samedi 23 novembre 2024

Musique : interview Ingamadji Mujos

Written by  Oct 08, 2003

En France depuis 1986, Ingamadji Mujos Nemo ou le Pape du dala a su couronné le Tchad d'un genre musical 100% de chez nous. Après offensive "Dala", il a confirmé son talent avec la sortie de son album "Intar Afrika". ialtchad l'a interviewé pour qu'il nous parle de lui, de sa carrière et de la musique Tchadienne. Voici en exclusivité pour les ialtchad, le témoignage d'un chanteur qui fait partie de nos artistes les plus prometteurs du moment. 

Ialtchad Presse : - Bonjour Ingamadji Mujos, on vous appelle aussi le pape du Dala, il y a longtemps que vous êtes en France, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Ingamadji Mujos : Bonjour aux ialtchad. Ingamadji est mon nom et Mujos un surnom qui m’a été donné depuis l’école primaire pendant que je poussais une chansonnette dans la cour de récréation. Et le Pape du Dala, pour avoir été le promoteur du rythme Dala, une danse populaire du Sud du Tchad. Natif de Moundou, j’y ai étudié jusqu’à mon admission au Lycée Technique Industriel de Sarh puis celui de N’Djamena. Vint ensuite l’enseignement dans différents collèges et lycées de ces trois villes jusqu’en 1986 date à laquelle j’ai quitté le pays pour les études de Topographie à l’Institut Géographique National de France. S’en suivra un Diplôme de Technicien de Génie Civil puis celui d’Infirmier d’Etat. À ce jour, j’exerce à l’hôpital psychiatrique d’Amiens.

Ialtchad Presse : - Comment êtes-vous arrivé à la musique ? Parlez-nous du début de votre carrière musicale.
Ingamadji Mujos : Par un concours de circonstances et grâce à l’école de la rue dirai-je. Adolescent, je ratais rarement à mes heures libres, les répétitions et concerts de l’orchestre local « Logone-Band ». C’est en 1976, à l’internat du lycée technique industriel de Sarh que j’ai flirté avec la guitare. Deux ans plus tard j’ai commencé à écrire mes premiers textes et m’accompagner à la chanson à l’image d’un Francis Bebey, GG Vickey, André Marie Tala, Daouda Sentimental ou d’un Mougalbaye national et j’en passe. Quelques expériences dans des petits groupes puis au début de l’année 1980, la rencontre avec Issa Bongo à Sarh, un chanteur solitaire du même style marque le tournant de ma carrière musicale avec en prime la naissance du duo « les Rossignols ». Entre autre je fus membre fondateur et Directeur artistique du Théâtre Vivant Baba Moustapha jusqu’à mon départ du Tchad.

Ialtchad Presse : - Pouvez-vous nous faire une brève rétrospective de votre discographie ?
Ingamadji Mujos : Après quelques tentatives infructueuses avec des groupes africains tels que Sylo à Amiens, j’ai pris la résolution de repartir en solo. C’est ainsi que j’ai créée ma petite maison d’autoproduction « Inga Productions » qui a vu naître en 1995, le premier disque intitulé « Virginie » avec la chanson Binon en hommage à ma fille et qui scellera du même coup l’alliance du rythme Dala avec le public tchadien. En 1997, le premier CD « Offensive Dala » pour confirmer le mouvement puis le tout dernier « Intar Afrika » en novembre 2000 pour inciter les Africains à prendre leur destin en main.

Ialtchad Presse : - Vous avez commencé la musique depuis 1976. Disons 26 ans plus tard, quel regard portez-vous sur votre objectif de départ ?
Ingamadji Mujos : Je suis venu dans la musique par hasard mais avec deux objectifs précis que je n’ai jamais perdus de vue. Le premier est surtout centré sur l’image du musicien tchadien dans sa société. Considéré comme voyou par excellence, j’ai voulu par ma démarche faire taire les mauvaises langues en leur prouvant qu’on peut être musicien et socialement bien intégré et que la musique n’est en aucun cas l’apanage des débauchés. Le second répond à un besoin, celui de sortir la musique tchadienne de l’anonymat et d’affirmer en même temps mon identité musicale.  

Ialtchad Presse : - Qu’est-ce qui a déclenché votre choix de vouloir sortir un genre musical 100% tchadien à partir du Dala ?
Ingamadji Mujos : En plus de mon objectif dont je parlais précédemment, autant de raisons ont orienté mon choix. L’une des raisons fondamentales reste le complexe de l’artiste local face aux courants musicaux étrangers. L’exotisme a belle côte au pays et cela crée des habitudes à tel point que nos artistes éprouvaient des difficultés à interpréter les rythmes du terroir par peur de paraître ridicule, d’être rejeté des mélomanes ou de ne pas répondre à la mode. Les oreilles ne sont plus habituées à « écouter » certaines mélodies dites des indigènes. Ajoutée à tous ces éléments, l’absence d’un rythme typiquement tchadien de qualité sur les ondes aussi bien nationales qu’internationales. J’ai dès lors décidé de m’attaquer au répertoire traditionnel. Le « Dala » était arrivé à point nommé car j’ai réussi à l’interpréter facilement à la guitare.
En définitive, c’est une démarche pédagogique qui vise à corriger le complexe de l’artiste moderne tchadien face à son environnement musical traditionnel.  

Ialtchad Presse:- Parlons un peu de votre dernier album. Dans quelles conditions est-il né ?
Ingamadji Mujos : Comme les précédents albums, le dernier né « Intar Afrika » n’a pas dérogé à la dure règle de l’autoproduction c'est-à-dire par le circuit de la débrouillardise. Ce qui fausse d’entrée de jeu la concurrence sur le marché mondial face aux artistes soutenus par les grosses pointures de production avec tout l’arsenal médiatique qu’il y a derrière. Le genre musical que je développe n’intéresse pas ces structures qui veulent rentabiliser à très court terme leurs investissements. Entre autre, l’absence des producteurs locaux et le manque de soutien du ministère de la culture tchadienne fait que j’ai du recourir à mes vieilles recettes de l’autofinancement avec l’aide prestigieuse de mon cercle amical africain constitué de Sec Bidens, Caën Madoka, Leny Bidens et Big Mô pour l’essentiel, Boss M.C et Toïngar Keyba Natar comme invités surprise. Sans oublier la participation exclusive de Irène Damnodji pour son youyou, Brigitte Deubdjion N’got et ma fille Binon Patricia pour le chœur. J’ai par ailleurs bénéficié des largesses et de la disponibilité de quelques particuliers dont mon épouse Anne-Marie, N’doram Japhet, Nocky Djédanoum, Dillah Fernand ou encore Daniel Békoutou.  

Ialtchad Presse : - Pour parler du contenu de vos chansons, d’où vous  vient l’inspiration ?
Ingamadji Mujos : L’inspiration est une illumination surnaturelle qui ne se commande pas. Elle vient de partout et de nulle part pourvu que la réceptivité soit au rendez-vous.
Pour ma part, je capte tout ce qui se passe autour de moi et ce que mon environnement culturel me procure au quotidien. Je revisite bien volontiers le grenier de mes ancêtres, créateurs des mélodies envoûtantes, ou encore sais être attentif aux mouvements d’humeur, joies et peines des gens qui m’entourent. Mon inspiration découle de la résultante de mes observations quotidiennes.

Ialtchad Presse : - Avec la chanson Intar Afrika, quel message voulez-vous faire passer ?
Ingamadji Mujos : Intar Afrika qui veut dire « lève-toi mon Afrique » est un clin d’œil au panafricanisme, un appel à la prise de conscience de toutes les forces vives du continent à faire une autre guerre, celle contre la misère et tous les fléaux qui le minent. L’actualité est loin de me démentir. J’en appelle à tous ces attentistes un réveil et une mise en commun de leurs compétences pour un meilleur développement de l’Afrique.

Ialtchad Presse : - Quel est le regard d'Ingamadji sur la musique tchadienne d’aujourd’hui ?

Ingamadji Mujos : Après 13 ans d’exil, j’ai eu l’opportunité de retourner au pays en 1999, de partager et la scène et mon expérience avec les musiciens locaux. Mon sentiment est que j’écoute de la musique exécutée par des musiciens tchadiens et qui est évolutive à bien des égards. N’étant pas musicologue, je me réserve le droit de porter un jugement sur la musique tchadienne en général. La musique contemporaine tchadienne, car c’est de cela qu’il s’agit je suppose, même s’il elle est bien interprétée, a des soucis à se faire car la qualité du produit reste l’une des priorités pour la diffusion sur le marché. Quelques groupes émergent certes, mais la majeure partie reste sur des méthodes rudimentaires avec pour obsession invalidante la copie maladroite des musiques dites « à la mode », pourvu qu’elle soit à la mode.

Ialtchad Presse : - Quels conseils prodigueriez-vous aujourd’hui, aux jeunes qui veulent faire carrière dans la musique ?  
Ingamadji Mujos :
Le monde musical est assez complexe avec son système d’entonnoir qui filtre sans pitié et qui laisse beaucoup de « résidus » sur les carreaux. En règle générale, très peu de musiciens africains vivent dûment de leur art. Je n’entends pas décourager mes jeunes frères qui veulent tenter l’aventure car qui ne risque rien n’a rien dit-on. Je leur suggérerai tout simplement que c’est une science inexacte avec beaucoup de paramètres qu’on ne maîtrise pas forcément. Il vaut mieux mettre toutes les chances de son côté en épousant le pragmatisme avec la musique comme échappatoire plutôt que de la hisser en première intention comme gagne-pain. Personnellement, comme vous l’aurez constaté, je suis de nature pessimiste. Je relègue la musique au rang de la passion et j’ai moins de soucis de ce côté-là. A chacun sa belle étoile.  

Ialtchad Presse: - En tant qu’artiste, l’indifférence à la culture des différents gouvernements qui se sont succédés au Tchad doit vous toucher particulièrement. Comment l’analysez-vous ?
Ingamadji Mujos : Il ne m’appartient pas de commenter les choix et décisions politiques des gouvernements successifs du Tchad dans ce domaine. Je ne fais pas le procès des nominations ministérielles mais permettez-moi de vous dire amicalement que si ce n’est par ignorance, c’est sans nul doute par incompétence. Le problème est avant tout de savoir si une politique culturelle a été définie dans la déclaration de politique générale du gouvernement. A ce que je sache, comme dans beaucoup de pays d’Afrique et le Tchad n’épargne pas à la règle, quand un Ministre est nommé c’est pour service rendu. Dès lors, il en profite pour soigner sa propre image et agrémenter son carnet d’adresses plutôt que de penser à l’intérêt national. La culture reste et restera un de ces gigantesques chantiers qu’il faudrait avoir l’humilité de la confier à des techniciens compétents et de bonne moralité plutôt qu’à des aventuriers par complaisance.
En tant qu’artiste, je suis bien sûr frustré par cette indifférence à la culture et très outré d’apprendre comment se gère ce ministère. Il ne faut pas perdre de vue que la culture reste tout compte fait le pivot de l’unité nationale. On préfère s’intéresser à l’appartenance clanique ou la tendance politique de l’artiste plutôt que de lui donner les moyens d’améliorer ses performances artistiques pour être concurrentiel sur le circuit international afin de défendre par la même occasion l’intérêt national. La renommée d’un pays ne passe-t-elle pas par cet outil ?
Et la simple reconnaissance de l’artiste ? Et l’artiste tchadien lui-même dans tout ça. A-t-il seulement pris le temps de se considérer et de valoriser son art si ce n’est attendre désespérément l’inespéré de son ministère de tutelle ? Je ne suis finalement pas mécontent d’avoir cheminé seul avec les moyens de bord, sans attendre la bénédiction de quelque ministère que ce soit. La reconnaissance viendra sans doute à titre posthume ce qui ne sera pas un vain sacrifice pour les générations futures, désireuses de gérer le patrimoine culturel tchadien.

Ialtchad Presse : - Une dédicace pour www.ialtchad.com ?
Ingamadji Mujos : A chacun ses compétences pour faire le deuil de ce Tchad de guerres, de haine et de conflits. La création de ce site reflète la parfaite illustration de mon message Intar Afrika à défaut de « Intar Tchad ». L’hymne tchadien que vous avez mis en valeur aura le mérite de faire vibrer le cœur de tout ialtchad qui navigue sur le www.ialtchad.com.

Ialtchad Presse : - Avez-vous un message particulier pour les ialtchad qui vont vous lire ?
Ingamadji Mujos : Que souffle en chacun des ialtchad un vent de paix, d’amour et de tolérance pour des lendemains qui enchantent.

Ialtchad Presse : - Vos perspectives d’avenir ?
Ingamadji Mujos : A très court terme, d’ici la fin de l’année 2002, la sortie en K7 vidéo de mon concert en live au Centre Culturel Français de N’djaména en novembre 2000 avec l’orchestre Gombo Salsa. Vous avez entendu parler du retour du Pape du Dala. Ce fut un événement au Tchad après 14 ans d’exil. L’occasion vous est enfin donnée de découvrir et de faire découvrir quelques unes des danses du Tchad exécutées par des rares bijoux du terroir avec une chorégraphie hors du commun et l’ambiance survoltée du Centre Culturel de N’djaména. Profitez-en pour faire plaisir aux proches pour leurs fêtes de fin d’année.
En parallèle je prépare activement un disque Apocalypsid@, en hommage aux victimes du sida qui sortira d’ici la fin de l’année ou au début de l’année 2003 si les conditions sont toutes réunies. Il aura le mérite de répondre aux attentes des mélomanes épris des sonorités traditionnelles assurées des mains de maître par le talentueux balafonniste Keyba Toïngar Natar. S’en suivra un projet de lutte contre le Sida baptisé du même nom de l’album Apocalypsid@ ou la musique pour la lutte contre le sida au Tchad, à l’initiative de 3 artistes de la diaspora dont N’djekery Noël (écrivain), Keyba Natar (conteur, comédien, chorégraphe) et moi-même. L’objectif reste la contribution à la prévention contre le Sida au Tchad et plus précisément à Moundou. Un exemplaire du projet sera remis au site www.ialtchad.com pour tous ceux qui veulent s’associer à cette action.

Ialtchad Presse : - Merci Ingamadji Mujos, nous te souhaitons beaucoup de succès. 
Ingamadji Mujos : Merci petit frère Hamid Kodi. 

Interview réalisée par    
Hamid Kodi Moussa

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