samedi 23 novembre 2024

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L'histoire politique du Tchad à cette époque est essentiellement marquée par deux faits :
- la lutte pour l'indépendance en 1946-1958 et la conquête du pouvoir en 1958-1960.
Avant l'indépendance, la France n'avait aucune intention de développer les activités politiques au Tchad. Ce n'est qu'en 1946, qu'un administrateur colonial d'origine guadeloupéenne Gabriel Lisette a pris l'initiative de créer le premier parti politique au Tchad : le Parti Progressiste Tchadien ( PPT) rattaché au Rassemblement Démocratique Africain (RDA. Au sein de ce parti, il n'y avait aucune tendance confessionnelle ou régionaliste. En son sein se côtoyaient Toura N'Gaba, François Tombalbaye, Abba Sidyk, Ahmat Koulamallah, Ahmat Kotoko ect... Leur lutte était de vaincre le colonialisme. Leur slogan commun se résumait dans cette phrase " nous ne voulons plus de chefs, plus d'impôts".
En 1949, un second parti politique a vu le jour : l'Union Démocratique du Tchad (UDT). Ainsi, les deux partis ont commencé par se regarder en chien de faïence sur l'arène politique. En 1950, le Parti Socialiste des Indépendantistes tchadiens (PSIT) est n\e, dirigé par Ahmat Koulamallah comme troisième parti politique. Ce parti à tendance confessionnelle recrutait ses militants en milieu arabe et baguirmien. En 1953, le PSIT est devenu le mouvement du Salut Africain (MSA) et rassemblait en son sein presque tous les learders musulmans. Après le référendum gaulliste de 1958, l'Union Nationale Tchadienne (UNT) est créée sous la direction de Ibrahim Abacha, Mahammat Abba et Aboukar Djalabo. Ce parti se présentait comme le forum des leaders nordistes. de scission en scission, l'Association Sociale du Tchad (AST) et le Groupement des Indépendantistes Ruraux du Tchad (GIRT) s'édifieront sur les décombres de l'UDT. Tous les deux partis sont implantés dans le Nord du pays et une partie du Moyo-kebbi. Pendant que les dirigeants du nord se plaisaient à créer et à recréer des partis politiques au nord du Tchad, Tombalbaye, Toura N'Gaba et Gabriel Lisette restés dans le PPT/RDA consolidaient sa position au sud du Tchad et l'imposaient comme le seul parti. A vec l'application de la loi cadre de 1958, les données de la politique tchadienne vont changer et l'on passera de la première période à la seconde période de la vie politique pré-indépendancte.
Le 28 Novembre 1958, le Tchad est devenu une république. Le 16 décembre de la même année, le premier gouvernement provisoire de la république est formé sous la direction de Gabriel Lisette comme Premier Ministre. En Janvier 1959, sous les intrigues de Ahmat Koulamallah du MSA, Gabriel est mis en minorité à l'Assemblée Nationale puis a démissionné. Le 11 Février 1959, Sahoulbah du GIRT est chargé de former le deuxième gouvernement provisoire. Toujours sous les intrigues de Koullamallah. Ce gouvernement n'a dur\e qu'un mois. Ainsi Koulamallah a été désigné pour former le troisième gouvernement provisoire.
Compte tenu du danger que représentait le sud pour le nord du Tchad, Koulamallah a proposé la scission entre le nord et le sud du Tchad. C'est ainsi que le 24 Mars 1959, Koulamalllah est renversé à son tour par l'Assemblée Nationale. Entre temps, le PPT/RDA venait de se mettre sur pied après une crise aiguë en son sein. Toura N'Gaba qui était le secrétaire général de ce parti est remplacé par François Tombalbaye naguère secrétaire à l'organisation du parti. Cette troisième crise gouvernementale va favoriser la désignation de Francois Tombalbaye comme premier Ministre du quatrième gouvernement provisoire. Suite aux élections législatives de Mai 1959, le PPT/RDA a remporté la majorité des sièges. Le gouvernement de Tombalbaye est donc chargé de conduit le Tchad à l'indépendance. Ainsi, commencera un cycle infernal pour les leaders politiques en général et pour les musulmans en particulier.

Souvent, il est remarqué que lorsque les acteurs sont en lutte, ils mettent en oeuvre des stratégies et manipulent tous les moyens qui sont à leur portée afin d'atteindre leurs objectifs sans se soucier des retombées de leurs actes. Ainsi les données ethniques, régionales, confessionnelles et économiques seront subrepticement manipulées à des fins politiques. Une fois que cette série de crises qui a secoué la scène politique tchadienne est passée, une nouvelle ère a commencé pour le Tchad. Tombalbaye était le seul homme politique qui, selon Antoine Bangui a été monté de toute pièce par la France parce qu'elle s'assurait que seul lui défendrait valablement ses intérêts. Avec la certitude que ce pouvoir lui reviendrait après l'indépendance fixée pour 1960. Tombalbaye entreprit la même année une politique qui, sans nul doute devait exacerber les tensions entre les couches socia-poltiques dont la cohabitation devenait vraiment précaire. Le premier acte posé par le gouvernement de Tombalbaye au lendemain de cette reconduction a été le changement des couleurs du tricolore tchadien qui au début était Vert-Or-Rouge. La proposition de cette combinaison de couleur à l'Etat tchadien par les colonisateurs n'est pas le fruit d'un hasard. Elle tenait compte de certaines réalités socio-culturelles et confessionnelles du Tchad. La couleur verte que l'on trouve partout sur les documents de l'islam représentait pour les musulmans tchadiens leur attachement et leur participation aux affaires de l'Etat. Elle symbolisait encore le caractère laïc de l'Etat tchadien. La première et la plus grosse erreur de Tombalbaye est d'avoir ôté la couleur verte du tricolore tchadien en la remplacent par la couleur bleue car la première combinaison prêtait à confusion avec le drapeau de la Guinée Conakry, du Mali et de l'Éthiopie. Alors. Les musulmans tchadiens ont très mal digéré cet acte. Ainsi, le gouvernement de Tombalbaye est devenu à leurs yeux celui des " kirdis" c'est-à-dire de ceux qui ne connaissent pas le Dieu. Ce premier péché du gouvernement a été renforcé par son séjour d'un mois en Israël pour étudier les stratégies de développement d'un pays. Vu les tensions qui existent entre Israël et les pays arabes à l'époque, cela a trop offusqué les musulmans du Tchad. Ainsi, le climat politique s'alourdissait de jour en jour entre les alliés d'hier.

En bref, il convient de retenir que le Tchad est très mal parti pour l'indépendance. A la veille de celle-ci, l'échiquier politique tchadien était caractérisé par un multipartisme mais bipolarisé. On trouve d'une part les partisans de l'indépendance alliés derrière le PPT/RDA et d'autres part les opposants à celle-ci regroupés dans une opposition. Ce qui hantait les leaders du Nord qui étaient plus opposés à l'accession du Tchad à l'indépendance, c’était :
- Le faible taux de scolarisation qui caractérisait le Nord. D'après les spécialistes,, le sud était scolarisé à 48% alors que le Nord l'était à 8%. Cette disparité numérique avait une répercussion directe sur la représentativité des régions dans l'administration publique. Les sudistes s'étaient taillé la part du lion d'après les musulmans, alors que les nordistes ne représentaient rien du tout.
Ensuite-la ruse de Tombalbaye qui visait à enlever toute expression politique à ses adversaires en général et aux leaders musulmans en particulier. Son plan machiavélique à vouloir supprimer la langue arabe de l'administration publique, de même que son perfide concocté pour les sultans du Nord étaient très tôt affichés. Cela peut laisser aussi présager que c'est d'ailleurs pour des telles causes qu'il aurait réussi à se percher à ce poste avec la bénédiction de la France qui a écarté de l'arène politique les principaux leaders politiques musulmans qui avaient une inspiration plus arabo-marxiste que capitaliste. mis à part ces deux présomptions qui peut-être sont à l'origine de la méfiance des leaders musulmans, il y a une autre raison qui parait fondamentale :
- la frustration qui, sans doute à double sens. La première raison est que les leaders politiques du Nord étaient les plus nombreux sur l'arène politique. Compte tenu de leur passé précolonial, ils s'estimaient mieux préparer pour diriger le Tchad après sa décolonisation. À leur grande surprise totale, c'est le leader sudiste Tombalbaye qui leur a tenu tête. La deuxième raison se trouve dans l'orgueil propre de l'homme.
Les colonisateurs disaient du Tchad qu'il était la zone de captivité des esclaves pour les royaumes du Nord. Donc durant la période coloniale il est probable que l'homme du nord ait à l'esprit que le sudiste quel qu'il soit demeure un esclave. Cela nous amène à dire qu'il y avait effectivement frustration chez les leaders musulmans du Nord de voir le fils d'un ancien esclave devenu le maître du maître et de surcroît un chrétien gouverné le Tchad, pays à dominance musulmane. Alors l'avenir d'une nation en gestion devenant de plus incertain. La seule chance qui devait garantir l'unité nationale résidait dans une bonne pratique politique des futures élites tchadiennes et leur capacité à gérer habilement les contradictions. Malheureusement ce serait le contraire.
Ainsi le Tchad a accédé à l'indépendance le 11 Août 1960 sur un fond de crise totale.

Par Gaya -Ple Seïd

Le Libéria, le plus ancien pays africain noir indépendant, coincé entre la Côte d’Ivoire, la Sierra Léone et la Guinée Conakry, est l’Etat ouest-africain qui présente le plus de similitudes politiques avec le Tchad, pays de Toumaï. Non par la population (3.130.000 h, près de la moitié de la population tchadienne), ni par la superficie (111.370 km², soit 11 fois moins étendue). Peuplé majoritairement de descendants rapatriés d’esclaves Africains Américains des Etats-Unis d’Amérique, et de quelques minorités autochtones mandingues, ce pays est connu pour ses immenses plantations d’hévéa (caoutchouc), ses mines de diamants et surtout la guerre civile depuis 14 années, qui a embrasé les pays voisins. Quelles similitudes avec le Tchad ?

Dans les années 80, le monde découvrit avec horreur les images macabres d’exécution sur la plage de Monrovia des membres du gouvernement de Tolbert, renversé par un jeune sergent-chef de l’armée, un inconnu du nom de Samuel N’Do. Ce soldat d’ethnie mandingue croyait prendre une revanche historique par rapport aux discriminations et à la marginalisation subies par sa minorité ethnique depuis des générations. Mais une gouvernance basée sur la revanche devient rapidement une dictature affreuse et extravagante, comme ce fut le cas de Hissène Habré.

La roue de l’Histoire se fixera sur un trafiquant de diamants nommé Charles Taylor, dont les déboires avec Samuel N’Do le conduiront sur le chemin de la rébellion armée, aidé par certains pays voisins. On assistera alors à une formidable mutation de Taylor en chef de guerre redoutable, entraînant dans son sillage de sinistres individus tels que le caporal Fodé Sanko et Mosquito de la Sierra Léone (auteur des mutilations “manches longues et courtes“). Pour éviter que les troupes de Taylor ne s’emparent de la capitale Monrovia, les forces nigérianes d’interposition seront dépêchées sur place. Taylor bloqué dans les faubourgs de Monrovia, Samuel N’Do se croyant rassuré, se rendit naïvement au siège de la force panafricaine. Dommage pour l’exécuteur des Tolbert ! Un autre petit chef de guerre rival aux aguets, Prince Johnson, au mépris des règles internationales, blessa et captura Samuel N’Do sous les regards impuissants des soldats nigérians. Humilié et sauvagement torturé à son tour par Johnson, la fin tragique de Samuel N’Do sera visionnée sur cassettes VHS à travers tout le continent. Il semblerait que ces images terribles auraient décidé Hissène Habré à fuir N’Djaména pendant qu’il était encore possible de le faire le 30 novembre 1990.

La mort de Samuel N’Do prolongea la crise politico-militaire, obligeant les forces nigérianes de l’ECOMOG à de véritables engagements contre les troupes de Taylor, jusqu’à ce que la solution des urnes soit enfin acceptée pour mettre un terme à la guerre. Surprise ! Charles Taylor, désigné comme l’un des co-responsables de la tragédie libérienne, gagne les élections et une nouvelle virginité politique. Cependant, le naturel de trafiquant chassé revint au galop sous le costume de chef d’Etat. En instaurant un régime de prébendiers, rassemblant autour de lui des aventuriers sans scrupules, s’accaparant des richesses de son pays, Taylor poussa la folie jusqu’à exporter son système mafieux de gouvernance vers les pays voisins. La Sierra Léone, pays paradisiaque mais vulnérable, souffrira particulièrement des ingérences de Taylor, à l’instar d’un voisin du Tchad.

La solution boiteuse, pour la communauté internationale, était une fois de plus, la mise à l’écart manu militari de Taylor, président élu mais dangereux. Le processus d’expatriation de Taylor, par ailleurs réclamé par la justice internationale, n’allait pas se faire en douceur. De terribles combats allaient encore embraser ce petit pays meurtri par les chefs de guerre. Pendant que tous ces drames se déroulaient, un jeune des quartiers déshérités de Monrovia, un fils de « Laoukoura » ou de « Mandjago », allait connaître un destin exceptionnel. Maître incontesté du ballon rond, ses talents le conduiront sur les podiums européens et mondiaux, pendant que son pays subissait les affres de la classe politico-militaire des « mieux éduqués ». Mais le jeune Georges WÉA avait acquis des convictions humanistes et s’engagea aux côtés des opprimés de son peuple. Il mit sa fortune de professionnel à la disposition d’œuvres socio-économiques remarquables. Malgré tout, sa belle maison de Monrovia sera brûlée intentionnellement par les guerroyeurs jaloux lors de la dernière bataille – inutile et meurtrière- de la capitale. Georges WÉA ne se découragera pas pour autant, et fidèle à ses convictions, il répond à l’appel du destin en osant se présenter contre la puissante racaille politico-militaire de son pays. Même s’il ne gagnait pas ces élections, le jeune Georges WÉA aura déjà inscrit son nom sur le registre sélectif des bâtisseurs de l’Afrique digne et libre, à son âge !

Revenons à présent aux comparaisons. Le Tchad aussi est otage des chefs de guerre, négriers et rabbistes de notre époque. Pendant que certains groupes « rebelles » fatigués reviennent au bercail, d’autres clans guerriers se détachent, avec les mêmes arguments et dans le même style que les premiers, pour nous imposer une nouvelle tragédie à la somalienne, pour la conquête du pouvoir. La démocratie en panne, l’hibernation, le manque d’audace, d’imagination et de vision des 70 partis politiques légalisés, ainsi que la main étrangère habituelle, leur ouvre cette nouvelle brèche. En dehors de la rhétorique habituelle de la diabolisation du pouvoir clanique en place, aucune solution rationnelle de fond, aucun programme convaincant n’est proposé. Le vrai programme, risquerons-nous de le dire, ne serait-il pas encore l’imposition de nouveaux tributs au peuple amorphe, en cas de… ? Dans tous les cas, pendant que la peur de mourir ou de tout perdre d’un côté et les calculs hypocrites intéressés de l’autre minent les « démocrates » tchadiens face à cette situation, l’image très évidente d’une « somalisation » de notre pays, définitivement possédé par les bandes armées tribales, dans un proche avenir me terrorise !

À la différence du Libéria, il n’y a pas de forces étrangères neutres et conséquentes au Tchad, sur qui le peuple apeuré pourrait espérer une résurrection de la République et l’avènement de la paix civile véritable. Sinon, ça fait 35 années que les drames humains, les massacres, l’instabilité politique et administrative, l’alternance clanique par coups de forces sanglants, l’anarchie et la paupérisation forcée de la population active, ont cours comme un ordre logique qu’il ne faudrait pas remettre en cause ! Donc, sauf un tsunami (événement social imprévisible et irrésistible à au moins 7,5 degrés à l’échelle du changement) briserait la malédiction qui plane toujours sur le peuple tchadien.

Autre comparaison négative : des vedettes de la trempe de Georges WÉA, notre pays en a connu dans le domaine du sport et de la musique. Au ballon rond, il y a eu Tokomo Nabatingué et plus récemment N’Doram Japhet. Dans la musique, il y a MC Solar (tantôt franco-sénégalais) et d’autres. Ces vedettes ont connu en leur temps, la gloire des médias occidentaux et beaucoup d’argent, pas du CFA froissé ! Mais contrairement à Georges WÉA – je me trompe peut-être - ils n’ont pas estimé utile d’aider la jeunesse déboussolée et malheureuse de leur pays d’origine. En tous cas, je n’ai entendu aucun groupe local se prévaloir de leur parrainage volontariste et généreux. L’auraient-ils fait sous d’autres cieux ? Je ne puis répondre à leur place. Seul mon cher ami et homonyme Nocky N’Djédanom s’est inscrit dans la logique de Georges WÉA, avec la littérature (qui ne paye pas de surcroît). Bravo, Nocky ! Je ne dis pas que ces vedettes internationales d’origine tchadienne devraient être candidates aux « formalités électrocurales » de 2006. Cependant, si elles avaient pensé à leur pays, avec le grand capital médiatique des stars engagées et généreuses, elles seraient pour notre jeunesse (plus de 52 % de la population) des alternatives crédibles par rapport aux dinosaures (hommes politiques du passé encore en activité) et aux politico-militaires de la jungle somalienne.

J’avais même secrètement en projet, entre 1995 et 1997, de tenter d’organiser à N’Djaména un grand symposium des vedettes et stars tchadiennes de la diaspora, dans le but et l’espoir de susciter une nouvelle dynamique constructive et optimiste au sein de la jeunesse, à l’exemple de ce qui se passe sous d’autres cieux africains. Mais il était difficile de manager un tel projet dans la position statutaire militante qui était mienne à l’époque. Je ne désespère pas que cette idée devienne une réalité, par d’autres entrepreneurs sociaux audacieux, comme l’est devenue Fest’Africa-Tchad des confidences lilloises de Nocky N’Djédanom en 1995 !

Hors je dois constater, à contrario, que Georges WÉA pourrait s’appeler chez nous Tchanguiz Vathanka, ce réfugié d’origine iranienne bahaï. Qu’une personne de race persique fasse des milliers de kilomètres, fuyant une réalité barbare dans son pays d’origine, pour devenir au fond de la savane tchadienne, un « BRAKOSS » digne de ce nom, c’est déjà une légende comme Georges WÉA ! À la différence que Tchanguiz ne voudra être ni maire, ni député de Moïssala, son terroir d’adoption, ni candidat en 2006 aux présidentielles. Malgré ses œuvres grandioses et sa vulnérabilité juridique (il est toujours un réfugié politique), d’aucuns ne rêvent que du jour où il sera arbitrairement expulsé du Tchad, pour retrouver leur sommeil « vempireux ».

En faisant ces comparaisons contestables, n’y a-t-il pas lieu de se dire enfin qu’il y a véritablement un problème humain de références, de modèles dans notre pays ? Je suis même sûr que si Tchanguiz était originaire de son Moïssala ou Tchadien d’origine tout court, il n’aurait pas eu le temps d’achever sa deuxième réalisation communautaire, car ses frères de sang l’auraient empoisonné ou d’autres l’auraient déjà flingué. Je me rappelle les confidences faîtes par des amis ayant travaillé sur les chantiers de la zone pétrolière de Doba : certains affirment avoir échappé de justesse à la mort par voie occulte (bangossienne), pour simplement avoir osé investi leurs économies dans la construction de résidences confortables dans leur terroir. Alors, combien de victimes la gestion des 5% des revenus dévolus à la région productrice fera-t-elle en son temps, sur ce registre de mentalité rétrograde ?

L’ambiguïté tchadienne : d’un côté nous sommes devenus champions de la mendicité internationale (la moindre calamité est une aubaine), de l’autre nous n’aimons pas construire nous-même notre pays par nos initiatives et celui qui ose le fait à ses risques et périls. Jusqu’à quand, ya djamâa ? Bravo, Georges WÉA ! Courage, Nocky N’Djédanom ! Pour finir, permettez-moi de proposer deux citations à la jeunesse tchadienne :

  • q       « Le succès est plutôt le résultat de la ténacité et du refus d’abandonner ;
    Le succès est le fruit d’une décision suivie de la volonté de ne pas se rendre. »
    (Maltbie Babcock) ;
  • « L’excellence obtenue par les grands hommes du passé ne dépendait pas d’un coup de chance ou d’un effort éphémère. Alors que les autres dormaient, ils passaient des nuits blanches, redoublant d’efforts en vue du succès final … »
    (Longfellow).

Enoch Djondang

Aujourd’hui, des voix s’élèvent d’Afrique, contre le jugement en Belgique de l’ancien président tchadien Hissein Habré. L’on invoque la souveraineté du Tchad, ou l’africanité, pour inviter le président sénégalais Abdoulaye Wade à ne pas extrader l’ancien dictateur.
Ces Africains qui parlent ainsi veulent-ils aujourd’hui militer pour plus d’impunité ? Autrement, je ne vois pas le bien-fondé de cette idée.

En effet, Hissein Habré a commis des crimes graves pendant son règne. En 1984, après avoir destitué le Gouvernement d’Union Nationale du Tchad (GUNT) de 1980, mis en place sur compromis afin arrêter la guerre, cet homme n’a-t-il pas entrepris de pacifier le Sud du Tchad par la violence ? Pouvez-vous imaginer des hommes qui brûlent des cases, des greniers dans les villages, qui abattent hommes, femmes, enfants et bétail sur leur passage ?  C’était le désarroi. Les populations villageoises se réfugiaient dans la brousse ou la forêt, en proie à l’humidité, aux moustiques, etc. Mais évidemment, si vous n’êtes pas Tchadien et que vous n’avez pas vécu ces choses personnellement ou du moins de près, vous ne le comprendriez peut-être pas.

Et peu après, ne s’en est-il pas pris aux populations du Nord, parce que quelques-uns des leurs s’étaient révoltés contre lui (notamment les Hadjeraï et les Zaghawas), alors qu’en grande partie des ressortissants de ces populations l’avaient servi aussi bien dans la rébellion que dans la pacification du Sud ?

Et tout ne s’arrête pas là. Dans ses prisons politiques, Hissein Habré faisait torturer ses prisonniers. Physiquement et moralement. Par la violence, par la faim, par des moyens humains. Je parle de l’humanité, mais même un animal, je ne vois pas pourquoi le soumettre à de tels traitements. Lire Les moments difficiles de Zakharia Fadoul Kidhir et le rapport de l’enquête sur les crimes de Hissein Habré, publié peu après l’arrivée de son complice Idriss Déby au pouvoir.

L’on a vu, un peu partout, la soldatesque débarquer, du bord de ces sinistres véhicules Toyota pick up 4x4, bourrés d’armes aussi bien légères que lourdes, puant la mort. L’on a vu ces hommes enlever des chefs de familles, dont les épouses et les enfants n’auront plus de nouvelles. Du moins pas de bonnes nouvelles. Ces hommes que l’on transporte hors de la ville, pour égorger et enterrer dans des fosses communes. Sans procès, sans procession. Dieu ait leurs âmes.

Moi qui vous parle, j’ai bien vécu cela. Gamin apeuré, témoin de terribles drames. Mon père avait dû fuir la petite ville de Koumra où nous étions des réfugiés dans notre propre pays, pour gagner son village, puis la brousse, afin d’éviter d’être égorgé. Plus tard, ce sera au tour de ma mère d’être prisonnière, pour une bête affaire de tract, séparée de son bébé âgé alors de quelques mois seulement. Heureusement, les miens avaient eu la chance de ne pas être tués. Pourtant, ils ne faisaient pas la politique. Encore qu’il n’y a aucun mal à faire la politique, pour la bonne marche de sa cité. Je voudrai que justice soit faite. Je n’écris pas par idée de vengeance, mais je souhaite que justice soit faite pour ceux qui la revendiquent.

Aujourd’hui, je peux l’affirmer, sans risque de me tromper, que plus de 50% de Tchadiens ont perdu tout au moins un des leurs par les faits du régime de Hissein Habré. Pourtant, nos frères de l’Afrique de l’Ouest, et pas seulement hélas! comme des traîtres, osent lever le doigt, défiant tous les principes de l’humanité, pour défendre un bourreau du peuple, avec des arguments aussi fallacieux qu’infondés ni en droit, ni en moral, ni en fait. Habré n’est qu’un terroriste ayant pris tout un peuple en otage. Meurtres et tortures à volonté, pas de droit de grève, pas de presse indépendantes, etc.

De quel droit Hissein Habré, si cher à mes frères ouest africains, devait-il faire cela ? S’il voulait travailler pour le Tchad, donc pour les Tchadiens, pourquoi devait-il tuer la plupart de ses compatriotes (40 000 morts environ) ? Quelqu’un qui massacres ses compatriotes afin de régner sur les survivants n’est pas là pour le peuple, mais bien pour servir ses intérêts : par exemple, s’assurer une bonne retraite au Sénégal (encore avec des serviables et corvéables à ses pieds comme au Tchad) avec l’argent du peuple tchadien ; se faire célèbre, même si ce n’est que tristement célèbre…

Que mes frères africains calment leurs nerfs. Aux yeux d’un mec comme Habré, ce ne sont que des «enculés», excusez-moi les termes. Mais en effet, les uns sont des vendus (sauf les avocats qui font leur boulot), et les autres sont des pauvres naïfs manipulés. Encore une fois, que l’on pose des questions à n’importe quel tchadien. La majorité optera pour le jugement d’Habré en Belgique, quel que soit le prix à payer, nonobstant les arguments de souveraineté ou d’africanité.

Souveraineté ! Hou là là !  Voilà un mot aussi noble qu’ambiguë et obscure, selon son utilisation. À mon avis, si l’on parle de souveraineté au sens vrai, il faudra alors se plier au vouloir des Tchadiens. Ceux-là veulent que l’on juge Habré. On peut peut-être faire un référendum là-dessus si Idriss Déby le veut bien, et s’il décide, dans ce cas, de ne pas piper les dés. Alors, que les autres arrêtent leur délire. Même Idriss Déby, président non légitime, même cet ancien collaborateur d’Habré, même cet homme qui a dirigé l’opération devenue Septembre noir au Sud du Tchad (hommes égorgés etc.) n’est pas contre ce procès. Alors, que l’on arrête de nous distraire avec des idées de souveraineté.

Maintenant, parlons de l’africanité. En fait, ce mot ne paraît pas rendre compte tout à fait de cet autre argument. Mais je l’utilise toutefois faute de mieux. L’affaire Habré n’est pas une affaire africaine. L’Africain n’est pas un homme à part. Prétendre le contraire serait approuvé tous les propos racistes. L’Africain fait partie de l’humanité et le juge belge aussi. Sauf si l’on veut traiter l’affaire Habré à la manière de Déby qui vole le pouvoir au peuple, ou à la manière de Blaise Compaoré qui assassine son camarade de lutte et un journaliste sans répondre, ou à la manière de ces Togolais qui confisquent le pouvoir au sein d’une famille, à la manière d’une monarchie, et j’en passe.

En plus, quel est ce mécanisme africain qui fonctionne si bien dans la justice et la limpidité, et qui puisse permettre valablement de juger un ancien président ? L’affaire tchadienne n’est pas une affaire africaine. C’est une affaire humaine tout simplement. On ne le répètera jamais assez. Qu’elle soit traitée en Europe, en Amérique, en Asie ou en Afrique, cela n’a pas d’importance. L’essentielle est qu’elle soit traitée.

En plus, ce tortionnaire du peuple tchadien n’est-il pas bien parti avec l’argent du peuple tchadien (plus de 2 milliards de CFA [plus de 3 millions d’euros]) ? C’est peut-être une petite somme, pour le peuple tchadien, pas si riche, c’est beaucoup d’argent, surtout qu’Habré n’avait aucun droit de l’emporter. Cet argent qu’il distribue sans doute à volonté en Afrique de l’Ouest, et qui sans doute inspire tant les manipulateurs, détracteurs du peuple tchadien, pourtant assoiffé de justice. Ce peuple qui attend, entre autres, qu’Habré lui rende son argent.

Enfin, il est difficile de se mettre dans la peau de l’autre. Un Sénégalais ou un Burkinabais etc. devant son ordinateur, ou devant son auditoire, et qui s’acharne à incriminer le jugement de Habré en Europe n’a pas une idée réelle du drame tchadien. En 7 ans de règne Habré n’a pas seulement tué ; il a appris aux Tchadiens la résignation, il leur a appris à ne pas s’exprimer. Il en a fait des ombres vivants. Cela est aussi pire que tuer.

Je pense qu’il ne faut pas jeter de la poudre aux yeux. Hissein Habré ne doit pas tricher jusqu’à la fin et toujours triompher. L’argument religieux qui lui donne la côte devant les communautés sunnites du Sénégal, il l’avait déjà employé au Tchad. On se souvient de ces défilés dans certaines villes, où des musulmans manipulés clamaient «Islamik Hissein!» Ils croyaient qu’Habré allait faire du Tchad un Etat islamique comme il le prétendait pour gagner leur confiance. Mais au Tchad, le pourcentage des musulmans est presque égal au pourcentage des non musulmans. La chose est simplement impossible. C’était au début de son règne. Peu après, mêmes les musulmans n’avaient pas été épargnés par la rage sanguinaire et destructrice. Ces musulmans, plus souvent commerçants et hommes d’affaires, en ont vu, en plus, de toutes les couleurs, avec un régime où il est presque interdit de s’enrichir sans devoir en payer les prix. Une réflexion qui s’impose, est qu’il faudrait que les responsables religieux musulmans ne laissent pas trop d’interprétation à la mauvaise utilisation de l’islam. Le reste des hommes, c’est aussi des humains. La triste histoire vécue par le catholicisme en ce domaine, et qui a abouti heureusement aux changements, doit être édifiante : les hommes doivent servir du passé, même si ce n’est pas le leur.

Que justice soit faite. La justice contre des faits aussi graves n’a pas de temps. Elle n’a pas de pays. Elle appartient aux hommes. C’est leur droit. Que l’on arrête de torturer doublement les Tchadiens. Ils en ont assez vu. Ils étaient presque les premiers en Afrique à connaître la guerre, le déchirement, le ravalement de l’humain à un statut de chose ou d’animal.

Que justice soit faite. Ce sont des Tchadiens qui ont déclenché ce procès. De grâce, que l’on arrête de gesticuler. Le Tchad aux Tchadiens, comme dirait Habré. S’ils veulent la justice, qu’on la leur fasse. Que justice soit faite, c’est le moins qu’on puisse souhaiter. Quant aux autres, arrêtons de nous mêler aux affaires qui ne nous regardent pas. Le président Wade est un juriste. Qu’il contribue à faire triompher le droit. Cela l’honorera plus que les perspectives électoralistes. Contribuer à la justice peut s’avérer plus honorable que de vouloir se perpétuer au pouvoir. L’histoire nous en édifie constamment.

Patrick Khalil Kodibaye

Au-delà des défilés, des cortèges bruyants et du tintamarre organisés par le régime de Déby à l’occasion des similis élections et des célébrations de ses « victoires », la tristesse et la grisaille demeurent le lot commun des tchadiens tant dans les villes que dans les campagnes. Ce raffut régulièrement mené vise à couvrir l’indifférence à son égard de la population surtout préoccupée par la lutte quotidienne pour sa survie.

Un moment de réflexion sur le bilan de quinze années de règne de Déby sur l’économie tchadienne s’impose. La grande œuvre autoproclamée, l’exploitation du pétrole et ses effets favorables sur l’éradication de la pauvreté, a été reconnue par son auteur lui-même comme un énorme raté (1). Après avoir dépensé sans compter les ressources reçues pendant la période d’investissement, Déby a « découvert » que les recettes budgétaires issues du secteur pétrolier ne sont pas à la hauteur de son immense boulimie financière et de l’inextinguible soif d’argent et de ses affidés.

A posteriori, les tchadiens se rendent compte qu’ils avaient raison initialement en priant pour que le pétrole reste encore quelques temps dans le sous-sol. C’est la triste revanche de tous ceux qui ont été traités d’anti patriotes, pourchassés et embastillés avec la bénédiction du FMI et de la Banque Mondiale, Wolfenshon en tête. Pourtant, dès le bonus attribué par le consortium bénéficiaire du permis d’exploitation, avant le démarrage des travaux de construction des structures de production, un détournement avait été opéré sur les fonds destinés aux projets de développement économique et sociaux.

La période d’investissement dans le bassin pétrolier de Doba a été édifiante sur l’incapacité du régime à promouvoir l’essor du secteur privé avec le constant de la faible participation des entreprises tchadiennes aux travaux. Quelques mois après le lancement de la production pétrolière, l’opinion a été surprise par l’aveu sur les erreurs commises dans la négociation des conventions pour l’exploitation des champs de Komé, Bolobo et Miandoum.

Cet aveu tardif n’est pas sincère. Il n’a pour but que de diluer l’incompétence et les arrangements intéressés exercés lors des discussions relatives à ces conventions. Pouvait-on espérer un miracle de négociations menées par un groupuscule de tchadiens, dont l’expertise principale est l’inféodalité à Déby, alors qu’il avait en face une armada d’experts camerounais aux compétences variées et de représentants des compagnies pétrolières chacun rompu dans son domaine ? Dernièrement dans une interview, Déby a voulu faire porter la responsabilité de son incurie à Habré qui aurait signé ces conventions en 1998 ! Pourtant, alors qu’il a eu tout le loisir de renégocier ces accords, sa volonté de disposer de ressources faciles avant les élections de 20001 a conduit à accepter un dispositif qu’il conteste aujourd’hui. Ainsi, dans ses discours de campagne, il affirmait qu’avec les revenus procurés par le pétrole, il fallait offrir le bonheur que ses opposants refusaient au peuple.

La faillite de Déby est patente depuis que les arriérés de salaire des fonctionnaires, de pensions de retraités, de bourse d’étudiants et des fournisseurs de l’Etat sont devenus récurrents à partir de l’année 2003. L’accumulation de ces arriérés, surtout dans les provinces où vit la majorité de la population dans un état de misère endémique, provoque l’arrêt fréquent des cours et des soins ainsi que le marasme du secteur non pétrolier en 2004. Les raisons avancées pour justifier ces défaillances (hausse de la masse salariale, changement de grille des militaires, etc.) ne convainquent pas car le programme du gouvernement, soutenu par la Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et la Croissance (FRPC) du FMI et d’autres apports de la communauté financière internationale, notamment les produits de l’allègement de la dette issus de l’Initiative PPTE, prenait en compte ces mesures en faveur des secteurs dits prioritaires, dont particulièrement la santé et l’éducation.

La croissance record du PIB enregistrée en 2004 relève de l’anecdote car elle n’était due qu’à l’émergence de la production pétrolière dans les comptes nationaux. Les fluctuations excessives du PIB non pétrolier, soumis aux seuls aléas climatiques non anticipés et donc non maîtrisés, expriment bien l’inexistence d’une vision du développement durable du pays. Le recul paradoxal du Tchad de la 167eme place en 2003 à la 173eme en 2004 de l’indice du développement humain publié par le PNUD, malgré l’exploitation pétrolière, prouve l’inanité de la politique économique poursuivie par Déby sous la bienveillante houlette des institutions internationales et avec le soutien agissant de Chirac.

Le gouvernement impute ses difficultés de trésorerie à la loi 001 du 11 janvier 1999 sur la gestion des revenus pétroliers du bassin de Doba. Dans un communiqué publié début février 2005, il attribue par ailleurs aux législateurs l’adoption de cette loi dont il avait présenté lui-même le projet, incité par la Banque Mondiale à la recherche de l’alibi autorisant l’octroi de son prêt et sous la pression des organisations de la société civile nationale et internationale ! A peine une année après sa mise en œuvre, pour entretenir la gabegie déjà en cours, le pouvoir s’efforce de la modifier dans les dispositions qui font son originalité : constitution d’un fonds des générations futures (10%) et affectation principale aux secteurs prioritaires limitativement définis.

Cependant, les règles de gestion des revenus pétroliers en particulier et des ressources de l’Etat en général sont régulièrement contournées grâce aux personnes liges placées dans le circuit des finances publiques. En effet, sont essentiellement nommés aux divers postes stratégiques (Ministres des Finances, du Plan, du Contrôle d’Etat, des Infrastructures, du Pétrole, etc. ; Président du Collège de Contrôle et de Surveillance des Revenus Pétroliers, CCSRP ; Directeur national de la Banque centrale régionale, la BEAC ; Trésorier Payeur Général, Directeur Général du Trésor, Directeur Général des Douanes, Inspecteur Général des Finances, Caissier Général, Directeurs Administratifs et Financiers des ministères, administrateurs des projets de développement, etc.) les apparentés familiaux et ethniques de Déby, les clients fidèles du régime, sans considération de leur état de service, et quelques rares fonctionnaires sans texture que l’ambassadeur de France au Tchad, interdit d’appeler « Laoukouras » (2)

Issu de limbes du parti unique de Hissein Habré, le régime de Déby dont la nature profondément anti-démocratique et les velléités guerrières sont reconnues, manifeste un rejet viscéral d’une gestion républicaine des finances publiques. La persistance des dépenses hors budget malgré les engagements pris et jamais réellement respectés le prouve amplement. Pour financer ses interventions militaires en RCA depuis 2002 et son activisme au Darfour, couvrir les dépenses incontrôlées autour des soins médicaux à l’étranger du chef de l’Etat (location d’avions médicalisés, entretien des déplacements des membres de sa famille, etc.), s’assurer des victoires électorales, le Trésor public est définitivement devenu une cassette royale affectée à Déby.

Les satisfecit délivrés régulièrement au Tchad par le FMI et la Banque Mondiale, dédouanent le pouvoir d’un réel effort de redressement de sa gestion. Pour tenter de maintenir leur programme avec le Tchad « on the track », les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux ferment les yeux sur des pratiques non orthodoxes dangereuses pour l’économie : absence ou inapplication du plan de trésorerie public, multiplication d’avances exceptionnelles de la Banque centrale régionale à l’Etat, emprunts à taux élevé auprès des banque gagés sur les ressources pétrolières, etc. Tout ceci est commis en violation flagrante des dispositions du même programme tendant à éviter les effets inflationnistes d’une gestion incontrôlée des ressources pétrolières, à l’inciter l’Etat à poursuivre ses efforts de collecte des recettes fiscales traditionnelles et à promouvoir le développement du secteur privé. En attendant, le Tchad a toujours le taux de prélèvement fiscal le plus bas d’Afrique, à cause principalement d’une forte évasion fiscale commise avec une administration publique désormais dominée par des faux diplômés et le népotisme poussé à son paroxysme.

L’échec de 15 ans de règne de Déby vient d’être admis par le Président de l’Assemblée Nationale lui-même, en interpellant son énième Premier Ministre sur les promesses non tenues. Malgré l’adoption en 2003 de « stratégies » nationales de réduction de la pauvreté et de bonne gouvernance, imposées par les bailleurs de fonds, seules des mesures sectorielles surfacturées, soutenues à bout de bras par les donateurs et leurs assistants techniques surpayés ont étés réalisés et la corruption (3) est dorénavant bien armée, comportant toutes chances de développement durable.

En définitive, le gouvernement et ses partenaires extérieurs sont noyés dans un cercle vicieux et pris dans une fuite en avant dont on ne perçoit pas le bout. Pour justifier l’acharnement dans leurs appuis, les bailleurs de fonds étrangers, malgré le gaspillage et les dilapidations de ressources grossiers, prétendent que l’arrêt de leurs aides serait plus préjudiciable aux pauvres. La communauté financière internationale doit cesser son hypocrisie et suspendre sa prime accordée à la mauvaise gestion. Si les pays du G8 sont sincères dans leur volonté de contribuer à la lutte contre la pauvreté des populations africaines, ils doivent sortir de leur résignation complice, aiguillonnés par leurs citoyens. Il faut dès maintenant éviter au Tchad l’expérimentation sahélienne traumatisante du syndrome hollandais !

Député ALI Gabriel GOLHOR

(1) Communiqué de presse du service de presse de la Présidence d’Octobre 2004
(2) Nom ngambay synonyme de sous-fifre, gratte-papier, fonctionnaire docile.
(3) Rapport 2004 du CCSRP : un table-blanc de mauvaise qualité à 125 000 F CFA au lieu de 30 000 F CFA

Dans le débat autour de l’affaire Habré, les Africains ont montré beaucoup d’enthousiasme et cela semble montrer l’évolution de l’opinion publique africaine. Une opinion qui se doit de grandir et de s’imposer parallèlement au ‘’syndicat des chefs d’Etats’’ à qui le Sénégal a décidé de confier Habré. Or, notre opinion évolue-t-elle dans le bon sens ? Est-ce qu’elle soulève le bon débat, quand en majorité on refuse la « justice des blancs » sans vouloir réclamer la nôtre ? C’est ce que montrent les positions nombreuses et passionnées de nos frères qui, pour la plupart, ne connaissent ni le Tchad, ni Hissein Habré.

Il convient de rappeler que l’histoire du Tchad, celle de ses injustices n’a pas commencé en 1982, et donc pas avec Hissein Habré. Pour une raison ou une autre, ce dernier n’a pas cherché, à son arrivée au pouvoir, à parcourir les pages de l’histoire pour déterminer les responsabilités, potentiellement nombreuses, de ses prédécesseurs dans les massacres des populations civiles entre 1960 et 1982. Pas plus que Deby ne cherche aujourd’hui à passer au crible de la justice ceux qui ont gouverné avant lui. Cela est d’ailleurs une coutume qui caractérise tous les régimes.

En réalité, il n’y a jamais eu de vraie rupture politique entre les régimes successifs depuis 1960 en termes de projets nouveaux et novateurs qui nécessiteraient, comme cela fut le cas au Mali, la détermination des responsabilités des anciens dirigeants dans la persécution et les pillages. Il est logique qu’un régime qui s’attèle à commettre les mêmes bavures que le précédent ne cherche pas à le juger. Dans le cas contraire, la jurisprudence ainsi établie s’appliquerait à lui par la suite. Ainsi donc, les Tchadiens n’ont jamais connu de régimes de rupture politique. Au Tchad, aucune victime d’un tortionnaire politique n'a obtenu que le coupable soit traduit devant la justice, et ce depuis l'indépendance. Pire encore, les acteurs d’un précédent régime intègrent élégamment le nouveau système sans qu’on émette le moindre murmure sur leurs actes antérieurs. Ceux qui ont obtenu justice l'ont fait eux-mêmes par des règlements de compte personnels. Par exemple, en 1985 à Moundou (sud du Tchad) a eu lieu l’exécution publique d'un ancien tortionnaire par le benjamin de la famille victime d’un massacre en 1979. Comme quoi, nos ‘’révolutions’’ n'ont rien révolutionné.

Bien sûr, la tolérance et les amnisties sont nécessaires pour qu’un peuple s’habitue à se supporter, à ne pas être dur envers lui-même. Mais ceux qui ont pensé à l’amnistie pour résoudre leurs problèmes sont ceux qui s’engagent à écrire leur histoire sur de nouvelles pages et donc à  exclure d'éventuelles excuses (si elles existent) de ceux qui diraient  qu’on aurait mieux fait de ne pas trop creuser au risque de raviver les tensions. Non, nos dirigeants griffonnent chacun sur les pages de leurs prédécesseurs. Les assassins de Tombalbaye l’ont tué parce qu’ils ont jugé qu’il n’y a rien à lui reproché, c'est-à-dire qu’il n’est même pas utile pour répondre de ses actes devant la justice. Et on sait, à ce propos, que beaucoup de Tchadiens ont souffert pendant son règne, personne n’a bénéficié de la justice parce que ceux qui ont chassé Tombalbaye ne l’ont pas fait à cause de ses résultats politiques, sinon ils l’auraient arrêté vivant, ou même jugé après sa mort. La même logique s’applique aux régimes successifs et les populations victimes des abus n’ont jamais eu une tradition de confiance dans la justice.

On peut donc comprendre qu’au Tchad, obtenir justice d’un abus politique est un luxe que seul peut s’offrir celui qui est fort. Et donc comment saisir le cas de Hissein Habré dans ce contexte pour éviter de verser dans l’arbitraire ? Déjà, un doute tombe : les Tchadiens n’ont jamais cherché à le juger, parce qu’ils ne sont pas habitués à une telle tradition, luxe dont ils sont privés depuis 1960. Il convient d’observer l’indifférence populaire face à la question pour s’en convaincre. Telle n’est pas non plus la volonté du gouvernement tchadien, même si Deby affirme, pour ne pas réagir le dernier, qu’il faudra extrader Habré en Belgique. Aussi, la fin de l’impunité ne semble pas pour demain quand on considère les discours des opposants qui affirmaient simplement qu’il faut « balayer Deby » ou encore « Deby doit partir » (Yaya Dillo). Cela sous-entend qu’on ne lui reproche que son fauteuil après 15 ans de règne, Drôle de façon de faire de la politique, on ne prévoit même pas un audit dans l’éventualité d’une succession !

Pour le cas de l’ancien président tchadien, il convient d’abord de dissocier le contexte actuel (médiatisation des rapports internationaux, mutation de l’opinion africaine) du fait que ce cas n’a rien de banal par rapport à ce qu’ont commis ou commettent certains autres tortionnaires africains. L’affaire Habré peut être une affaire tristement banale en Afrique quand elle cesse d’être médiatisée et politisée.

Cependant, quand le débat se place sur un terrain africain, on doit d’abord exiger qu’on puisse agir raisonnablement. La justice est une denrée rare en Afrique, une matière à laquelle tout le monde a droit mais que l’égoïsme réserve aux aristocraties gouvernantes. Rappelons que c’est parce qu’on se prive de justice que nos frères se sont fait tirer comme des lapins à Melilla, et même ceux qui réussissent à arriver chez les autres le font pour échapper à nos injustices socioéconomiques, politiques et culturelles. Le lien peut être fait avec le cas Habré : où étions nous, où étaient les Chefs d’Etats africains quand des citoyens africains ont demandé à la justice sénégalaise de juger Habré, où étaient nos intellectuels, surtout sénégalais, pour imposer le débat quand une personne se sentant victime demande justice et que celle-ci lui répond qu’elle ne l’aura pas ?  Ces victimes, comme les malheureux de Melilla, sont simplement allé chercher justice de l’autre côté de la Méditerranée là où elles pensaient la trouver et en jouir pleinement.

Il n’y a qu’un Tchadien qui aime vraiment son pays qui puisse saisir agréablement l’admiration des Sénégalais pour Hissein Habré qui, faut-il le noter, même accusé, fut un grand homme dans notre histoire. Il a défendu et gagné une cause tchadienne avant même que la Justice internationale ne reconnaisse au Tchad son territoire spolié par la Libye. Cependant, la construction africaine devant se faire sur des bases saines et dans le respect des droits de l’homme, quel que soit sa place dans l’histoire, un Africain doit en conséquence répondre de ses actes quand on l’accuse de crimes.

Or, le manque de courage, à chaque fois qu’on nous met au défi d’un acte historique, nous a valu encore l’humiliation quand un petit pays comme la Belgique nous amène à débattre sur nos maux, ne sachant sur quel pied danser et versant dans le sensationnel. N’est-ce pas là le manque de grandeur qui est le fait de méconnaître, sans modestie, son déficit juridique au lieu de reconnaître le mérite de ceux qui sont en avance dans le domaine ? Et tout ça, parce que les autres ont mené le débat avant nous et à notre place, parce que l’UE dont nous voulons suivre l’exemple pour l’UA a d’abord commencé par la question des droits de l’homme et de la démocratie. Ne devons-nous pas garder l’émotionnel pour des lendemains meilleurs ? L’important si on saisit bien ce qui se passe avec l’affaire Habré, c’est de construire quelque chose en Afrique pour que les Africains puissent enfin croire à quelque chose, qu’ils n’aillent pas quémander ailleurs et qu’on puisse garder une courtoisie honorable avec le reste du monde. N’est-ce pas Pr Malick Ndiaye et Pr Moustapha Cissé ? Je ne vous accuse pas de vous opposer à l’extradition de Habré en Belgique, mais je pourrais valablement le faire pour vos silences comme tant d’autres intellectuels face au déficit judiciaire dans votre pays et en Afrique.

Le malaise des autorités sénégalaises face à la décision inactive de la justice, peut témoigner de l'évolution de la démocratie sénégalaise, et celle de l’opinion africaine en général même si on n'a pas posé le débat de façon valable partout. Extrader Habré sans l'aval de la justice peut sembler difficile, ne pas le faire ne grandit guère au contraire, car la justice a laissé la question en suspens. Le gouvernement sénégalais s’est trouvé dans une situation compréhensible sauf, effectivement, quand il cherche à résoudre le problème sans procédure. Agir, comme l’a fait le Sénégal, au-delà d’une certaine limite de procédure normale serait bafoué les droits de Hissein Habré lui-même.  Et en plus, même le plan B ne rend pas service à la justice : remettre l’affaire devant les Chefs d’Etats africains, ce serait politiser davantage le problème. Et sur ce point, les esprits naïfs sont aussi bien au Sénégal qu’au Tchad. Dans ce pays, une décision collégiale de chefs d’Etats pour le jugement de Habré peut être assimilée à une manœuvre de Deby. Et si la décision est allée dans ce sens, ceux qui connaissent le Tchad pourront s’inquiéter valablement pour ce pays fragile où le fait tribal occupe une place de choix en politique.

D’ailleurs, au nom de quelle procédure, de quel principe, un sommet politique d'une organisation régionale décide d'une question complexe mais avant tout purement juridique ? Il n’y a pas de doute qu’en se réunissant à Khartoum, les chefs d’états africains vont essayer de résoudre un problème qui sera d’abord à leur service avant celui de la justice. Ils vont d’abord tenter de résoudre le problème de Wade qui est aussi le leur. Si l’on veut poser un précédent concernant la justice, il est important qu’il provienne de la justice elle-même. Cela doit, à mon avis, mobiliser les juristes africains soucieux de la place du droit dans la construction africaine, car les politiques veulent les dépasser en la matière. Parce qu’elle concerne aussi l’impunité qui fait autant de victimes, la question devrait mobiliser la jeunesse africaine. La fierté africaine ne se réclame pas simplement d’une africanité, il faut des actes et ces actes concernent aujourd’hui la justice qui ne pourrait tolérer la dérobade. L’impératif de justice en Afrique n’attend pas et quand ce sont ceux qui contournent souvent le droit qui doivent régler le problème, les citoyens africains doivent veiller à ce que cela aille dans leur sens. Quel que soit le résultat du sommet de l’UA, il sera décisif : car il va décider si l’impunité a assez duré ou non. Dans le premier cas cela pourrait inspirer l’espoir, dans le cas contraire, autant faire le deuil de l’actuel projet panafricain, car la base s’avérera fade et creuse. L’Union Africaine ayant été amorcée en dehors du peuple africain, le devoir revient à ce peuple martyr d’exiger des valeurs pour défendre ses intérêts.

En somme, c’est peut être une aubaine que le problème soit renvoyé au niveau africain même si la justice et ceux qui vont en débattre ne partagent pas souvent les mêmes intérêts. Mais au niveau citoyen, la mobilisation peut peser et orienter les démarches politiques vers le sens de la justice qui est un impératif souvent absent en Afrique. On peut exiger, par exemple, que ce procès puisse se dérouler en Afrique pour faire profiter pédagogiquement nos populations du bénéfice auquel elles ont légitimement droit. Et ainsi nourrir valablement l’orgueil de ceux qui, dans l’émotion, croyaient à un africanisme vide, un africanisme béat ignorant qu’il ne faisait ni l’honneur de Habré, ni celui des autres africains.

M.D 
N'djamena, Tchad

Une fois de plus des tchadiens meurent sous les feux d’autres tchadiens et cela n’est pas prêt de s’arrêter. Et pourquoi ? Arrêtons l’hypocrisie ! C’est le dessein fantasmatique de conquérir le pouvoir et de jouir des avantages qu’il procure qui exhorte certains à tenter l’aventure jusqu’à tuer ou en mourir si besoin est. Nul ne peut très honnêtement, à moins d’être autiste, croire que les innombrables groupuscules politico-militaires qui écument l’est du pays soient exclusivement mus par un idéal démocratique et « libertaire » dont ils seraient les promoteurs et les défenseurs invétérés. Qu’ils aient tous un point d’ancrage commun, le rejet de Deby, soit ! Mais par-delà cette considération factuelle, deux évidences : la première, c’est qu’un masque ne sert que pour le besoin d’une pièce. Autrement dit, tous, on a bien conscience de l’instrumentalisation de la démocratie et du fait indéniable qu’une fois ce dessein inavoué et inavouable atteint, le masque tombera de lui-même.

La seconde évidence est que la contestation d’un pouvoir, d’un homme n’est pas en elle-même constitutive d’une alternative. Encore faut-il être apte à offrir une perspective qui ne se résume pas à une hypothétique promesse des lendemains qui chantent en lieu et place d’un présent qui serait oppressif.

Or qu’y a-t-il en commun entre ces individualités et entre ces mouvances politico-militaires subversives ? Mis à part les ambitions personnelles et l’opportunisme éhonté de certains, rien justement ! Car tous les oppose autant les uns que les autres. Comment en effet, ne serait qu’esquisser une conciliation entre mille et une incompatibilités rédhibitoires ? Imagine-t-on un seul instant que l’intérêt du peuple tchadien réside dans une mosaïque écartelée entre des bases claniques divergentes, entre des ambitions égoïstes concurrentes, entre des générations de pseudo-opposants différentes ? Et ce n’est pas fini. Par quel miracle, les opposants « historiques » (ceux qui ont inscrit à cette logique très tôt) parviendront-ils à définir un avenir pour le Tchad en collaboration avec des opposants nouvellement et curieusement convertis à la dénonciation expiatoire alors que pour certains d’entre ces derniers, ils ont non seulement cautionné un régime devenu subitement infréquentable à leurs yeux, mais n’ont pas bougé le moindre doigt sous le régime Habré qui était franchement tout, sauf démocratique. Quiconque regarde la réalité avec objectivité, c'est-à-dire sans œillères mais avec lucidité, ne souhaiterait troquer le régime en place (quelque soient ses insuffisances) avec l’incertitude et les infirmités disqualifiantes des maladroits vendeurs de chimères.

Bien que l’on ne puisse se satisfaire de l’état actuel du pays, il ne faut pas non plus occulter le chemin parcouru depuis 1990. Autant il serait prétentieux de hisser le Tchad d’aujourd’hui parmi les nations les plus démocratiques du monde, autant il serait exagéré de qualifier le régime tchadien de dictatorial. Seuls ceux qui ignorent la progressivité de l’ancrage des principes et du réflexe démocratiques s’étonneront du fait que notre démocratie ne concurrence pour l’instant, ni dans son contenu, ni dans ses contours la démocratie française entre autres. À ceux-là, il faut rappeler que la France qui est leur référence, s’est retrouvée sous le joug d’un empereur quinze ans après la proclamation des principes de la révolution de 1789. Le parallèle est certes relativisé par la temporalité des contextes, mais au moins, on ne peut reprocher à Deby d’avoir installé un régime impérial !

La question principielle et préjudicielle qu’on devrait se poser c’est de se demander si, ceux qui se disputent la place du roi aujourd’hui, auraient fait mieux que l’actuel chef de l’état. À chacun sa conviction.

L’honnêteté intellectuelle doit néanmoins nous incliner à accréditer les insuffisances protéiformes dont pâtit notre pays et les réformes multidimensionnelles qu’il faudra incessamment entreprendre. Seulement, là également, il serait simpliste de restreindre la responsabilité de toutes les difficultés nationales à une seule personne sans prendre en compte d’autres facteurs déterminants, telle la hantise de la prise du pouvoir (par tous les moyens) elle-même génératrice d’une réaction, source principale et légitimante des dérives. De ce fait, le recours à la force comme mode de conquête du pouvoir est plus que jamais anachronique dans son principe et toujours dommageable dans son procédé. L’apport de l’opposition démocratique – symbolisé par l’activisme courageux et bénéfique d’un certain Yorongar- dans l’évolution de la société tchadienne est sans commune mesure avec l’action oh combien régressive des nombreuses aventures militaires dont on a fait l’expérience. C’est une preuve de plus que le progrès ne viendra pas envelopper dans la haine, le sang et les rêves.

Par ABDOULAYE-SABRE FADOUL, ABDEL-GADIR FADOUL KOUYOU, MAHAMAT SENOUSSI ABDOULAYE

La Banque Mondiale, crée à Bretton Woods en 1944 dans le contexte de l’époque, avait pour mission de soutenir la reconstruction des pays européens d’après-guerre. Plus tard, sa mission a été élargie aux cas de catastrophes naturelles et aux urgences humanitaires résultant des conflits dans les pays en développement. Influencée par les activités des Nations Unies durant ces dernières années, la Banque Mondiale décida d’orienter ses activités dans le cadre de la lutte globale contre la pauvreté.  Et malgré ses multiples réformes internes, la qualité de ses opérations laisse parfois à désirer et suscite plutôt des tensions sociales graves et des crises au sein des populations des pays en développement.

Néanmoins, la Banque Mondiale s’est élargie à d’autres Institutions de développement [1][1] et ses activités couvrent plusieurs domaines. Avec ses partenaires et Etats clients, elle joue un rôle important au niveau de la politique mondiale, surtout en cas de situation d’urgence complexe. Vu la disponibilité des pays en développement souvent demandeurs, la Banque Mondiale donne parfois un appui financier substantiel dans certains de leurs grands projets.

Mais de nos jours, sous prétexte de venir en aide à ces pays en développement et d’organiser leur méthode de gestion, l’Institution de Breton Woods influencée par le zèle de certain de ses fonctionnaires, se comporte malheureusement en Gendarme néocolonial des pays démunis. Ce qui justifie d’ailleurs les accusations des Organisations de la société civile qui lui reprochaient de ne pas respecter ses propres principes dans certains projets connus.
Au Tchad, les multiples conflits politiques et armés avaient bloqué son réel développement économique et social. Par contre, ce pays recèle d’importantes richesses dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et surtout des ressources minières et du pétrole. Le pétrole, cet Or noir qui aujourd’hui, est de plus en plus sollicité pour le développement industriel mondial, a été sciemment occulté au Tchad par l’ancienne puissance coloniale. Mais, il a été progressivement identifié, exploré et exploité par des Firmes multinationales privées. Vu l’importance de sa quantité et de sa qualité, le pétrole tchadien a été l’objet de convoitise de plusieurs Etats, des Compagnies multinationales et même des Institutions internationales.

L’enjeu du pétrole tchadien aurait même provoqué des conséquences dramatiques, dont le reversement des régimes des anciens présidents Tombalbaye en 1975 et Habré en 1990. Ces Chefs d’Etat, à un moment donné de leur époque, s’étaient fermement opposés à la main mise de certains de nos partenaires qui tentaient de bloquer l’exploitation du pétrole tchadien, afin de maintenir le pays dans la perpétuelle dépendance économique et plonger son peuple dans la misère et la servitude. Ce pétrole aurait occasionné également, la disparition mystérieuse des hauts cadres tchadiens et membres du Gouvernement, impliqués dans sa négociation et le suivi.
Membre de la Banque Mondiale depuis 1963, le Tchad tout comme les autres pays d’Afrique noire, à plus de quatre décennies d’indépendance politique. Il possède des ressources humaines importantes, qui sont utilisées également par des Institutions internationales, telle la Banque Mondiale. Ses dirigeants, quelle que soit leur capacité de gouvernance, ils ont acquis une certaine expérience politique, tout comme de gestion. Et malgré leurs difficultés internes, ils savent défendre les intérêts de leurs citoyens et préserver leur souveraineté.

Au Tchad, les difficultés quotidiennes sont vécues par les populations, mais non par les fonctionnaires de la Banque Mondiale. Ces derniers qui sont officiellement affectés pour assurer l’exécution et le suivi des projets, se livreraient en fait à des dépenses absurdes par rapport aux objectifs des dits projets et au détriment du pauvre contribuable tchadien. Et leurs évaluations souvent fantaisistes vont dans le sens favorable à leur prestation. La survie professionnelle de certains de ces Experts ne dépend que de l’existence de projets des pays en développement. Et même si l’exécution et la faisabilité de ces projets ne reflètent pas les réalités locales, ils sont financés par les prêts de la Banque Mondiale et plongeant d’avantage nos Etats dans l’interminable spirale de la dette extérieure.
Au cas où les dirigeants politiques tiennent à les rappeler à mettre de l’ordre, commencent alors des menaces, des représailles et même du chantage à l’égard des Gouvernements. C’est dans cette logique de stratégie machiavélique que se situe le différend actuel entre le Tchad et la Banque Mondiale.

Le Tchad est ainsi accusé de violer l’Accord signé en 1999 avec la Banque Mondiale sur le Programme de Gestion des Revenus Pétroliers. La Banque Mondiale reproche au Gouvernement tchadien, soutenu par son Assemblée Nationale, de vouloir élargir l’utilisation des 10% du fonds prévus pour les générations futures à l’administration territoriale et à la sécurité. C’est pourquoi, elle a pris des mesures de représailles à l’encontre du Gouvernement tchadien, en bloquant le décaissement des crédits de 124 millions de dollar US, alloués au Tchad par l’Association Internationale pour le Développement (IDA) pour financer huit projets en cours d’exécution, dont le montant total est de 297 millions de dollar US.

Le Gouvernement tchadien de son côté, a réagi de manière conséquente en signant avec la République de Chine/Taiwan un Accord pour l’exploitation des autres gisements de son pétrole. C’est un acte certes audacieux qui a ses conséquences, mais quelle que soit la perception politique des uns et des autres vis à avis du régime actuel de N’Djamena, il faut saluer le courage du président Idriss Déby à prendre cette décision de diversifier nos partenaires énergétiques.

Surpris par la réaction conséquente du Tchad, certains responsables de la Banque mondiale s’agitent pour chercher une porte de sortie de crise, provoquée par leur propre intransigeance aveugle. Le Tchad n’a jamais eu l’intention de rompre sa coopération avec la Banque Mondiale. Toujours est-il que la position du Gouvernement tchadien, confirmée par son Assemblée Nationale est légitime. Il revient alors aux Experts de la Banque Mondiale de faire des propositions concrètes et réalistes qui prendraient en considération les priorités immédiates du Tchad afin de trouver une solution rapide et équitable à ce différend.

En fait, les responsables de la Banque Mondiale chargés de suivi du dossier Tchad souhaitent-ils réellement le développement de ce pays pour le faire sortir un jour de sa pauvreté ? Sinon, pourquoi suspendre le décaissement du fonds des projets qui sont en cours d’exécution ? Si le Tchad n’avait pas ce projet de Pétrole, la Banque ne financerait-elle pas les projets dont elle vient de mettre son embargo financier ? La Banque Mondiale a-t-elle l’intention de faire asphyxier le Tchad, déstabiliser son régime politique actuel et renverser le président Idriss Déby?

Est-il normal que le Tchad produise d’énormes quantité de pétrole et que ses fonctionnaires perçoivent de salaire de misère, vivent dans l’obscurité et sans avoir régulièrement de l’Eau potable, ni bénéficier des soins et couverture sanitaire adéquate. Pourtant l’Éducation, la Santé et les Infrastructures sont identifiés comme secteurs prioritaires et dont l’exécution des projets est suivie et évaluée par la Banque Mondiale ?  Pourquoi la situation est si dégradante et la Banque Mondiale reste muette ou indifférente jusqu'à la récente décision de l’Assemblée Nationale tchadienne d’amender la Loi 001 sur la Gestion des Revenus pétrolier du Tchad ?

Serait-il juste que des fonds importants évalués à plus de 36 millions de dollars US déjà disponibles, soient stockés dans des Banques commerciales en Europe, pour les générations futures, alors que dans les Hôpitaux et Maternités[2][2], des milliers des enfants tchadiens meurent déshydratés à la naissance, faute de Sérum et des jeunes femmes décèdent à l’accouchement par manque d’antibiotique ou encore des vieillards crèvent du simple fait de paludisme ?

Quel avenir de la génération future pourrait-on préparer en immobilisant ces fonds propres du Tchad à l’extérieur, jusqu'à l’épuisement total de sa production pétrolière avant de les utiliser ? Or dans l’immédiat malgré l’apport de la Banque Mondiale, tous les enfants tchadiens ne vont pas à l’École et même ceux qui partent ne bénéficient pas d’encadrement conséquent du fait des troubles psychologiques et morales de leurs Enseignants, qui n’arrivent pas à subvenir régulièrement à leur besoin alimentaire quotidien. Et les étudiants tchadiens à l’extérieur sont abandonnés à eux-mêmes sans bourses d’études. Quel modèle de développement pour le Tchad la Banque Mondiale voudrait-elle expérimenter ?

Dans de telles conditions, comment la Banque Mondiale pourrait-elle réaliser au Tchad, son Programme de Réduction de la Pauvreté ? Comment pourrait-elle accompagner ou du moins créer les conditions favorables pour permettre au Tchad d’atteindre les objectifs du Développement du Millénaire fixés et adoptés par les Nations Unies ?

Le Tchad n’a jamais refusé de rembourser les prêts octroyés par la Banque Mondiale pour la réalisation de son Projet de l’Oléoduc ? Le fait que le Tchad décide d’utiliser dans l’immédiat une partie de ses propres ressources pétrolières, afin d’accélérer son développement et offrir à ses générations futures un cadre de vie plus agréable que celui vécu actuellement par ses populations meurtries, doit-il le soumettre à cet embargo. Et pourtant, ce n’est pas le Gouvernement mais les populations innocentes qui sont brimées par cette mesure de représailles.

Le Tchad ne peut-il pas demander légalement d’utiliser ses propres ressources, même si elles étaient prévues pour les générations futures ? Ou bien nos Experts de la Banque Mondiale préfèrent plutôt voir les autorités tchadiennes aller solliciter d’autres nouveaux prêts aux intérêts exorbitants, qui seraient encore grignotés par les fameuses missions de négociation et d’évaluation dans lesquelles se précipiteraient certains fonctionnaires prédateurs de la Banque , dont certains seraient de moralité douteuse ?
La Banque Mondiale est-elle mieux placée que les autorités tchadiennes pour apprécier les besoins réels du Tchad ?  La Banque s’est-elle octroyée des nouvelles compétences dans l’appréciation des problèmes sécuritaire des pays en développement ? N’est-il pas légitime pour le Tchad de se préoccuper de sa stabilité et de la sécurité de ses populations ? Quel modèle de gestion la Banque Mondiale voulait-elle innover au Tchad, si ce n’est qu’une autre nouvelle forme de main mise néocoloniale ?

La Banque Mondiale est habituée à s’interférer dans la gestion des pays en développement. Cela serait une bonne chose et même salutaire, si son interventionnisme aboutit à améliorer les conditions actuelles de vie des populations tchadiennes. Dans le cas contraire, même si le Gouvernement tchadien ne réagirait pas, les élus du Peuple tchadiens ou encore les populations elles-mêmes la dénonceraient.

Certes, la Banque Mondiale a fait des efforts importants pour soutenir certains projets de développement du Tchad, dans les domaines de l’agriculture (US. $ 20 millions), de la réforme du secteur de l’Éducation (US. $ 42.34 millions), de la Santé des populations (US. $ 24.56 millions), mais en tant qu’Institution de Développement, elle doit rester au-dessus des humeurs subjectives de ses fonctionnaires agissant de manière politicienne.
Accusant le Tchad de violer l’Accord signé en 1999 sur le Programme de Gestion des Revenus Pétroliers et dénonçant la mauvaise gestion des autorités tchadiennes, la Banque Mondiale continue sa menace en brandissant d’autres recours qui « incluraient la suspension de nouveaux crédits ou dons, l’arrêt des déboursements des fonds liés à tout ou partie des  opérations en cours, l’accélération du remboursement des prêts et crédits alloués au Tchad ».[3][3]
Le pétrole de Doba appartient-il aux Tchadiens ou à la Banque Mondiale. Ce pétrole a jailli après de longues et difficiles années de  lutte contre certaines puissances et leurs Multinationales, contre certaines Organisations non gouvernementales et même contre certains leaders politiques tchadiens, qui sous prétexte de défendre certains idéaux, n’étaient pas conscients de la situation dramatique de misère sociale dont sont plongées nos populations.
Le Gouvernement du Tchad avec ses partenaires internationaux et ses citoyens issus de différentes couches sociales, avaient mené cette longue lutte pour convaincre les pays donateurs et membres de la Banque Mondiale et aboutir à l’Accord de financement du Projet de construction de l’Oléoduc pétrolier DOBA-KRIBI. Malgré les difficultés rencontrées depuis l’élaboration, la négociation et la réalisation de ce projet, les Tchadiens savent ce qu’ils veulent et le Gouvernement du Tchad n’a pas perdu de vue ses intérêts.
Aujourd’hui, le prix du baril du pétrole est en hausse par rapport à celui indiqué dans l’Accord signé en 1999. Aucune modification n’a été réclamée parce que le Tchad tient à respecter ses engagements internationaux. Mais les richesses pétrolières du Tchad doivent bénéficier aux populations tchadiennes qui en ont besoin d’abord maintenant et demain également. Il serait donc absurde de laisser crever nos populations actuelles pour préserver l’avenir des générations futures. Le cadre de vie et le bien être des générations futures doivent être mis en place dès maintenant. Le Tchad n’accepterait pas de chantage et ne sera pas la chasse gardée de la Banque Mondiale. Il revient aux responsables de l’Institution de Bretton Woods de faire des propositions concrètes respectant les priorités urgentes et actuelles du Tchad, déterminé à atteindre les objectifs du développement du Millénaire adoptés par les Nations Unies.
En tant que citoyen Tchadien, nous avons le droit de nous prononcer sur cette question importante qui concerne notre pays, En donnant ici notre avis personnel, nous espérons enfin que les discussions entamées récemment à Paris, entre les délégations du Tchad et de la Banque Mondiale avec la participation du Fonds Monétaire International comme observateur, se poursuivent pour aboutir à des propositions concrètes, prenant en considération les préoccupations réelles du Tchad.

L’avenir du Tchad et l’enjeu de son pétrole ne sont pas comparables, ni négociables par rapport à la stratégie de gestion de la Banque Mondiale. Il serait important de ne pas perdre de vue cette donnée si les responsables de la Banque Mondiale veulent mettre fin à ce contentieux et enfin permettre à chacun de rentrer de ses droits légitimes. /-

Hassane Mayo-Abakaka

[1][1]- Le Groupe de la Banque Mondiale est composé de cinq Institutions de développement étroitement liées : il s’agit de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD), l’Association Internationale de Développement (IDA), l’Agence Multilatérale de Garantie des Investissements (MIGA) la Société financière Internationale (SFI) et le Centre international de règlement des différends internationaux (CIRDI).
[2][2] - Voir le film «DEAD MUMS DON’T CRY» sur DVD de Dr. Grâce KODINDO, Ob/Gyn, Chad produit par la BBC-PANORAMA SERIES en Juin 2005, sur la situation dramatique des femmes et enfants nouveau-nés à la Maternité de N’Djamena, la capitale tchadienne.
[3][3] -Lire le Communiqué de la Banque Mondiale sur la révision de la loi portant gestion des revenus pétroliers, N0. 2006/227/AFR du 29 Décembre 2005.

 

 

Le président Tombalbaye disait : « Le Tchad, c’est le cœur de l’Afrique ; quand le cœur est malade, c’est tout le corps qui est malade ». La focalisation des actualités sur le Tchad confirme les propos du Grand Compatriote. Une fois encore, notre pays est au centre de grandes polémiques qui divisent, non seulement les Tchadiens eux-mêmes, mais les élites du continent africain. Que ce soit l’affaire Habré ou la question de la gestion des revenus pétroliers, les camps se sont bien rangés en ordre de bataille.

Concernant l’affaire Habré, l’unanimité sur le refus de l’impunité vient d’être consacrée par le sommet de Khartoum. Cependant, la recherche de la meilleure formule de procès divise toujours. Même la société civile panafricaine, réunie récemment en Afrique de l’Ouest, n’est pas unanime. La tendance majoritaire est l’option pour une juridiction africaine qui, en réalité, n’existera pas de sitôt. Du pareil au même donc, l’affaire Habré est devenue un poison qui risque de ravager d’autres Etats en veilleuse. Alors, les victimes tchadiennes pourront attendre longtemps ou se débrouiller autrement, telle est la leçon à tirer ! Malheureusement pour l’ancien lion de l’UNIR, plus la perspective d’un procès est repoussée, plus il subira une terrible torture morale et physique, avec ses proches, à cause des campagnes et des pressions massives contre sa personne et son parcours d’homme d’Etat. Car ses supporteurs semblent de moins en moins douter de sa culpabilité et veulent simplement gagner du temps. D’ici là, M. Habré aura complètement perdu son aura de nationaliste intransigeant qui lui valut tant de sympathie à travers l’Afrique. Faire face courageusement à ses détracteurs et ex-collaborateurs devant un tribunal équitable, fut-ce en Belgique, lui aurait permis de livrer ses contre-vérités et lui conserver un minimum d’honneur, comme Moussa Traoré du Mali par exemple.

Concernant le Darfour et l’Est du Tchad, l’opinion publique ne fait que prendre davantage conscience de l’existence récurrente de l’autre danger néocolonialiste d’origine arabe sur l’Afrique noire. Ce phénomène a fait le malheur des Tchadiens depuis les dates du 22 juin 1966 (création du FROLINAT à Nyala), les accords de Khartoum entre le régime de M. Malloum et le CCFAN de M. Hissène Habré en 1978, Bamina et aujourd’hui les tentatives de El Géneina. On peut à l’avance prévoir dans les détails de ce qu’attend le peuple de ces vents d’Est, tout sauf la liberté, le bien-être et la justice. Même s’il est possible que ce chemin de Rabbah réussisse à l’un des héritiers culturels du conquérant esclavagiste soudanais, ce sera l’inhumation définitive du Tchad et de la république. Ce que d’aucuns appellent « changement » doit être pour les démocrates et les patriotes pire qu’un tsunami et que Dieu nous en préserve ! Autre leçon à tirer du sommet de Khartoum !

Le sujet qui nous intéresse est plutôt la guerre de tranchées entre la Banque Mondiale et le pouvoir du général Idriss Déby Itno, suite à la modification de la loi 001 sur la gestion des revenus pétroliers. Dans l’article intitulé « Faut-il une seule loi pour tous les puits de pétrole ? » [cf. forum pétrole ialtchad.com], nous avions prévenu qu’il y avait bel et bien problème : « Bien des secteurs pourraient demain devenir prioritaires : le gouvernement pourrait valablement décider de consacrer une triennale budgétaire pour régler définitivement le problème de l’Armée par exemple (réorganisation des corps, équipement, casernement, formation, etc.), un chantier gigantesque attendu par tout le monde. Alors que dans le même temps, l’Administration territoriale aurait besoin de ressources adéquates pour son redressement total et sa modernisation comme préalable à la bonne gouvernance et au développement. Il ne faudrait donc pas s’enfermer dans les contraintes d’une loi qui a déjà fixé les quotas de répartition. La Loi 001 voudrait épargner des revenus pour les générations futures. En réalité, les Tchadiens ne maîtrisent pas facilement la gestion de cette épargne. C’est de l’argent public qui fera le bonheur des banquiers, alors que la notion de « générations futures » mérite d’être sérieusement débattue dans tous ses contours et non pas comme une vérité intangible collée à une loi votée à une époque donnée. Nous croyons sincèrement que le Tchad ne peut continuer de se contenter du statut de pays producteur, attendant que la City Bank lui verse chaque fois l’aumône. En tant que nationaliste, nous disons tout haut que le Tchad doit dès à présent se préparer à être actionnaire dans tous les consortiums qui vont exploiter ses gisements pétroliers. Il y a d’énormes avantages pour notre pays à entrer un jour dans le cercle de la grande magouille, c’est à dire des actionnaires de notre pétrole. Il ne faut jamais perdre de vue le fait historique que le pétrole a été la cause du renversement des régimes précédents et de la guerre civile ! Pour devenir un jour les maîtres de nos richesses nationales, nous devons développer dès maintenant des visions futuristes pour notre pays que d’être toujours à la traîne, gouvernement et société civile, des courants venus de l’extérieur ».

Nous constatons qu’après les premières réactions croisées de la société civile et de l’opposition politique en faveur de la Banque Mondiale, la révélation des en-dessous de ce partenariat, au gré de la crise actuelle, divise encore dans les camps. Des groupes importants et crédibles de la société civile comme le Syndicat des Enseignants du Tchad (SET), prennent parti pour le gouvernement contre la Banque Mondiale. Le SET part de deux constats simples : i) Quand un contrat est mauvais ou vicié, il faut impérativement le changer ; ii) Il n’est pas question d’injecter l’argent du pétrole dans le secteur dit prioritaire de l’éducation nationale et ignorer délibérément le sort de l’enseignant qui en est le pilier. Personne n’ose contester publiquement la position du SET, sauf qu’elle conforte celle du gouvernement par analogie.

Au contraire des ADH dont la position fluctue selon les influences. En effet, après une pression remarquable au départ du projet pétrole, sous l’influence des milieux écologistes et altermondialistes, les ADH semblent faire volte-face et se ranger du côté de la Banque Mondiale pour des raisons plus politiques qu’humanistes. Les ADH ont capitulé sur le fond pour se braquer sur la forme de la problématique du partenariat Banque Mondiale – Tchad. En prenant le risque de s’identifier à des oppositions radicales et systématiques contre le pouvoir du général Idriss Déby Itno, les ADH ont publiquement plaidé pour le respect des engagements contractuels du gouvernement envers la Banque Mondiale. Le credo évoqué par elles, légitime faut-il le souligner, est la mauvaise gouvernance actuelle du pays. Cependant, l’honnêteté intellectuelle aurait voulu que les ADH reconnaissent que la Banque Mondiale est partie prenante de cette mauvaise gouvernance tchadienne depuis le début. En dehors de la France qui joue son rôle de gardienne de l’immense cimetière tchadien avec son armée, c’est la banque Mondiale qui gouverne le Tchad pour l’essentiel. Les projets de budget général de l’Etat lui sont préalablement soumis chaque année, avant que le parlement les entérine, après des semblants de débats publics. Ainsi, les députés décrétés, analphabètes et élus sont tous tenus de ne pas toucher au noyau dur du projet de loi de finance imposé par Washington, sous peine de la fermeture des robinets.

En plus de cette mainmise de la Banque Mondiale sur l’activité parlementaire, aucun des projets et programmes qu’elle propose à la partie nationale ne doit être rejeté. Les ministres s’y investissent personnellement pour réduire les ardeurs des techniciens nationaux rigoureux, et faire passer rapidement les projets au parlement de Diguel. C’est donc avec une grande facilité que la Banque Mondiale impose sa camelote aux autorités tchadiennes, même si leur contenu et leur montage sont des fois scandaleux. Pour mieux s’assurer ses intérêts, aucun prêt de la Banque Mondiale n’est exécuté avant ratification préalable par une loi. En d’autres termes, le Banque Mondiale se protège contre d’éventuelles remises en causes de ses interventions et des risques par la partie nationale. Nous sommes toujours tenus de rembourser à 100 % ces prêts, même si 75 % de leur enveloppe repartent par les inévitables experts étrangers imposés et le reste dans les gabegies locales.

Il ne faut pas se tromper sur le compte des institutions de Bretton Wood : le FMI et la Banque Mondiale ont été les instruments de la reconstruction de l’Europe après la seconde guerre mondiale. Cette phase achevée, elles ont été converties en véritables leviers de l’impérialisme économique sur les pays pauvres du Tiers-Monde. Aucun pays du Sud ne s’est développé grâce au soutien de ces deux institutions. C’est un débat qui est toujours d’actualité au sein des élites internationales, sauf au Tchad où les élites sont démissionnaires. Le constat des échecs gravissimes et des crises causées ici et là par les remèdes imposés par ces deux institutions géantes, a poussé la Banque Mondiale à lancer le défi de sortir le Tchad de la pauvreté par l’exploitation de son pétrole. Cependant, malgré ses intentions louables, la Banque Mondiale n’a           pas opéré les mutations internes nécessaires dans sa vision et ses méthodes anciennes, pour relever effectivement ce défi sur le Tchad. La mise en œuvre du projet pétrole de Doba a clairement révélé ces contradictions.

Je ne reviendrai pas sur les griefs de la mauvaise gouvernance manifeste du pouvoir en place. La stratégie secrète du général Idriss Déby Itno consistait, à tout prix, à faire couler le pétrole. Le général Idriss Déby Itno, qu’on a tendance à trop sous-estimer, usa à merveille de deux atouts chers : la ruse et la patience, tirant les leçons de la chute précipitée de ses prédécesseurs, de Tombalbaye à Habré, renversés chaque fois à l’avant-veille de la mise en exploitation annoncée de l’or noir, pour avoir placé la barre trop haute. Le général Idriss Déby Itno avait ménagé les susceptibilités des majors et des puissances occidentales, en leur facilitant les contrats juteux, pourvu que le pipeline et l’exploitation deviennent une réalité. En contrepartie, son régime a été stabilisé contre ses opposants de l’intérieur et de l’extérieur, dont les rebellions armées, pendant quinze ans. Le général Idriss Déby Itno dit la vérité quand il affirme publiquement que les interventions de la Banque Mondiale n’ont pas servi les intérêts des populations tchadiennes. C’était un secret d’initiés qu’il dévoile, car si notre pays s’imposait la rigueur des contrôles et des évaluations, il y a longtemps que les forces vives auraient réclamé un autre type de partenariat équitable. Mais venant du général Idriss Déby Itno, cet aveu ne pouvait que déclencher une riposte du style « Far West » de la part du président de la Banque Mondiale, l’un des tombeurs de Saddam Hussein d’Irak

La colère de « Tonton Paul » n’est pas liée à la modification de la loi 001 opérée unilatéralement par les autorités tchadiennes. La banque Mondiale ne pardonne pas à son ancien élève modèle d’avoir mis à nu sa propre supercherie orchestrée sur le Tchad. La mesure de suspension des projets et celle du gel du compte ouvert à la City Bank de Londres sont totalement contraires au droit. Elles s’apparentent aux vieilles méthodes utilisées contre les régimes nationalistes et socialistes de Salvador Allendé de Chili ou du Dr Mossadegh d’Iran, pour les faire partir, au profit des intérêts des majors pétroliers. Même si le pouvoir actuel ne ressemble en rien à ces régimes révolutionnaires.

Il ne peut y avoir de corrélations logiques entre la modification de la loi 001 et la suspension des financements des projets Banque Mondiale au Tchad. Tous ces projets relèvent des prêts consacrés par des conventions signées distinctement et ratifiées (les yeux fermés) par les députés. Les principes élémentaires du droit international, en matière de commerce, voudraient que, lorsque l’une des parties rompt unilatéralement sa participation à l’exécution d’un contrat, elle en assume totalement les conséquences. La Banque Mondiale est donc responsable de ce qui adviendra pour les populations tchadiennes du fait de cette mesure. Quelles que soient les rancœurs des uns contre le régime du général Idriss Déby Itno, c’est une vérité qu’aucun tchadien ou africain conscient ne devrait occulter.

Concernant le gel du compte à la City Bank , la Banque Mondiale agit dans l’illégitimité. En effet, il ne s’agit que d’un compte de transit où s’effectue le triage de tous les intérêts et remboursements dus par le Tchad, y compris à la Banque Mondiale. Donc la Banque Mondiale n’a pas le droit de bloquer la modique part résiduelle qui reviendrait au Tchad : c’est un hold-up en bonne et due forme !

Concernant l’argument de violation d’une disposition du contrat pétrolier interdisant « toute modification de la loi 001 susceptible de briser l’équilibre du projet », le débat reste ouvert. En effet, si le consortium pétrolier de Doba et ses sous-traitants exhibent souvent la supériorité des traités internationaux pour refuser de respecter notre Code du travail et les droits de nos travailleurs (cas de la TTC, par exemple), pourquoi la Banque Mondiale transformerait-elle la loi 001 en une norme supérieure et préjudicielle de ce contrat ? C’est vraiment absurde d’obliger le parlement d’un pays indépendant à voter une loi qui aurait pu simplement figurer comme un chapitre d’un contrat commercial international ! La convention Banque Mondiale – Tchad aurait alors clairement indiqué les dispositions intangibles, à savoir le fonds des générations futures et le collège de surveillance et de contrôle. Car, au contraire des conventions sur les droits de l’homme, dont la ratification par un Etat partie les rend intangibles, les traités commerciaux sont, par nature, évolutifs et sujets à des contentieux réguliers et normaux devant des instances d’arbitrage. Jamais la Banque Mondiale ne prendrait les mêmes mesures à l’encontre du plus petit pays européen, fut-il celui de Milosévic, au risque de le payer chèrement : deux poids, deux mesures pour les Africains !

Alors, quelle sera la solution entre la mauvaise gouvernance actuelle et la dimension criminelle des mesures de la Banque Mondiale ? La solution passe, à notre humble avis, par la prise de conscience la plus large de notre élite, le changement de mentalités rétrogrades et des pratiques politiques apatrides des Tchadiens. Quel que soit le pouvoir qui sera aux affaires au Tchad, il devra trouver des réponses claires à deux questions préjudicielles de notre partenariat extérieur : 1) A qui appartiennent les ressources naturelles et l’argent public (y compris les prêts) ? ; 2) Qui doit faire quoi dans le partenariat, autrement la définition de nouvelles règles plus équitables de ce partenariat ? Contrairement à ceux qui penseraient que je suis « un allié providentiel » du régime actuel, je signale que je me contente de soulever les omissions au débat, là où Déby ou pas, il y a la réalité néo-impérialiste incontournable. Pour le reste, on se connaît entre Tchadiens.

Enoch DJONDANG

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