Nous sommes en juillet. N’Djamena, notre capitale, nous lorgnent avec une vulve tuméfiée par-dessus un vagin éclaté, prête à consommer un plaisir adultérin et crapuleux avec la saison des pluies. Impudique, me traiteront certains puritains et autres pudibonds du pays mais il n’existe pas d’autres termes pour décrire le visage hideux d’une ville insalubre, une capitale malsaine. Une métropole assujettie par le moindre crachin et asservie par la moindre pluie.
Oui, la capitale du Tchad, en connivence avec la pluie, étale son anatomie déplaisante et se gonfle de mille cloques promptes à s’abcéder en autant des cloaques putrides polluant tout notre environnement. Les nids-de-poule, les fosses septiques à ciel ouvert, les détritus et autres déchets domestiques se disputent les artères publiques et piquent nos narines d’une exhalaison nauséabonde. Dès les premières pluies, les eaux stagnent et isolent chaque quartier, faisant des nous, du coup, des îliens temporaires. La ville entière devient fleuve et bonjour les pirogues !
Des enfants dénutris et sans garde s’éclaboussent des eaux souillées et se jettent à corps perdus devant les engins à deux ou quatre roues. Des adultes, fesses en l’air, piquent du nez le sol contagieux, accomplissant ainsi la prière mahométane dans les décombres fétides d’un environnement honteux. D’autres hommes lèvent les coudes, culs vissés sur des tabourets instables et sirotent une liqueur frelatée issue des tonneaux malpropres. Le tout, les pieds dans des eaux venant des mares souillées où flottent des cadavres hétéroclites, y compris ceux des humains.
Là-bas au marché, dès 6h, les bouchers se disputent des morceaux de viande disposés et traînés à même le sol, sous mille essaims de mouches. Leurs acharnements et leurs saletés majestueuses n’envient en rien les efforts des charognards autour d’un cadavre en putréfaction avancée.
Ici, sur une grande artère de la capitale des individus hystériques s’approprient de la voie publique, imposant aux autres citoyens leur façon sauvage de fêter un mariage ou un rapt. A quelques mètres de là, une famille impose son deuil à toute la population en obstruant toute une principale rue par une bâche arrogante et incivique.
Où est la mairie dans tout ce pandémonium ? Celle-ci, par son bras armé aux bérets d’or, a passé le clair de son temps à rançonner les cyclistes et pousse-pousse ainsi qu’à détruire quelques hangars de certains pauvres citoyens, respectant ceux d’autres. Quelques autres contractuels de la mairie, réveillés sur le tard, essaient de curer les caniveaux qui se truffent aussitôt de leurs contenus abandonnés aux berges.
De toutes les bévues de la mairie, il nous est légitime de se demander de ce qu’elle veut faire de ces fameux monuments, les uns aussi laids que funestes, construits aux grands ronds-points de la ville. Des monuments qui coûtent excessivement chers et engloutissant des faramineuses sommes qui aurait dû être utilisées pour des buts plus nobles, des buts d’hygiènes ! En effet la mairie croit avoir tout fait pour rendre N’Djamena toute coquette en construisant quelques édifices sur ses carrefours. L’une de ces constructions nous étonne par son aspect insolite et son regard funéraire et mortuaire, c’est ce qui convient d’appeler le tombeau d’Adago Yacouba, l’ex-maire de la ville et initiateur de ladite bâtisse. Il s’agit de ce qui est bâti sur le rond-point de l’ANAT (ancienne présidence.) C’est un tombeau d’où émergent des bras sans coudes se terminant par des doigts boudinés et nains, soutenant un globe terrestre sur lequel la carte du Tchad caracole avec une forme monstrueuse ne respectant aucune échelle élémentaire de la géographie, apprise à l’école primaire. Cette stèle funéraire fait de l’ex-maire un homme qui aurait eu une vie antérieure dans laquelle il serait un gardien des tombes. Ce tombeau-là, aussi lugubre que disproportionné, nous apprend-t-il que le monde et le Tchad doivent leur existence grâces aux mânes des morts ? Fantastique esprit païen !
Une autre bévue de la mairie de Simon B. (actuel maire) est celui d’avoir modifié le monument du rond-point du Camp Hassan Djamous, connu sous le nom du rond-point des Bœufs. En effet, contre tout bon sens, la mairie par le bras de ses architectes décida unilatéralement de délaver l’édifice et d’ajouter sur le monument des hures d’hippopotames qui se trouvent être trop minuscules par rapport aux têtes des bœufs. Ces effigies d’hippopotames, par leur taille insignifiante, se confondent à des portraits de varans. Encore un défaut lié au bon sens et à l’échelle qui trompe nos jeunes cadets dans leurs pouvoirs interprétatifs !
À quoi servent les ronds-points ? Pourquoi y construire des monuments ou d’édifices aussi onéreux ?
Ces ronds-points nous donnent des tournis car nous sommes contraints de faire des circumambulations éreintantes, types de rite tyrannique que personne n’a souhaité de le faire. Et nos maigrelets revenus sont dilapidés pour avoir été utilisés afin de parer les groins disgracieux de ces surfaces minuscules divinisées par la mairie. Ce sont vraiment les dieux à vénérer de notre chère mairie.
N’Djamena n’est pas une capitale. Elle est un bidonville qui ressemble à une favela de Brésil ou un township de Kampala. N’Djamena nous donne des prurits mérités de notre infâme incivisme et les rares efforts de la mairie s’évanouissent dans le chahut général de nos manquements irrépressibles. Notre culture commune sur l’hygiène est la suivant : jeter tout dans la rue pour que l’Etat ou les autres citoyens s’en occupent ! Ainsi l’enfer de la mauvaise hygiène parcourt les labyrinthes de la capitale avec une allure dépravée et écœurante sur une musique hystérique, sans rime et sans raison. N’Djamena a perdu sa grâce et rampe comme une bête malpropre dans sa fuite éthylique et nauséeuse. Dans la capitale du Tchad, la propreté est une invention et la mauvaise hygiène, une réalité quotidienne. Les maladies évitables par la bonne hygiène nous reluquent avec leurs expressions terrifiantes et nous étouffent par leurs caresses brûlantes et surtout mortelles : choléra, tétanos, conjonctivites et trachome, salmonelloses (typhoïde), méningite, tuberculose etc.…
Parler de N’Djamena enveloppée dans le linceul de la pluie nous laisse en effroi. La peur de braver le vibrion du choléra nous hante les esprits. Nous vivons dans le « wait and see » et cela ne nous empêche pas de penser aux propos de quelqu’un qui a dit : « aucun peuple ne verra changer son destin tant qu’il ne changera de comportement. »
Djiddi Ali Sougoudi Sidim