Lettre à M. Saleh Kebzabo

Written by  Jan 10, 2021

Suite à votre allocution prononcée devant les jeunes de Baktchoro ayant suscité l’émoi et le désarroi d’une partie de la population que vous êtes censé représenter, accentuée par le Communiqué de presse du 03 janvier, je voudrais sortir du silence observé par certains cadres intellectuels du Mayo-Kebbi et de la Tandjilé, pour vous exprimer, sans arrière-pensées ni couleur politique (c’est-à-dire loin du débat MPS/UNDR), et surtout loin de citer vos propos, mes inquiétudes, mon étonnement et vous appeler à plus de persuasion et de justesse afin d’espérer encore vous compter parmi, non pas des hommes politiques, mais tout simplement, des leaders intellectuels de nos deux  régions, chantres de paix exemplaire pour tout le Tchad, notre pays.

Inquiétudes parce que la Tandjilé et surtout le Mayo-Kebbi sont constitués d’une population agropastorale vivant en quiétude depuis de nombreuses années, malgré les différends pouvant survenir entre les propriétaires des champs et ceux du bétail. Des conflits souvent réglés à l’amiable auprès des chefs de communautés (communément appelés chefs traditionnels), marginalement avec recours auprès de l’Administration publique, mais toujours sans vengeance privée. Cette quiétude est soutenue par de nombreuses alliances, amitiés, convivialités et habitudes tissées entre les couches sociales, de telle sorte :

  • qu’un agriculteur achète ou loue du bétail pour labourer son champ. Et qu’un éleveur se procure jusqu’aujourd’hui du foin de l’agriculteur pour nourrir ses bêtes en période sèche ;
  • qu’il n’y a pas ce qu’on appelle « le prix du sang » entre les communautés ;
  • et que les promotionnaires d’École, du Collège ou du Lycée gardent leurs souvenirs d’études et leur amitié même pendant leurs carrières professionnelles.

Étonnement parce qu’on comptait toujours sur des intellectuels de la région. Ils sont presque tous, en période de crise, déshabillés de leurs couleurs politiques, de leur appartenance communautaire, de tout parti pris, pour venir calmer les esprits échauffés. Ils raisonnent les protagonistes et préservent par cette approche la paix entre les populations. Des habitants déjà imbriqués et entremêlés par leur mode de vie et leurs vécus quotidiens.

Mais vous avez fait, il me semble, le contraire lors de votre descente dans la zone de conflit.

Plus de persuasion et de justesse parce qu’il n’est jamais trop tard de rattraper ses lapsus et ses erreurs. Et même si erreur il y a, cela ne constitue-t-il pas une édification de l’esprit et des idées pour l’avenir ?

La population des éleveurs des deux régions n’attend pas de vous une réparation sous forme de dommages et intérêts, mais juste un pardon en bon fils du terroir, parent tant des moundang, des peuls, des moussey, des lélés, des massas et autres, et je pense qu’elle le mérite bien, parce que :

  • le terroir est à présent répulsif au discours politicien en quête d’électorat et attentif aux actes concrets et positifs de ses fils.
  • le terroir est un arbre sur lequel plusieurs oiseaux que nous sommes voleront au-dessus, finiront par nous y poser pour trouver du repos et du réconfort, et finiront par disparaître pour laisser place à d’autres de ses fils.
  • le terroir mérite bien qu’on le respecte, le sanctifie et l’honore même pendant les pires des évènements.

Et le nôtre en est un exemple pour le Tchad. Il a montré, hier comme aujourd’hui, qu’il est un havre de paix pour tout le pays. Il est resté en paix même pendant les guerres fratricides qu’il a connues. Et il entend bien le rester dans l’avenir. Jetez, M. Kebzabo, votre orgueil au fleuve Logone. Votre demande de pardon sera un engrais pour la paix. La paix éternelle dans les deux régions.

Mahamoud BOUBAKARY
Ex-TPG et Cadre du Mayo-Kebbi-Est

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