samedi 23 novembre 2024

Tchad : projet pétrolier

Written by  Mar 30, 2002

PROJET PÉTROLIER, INFLATION ET PAUVRETÉ AU TCHAD
La montagne accouchera-t-elle d’une souris ?

INTRODUCTION

Jadis connu comme l’un des pays les plus pauvres et où sévit une guerre interminable, le Tchad est aujourd’hui en passe de devenir un des pays les plus médiatisés à cause de l’exploitation de son pétrole. Le pétrole tchadien semble attirer plus d’un regard alors même que le peuple tchadien semble surpris et que des débats contradictoires semblent aujourd’hui s’estomper. Derrière les Institutions de Breton Wood, l’on semble s’être s’accordé sur l’idée que ce projet, actuellement le plus important d’Afrique de par le montant des investissements, et unique en son genre pour son approche en terme de réduction de la pauvreté et de gestion des ressources, constitue une chance unique pour sortir le pays de la misère et d’une situation structurellement chaotique.

   Aujourd’hui, l’heure n’est plus aux projections et aux investigations de l’esprit. Le pays vit réellement l’ère pétrolière quoiqu’aucune goutte de pétrole ne soit encore sortie du sous-sol. Il n’y a qu’à examiner les indicateurs macroéconomiques du pays (emploi, investissement, etc.), l’effervescence qui a gagné le peuple tchadien, les investisseurs privés intéressés par l’Afrique et de descendre dans la zone pétrolière (Doba, Moundou, Komé) pour avoir une idée sur la fièvre qui a atteint tout le pays.

   L’heure semble donc avoir sonné pour commencer à analyser l’impact de ce projet sur l’économie tchadienne et en particulier sur le niveau de vie et la pauvreté.

   Le projet pétrole tchadien, projet défini par la Banque Mondiale comme un projet de lutte contre la pauvreté, est un vaste chantier destiné à forer et transporter le pétrole brut de Doba vers une facilité de stockage représenté ici par le port camerounais de Kribi, est réputé pour le Tchad réduire la pauvreté et mettre le pays sur la voie de la croissance économique. Or, la théorie économique est claire sur ce point : la croissance économique à court terme a un effet néfaste sur l’inflation.

   En effet, la croissance économique dans ce contexte se traduira non seulement par un accroissement du revenu des ménages, la hausse de l’emploi mais aussi et surtout par un accroissement des dépenses de l’Etat. La hausse du revenu aura pour conséquence une hausse artificielle des prix mais aussi une hausse de la demande en biens et services. La hausse de l’emploi se traduira quant à elle par une augmentation de nouveaux agents sur le marché des biens et services, ce qui contribuera à accroître la demande intérieure. Quant aux dépenses de l’Etat, ses conséquences seront directes sur la demande intérieure. Une fois née, l’inflation devra ensuite s’auto-entretenir par ses effets sur les coûts de productions. Dans un premier temps, par ses effets sur les coûts de la matière première et ensuite sur le niveau des salaires, les salariés devant chercher à maintenir, sinon améliorer leurs pouvoir d’achat. Tout ceci se traduit par un gonflement de la demande. Il faut nuancer ces propos toutefois. En effet, la hausse de la demande intérieure se partage entre biens échangeables et biens non échangeables. Il peut y avoir des effets de substitution et des arbitrages à faire entre ces biens. En outre, les investissements peuvent se traduire par un accroissement de la demande en biens importés plus important qu’en biens intérieurs. Malgré tout cependant on doit assister à la hausse des prix des biens non échangeables et même des biens échangeables si l’Etat ne favorise pas la concurrence au niveau du secteur des entreprises d’import-export.

   Or à court terme, l’offre est rigide ; l’ajustement se fait alors par les prix. En outre l’inflation baisse le pouvoir d’achat des ménages, ce qui provoque du même coup un accroissement de la pauvreté. Il semble donc qu’il y ait une contradiction apparente à court terme entre les objectifs de réduction de la pauvreté et ceux de croissance économique. Il se pose ainsi, à court terme, le problème de la formulation de la politique économique à mettre en œuvre pour endiguer les effets contradictoires liés à l’exécution de ce projet. Quelle politique économique le gouvernement tchadien doit-il mettre en œuvre, à court terme, pour atténuer les effets néfastes de la croissance sur la pauvreté ?

   Dans le cadre du Tchad, pays sous-développé où l’économie dépend, jusqu’ici, fortement des aléas climatiques, cette problématique de la réduction de la pauvreté par la croissance est encore plus importante. Il y a de nombreuses contraintes sur les capacités de productions et de nombreux aléas (climatiques, volatilité des cours mondiaux du pétrole, etc.). L’ajustement de l’offre nationale, essentiellement agricole, à la demande sur le marché des biens pourrait-il se réaliser rapidement de sorte à résorber le déficit et réduire l’inflation ? En outre, les commerçants n’auront-ils pas toujours tendance à accroître continuellement et cela de manière artificielle les prix ? D’autre part, le regain d’activité dans le secteur privé dans un contexte où le marché d’emploi est restreint ne va-t-il pas accentuer l’inégalité sociale urbaine entre salariés du secteur public et ceux du secteur privé ? Quels en seront les conséquences sur le degré de motivation des agents de l’Etat? Par ailleurs, en ce qui concerne la population rurale, l’inflation ne va-t-elle pas accentuer la pauvreté à long terme de la population rurale dont le revenu est soumis aux desiderata des conditions climatiques et incapable d’accroître leur offre ? Quel sera le comportement des décideurs politiques dont l’objectif est de faire de bons mandats ? Mais avant tout, le pays ne dispose pas encore d’un appareil statistique solide pouvant mesurer l’évolution des impacts du projet pétrole sur la population. Il est à relever par exemple que pour les prix, la base de l’indice est 1988, soit avant le rétablissement des salaires normaux en 1990, avant la dévaluation de 1994, ce qui pose aujourd’hui le problème de la fiabilité de l’indice et qui plus est, ne rends compte que de la situation de la ville de N’Djamena. Or le pôle d’inflation, s’il y en a, est situé dans la zone pétrolière. Il est alors fondamental de se demander quel est la véritable ampleur de la situation, puisque le taux d’inflation officielle calculée, de 2,5% en 2000 semble manifestement minimiser le phénomène. La mise en œuvre du projet pétrole tchadien suscite donc bien des interrogations.

   D’abord, quel est le niveau réel de l’inflation aujourd’hui ? Comment va-t-elle évoluer dans le futur ? Quel impact l’inflation va-t-elle jouer sur l’objectif de réduction de la pauvreté ? Quels sont les conséquences sur l’inégalité et sur le marché de l’emploi au Tchad ? Quelles peuvent alors être les politiques économiques à mettre en œuvre pour résoudre les problèmes engendrés ?

   Ce papier tente, à partir des hypothèses sur l’évolution de l’économie et sur le comportement des décideurs politiques, d’analyser l’impact que ce projet qui suscite tant d’espoir aura sur l’économie et sur la pauvreté. Il tentera de donner des pistes d’options de politiques économiques à mettre en œuvre afin qu’il puisse combler les attentes qu’il créée aujourd’hui. Il mettra un accent particulier sur les conséquences que peut avoir l’inflation sur l’efficacité des politiques envisagées pour réduire la pauvreté.

Aussi, dans un premier temps, nous analyserons l’évolution des indices de prix actuellement calculés et montreront que ces indices sont loin de la réalité.

Ensuite, nous décrirons les conséquences d’une probable inflation sur l’économie du pays. Nous analyserons particulièrement les insuffisances des politiques économiques envisagées en rapport avec la pauvreté.

Enfin, dans un troisième temps, nous recenserons les différentes sources de l’inflation et proposerons les mesures de politiques économiques à mettre en œuvre pour réduire ses effets sur la pauvreté.

  1. L’indice officiel des prix minimise l’inflation

Lorsqu’on examine le graphique ci-dessous donnant l’évolution de l’indice des prix, on en arrive à la conclusion selon laquelle l’inflation au Tchad est faible sur la période de 1995 à 2000.


    Graphique 1 : évolution de l’indice officiel des prix à la consommation à N’Djamena (base 100 en 1988) : source INSEED.

En ce qui concerne la période 2000-2001, l’on semble imputer la hausse des prix à la sécheresse qu’a connue le pays durant cette période. Il faut en effet relever effectivement au vu du graphique ci-dessous que l’indice des prix a été fortement influencé par les prix des produits alimentaires et principalement ceux des céréales.


    Graphique 2 : Indice trimestriel des prix de quelques postes (base 100 en 1994)

  Finalement la conclusion à laquelle aboutissent beaucoup d’analystes de la vie économique du pays comme la Banque Mondiale, le FMI, les journaux tels Jeune Afrique Économie est que l’inflation est faible et ensuite qu’elle est même maîtrisée. Si le premier constat est erroné, il en est de même de la logique qui les amène à conclure que la croissance du niveau des prix est maîtrisée. En effet, les statistiques officielles sont loin de la réalité et les populations tchadiennes qui vivent la situation en sont bien conscients. Déjà à l’examen du graphique ci-dessous, l’on se demande pourquoi les fluctuations dans la production agricole des années précédentes n’a pas produit les mêmes effets sur le niveau général des prix que pour la campagne agricole 1999-2000. En outre, l’examen approfondi du graphique montre que tous les indices ont eu la même inflexion à la hausse en début d’année 2000 (sauf les services). En réalité, la mauvaise pluviométrie ne semble qu’un prétexte à la hausse des prix des denrées alimentaires, l’origine de la hausse serait ailleurs.

Graphique 3 : Évolution de la production céréalière de 1990 à 2000 (en milliers de tonnes)

En pointillé : prévision de 2001. (Source : document AFRISTAT et INSEED)

  Principalement deux raisons tendent à prouver que les indices de prix ne reflètent pas la réalité :

-        Dans un premier temps, l’indice des prix officiel est un indice capital, comme dans la majeure partie des pays de la zone franc. Or les conditions de vie de N’Djamena ne peuvent être facilement généralisées à l’ensemble du pays. Il faudra pour cela montrer que les structures de consommation sont homogènes et que les prix évoluent de la même façon dans tous le pays. Ce qui est loin d’être le cas pour le Tchad. En effet, en ce qui concerne les produits vivriers par exemple, les prix dépendent des quantités produites qui elles-mêmes sont fonction de la répartition géographique de la pluviométrie dans le pays. Si deux villes voisines peuvent avoir la même tendance d’évolution des prix (comme c’est le cas de Moundou et Sarh) il n’en va pas de même pour des régions éloignées car les moyens de communication ne sont pas très développés, surtout en saison de pluie. Le champ pétrolier est situé au sud du pays. Et l’accroissement de la population occupée dans cette zone et les compensations effectuées dans le cadre des déguerpissements ainsi que le fort accroissement de la population expatriée crée une forte croissance de la demande de biens et services. Cette croissance de la demande se caractérise aussi et surtout par un gonflement de besoins nouveaux : logements décents, restauration, produits frais, pour ne citer que ceux-là. Ainsi, la zone pétrolière est un pôle important d’inflation. Cela a commencé à se répandre et à se faire sentir au loin. A Kélo, une ville moyenne située à une centaine de kilomètres de Moundou par exemple, le prix de l’œuf a triplé en intervalle de deux ans, passant de 25 Francs à 75 Francs aujourd’hui. A Moundou, on enregistre une forte demande en logements, modernes comme traditionnels. Les expatriés, disposant de revenus importants, ajoutent au phénomène. En effet, ceux-ci ne discutent pas les prix fixés par les commerçants, ce qui amènent ces derniers à avoir une certaine flexibilité dans leur politique de prix.

-         Dans un second temps, il faut noter que même pour la ville de N’Djamena l’évolution de l’indice des prix ne reflète pas la réalité. En effet, les coefficients budgétaires sont ceux de 1988. Or, depuis cette date, il y a eu un certain nombre de changements importants qui, à notre avis, ont affecté durablement la structure de consommation des ménages. Il s’agit entre autre de :

-       Le relèvement du niveau des salaires intervenu au Tchad en 1990 après la longue période de demi-salaire tristement célèbre auprès des fonctionnaires tchadiens ;

-       Les changements politiques intervenu tour à tour : changement de régime, démocratie qui se traduisent par une autre appréciation du climat social ;

-       Les politiques d’ajustement structurel notamment la dévaluation du franc CFA intervenu en 1994, la libéralisation des prix, les privatisations, etc. qui ont affecté, comme dans la plupart des économies de la sous-région, les ménages. Un des effets attendus de cette dévaluation est justement que les ménages se tournent vers les biens de consommation locale. L’autre conséquence de cette politique monétaire est qu’elle a diminué le pouvoir d’achat des ménages.

-       La reprise de la croissance économique de ces dernières années caractérisée principalement aujourd’hui par la baisse du chômage.

Ces éléments sont à notre avis de nature à rendre caduque les coefficients de pondération des indices de prix. Il est à notre avis raisonnable de supposer qu’une correction de cette base pourrait se traduire par une croissance plus forte de l’indice général des prix.

En effet, en ce qui concerne les deux premiers éléments par exemple, ils se traduisent par un relèvement du revenu des ménages et donc une hausse de la consommation finale des ménages. La dévaluation quant à elle, a pour conséquence, du moins théoriquement, une réallocation des ressources des produits importés, devenus plus chers, vers les produits locaux. Mais il faut noter ici que cela ne peut se réaliser que si les quantités consommées de ces produits importés peuvent soit être substitués soit être réduites. Or en ce qui concerne le Tchad où existe un tissu industriel très léger et où la propension à consommer les biens importés est un phénomène plutôt culturel qu’économique, on ne peut s’attendre véritablement que ces quantités importées baissent. Par ailleurs, en ce qui concerne les ménages rurales agricoles, l’autoconsommation étant forte, l’augmentation des recettes tirées des produits exportés pourrait se traduire, comme dans le cas du Togo, par un accroissement de la demande en produits importés Quant au dernier élément cité, on peut raisonnablement supposer qu’il introduit sur le marché des biens une autre classe de consommateurs, plus jeunes, plus nanties puisque d’une manière générale employés de grandes firmes internationales et du secteur privé, d’une manière générale. Il fut ajouté à ce titre également l’introduction de nouveaux produits sur le marché.
 
                                                2.     L’inflation est bien réelle

Le phénomène est donc, à notre avis bien réel. Et l’on est en droit de s’attendre à ce que cela s’intensifie et se généralise sur tout le territoire tchadien. En effet, la croissance économique annoncée est à venir et il faut donc s’attendre à ce que lorsque les différentes sources de l’inflation se soient réalisées, l’on arrive à la situation de certains pays tels le Gabon où le coût de la vie est très élevé et où les populations rurales sont restées très pauvres.

Montrons dans cette section que l’augmentation des prix n’est pas prête à s’estomper. Pour cela examinons l’évolution de la demande et de l’offre.

  1.                             Déséquilibre structurel entre offre et demande

En effet, d’après la théorie économique, l’effet de la croissance sur les prix n’est qu’un effet transitoire car la hausse de la demande devra être suivie d’une hausse de l’offre. Dans le cas du Tchad, que va-t-il se passer ?

Il est certain que le tissu industriel du Tchad, encore très légère, laisse une grande place à de nouvelles unités de production. De même, en ce qui concerne les structures déjà en place, la faiblesse de la production accompagnée des techniques de production très vieillissantes peuvent favoriser leur essor. Cependant, à ces opportunités théoriques de développement s’oppose des difficultés structurelles qui, à notre avis, sont de nature à constituer des obstacles, ou du moins ralentir le développement industriel du Tchad par apport des investissements directs étrangers.

   L’un des obstacles les plus importantes est l’enclavement du pays. En fait, il s’agit moins de l’état d’enclavement que de la mondialisation et des regroupements régionaux. En fait, il s’agit ici de dire que pour qu’une entreprise internationale puisse s’installer ou se développer dans ce nouveau contexte, il faudra qu’il trouve des avantages concurrentiels à long terme dans le pays, dont l’un des plus importants est la compétitivité en termes de prix. Dans le cas du Tchad, le climat politique tend à s’assainir, il y a des programmes importants de construction d’infrastructures routières. Du coté des juridictions, beaucoup d’efforts restent à faire, en ce qui concerne la mise en œuvre des législations internationales, en matière de droits des affaires, OHADA notamment. Le point d’achoppement se trouve surtout au niveau des coûts de production. En effet, dans un contexte inflationniste et sur un marché de l’emploi restreint où le recours au personnel expatrié est important, pour qu’une entreprise s’installe, il faut que dans les pays voisins elle ne puisse pas avoir des avantages concurrentiels. Notre propos ici est que si l’Etat tchadien ne met en place un système incitatif et n’assainie pas le climat économique (maîtrise de l’inflation), l’accroissement de la demande intérieure favorisera le développement des pays voisins, notamment le Cameroun et le Nigeria qui disposent des avantages concurrentiels importants en terme de main-d’œuvre, d’infrastructure et qui, en plus ont l’avantage de partager une longue frontière avec le Tchad (ce qui réduit les coûts de transport). Ce qui se passera alors simplement c’est l’accroissement des importations puisque les accords de libre échange (que cela soit dans le cadre du CEMAC ou du GATT) ne peuvent permettre au Tchad de faire du protectionnisme. Les entreprises d’import-export se développeront fortement (c’est déjà le cas aujourd’hui). Mais les avantages que confère le secteur informel pourront-ils inciter les opérateurs à accroître la taille de leurs structures pour être visible ? Dans ce schéma, le devoir de l’Etat est de mettre en place un programme économique qui puisse rendre le pays compétitif. Cela passe évidemment par la maîtrise de ce qui se passe sur le marché de l’emploi : maîtrise de la hausse des salaires, efforts importants en matière de formation professionnelle. Mais en plus de cela, il faut mettre en place une politique d’industrialisation assez lourde de sorte à réduire les coûts de production des petites unités : secteur énergétiques, secteur des bâtiments, secteur minier.

  1.                Réapparition du syndrome hollandais grâce à la démocratie ?

Il est crucial de se demander quel sera le comportement des dirigeants politiques durant cette phase d’exploitation.

   On sait en effet que l’objectif de tout parti politique c’est de conquérir le pouvoir et d’y rester. Il se pose ainsi le problème de la compatibilité de l’objectif d’une planification de long terme avec les objectifs de court terme du parti au pouvoir. Ce dernier en effet, cherchera, une fois au pouvoir de mener des actions de nature à se faire réélire : politique sociale hasardeuse, investissement de prestige et absence d’une politique restrictive favorisant une croissance de long terme. N’assisterons-nous pas alors à des politiques budgétaires expansionnistes favorisées par l’assurance de disposer des ressources nécessaires au financement des dépenses d’éducation, de santé et autres signés dans le cadre des accords avec les bailleurs ? En clair, l’existence du Comité de gestion des recettes pétrolières ne favorisera-t-elle pas une gestion calamiteuse des autres recettes de l’Etat ? Nous répondrons de notre part par l’affirmative. En outre, il faut signaler que les recettes fiscales pétrolières sont en réalité très volatiles, ce qui pose finalement un problème de gestion budgétaire aiguë aux décideurs économiques. La crainte à ce niveau serait alors que de déficits budgétaires importants puissent exister et que ces déficits soient financés par endettement extérieur.

  1.                                   Finalement quel impact sur le revenu réel ?

La recherche effrénée de la croissance économique ne doit pas nous faire oublier les années difficiles de l’ajustement structurel. Car si l’objectif de croissance élevée est fondé, l’on doit avoir à la tête qu’une bonne croissance est une croissance « qui génère le plein-emploi et la sécurité des moyens de subsistance, encourage la liberté et le contrôle de l’individu sur sa destinée, distribue les avantages équitablement et favorise la cohésion et la coopération sociale et préserve l’avenir du développement humain »[1][1]. Le projet pétrolier est certes une occasion unique pour remettre le pays sur la voie du développement économique. Mais cela correspondra-t-il à une bonne croissance économique ? Ne sera-t-elle pas plutôt une croissance appauvrissant ? Dans les paragraphes qui suivent nous tenterons d’analyser l’impact que ce projet aura sur l’économie et surtout sur le bien-être des populations.

Comme nous l’avions souligné plus haut, pour l’instant, l’effet que les populations urbaines ressentent, c’est la reprise de l’emploi et l’inflation. Abordons la question sous l’angle de l’influence de l’inflation sur le niveau de vie des ménages.

Nous ne nous attarderons pas outre mesure sur les conséquences classiques courantes de l’inflation, sujets que la littérature économique a traité de manière approfondie. Signalons seulement au passage qu’une inflation forte :

-         réduit le contenu informationnel des prix, ce qui les empêchent de jouer leurs rôles dans l’allocation des ressources ;

-         a un impact psychologique négatif sur la population ;

-         a un effet négatif sur l’investissement.

Il est indéniable que le projet pétrolier aura un impact positif sur le revenu nominal des populations urbaines et rurales. Mais l’augmentation des prix viendra atténuer cet effet. Et la question essentielle à ce niveau est de savoir quel effet l’emportera.

v    Au niveau des populations urbaines :

L’effet a ce niveau est indéniable : l’impact du projet pétrolier est favorable sur l’emploi et sur les salaires. Au niveau de l’emploi, on pourrait enregistrer une baisse importante du chômage due à la hausse de la demande des sociétés pétrolières mais aussi des autres sociétés annexes qui s’installent. En ce qui concerne les sociétés pétrolières uniquement, il est prévu que le projet crée environ 4000 emplois directs. Les restructurations intervenues dans les secteurs bancaires et des télécommunications et la croissance qui s’en est suivie sont autant d’opportunité qui se sont crées pour les jeunes tchadiens qui ont une certaine formation professionnelle. A l’exemple de l’ensemble du secteur moderne tchadien, le graphique suivant donne l’évolution de l’emploi au sein de 5 entreprises suivies par le service de la Comptabilité Nationale du Tchad. Le graphique d’après donne, quant à lui, le niveau moyen des salaires au sein de ces entreprises.

Graphique 4 : Effectif moyen employé dans 4 entreprises modernes suivies par le service de la Comptabilité Nationale (source : INSEED)

Graphique 5 : Evolution du salaire moyen mensuel dans 5 entreprises modernes de la ville de N’djamena.

   Si la reprise de l’emploi est nettement visible sur le graphique 1, par contre le niveau moyen des salaires ne reflète pas une amélioration des revenus. Si l’on y ajoute l’effet de l’inflation on pourrait arriver à la conclusion que sur la période il y a une baisse du pouvoir d’achat des ménages concernés.

En ce qui concerne le secteur public, l’on n’a pas assisté à une augmentation des salaires depuis les ajustements effectués au lendemain de la dévaluation du franc CFA. L’évolution des salaires dans ce secteur ne peut ne peut être continu comme celui du secteur privé où les salaires sont, au moins théoriquement, négociés au moment de la signature des contrats. Il faut noter déjà que le niveau des salaires à la fonction publique tchadienne est plus faible. Et si l’on suppose en plus que ces salaires ne peuvent évoluer que par sauts successifs dont l’amplitude ne peut être indexé au coût de la vie, l’on se rends compte combien la croissance engendrera une inégalité sociale importante entre salariés.

Quelles conséquences pour le service public ?

On peut se rendre compte que cette situation ne pourra que favoriser la corruption et le clientélisme et créer de la démotivation. Comme on peut le constater dans certains pays tels la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le salaire bas, source de demotivation, devant le coût de la vie, en perpétuelle hausse, engendre une paupérisation qui n’est supportable, pour les fonctionnaires, que grâce aux pots de vin.

  v    Au niveau des populations rurales

Sans investissement important on ne peut assister à une amélioration de la production des cultures vivrières habituelles. Tout au plus on pourrait assister à une spécialisation dans certaines cultures nouvelles telles les salades afin de répondre aux besoins nouveaux. En effet, pour qu’il y ait hausse de la production dans un contexte où les techniques agricoles sont rudimentaires et où la production dépends des aléas climatiques, il faudra prévoir des investissements importants, ces investissements devant être axés entre autres sur les techniques d’amélioration des rendements et la lutte contre l’exode rural. En effet, le développement de l’éducation, l’attrait pécuniaire des villes accélérerons la baisse de la population active agricole et mettront en péril le développement de ce secteur. Pour l’agriculture d’exportation, le schéma auquel on doit s’attendre est l’abandon progressif de la culture du coton surtout que les cours de cette matière première ne cessent de chuter. Il est possible que la réorientation se fasse au profit des cultures vivrières destinées pour la commercialisation dans les centres urbains (salade, oignons, tomates, etc.).

En outre, en ce qui concerne l’élevage, effectivement dans ce secteur, on peut s’attendre à une intensification de l’élevage de poulets de chair, porcs, etc. qui répondent aux besoins nouveaux. Il est cependant illusoire de penser que les moyens de production pourront permettre de réaliser des gains substantiels à moins que les ONG de développement intensifient leurs actions dans le sens de la distribution de crédits et l’assistance technique. Sans cela, on ne peut assister à une accumulation de capital suffisant à même de financer les activités. Il faut noter également que le secteur élevage est très peu organisés. On constate tout au moins quelques opérateurs, qui, le plus souvent sont dans le cercle du pouvoir et qui s’accaparent de tous les bénéfices en imposant des prix qui sont très peu corrélés aux coûts de production. Il est connu des noctambules des quartiers Diguel, ; Dembé et Chagoua que l’exportation du bétails sur pieds se fait la nuit sur le ponts Charles de Gaulle, au mépris des législations en la matière.

Examinons maintenant l’évolution des dépenses.

Il est impossible que l’inflation puisse s’arrêter au niveau des centres urbains. L’on doit en effet s’attendre à ce qu’elle se propage des pôles vers la périphérie. En effet, le renchérissement des biens importés ne peut s’arrêter aux milieux urbains. En outre, en ce qui concerne les produits locaux, on ne peut éviter que la hausse des salaires dans les centres urbains se répercute au niveau des prix des biens produits. Certes, il est vrai que le développement des infrastructures routières atténuera les coûts de transports de ces biens. Mais dans le même temps, il permettront l’ouverture sur d’autres biens de consommation. Du coté des services publics, le programme de développement arrêté de concert avec la Banque Mondiale est que les ressources devront servir, dans une grande part aux secteurs tels la santé, l’éducation, l’agriculture et les infrastructures. L’Etat fera ainsi en sorte que les services publics soient disponibles pour ces populations. Mais peut-on envisager la gratuité de ces services ? Il ne peut en être évidement le cas. On peut donc s’attendre à ce que les besoins des populations rurales s’accroissent alors même que leurs ressources ne pourront leur permettre de s’en offrir. La question qu’il importe de se poser est donc de savoir quel sera l’impact sur leur perception de bien-être ? C’est pourquoi la politique consistant simplement à réduire la pauvreté d’existence par l’offre de services publics ne peut être considérée comme une politique efficace de réduction de la pauvreté. La réduction de la pauvreté implique, comme l’ont souligné Geoffrey J & Al.[2][2], que les pauvres puissent participer à la croissance et non simplement bénéficier des fruits de cette croissance. En plus, l’imprévisibilité des cours du pétrole ne peut assurer une stabilité des recettes budgétaires. Ce qui se traduira alors par une instabilité de la qualité (prix, disponibilité, etc.) des services offerts à moins de recourir au fonds pétrolier ou à l’endettement, ce qui n’est pas à exclure.

CONCLUSION
    On a semble-t-il tout dit sur le très médiatisé projet pétrolier tchadien. On a tout dit mais on n’a pas dit l’essentiel. En effet, si le débat sur les conséquences écologiques sont en train de s’estomper, si celui concernant le partage « inéquitable » des revenus pétroliers entre le consortium, le Cameroun et le Tchad tient encore en haleine les Tchadiens, manifestant subitement un nationalisme hystérique, si par ailleurs l’on spécule sur le comportement qu’adopteront les dirigeants politiques, l’on s’est très peu interrogé sur les politiques macroéconomiques envisagées, leurs efficacités et les conséquences de ce vaste projet sur le niveau de bien-être de la population.

   L’un des phénomènes qui marquent aujourd’hui durablement la zone pétrolière et la capitale est la croissance continue des prix du panier de la ménagère depuis quelques années déjà. De 1994 à 2001, les prix ont augmenté de plus de 57% entre les deux dates dans la capitale (voir tableau ci-dessous). Et seulement entre 2000 et 2001, on a enregistré une croissance de 23,4%. Ces taux sont au dessus de la moyenne de la zone CEMAC.

  Evolution de l’indice officiel des prix à la consommation de 1994 à 2001 (base 100 en 1994)

Année

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

Indice des prix

100

109,01

121,95

129,15

134,83

123,34

127,67

157,50

      Dans la zone pétrolière, la forte croissance du coût de la vie n’est malheureusement pas appréhendée par les statistiques officielles, mais d’après les témoignages qui nous parviennent de la zone, on doit s’attendre à une hausse plus importante depuis deux ans au moins. Durant la même période cependant, le niveau des revenus des salariés n’a pas augmenté dans la même proportion. Que dire des ménages ruraux, soumis aux desiderata climatiques, au cours des marchés du coton en chute depuis plusieurs années et incapable d’accroître leurs productions. Quelles conséquences aura l’exode rural sur le niveau de la production agricole et les prix des produits agricoles ? Quel sera le comportement des dirigeants politiques devant la grogne sociale qui ne manquera pas de se manifester face à la détérioration continue du pouvoir d’achat ?

   En ce qui concerne le premier point, on peut remarquer que la hausse des prix des produits agricoles est artificiellement créée par les commerçants mais aussi par la hausse de la demande. Et cela ne profite pas aux producteurs, peu organisés et qui sont plus ou moins déconnectés des marchés sur lesquels les commerçants échangent avec les consommateurs finaux. Même si croissance des prix au niveau des marchés ruraux il y a, on ne peut imaginer qu’elles puissent compenser la perte en pouvoir d’achat due à l’accroissement des charges dont fait face les ménages ruraux (coûts de production, prix des biens industriels, coûts de la santé, etc.).

   L’attrait de plus en plus croissant qu’exerce les villes sur les jeunes ruraux créera certainement un déficit en production agricole et renforcera la croissance des prix agricoles. On assistera alors à une forte dépendance vis à vis de l’extérieur et gare alors à l’inflation importée ! Cette inflation importée sera d’autant plus forte que le pouvoir en place ne favorisera pas la concurrence dans le secteur des entreprises d’import-export. En effet, si une poignée de personnes détient le monopole de l’importation de certains biens, elles pourront fixer, de manière discrétionnaire, les prix dans un contexte de libéralisation des prix.

   Quel sera alors le comportement des dirigeants politiques tchadiens ? On sait que le but de tout parti politique est de conquérir le pouvoir et d’y rester. On comprendra donc que les objectifs des dirigeants politiques soient de conserver l’électorat et de dorer leurs images politiques. Dans le contexte particulier du Tchad on ne sera pas surpris de constater que le pouvoir cherchera à satisfaire la grogne sociale en augmentant les salaires à chaque revendication, à se lancer dans les politiques budgétaires expansionnistes dans le seul but de faire un bon mandat, sans souci du lendemain et sans assurance de la stabilité des recettes publiques. Syndrome hollandais et démocratie, tout un débat….. Au niveau du secteur privé, la faiblesse de l’offre de travail qualifiée face à une demande croissante créera d’elle-même une augmentation des salaires. Et un spirale inflationniste se mettra alors en place…

   A quoi peut-on alors s’attendre au bout de quelques années ? Il n’est pas illusoire de penser qu’on aurait atteint la situation du Gabon dont le contraste est saisissant entre le milieu urbain, Libreville notamment, dont le revenu par tête est l’un des plus élevé d’Afrique et la zone rurale demeurée extrêmement pauvre. A qui profitera la croissance économique ? La Banque Mondiale table sur les conditions d’une croissance à long terme en insistant sur l’investissement en éducation, santé et infrastructures. D’ici là, il faut que la population ressente une amélioration de son bien-être pour assurer une stabilité politique. Ces mesures envisagées de concert avec le gouvernement sont donc insuffisantes. Ce qu’il faut, c’est de chercher absolument à ce que les pauvres participent à la croissance et non pas leur faire bénéficier bonnement les fruits par une simple politique sociale de redistribution. Ainsi, l’Etat devra absolument mettre en place une politique permettant d’accroître la production nationale (agricole comme industrielle) et endiguer l’accroissement des importations. Il devra également, sans tarder, favoriser la formation professionnelle de sorte à ce que l’ajustement de l’offre à la demande sur le marché de l’emploi ne se fasse pas par les prix et un recours à la main-d’œuvre étrangère. Cette politique devra permettre aussi de se mettre à l’abri de la menace que constituent l’intégration économique et la mondialisation pour l’économie nationale fragile et très peu compétitif à ce stade. L’attrait de l’économie devra se faire aussi par un effort d’industrialisation lourde (mine, énergie, bâtiment) favorisant l’installation d’industries plus légères. Par ailleurs, une politique des dépenses publiques responsable devra prévaloir durant toute la période d’exploitation, de sorte à ce qu’un recours à un endettement important pour financer les déficits publics (ce risque est très important puisque les recettes pétrolières sont indexées sur les cours du pétrole qui sont de nature très volatile) ne réduise à néant l’objectif consistant à épargner les revenus du pétrole pour les générations futures.

   Moi, j’en veux pour preuve ce vieux proverbe Peul: « il faut creuser les puits aujourd’hui pour étancher les soifs de demain » !!

[3][1] Problèmes économiques n°2.510-511 (p.69)
[4][2] Finances &Développement, Décembre 2001, p49

BIAKA TEDANG Djoret 

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