposition. Autrement dit, entre 1880 et 1902, les pays du Tchad étaient en pleine révolution politique, culturelle et sociale. Les structures sociales, vieilles de plusieurs siècles, avaient commencé leurs mues, et les perceptions/représentations culturelles, complètement déphasées, avaient commencé, avec les bouleversements qu’impliquait l’arrivée violente de Rabbeh, à se transformer. Des sociétés complètement fermées, construites sur une perception dépassée de l’homme commençaient à s’ouvrir et à évoluer. Et cela malgré les réticences des princes d’alors. Mais tout le processus s’est trouvé brutalement arrêté. Que s’est-il exactement passé ? Je ne pourrai pas relater les évènements ni donner leur chronologie ici. Il faudra toutefois noter les points suivants :
D’abord, sociétés agraires aux économies essentiellement basées sur la chasse à l’homme et sa revente, les royaumes du bassin tchadien ont vu entre 1880 et 1902 tarir leurs plus grandes sources de revenus (l‘esclavage) du fait de Rabbeh d’abord, puis des européens ensuite.
Ensuite, sans ressources suffisantes donc, et toutes déjà aux crépuscules de leur vie, les sociétés du bassin tchadien n’avaient pas la force, ni la volonté de vraiment résister. Elles ont d’ailleurs essayé, mais sans succès.
Enfin, pour la plupart des peuplades soumises au joug esclavagiste de ces empires déclinants, l’arrivée de Rabbeh puis des colons représentaient une planche que la providence semblait leur avoir tendu (quoiqu’ils se trompaient encore). D’où les ralliements massifs aux troupes de Rabbeh puis les enrôlements dans les armées coloniales pour combattre le Baguirmi (Rabbeh) ou soutenir les campagnes « punitives » francaises contre le Ouaddaï, le Kanem – Bornou (a moitie défait par Rabbeh d’ailleurs).

Entre 1880 et 1902, la situation politique et sociale des pays du bassin Tchadien les rendait donc facilement colonisables. Si j’ai volontairement refusé d’évoquer la supériorité technologique et militaire des colons ou des troupes de Rabbeh pour insister sur l’analyse des structures sociales et politiques/culturelles pendant cette période trouble, c’est surtout pour pouvoir établir une relation entre cette époque, et les années 1979-1982.

Mille neuf soixante-dix-neuf (1979) marque la fin du processus de pourrissement des institutions politiques et administratives tchadiennes. Processus de pourrissement lui-même déclenché par Tombalbaye, et clairement poussé par le Frolinat. Au moment où Hissein Habre devenait Premier ministre en 1979, tous les éléments étaient réunis pour faire sauter la république tout entière : un peuple aux abois parce que profondément blessé par plusieurs années d’une guérilla meurtrière, des structures économiques complètement brisées, et une administration qui n’existait plus que sur le papier.

Si les appels à la haine tribale et ethnique d’un Mahamat Hisseine ont été positivement reçus en 1979 par une partie des populations musulmanes de N’Djamena, c’est parce que plus personne à ce moment-la n’avait rien à perdre. Il devenait donc facile de récupérer le Tchad sans coup férir puis de le mettre en coupe réglée. Si Kamougue avait eu la force des armes et la combativité nécessaire chez ses hommes à ce moment-là, il est indéniable qu’il aurait remporté la première bataille de N’Djamena. Mais rien n’aurait changé aussi, puisque Kamougue, aussi bien que Habre, visait le même objectif, la même finalité : la mise en coupe réglée du pays. On aurait toujours eu notre Mobutu Tchadien !

Si depuis 1990, Idriss Deby parvient sans trop de peine à garder le Tchad dans sa poche comme on dit vulgairement, c’est que la situation qui prévalait en 1990 rendait cela possible : un peuple fatigué après trente années de guerres civiles et de ponction démographique, des structures sociales / culturelles complètement anachroniques, des consciences en guerre avec elles-mêmes. Et si la situation perdure jusqu’à aujourd’hui, ce que les Tchadiens dans leur immense majorité restent toujours ces malades de l’histoire, sans repères ni amour-propre. Ce peuple capable de se prostituer et de courber l’échine face au premier bandit venu. Conséquence de notre histoire ? Peut-être. Mais ceci ne nous dédouanera pas du tout. Car à la réflexion, je me demande si les Tchadiens ne sont pas ce genre de peuple seulement crées pour être asservis.

Amine Idriss Adoum 

La question, déjà posée par Lyadish Ahmed dans un article paru dans Ialtchad Presse il y a quelques semaines, semble n'avoir suscité aucune réaction de la part des lecteurs et des internautes. Ce qui est bien dommage à mon avis car une telle interrogation mérite bien sa place aujourd'hui. Plus d'une décennie de gouvernement de désordre a apporté la preuve que Deby Itno est incapable d'engager le pas qui placerait enfin le Tchad sur la route de la réduction de la pauvreté, de la lutte contre la corruption, et du recouvrement de notre dignité nationale.

En tout état de cause, après l'avoir observé et subi quinze années durant, aucun Tchadien muni d'un minimum de bon sens ne devrait voter Deby Itno lors des prochaines présidentielles.
Mais la situation n'est pas aussi simple qu'elle le paraît. Car pour sanctionner un homme dans une démocratie, il faudrait être en mesure de lui substituer un autre homme, plus capable, plus dynamique, plus juste. Ce qui est loin d'être  le cas pour l'instant au Tchad. En face de Deby Itno, ou à côté de lui, se trouvent des hommes ayant plus ou moins les mêmes caractéristiques : viles, lâches, veules, incultes et complètement ignorants de l'intérêt publique.

Il me semble que la lâcheté est la chose la mieux partagée en politique au Tchad. S'il me paraît évident que le changement, en politique, comme en toute chose, doit être une règle de gestion, j'ai en revanche de gros doutes, sinon une grande certitude, que le changement, dans l'esprit des hommes sensés nous conduire, est synonyme de retourner sa veste afin de se mettre au service du plus offrant, en termes de « postes de responsabilité », et donc dans le jargon politique tchadien, de possibilités d'emporter la caisse sans être inquiété. Car encore, dans leurs esprits, la caisse publique n'appartenant à personne, appartient au premier qui se l'approprie.

Au demeurant, certains hommes politiques de certains pays voisins pensent et agissent aussi de la même façon. En revanche, dans aucun autre pays que le nôtre, la lâcheté politique, la lâcheté tout court, n'a été érigée en système de gestion des carrières politique. S'opposer à Idriss Deby Itno pour la plupart des élites de notre pays, c’est, vous disent-ils, signer son arrêt de mort. Et pourtant, cela fait curieusement plusieurs années que nous n'avons déploré aucun assassinat politique (je n'évoque pas ici les cas de Laokein, Ketté, Togoïmi, qui sont des cas de rebellions militaires). Il est tout à fait possible que certains parmi nos hommes politiques ont fait l'objet d'intimidations et de menaces. Mais le plus souvent, ces menaces sont plutôt d’ordre matériel : les passer aux oubliettes au moment des grands partages. Ce qui a toujours semblé insupportable à nos politiciens. La politique du ventre dont parlait un célèbre politologue français en qualifiant les pratiques camerounaises il y a une décennie n'a jamais eu meilleure illustration qu'au Tchad. Et donc pour ne pas tomber dans les trappes que Deby Itno ne se gêne jamais de leur présenter, beaucoup adoptent soit une stratégie de collaboration avec lui, ou alors une posture de mise d'auto - mise à l'écart volontaire- mais sans jamais oser effaroucher le prince. Je préfère encore ceux qui collaborent. Au moins ils montrent leurs couleurs. Ils sont certes veules mais pas lâches.

Je hais, et je méprise (les mots ne sont pas assez forts) ceux-là qui s'adonnent à cette politique incompréhensible de mise à l'écart volontaire, et qui veulent nous pousser à faire comme eux.  Leurs lâchetés ne doivent pas être partagées. Beaucoup de partis et d'hommes publics tchadiens appellent aujourd'hui leurs compatriotes à boycotter les élections. Ce genre d'appel n'est pas nouveau. Au contraire, il est si récurrent que c’est le fait qu'un opposant appelle à voter qui surprend les populations aujourd'hui. Les arguments pour appeler au boycott ont tous été passés en revue. Et aucune des conséquences escomptées d'un appel au boycott n'a jamais été effective.

Bien au contraire, boycott après boycott, Deby Itno continue par consolider son pouvoir et son parti, et aujourd'hui, quoiqu'on dise, il passe aux yeux de beaucoup de nos compatriotes comme le seul homme politique tchadien qui ait du courage, et de la continuité dans les idées. Peu importe les effets désastreux de ses différents mandats. Sa présence seule, dans n'importe quel village du Tchad, attire, qu'on le veuille ou non, de milliers de personne. On pourra très bien me rétorquer que les gens accourent dans l'espoir que Idriss Deby Itno leur « lâchera quelques miettes ». Soit, mais la fonction présidentielle en elle-même, la personne qui l'occupent, paraissent suffisamment fascinants aux yeux des populations pour qu'elles se déplacent. Idriss Deby Itno n'a jamais appelé au boycott. Bien au contraire. Et même s'il n'a jamais réalisé aucune de ses promesses électorales, le simple fait qu'il encourage les citoyens à exercer leurs droits et devoirs civiques le place d'emblée au-dessus des autres, du point de vue du courage.

Bien sûr, cela paraît trop simple comme raisonnement. Mais à toujours vouloir fuir la réalité ou se cacher à Paris ou à Washington, la seule alternative que nos politiciens nous laissent est celle de nous ranger derrière la première personne capable de décider de ce qu'il veut faire de sa vie politique. Appeler au boycott n'a rien d'héroïque, surtout si on le fait depuis un salon parisien, ou encore derrière les murs de sa villa climatisée à N'Djamena, pendant que les autres sont en train de rôtir au soleil et crever faute de soins suffisants.

Les arguments de ceux qui appellent au boycott me paraissent aujourd'hui épuisés. Il faudra se résoudre à aller aux élections, avec les moyens qui sont les nôtres. À moins de faire preuve encore une fois, de lâcheté. La politique n'est pas une affaire de salons feutrés et climatisés.
C’est d'abord et avant tout une question de tripes. Et si on se croit investi d'une mission de service publique, on doit être en mesure de le démontrer. Et le démonter passe forcement par la conquête puis la possession d'un territoire. Le principal territoire d'un opposant en Afrique reste la rue. C'est par et grâce à la rue que Gbagbo règne et perdure aujourd'hui en Côte d'Ivoire. C’est grâce à la rue que les Maliens ont chassé leur ancien président Moussa Traoré. C’est toujours par la rue et par elle seule que l'ANC a vaincu l'apartheid en Afrique du Sud. Ce qui se passe au Tchad aujourd'hui en termes de prédation n'est rien comparé à ce que les sud-africains ont vécu plus de six huit décennies. Si les Tchadiens avaient été à la place des sud-africains, nul doute que l'Afrique du Sud resterait éternellement « apartheidisée ».

Pour convaincre la rue de vous soutenir, il n'y a qu'un moyen : l'encourager à faire acte des droits naturels qui sont les siens, et lui demander d'agir dans le cas où ces droits sont niés. Comment voulez-vous avoir le soutien de la rue, messieurs et mesdames des partis politiques, des associations et des ONG, si vous lui refusez la simple possibilité d'exercer ses droits de citoyens ? La rue n'a jamais eu peur. La lâcheté n'a jamais été sa tasse de thé. Mais tant qu'elle n'est pas blessée dans ses droits, elle reste calme. Appelons les gens à voter, c'est la seule et unique possibilité de faire partir Deby Itno, qui pourra bien truquer les élections à l'infini s'il le souhaite, mais ne pourra jamais truquer la colère des gens qui se sentiront spoliés de leur victoire. À moins que, comme le dit Lyadish, les hommes politiques, bien au fait de leur importance réelle, préfèrent justement ce subterfuge qu'est le boycott pour reculer le temps ou leur prétendue popularité sera découverte par le peuple.

Pour moi en tout cas, sans verser dans de grosses analyses politiques ou sociologiques, je suis convaincu d'une chose : à l'heure de la démocratie, la prise de pouvoir doit se faire par les urnes (n'en déplaise à Erdimi et consorts), qui perpétuent une autre forme de lâcheté dans nos pratiques politiques, la politique armée, souvent exercée contre des populations désarmées). Et si le peuple, parce qu'il a justement voté, se sent spolié, il réagira. À moins qu'on ne m'apporte une preuve de sa lâcheté tout le long de l’histoire. En tout état de cause, la lâcheté ne doit plus être de mise en Mai prochain.

Amine Idriss Adoum

A l’instar de beaucoup de pays dans le monde le Tchad organise depuis quelques années de concours de beauté. Une élection permettant de choisir pour une année donnée, la fille la plus belle du pays. Les critères de sélection d’une Miss sont partout approximativement les mêmes. Les atouts souhaités sont en autres : une fusion beauté-intelligence, une élégante allure, des pas gracieux, une apparence soignée, etc.

Au Tchad, l’élection de la plus belle fille est généralement rendue possible grâce au soutien assidu de la Première Dame Hinda DEBY ITNO, marraine de l’événement. L’engagement de la première Dame pour l’émancipation de la femme tchadienne est sans précèdent. Les œuvres de la Première Dame touchent quasiment au quotidien la santé, l’éducation, la femme et l’enfance.

Cependant, au pays de Toumaï, l’importance accordée à ces genres d’événements culturels est timide. Pour cause, beaucoup de mentalités répugnent le côté exhibitionniste de l’évènement. À cette gêne s’ajoute le manque de professionnalisme dans l’organisation d’un tel évènement et l’insuffisance des moyens pécuniaires alloués à cet effet. Toutefois on constate que chaque année l’engouement autour de cet évènement prend de l’ampleur, et on ne peut que se réjouir pour un début. L’édition 2010 a connu une forte participation et innové sur plusieurs plans : des invités de marques, importante participation des stylistes tchadiens, introduction de tout un ensemble de chorégraphie culturelle tchadienne, etc.

De leur côté, nos lauréates reines de beautés et d’intelligences ne se laissent pas désappointer par des manquements généralement techniques. Après la plus haute marche du podium elles ont toujours ambitionné représenter dignement la femme tchadienne et aider leur pays en faisant de leur couronne une tribune afin de plaidoyer pour des causes qui leur sont nobles. De leur mieux, elles s’investissent généralement pour des bonnes causes notamment la paix, la famille, et pour l’émancipation de leur consœurs.

La plus belle fille du Tchad de l’année 2009 Zina Khalil Miss Tchad est toujours aux études. Elle se prépare pour mieux honorer les engagements qu’elle s’est prise entre autres la scolarisation des filles et la lutte contre les violences faites aux femmes. La reine de la beauté Nicole Rémadji, Miss Tchad et Miss Fespam (Festival panafricain de la Musique, regroupant 14 pays) 2007 concilie travail et engagements. Elle continue de s’investir sous différentes formes en faveur des orphelins et des enfants de la rue. On sait aussi que A. Myriam Commelin Miss Tchad 2005 a fondé une agence de mannequinât dénommée KOUFRA International Model Agency à N'Djamena pour aider ses sœurs.

Yasmine Kaman

Les premiers pas de notre Magazine, l’urbanisation plutôt muscle, le timide recensement électoral sont en substance les fourches de ce deuxième édito.

Ialtchad Magazine : un pari promoteur

Le Magazine bien accueilli à N’Djamena et à Moundou. Nous avons tout donné en qualité comme en contenu pour sa réalisation et la conséquence est une pluie de messages de soutien, de remerciements et de suggestions. C’est aussi ce que nous attendions de nos nombreux lecteurs. Pour façonner ensemble un Magazine aussi proche de leurs réalités et autres souhaits. Que ceux qui nous ont suggéré des rubriques s’assurent, nous sommes en train d’étudier les nombreuses sollicitations. Mais pour ceux qui ont souhaité nous voir faire davantage de place à l’actualité, nous leur disons que pour l’instant nous trouvons qu’il y a pas mal de journaux qui s’occupent de l’actualité. Toutefois rien n’est exclu. Aussi, on avance, le Magazine sera disponible dès le 18 juin 2010 à Abéché, à Sarh et Massaguet, nous en ferons progressivement pour les autres grandes villes du pays. Le prix reste partout au Tchad à 1000 F CFA.

N’Djamena : le pari de Paris

Il y a sûrement mille choses à dire sur l’urbanisation de la capitale, mais l’engagement de la mairie et du ministère de l’intérieur de faire de N’Djamena la vitrine de l’Afrique Centrale se fait d’une manière baraquée. La promesse de la compréhension de la première femme maire par rapport à son prédécesseur n’aura donc pas lieu. Les expropriations et les déguerpissements continuent tranquillement. Sous une saison de pluie, les désagréments ne manquent pas, les décisions sont prises le plus souvent à la hâte et l’exécution avec un empressement démesuré. Comme si Paris s’est construit à quelques mois du 25 août 1994 soit cinquante années après sa libération. Chose certaine, il ne manquera pas bientôt un discours du genre “N’Djamena otage, N’Djamena brisé, N’Djamena martyrisé, mais enfin N’Djamena une vitrine de l’Afrique Centrale”. Vouloir faire de N’Djamena une belle ville est en soi noble comme volonté, mais on doit faire preuve d’humanisme et de réalisme surtout. Les choses sérieuses se font avec plus de responsabilité et non avec des propos du type “que ceux qui n’ont pas les moyens de construire en matériaux durables vendent leurs propriétés”.

Recensement électoral : un pari diminué

L’accord du 13 août 2007 fait son petit chemin mais pas comme on le souhaitait. Le recensement électoral qui constitue l’ossature de ce dernier accord, se déroule à dos d’âne. Le consensus politique, la technologie mise en avant (puisque c’est pour la première fois qu’on cherche à établir au Tchad des listes électorales informatisées) et les nombreuses missions de sensibilisations peinent à convaincre la population. À quelques dix jours de la fin du processus de recensement le constat serait tout sauf un succès. Pas un véritable engouement chez la population. Même si cela ne compromettra en rien les échéances électorales futures, un travail de communication est à faire. A une semaine de l’échéance du recensement, on peut espérer changer d’avis à bien de personnes. Peut-être même penser à proroger si nécessaire l’échéance.


Moussa Yayami, Hamid

« La paix n’a pas de prix. Nous allons continuer toujours, tant que nous pouvons, à œuvrer pour que la paix puisse un jour revenir dans notre pays. » Delphine Kemneloum Djiraïbé 

Avocate et militante des droits de l’Homme, Delphine Kemneloum Djiraïbé a fondé en 1993 l’Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (Aptdh) dont elle a été présidente pendant dix ans. Lauréate du prix Robert F. Kennedy pour les droits de l’Homme, elle est aujourd’hui la coordinatrice nationale du Comité de Suivi de l’Appel à la Paix et à la Réconciliation au Tchad. A l’occasion de la conférence de presse que son Comité a tenue en date du 21 février 2006 à Paris, Ialtchad Presse lui a proposé de réaliser la présente interview pour laquelle elle n’a pas hésité un seul instant, en dépit de l’acharnement de la presse internationale autour d’elle.

Ialtchad Presse : Me Delphine Bonjour. L’Appel à la Paix est-il entendu par tous les Tchadiens ?
Delphine Kemneloum Djiraïbé : Nous pensons que c’est l’unique voie de sortie de crise crédible en ce moment. Les politico-armés eux-mêmes réclament un espace de dialogue. Les Partis politiques de l’opposition à l’intérieur réclament un espace de dialogue. Les populations expriment leur ras-le-bol par rapport à la situation de non-paix que nous vivons, par rapport à la situation de prise de pouvoir par les armes. Le pouvoir fragilisé essaye de se maintenir mais de toutes les façons, nous pensons qu’il faut absolument s’engager dans un processus de paix et nous continuons de porter le message là où il doit être entendu et nous espérons que les pouvoirs politiques au Tchad entendront ce message qui est salutaire pour tout le monde.

Ialtchad Presse : De 2002 à 2006, cela fait quatre ans que vous vous battez pour la promotion de la paix au Tchad. Où en êtes-vous et quel bilan avez-vous à présenter aujourd’hui ?
Delphine Kemneloum Djiraïbé : La paix n’a pas de prix. Nous allons continuer toujours, tant que nous pouvons, à œuvrer pour que la paix puisse un jour revenir dans notre pays.

Ialtchad Presse : Vous-vous opposez à la tenue d’une élection présidentielle qui est prévue en mai prochain. Est-ce que le président Deby qui s’est donné les moyens d’être reconduit au pouvoir va accepter cela et pourquoi vous êtes contre la tenue de ces élections ?
Delphine Kemneloum Djiraïbé : Tout le monde sait que dans les conditions actuelles, on ne peut pas parler d’élection au Tchad parce que les recensements ont été mal faits. Techniquement, aucune administration au Tchad en ce moment n’est en mesure d’organiser des élections. Beaucoup de personnes liées au pouvoir ont pris les armes parce qu’elles ne croient plus aux élections tel que ça se passe maintenant. Le pouvoir a rompu déjà un consensus national en procédant à la modification de la Constitution et nous pensons qu’il ne va pas encore rompre ce consensus national qui est claire et qui dit que les conditions ne sont pas réunies pour aller aux élections.

Ialtchad Presse : Comment votre Comité entend faire un contre poids face à Deby ?
Delphine Kemneloum Djiraïbé : Nous avons une base assez large qui nous permet de porter le message que nous portons. Nous, en tant que Comité de Suivi, voulons jouer un rôle de médiation dans ce processus. Nous renfermons en notre sein les Associations de la société civile, les Associations de Droits de l’Homme, les Syndicats et autres qui ont des stratégies de mobilisations populaires pour faire des revendications. Les Associations de la société civile et les Partis politiques de l’opposition se mobiliseront pour faire un contre poids réel contre Idriss Deby s’il persiste à aller aux élections.

Ialtchad Presse : Pourquoi une conférence de presse portant sur l’Appel à la Paix et à la Réconciliation au Tchad aujourd’hui, quand on sait d’ores et déjà que tout le monde est en train de fuir le régime pour aller s’armer afin de revenir le combattre, de chercher à le renverser ?
Delphine Kemneloum Djiraïbé : Nous avons fait une analyse du contexte socio-politique au Tchad et nous avons estimé que la solution serait la mise en place d’une démarche pour la paix et c’est ce que nous proposons. En tout état de cause, nous pensons que le message de paix doit être porté et reste valable dans tous les scénarios, dans toutes les circonstances.

Ialtchad Presse : Comment entendez-vous organiser le processus du dialogue politique que vous prônez tant au Tchad ?
Delphine Kemneloum Djiraïbé : Le processus du dialogue peut s’organiser autour de trois thèmes 
- La mise en place des processus institutionnels de transition ;
- La réforme du secteur de sécurité ;
- La mise en place des mécanismes de réconciliation populaire.
Il faut évidemment qu’un comité de pilotage réfléchisse à cela avec le mandat du gouvernement, pour pouvoir donc réfléchir au contour de cette transition, réfléchir à un calendrier électoral et réfléchir à un processus de dialogue national qui va discuter des détails de tout ce que va comporter la transition. Nous pensons qu’un tel dialogue doit s’organiser et peut s’organiser si la Communauté internationale s’y implique en créant les conditions de sécurité nécessaires en face des organes de sécurité interne qui sont complètement en état de désagrégation et en face de la multiplication des armes et des foyers de tensions au niveau interne.

Ialtchad Presse : Avez-vous suggéré ces propositions à la Communauté internationale et quelle en est sa position ?
Delphine Kemneloum Djiraïbé : Nous avons suggéré cela à la Communauté internationale qui nous a écoutés pour le moment. Nous attendons sa réaction.

Ialtchad Presse : Le Comité de l’Appel à la Paix déclare devant la presse tout à l’heure que Déby n’est pas garant fiable de la paix et de la stabilité au Tchad. Or pour qu’il y ait une table ronde, il faut la participation de tous, c’est-à-dire celle de Deby ainsi que celle de l’opposition démocratique comme celle des politico-armés. Est-ce qu’avec une participation éventuelle de Deby ou du MPS à cette table ronde que vous préconisez, pensez-vous que vous allez pouvoir vous attendre à un résultat concret ?
Delphine Kemneloum Djiraïbé
: Nous sommes dans un processus global. Pour nous Deby est un acteur incontournable dans ce processus de paix. Il doit participer au dialogue comme les autres acteurs armés et non armés. Nous pensons qu’un tel processus, pour qu’il réussisse, doit créer les conditions pour que chacun puisse exprimer ses attentes, sa vision du Tchad et il faudrait que tout ce qui va être dit soit inscrit dans un pacte avec un mécanisme de suivi qui puisse garantir l’application. Deby seul ne peut pas prendre le processus en otage. Quand on dit ça c’est minimiser la capacité des autres acteurs à participer à un tel dialogue et à faire entendre leur point de vue. De notre part, nous pensons que la participation de Deby à un tel processus est nécessaire parce qu’il est le président du Tchad, on ne peut pas l’appeler autrement. Maintenant, quant à la dynamique de la négociation, chaque partie prenante à la négociation doit faire prévaloir se prétentions.

Ialtchad Presse : Pensez-vous que l’opposition armée soit favorable pour s’asseoir autour d’une table de négociation avec Deby sachant dorénavant que celui-ci n’a ni les forces ni les moyens de lui résister en cas d’offensive ?
Delphine Kemneloum Djiraïbé : Deby n’a pas les moyens de résister. Déjà notre processus ne veut pas présager de la force ou de la faiblesse ou de la capacité d’un acteur à prendre le pas sur l’autre. C’est une situation qui dure, les Tchadiens en ressentent les méfaits dans leurs corps, dans leur esprit et nous pensons que les Tchadiens sont capables de résoudre leurs problèmes autrement que par les armes. Nous savons par ailleurs que la prise du pouvoir par les armes est rejetée par les Tchadiens et a prouvé ses limites. Nous nous retrouverons exactement dans la même situation que celle que nous sommes en train de vivre actuellement où, la personne qui va prendre le pouvoir par les armes ne se prêtera pas au jeu démocratique parce qu’estimant que ce n’est que par les armes qu’on la fera partir. Donc on restera dans un cycle vicieux qui va être vraiment dommageable pour le Tchad et pour les Tchadiens. Nous pensons, en faisant la promotion de ce processus de paix, que c’est un processus qui est salutaire pour le Tchad et pour les Tchadiens.

Ialtchad Presse : Avez-vous pensé à suggérer à Idriss Deby de quitter le pouvoir le plus pacifiquement possible, sans qu’il y ait effusion de sang ?
Delphine Kemneloum Djiraïbé : Nous ne voulons pas d’effusion de sang et je crois qu’aucun tchadien n’a besoin d’effusion de sang. C’est pourquoi nous pensons que le processus que nous proposons est un processus non violent, un processus qui éviterait au Tchad une énième effusion de sang.

Ialtchad Presse : Est-ce qu’il vous est arrivé de dire à Deby de penser à quitter le pouvoir de manière pacifique ?
Delphine Kemneloum Djiraïbé : Ce n’est pas à nous de dire à Deby de quitter le pouvoir ou d’y rester. S’il y a un processus qui est mis en place, les Tchadiens auront l’occasion de choisir leur dirigeant. Je crois que c’est ça le plus important à l’heure actuelle.

Ialtchad Presse : Avez-vous un vœu à formuler ou une prière à psalmodier pour que la Paix, ce cheval de bataille que vous essayez d’adopter depuis quatre ans puisse porter le calumet que les Tchadiens allumeront peut-être bientôt ?
Delphine Kemneloum Djiraïbé : On appelle tous les Tchadiens à s’associer à ce processus de paix pour qu’une fois les Tchadiens montrent leur capacité à régler leur problème de manière pacifique.

Ialtchad Presse : Delphine Kemneloum Djiraïbé, je vous remercie.
Delphine Kemneloum Djiraïbé : Merci beaucoup.

Propos recueillis par Mohamed Ahmed KEBIR  

Tidjani Brahim est né le 10 mai 1960 à N’Djamena. C’est un artiste peintre contemporain et muséologue de formation. Il est diplômé de l’École Nationale des Beaux-Arts (ENBA) et l’École de Formation à l’Action Culturelle (EFAC), de l’Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle (INSAAC) d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Ialtchad est parti le rencontrer dans son atelier, nous vous invitons à le découvrir.

Ialtchad Presse : Qui est Brahim Tidjani ?
Brahim Tidjani : Artiste peintre tchadien d’expression plastique contemporaine.

Ialtchad Presse : Comment votre carrière a commencé ?  Quel a été votre parcours ?
Brahim Tidjani : Cet engagement dans le domaine de la teinture artistique est jalonné d’un long parcours doté d’expériences pertinentes, périlleuses mais aussi passionnantes. Aux prémices de cette carrière en 1987, grâce à des manifestations artistiques organisées par des institutions culturelles telles le Centre des collégiens et lycéens (CCL) actuel Centre Emmanuel où j’ai exposé pour la première fois, le Centre culturel français (CCF) de N’Djamena et de Ougadougou où quelques prestations collectives s’en sont suivies successivement autour des expositions communes à des artistes locaux et étrangers, ont permis au peintre autodidacte que j’étais de montrer mes productions et les faire découvrir au public. L’aventure artistique commence avec un style particulier de l’art populaire dit “art naïf”, inspiré des scènes de vie quotidienne. C’était la période productive de tableaux décoratifs, exécutés au moyen de la gouache, chargée de sens et d’humours, aux formes et aux couleurs multiples, intéressant bon nombre d’adeptes. C’est bien entendu suite à cette relative “popularité” que vînt tout a fait l’occasion saisie pour une formation académique aux Beaux-arts d’Abidjan.

Au Beaux-arts d’Abidjan, j’étais confronté aux dures réalités académiques où je dois réapprendre tout ce que je croyais savoir et dont je ne maitrisais pas réellement. Ayant présenté le “presse book” montrant la photographie de mes productions dites “naïves”, celle-ci ont fait l’objet de remarques, de critiques acerbes et virulentes. Elles ont été qualifiées de nulles, de vides, de rien du tout, de n’importe quoi! Cette situation inattendue m’a fait subir un choque moral à tel point que j’ai tenté de démissionner. Il a fallu les précieux conseils des amis et le soutien moral de ma famille malgré la distance qui nous sépare, pour m’encourager à affronter l’adversité, en acceptant les avis comme tels et continuer ainsi, les études artistiques. Le compteur une fois remis à zéro, ce fût un nouveau point de départ dans le temple du savoir intellectuel artistique. Depuis lors mon style d’autodidacte s’est heurté à l’enseignement académique de 1993. Heureusement cette formation a été bénéfique à plus d’un titre, non seulement dans l’acquisition de connaissances théoriques de base utiles à la compréhension des données liées au savoir artistique et les méthodes pratiques du savoir-faire nécessaires au perfectionnement, mais aussi dans l’accumulation des expériences professionnelles sur le marché de l’art ivoirien, à travers diverses prestations individuelles et collectives. Ce fût la métamorphose totale à travers une maturité artistique, une ouverture d’esprit, une nette vision, dans un changement de style radical, sous l’influence positive d’une nouvelle tendance d’expressions artistiques contemporaines africaines.

D’où l’initiative de créer l’Association “des peintres de l’Échange”, avec diverses prestation autour d’expositions d’œuvres conceptuelles à Abidjan. Suite aux événements malheureux survenus en Côte-d’Ivoire, je suis de retour à N’Djamena depuis décembre 2002 où je mène diverses prestations ; l’enseignement des arts plastiques à l’école et parallèlement des cours de peinture à des particuliers.

Par ailleurs, je consacre le libre de mon temps à des productions en atelier, et bien d’autres actions menées en terme d’animation d’atelier de créativité dans la formation des peintres locaux tchadiens, autodidactes aux techniques de base de la peinture abstraite, mais aussi l’encadrement de bon nombre d’enfants aux techniques de base du dessin, d’illustration et de couleurs.

Outre diverses expositions individuelles ou collectives, s’inscrivent à mon actif des contributions d’actions sociales au moyen des ventes aux enchères et autres réalisations de fresques, illustrations de cartes de vœux etc.

Ialtchad Presse : Quelles sont vos sources d’inspirations actuelles ?
Brahim Tidjani : Je m’exprime dans un langage plastique à connotation plurielle à travers diverses sources d’inspirations conceptuelles puisées dans mon terroir notamment, les traditions tchadiennes en particuliers et africaines en général.

Ialtchad Presse : Et si on veut comprendre les démarches plastiques ?
Brahim Tidjani : Concernant les démarches plastiques, la technique de productions picturale se résume essentiellement à l’usage de la peinture à huile et l’acrylique avec des insertions d’objets et de collage des matières sur des toiles marouflées, sur du bois ou sur du fer comme supports. Au niveau de la conception, les lignes de construction et les formes tantôt dynamiques tantôt statiques sont saisies en surface, dans l’équilibre des masses. Au niveau des couleurs, la palette à dominante chaude est en rapport avec l’environnement immédiat. Il s’agit des couleurs terre, rouge, ocre jaune etc. avec une opposition d’ombre et de lumière, une vibration des rythmes et la force des symboles, l’équilibre de masse en perpétuel mouvement. Quant au collage des matières pour leurs textures, je cherche la structure du volume et le relief pour leurs effets par la procédure d’exploitation de matériaux de récupération et du recyclage. D’où l’intégration de sable, argile, sciure de bois, feuille morte, cendre, morceau de tissus, ficelles, papier mâché, poudre de verre, perles, plastiques, métaux etc. Cette opération de construction aux multiples aspects fait appel à la combinaison d’éléments réels aux formes imaginaires. Le tout exprimé dans une confrontation d’idées, un affrontement à mille et une variations avec le support.

Ialtchad Presse : Avez-vous des références dans votre domaine ?
Brahim Tidjani : En termes de référence dans le domaine de la peinture artistique au Tchad, je cite l’artiste plasticien tchadien Badaoui qui est aussi peintre, calligraphe, sculpteur et designer. C’est un professionnel au parcours exceptionnel, doté d’expérience artistique multidimensionnelle qui fait preuve d’un grand talent remarquable connu pour son art d’expression majeur et qui demeure incontestablement le pionnier de la peinture artistique au Tchad. J’admire son esprit de professionnalisme et l’exigence de la qualité. Aussi, j’admire bien d’autres professionnels du métier artistiques en Afrique et dans le monde.

Ialtchad Presse : Lorsque vous entamer une toile, avez-vous déjà une idée du travail final ?
Brahim Tidjani : Objectivement oui. Subjectivement non. En ce sens que le sujet faisant l’objet de production n’est qu’un prétexte. Par ailleurs, une œuvre d’art ne finit jamais, on l’arrête à un niveau de satisfaction donné. Cependant je suis toujours animé par les soucis de bien faire et du bien accomplis.

Ialtchad Presse : En plus de votre métier d’artiste peintre, vous êtes professeur d’art plastique au Lycée Montaigne. Comment concilier vous les deux ?
Brahim Tidjani : L’enseignement des arts plastiques à l’école est un auxiliaire pratique d’instruction à l’éducation, dans l’esprit d’éveil, de créativité mais aussi dans la culture générale. Le travail en atelier libre est une activité personnelle menée à loisir certes, mais exige aussi plus de temps et de concentration maximum pour parvenir à des bons résultats. Je saisi donc les moments qu’il faut pour cela. Les deux types d’activité avec et sans contraintes.

Ialtchad Presse : Qu’aimeriez-vous que les gens retiennent de vos œuvres ?
Brahim Tidjani : Des œuvres qui donnent à réfléchir sur l’art comme structure de vie du passé qui rappelle une perception du présent. Un apport esthétique contemporain comme sources de savoir intellectuel et de médiations, d’éducation et d’action positive, des formes artistiques formidables, extraordinaires, agréables et symboliques d’expressions modernes, subtiles, aux dimensions plurielles, d’échos intérieurs et extérieurs, d’aspects situationnels, d’interrogations en quête de solutions, en tant que fruit de réflexion, de sensibilité, de pensée, de la destinée humaine.

Ialtchad Presse : À quel endroit aller pour découvrir vos œuvres ?
Brahim Tidjani : En permanence dans mon atelier de production, dans des institutions publiques ou privées ( ambassade des USA au Tchad, ambassade de France, le Centre Culturel Français de N’Djamena, le Lycée Montaigne etc.) et ailleurs telles la représentation du Tchad aux Nations-unies, au Musée municipal d’Abidjan et chez des particuliers.

Ialtchad Presse : Est-il facile de s’immiscer dans ce monde de la peinture ?
Brahim Tidjani : Relativement non. Le domaine de la peinture artistique nécessite des sacrifices énormes à consentir, des consécrations tant sur les plans physiques et intellectuels. Cet univers passionnel et contraignant est comme un magma souterrain où il faut se fonder en tant que matière, résister au bouillonnement, survivre dans la température ambiante et s’éclore le moment venu pour être fertile. Les vraies œuvres d’art naissent dans la douleur. Ce domaine est aussi et surtout celui de la persévérance.

Ialtchad Presse : Des projets d’expositions ?
Brahim Tidjani : Projet en cours si Dieu le veut, avec des peintres professionnels tchadiens d’expressions contemporaines d’ici à décembre 2010 à N’Djamena.

Ialtchad Presse : S’il vous est demandé de portraiturer ialtchad, que vous vient à l’esprit ?
Brahim Tidjani : Comme son nom l’indique ialtchad est une structure médiatique qui concerne de près et même de loin tous les fils et filles du Tchad qu’elle symbolise. C’est un joyau précieux, une lumière scintillante qui alimente l’esprit humain par des informations utiles et agréables. Nous vous sommes reconnaissants pour votre apport au développement de notre société sur le chemin de la modernité. Vous faites preuve de sagesse, de talent et de professionnalisme dans l’évolution de la presse au Tchad.

Entretien réalisé par Yasmine Kaman

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