Goukouni Weddeye : Mon pays, la Paix et Moi
“Le Tchad d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier à moins qu’on veuille délibérément le juger au passé.”
Le 19 août 2009 dernier Goukouni Weddeye, Président de la République du Tchad à deux reprises : 23 mars 1979 - 29 avril 1979 et 3 septembre 1979 - 7 juin 1982, est rentré définitivement au pays après 27 ans d’exil. Ialtchad Presse est partie à sa rencontre et son Excellence à bien voulu nous confier ses prochaines vues. Il se dit absolument disponible pour se mettre au service de son pays. La paix, la réconciliation nationale et le développement socio-économique du Tchad sont à l'avenir ses préoccupations.
Ialtchad Presse : Bonjour Mr le président. Goukouni Weddeye de retour, lassitude de l’exil ou fruit de la politique de la main tendue du Président Idriss Deby Itno ?
Goukouni Weddeye : Ni l’un, ni l’autre, mon retour est plutôt basé sur ma propre conviction à la nécessité d’apporter une contribution dans le cadre de la paix au Tchad. C’est pour cette initiative que j’ai entrepris en 2007 des démarches auprès du feu Président gabonais Oumar Bongo. Ces démarches ont abouti à une réunion que j’ai eu à présider avec certains opposants et d’autres personnalités politiques tchadiennes, c’était la conférence de Libreville de juillet 2007. Après Libreville, nous avons eu à rencontrer le Président Idriss Deby Itno à N’djamena, nous nous sommes informés de son avis afin d’harmoniser nos opinions. La rencontre s’est bien passée, le Président nous a donné son approbation et nous a exhorté à poursuivre notre initiative. C’est dans ce cadre que des comités de paix et de réconciliations ont été mis sur pied.
Malheureusement, nos démarches ont été sabotées par des manques de volontés de part et d’autres. Des pays stratégiquement importants pour la paix au Tchad comme la France, la Libye, le Soudan nous ont bloqué la porte en refusant de soutenir nos démarches. A ces difficultés, s’ajoute la mort du Président Oumar Bongo, notre principal soutien.
En définitif, nous avons jugé qu’il serait judicieux d’engager des discussions directes sur place à N’Djamena avec le Président Idriss Deby. J’avoue qu’il n’a ménagé aucun effort quand il s’agit de paix au Tchad. Ouvrir des discussions inter-tchadiennes sur place est la solution adéquate. Voilà en gros ce qui a motivé mon retour.
Ialtchad Presse : Déjà en 1993 vous étiez là lors de la conférence nationale souveraine, et brûler symboliquement des armes. Mais vous regagniez plus tard votre exil. En quoi ce second retour sera différent du premier ?
Goukouni Weddeye : Vous savez, lorsque la 1ère fois j’étais venu m’associer au président et au 1er ministre pour brûler les armes, c’était avec la ferme conviction de mettre un terme à toute hostilité armée. Mon honnêteté ne souffre de rien, j’avais bien assisté à la conférence nationale. Cependant beaucoup de tristes événements sont venus jalonner le parcours de notre pays et saper nos belles initiatives. Des oppositions armées au Lac, au Sud, au Nord et la guerre n’a jamais été aussi présente avec son corollaire de victimes. Beaucoup de tchadiens seront tués, des familles entières décimées et des vies brisées. Je ne peux revenir et cautionner tout cela. Aujourd’hui vous conviendrez avec moi qu’il y a eu des changements notables, bien que cahin-caha, le pays est dans une dynamique de stabilité et de développement. L’accord du 13 août 2007 entre le gouvernement tchadien et l’opposition démocratique est un pas considérable vers une stabilité politique du pays qui est gage de tout développement. Des importantes lois ont été adoptées, une commission électorale a été créée d’un commun accord. Aussi, il faut le noter, peu sont ceux qui croient aujourd’hui à la solution militaire, ce qui fait que beaucoup de nos frères sont revenus ou sont en négociations. Il y a là une réalité des volontés des tchadiens et autant il faut apporter sa contribution, venir aider ceux qui ont la volonté de faire quelque chose pour l’avenir de notre pays. Le Tchad d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier à moins qu’on veuille délibérément le juger au passé.
Ialtchad Presse : Après 27 ans d’exil, quels sont aujourd’hui vos sentiments ?
Goukouni Weddeye : Au vu de tous les problèmes et autres désolations fratricides qu’a connu ce pays, il y a lieu d’espérer aujourd’hui. Le pays commence à avoir un peu de souffle, que chacun apporte le sien pour seconder celui du pays. Certes, beaucoup reste à faire, mais nous avons là une opportunité à saisir, à essayer de redresser ce pays et personne ne nous reprochera d’avoir osé.
Ialtchad Presse : À la sortie d’une audience avec le Président Idriss Déby Itno vous affirmiez vouloir être utile pour le pays, à quel titre et comment comptez-vous, vous y prendre ?
Goukouni Weddeye : Le titre importe peu, je veux aider mon pays uniquement dans le cadre de la paix, apporter ce que je peux, et cela en toute circonstance, sans rien attendre.
Ialtchad Presse : Comptez-vous assumer un rôle politique si possible ?
Goukouni Weddeye : Je ne dirais pas non dans le cadre de la paix, je suis là pour contribuer à la stabilité, à la démocratie et au développement de mon pays.
Ialtchad Presse : Depuis l’indépendance, le Tchad a toujours été confronté à la guerre et son corollaire d’instabilité, vu vos expériences personnelles, quels enseignements avez-vous tiré ?
Goukouni Weddeye : Rien n’est pire que la guerre, le retard que le Tchad accuse aujourd’hui dans tous les domaines est dû aux hostilités qui ont circonscrit la destinée du pays. Cependant la lutte déclenchée par Brahim Abatcha et suivi par nous même dans le cadre du FROLINA a apporté un grand changement sur l’orientation politique du pays qu’il fallait nécessairement corriger la dérive à l’époque. Sur ce point, personnellement je n’ai rien à regretter. Pour revenir à la question, l’état du Tchad et surtout la situation de ceux qui y habitent résument en eux même tout. L’urgence ce n’est pas de confabuler sur les responsabilités des uns ou des autres, c’est plutôt de s’employer à mettre fin à cette tragédie tchadienne.
Ialtchad Presse : Il s’avère qu’il y a encore des tchadiens qui croient au changement par les armes, votre point de vue ?
Goukouni Weddeye : Sur ce point, j’ai une position tout à fait différente à ceux qui pensent ainsi. Voilà plus d’une quarantaine d’années qu’on fait le plaidoyer de la guerre, je crois que tout tchadien doit comprendre que le dialogue reste l’issue adéquate pour régler nos différends. Toujours penser à résoudre les obstacles par les armes, est à mon avis une grosse erreur, regardons seulement la posture du pays par rapport aux pays voisins.
Ialtchad Presse : Pour terminer
Goukouni Weddeye : Oui ! Je souhaite à mon pays et au peuple tchadien la paix, la démocratie et la prospérité, ce sont là, les nécessités pour l’heure. L’unité de tous les tchadiens est une impérative pour la reconstruction du pays. Bannissons cette quête de l’intérêt personnel pour l’intérêt de tous, et pensons au devenir de nos enfants.
Moussa Yayami, Hamid