La politique française au Tchad semble prendre un coup ces dernières heures au Tchad. La haine contre la France et ses intérêts est remarquée à travers les actes et les paroles de certains Tchadiens qui se disent exaspérés par le soutien français à la junte militaire. Plusieurs Tchadiens pensent que la France a abandonné le peuple tchadien pour ses intérêts personnels. Ialtchad Presse vous propose des réactions des Tchadiens et l’analyse du politologue Dr Évariste Ngarlem Toldé.
Difficile d’aborder la question de la politique française au Tchad sans que les réactions des Tchadiens ne soient vives. Yacoub Saleh est habitant du 3e arrondissement de N’Djamena, capitale tchadienne. « Ne me parlez pas de la France. Même le nom me fait vomir. Ils sont mauvais ces Français-là. Jamais la France ne veut nous coller la paix, mais Dieu les voit. Elle rendra un jour compte pour ses ego envers le peuple tchadien» déclare ce jeune homme de 28 ans, très fâché.
Nous sommes au quartier Moursal, dans le 6e arrondissement. Nous rencontrons M. Nouba-asra Tarasdé. Selon lui, il n'y a rien à cirer avec la France. «La France continue à nous enterrer, mais toute la malédiction de Dieu sera sur eux. Ce sont des gens très mauvais, les Français», a clamé ce monsieur d’environ 58 ans.
Pour Dr Evariste Ngarlem Toldé, Politologue, enseignant chercheur à l’Université de N’Djamena, si la France est indexée c’est parce que les Tchadiens voient sa main dans ce qui se passe dans leur pays. «Vous savez, l’impression qu’on a c’est comme si, la France a cautionné le changement du régime sinon sa continuité qui n’est autre que monarchique, dès l’instant ou le fils prend la place du père. C’est ce qui a fait que les Tchadiens portent un autre regard sur la France», dit-il.
Pour le politologue, tout le monde sait le rôle joué par la France depuis l’indépendance du Tchad jusqu’aujourd’hui. L’enseignant chercheur précise que ce dernier temps, il y a une rude concurrence en Afrique avec la présence des Chinois, les Turques, les Américains, mais aussi de la Russie. «La France veille à sa chasse gardée qu’est le Tchad. Un pays stratégique et un allié dans la lutte antiterroriste», dit-il. D’après Dr Évariste, la France joue ce jeu et les Tchadiens la considèrent comme soutenant ce régime anticonstitutionnel. Il rajoute en rappelant que la France a joué la complice dans la mort ou le départ du président Tombalbaye. En 1978-1979 poursuit-il, la force française dirigée par le Général Forest à l’époque et le gouverneur qui assurait le service de renseignement avait laissé les rebelles entrés dans la capitale et créer une guerre civile pour chasser le président Félix Malloum du pouvoir. Et «ceux-ci ont plié bagages et ont laissé les Tchadiens dans le désarroi», affirme-t-il. Le politologue rappelle encore que même en 1990, la France a fermé les yeux pour que Hissène Habré soit battu à plate couture par la rébellion du Mouvement Patriotique du Salut (MPS) en ne fournissant aucun renseignement aux forces gouvernementales.
Dr Évariste note également que la France donne l’impression encore d’un soutien actif au Conseil Militaire de Transition (CMT). Elle le fait simplement parce que le fils prend la place du père à un moment ou tout le monde appelle à un retour à la constitution avec une transition civile. « C’est trop pour les Tchadiens qui ont vu la France faire toujours des coups bas dans ce pays. Elle fait du Tchad un terrain ou elle pratique son sport favori, utiliser les gens qu’elle veut», analyse-t-il.
Aujourd’hui, affirme-t-il, les Tchadiens ont compris cela et personne n’est dupe. « Il vous souviendra il y a quelques années, la France est intervenue pour bombarder une colonne rebelle qui fonçait sur N’Djamena, la capitale. C’est tout récent en 2008, en 2006. La France sait ce qu’elle veut au Tchad : préserver ses intérêts», argumente Dr Évariste. Le Tchad précise le politologue, reste un territoire stratégique pour la France et elle n’est pas prête à lâcher prise. D’après lui, la France ne pourrait que placer ses alliés fiables à la tête de ce pays. Le clan Deby Itno semble encore être dans leur viseur pour continuer l’œuvre de lutte contre le terrorisme dont le Tchad est un pivot. « C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la haine que les Tchadiens manifestent contre les intérêts français», explique-t-il.
«L’UA divisée sur la question du Tchad, risque une sortie très affaiblie...»
Pour le politologue, au sein de l’UA, la question a surgi au premier jour et la difficulté était prévisible. Selon lui, les textes fondateurs de l’UA disaient que, dès l’instant qu’un régime arrive au pouvoir par des voies inconstitutionnelles, il est tout de suite condamné et sanctionné. Or, évoque-t-il, l’UA n’a pas condamné ni suspendu le Tchad parce que le président Deby Itno avait joué un rôle important dans la lutte contre le terrorisme et s’est fait de nombreux amis dans les pays francophones. « Les anglophones et les Lusophones pensent qu’il faut mettre le Tchad sur le banc des accusés en attendant les éventuelles négociations », indique l’enseignant chercheur. Les textes fondateurs disent clairement que ce qui se passe au Tchad est un coup d’État et la décision inhérente c’est la condamnation, estime Dr Évariste. D’après lui, l’UA a joué à la prolongation en envoyant une mission d’enquête, mais c’était sans compter l’abnégation des anglophones et Lusophones. D’autres pensent que si on condamne le Tchad, ils n’auront pas un partenaire fiable ni dans le G5 Sahel ni dans la lutte contre le terrorisme. Ainsi l’UA se retrouve divisée sur la question de la situation qui prévaut au Tchad, dit le politologue. « Si l’UA n’utilise pas la sagesse dans sa décision et soutient le CMT au-delà de tout, elle en sortira très affaiblie », conclut Dr Évariste Ngarlem Toldé.
Moyalbaye Nadjasna