L'histoire politique du Tchad à cette époque est essentiellement marquée par deux faits :
- la lutte pour l'indépendance en 1946-1958 et la conquête du pouvoir en 1958-1960.
Avant l'indépendance, la France n'avait aucune intention de développer les activités politiques au Tchad. Ce n'est qu'en 1946, qu'un administrateur colonial d'origine guadeloupéenne Gabriel Lisette a pris l'initiative de créer le premier parti politique au Tchad : le Parti Progressiste Tchadien ( PPT) rattaché au Rassemblement Démocratique Africain (RDA. Au sein de ce parti, il n'y avait aucune tendance confessionnelle ou régionaliste. En son sein se côtoyaient Toura N'Gaba, François Tombalbaye, Abba Sidyk, Ahmat Koulamallah, Ahmat Kotoko ect... Leur lutte était de vaincre le colonialisme. Leur slogan commun se résumait dans cette phrase " nous ne voulons plus de chefs, plus d'impôts".
En 1949, un second parti politique a vu le jour : l'Union Démocratique du Tchad (UDT). Ainsi, les deux partis ont commencé par se regarder en chien de faïence sur l'arène politique. En 1950, le Parti Socialiste des Indépendantistes tchadiens (PSIT) est n\e, dirigé par Ahmat Koulamallah comme troisième parti politique. Ce parti à tendance confessionnelle recrutait ses militants en milieu arabe et baguirmien. En 1953, le PSIT est devenu le mouvement du Salut Africain (MSA) et rassemblait en son sein presque tous les learders musulmans. Après le référendum gaulliste de 1958, l'Union Nationale Tchadienne (UNT) est créée sous la direction de Ibrahim Abacha, Mahammat Abba et Aboukar Djalabo. Ce parti se présentait comme le forum des leaders nordistes. de scission en scission, l'Association Sociale du Tchad (AST) et le Groupement des Indépendantistes Ruraux du Tchad (GIRT) s'édifieront sur les décombres de l'UDT. Tous les deux partis sont implantés dans le Nord du pays et une partie du Moyo-kebbi. Pendant que les dirigeants du nord se plaisaient à créer et à recréer des partis politiques au nord du Tchad, Tombalbaye, Toura N'Gaba et Gabriel Lisette restés dans le PPT/RDA consolidaient sa position au sud du Tchad et l'imposaient comme le seul parti. A vec l'application de la loi cadre de 1958, les données de la politique tchadienne vont changer et l'on passera de la première période à la seconde période de la vie politique pré-indépendancte.
Le 28 Novembre 1958, le Tchad est devenu une république. Le 16 décembre de la même année, le premier gouvernement provisoire de la république est formé sous la direction de Gabriel Lisette comme Premier Ministre. En Janvier 1959, sous les intrigues de Ahmat Koulamallah du MSA, Gabriel est mis en minorité à l'Assemblée Nationale puis a démissionné. Le 11 Février 1959, Sahoulbah du GIRT est chargé de former le deuxième gouvernement provisoire. Toujours sous les intrigues de Koullamallah. Ce gouvernement n'a dur\e qu'un mois. Ainsi Koulamallah a été désigné pour former le troisième gouvernement provisoire.
Compte tenu du danger que représentait le sud pour le nord du Tchad, Koulamallah a proposé la scission entre le nord et le sud du Tchad. C'est ainsi que le 24 Mars 1959, Koulamalllah est renversé à son tour par l'Assemblée Nationale. Entre temps, le PPT/RDA venait de se mettre sur pied après une crise aiguë en son sein. Toura N'Gaba qui était le secrétaire général de ce parti est remplacé par François Tombalbaye naguère secrétaire à l'organisation du parti. Cette troisième crise gouvernementale va favoriser la désignation de Francois Tombalbaye comme premier Ministre du quatrième gouvernement provisoire. Suite aux élections législatives de Mai 1959, le PPT/RDA a remporté la majorité des sièges. Le gouvernement de Tombalbaye est donc chargé de conduit le Tchad à l'indépendance. Ainsi, commencera un cycle infernal pour les leaders politiques en général et pour les musulmans en particulier.
Souvent, il est remarqué que lorsque les acteurs sont en lutte, ils mettent en oeuvre des stratégies et manipulent tous les moyens qui sont à leur portée afin d'atteindre leurs objectifs sans se soucier des retombées de leurs actes. Ainsi les données ethniques, régionales, confessionnelles et économiques seront subrepticement manipulées à des fins politiques. Une fois que cette série de crises qui a secoué la scène politique tchadienne est passée, une nouvelle ère a commencé pour le Tchad. Tombalbaye était le seul homme politique qui, selon Antoine Bangui a été monté de toute pièce par la France parce qu'elle s'assurait que seul lui défendrait valablement ses intérêts. Avec la certitude que ce pouvoir lui reviendrait après l'indépendance fixée pour 1960. Tombalbaye entreprit la même année une politique qui, sans nul doute devait exacerber les tensions entre les couches socia-poltiques dont la cohabitation devenait vraiment précaire. Le premier acte posé par le gouvernement de Tombalbaye au lendemain de cette reconduction a été le changement des couleurs du tricolore tchadien qui au début était Vert-Or-Rouge. La proposition de cette combinaison de couleur à l'Etat tchadien par les colonisateurs n'est pas le fruit d'un hasard. Elle tenait compte de certaines réalités socio-culturelles et confessionnelles du Tchad. La couleur verte que l'on trouve partout sur les documents de l'islam représentait pour les musulmans tchadiens leur attachement et leur participation aux affaires de l'Etat. Elle symbolisait encore le caractère laïc de l'Etat tchadien. La première et la plus grosse erreur de Tombalbaye est d'avoir ôté la couleur verte du tricolore tchadien en la remplacent par la couleur bleue car la première combinaison prêtait à confusion avec le drapeau de la Guinée Conakry, du Mali et de l'Éthiopie. Alors. Les musulmans tchadiens ont très mal digéré cet acte. Ainsi, le gouvernement de Tombalbaye est devenu à leurs yeux celui des " kirdis" c'est-à-dire de ceux qui ne connaissent pas le Dieu. Ce premier péché du gouvernement a été renforcé par son séjour d'un mois en Israël pour étudier les stratégies de développement d'un pays. Vu les tensions qui existent entre Israël et les pays arabes à l'époque, cela a trop offusqué les musulmans du Tchad. Ainsi, le climat politique s'alourdissait de jour en jour entre les alliés d'hier.
En bref, il convient de retenir que le Tchad est très mal parti pour l'indépendance. A la veille de celle-ci, l'échiquier politique tchadien était caractérisé par un multipartisme mais bipolarisé. On trouve d'une part les partisans de l'indépendance alliés derrière le PPT/RDA et d'autres part les opposants à celle-ci regroupés dans une opposition. Ce qui hantait les leaders du Nord qui étaient plus opposés à l'accession du Tchad à l'indépendance, c’était :
- Le faible taux de scolarisation qui caractérisait le Nord. D'après les spécialistes,, le sud était scolarisé à 48% alors que le Nord l'était à 8%. Cette disparité numérique avait une répercussion directe sur la représentativité des régions dans l'administration publique. Les sudistes s'étaient taillé la part du lion d'après les musulmans, alors que les nordistes ne représentaient rien du tout.
Ensuite-la ruse de Tombalbaye qui visait à enlever toute expression politique à ses adversaires en général et aux leaders musulmans en particulier. Son plan machiavélique à vouloir supprimer la langue arabe de l'administration publique, de même que son perfide concocté pour les sultans du Nord étaient très tôt affichés. Cela peut laisser aussi présager que c'est d'ailleurs pour des telles causes qu'il aurait réussi à se percher à ce poste avec la bénédiction de la France qui a écarté de l'arène politique les principaux leaders politiques musulmans qui avaient une inspiration plus arabo-marxiste que capitaliste. mis à part ces deux présomptions qui peut-être sont à l'origine de la méfiance des leaders musulmans, il y a une autre raison qui parait fondamentale :
- la frustration qui, sans doute à double sens. La première raison est que les leaders politiques du Nord étaient les plus nombreux sur l'arène politique. Compte tenu de leur passé précolonial, ils s'estimaient mieux préparer pour diriger le Tchad après sa décolonisation. À leur grande surprise totale, c'est le leader sudiste Tombalbaye qui leur a tenu tête. La deuxième raison se trouve dans l'orgueil propre de l'homme.
Les colonisateurs disaient du Tchad qu'il était la zone de captivité des esclaves pour les royaumes du Nord. Donc durant la période coloniale il est probable que l'homme du nord ait à l'esprit que le sudiste quel qu'il soit demeure un esclave. Cela nous amène à dire qu'il y avait effectivement frustration chez les leaders musulmans du Nord de voir le fils d'un ancien esclave devenu le maître du maître et de surcroît un chrétien gouverné le Tchad, pays à dominance musulmane. Alors l'avenir d'une nation en gestion devenant de plus incertain. La seule chance qui devait garantir l'unité nationale résidait dans une bonne pratique politique des futures élites tchadiennes et leur capacité à gérer habilement les contradictions. Malheureusement ce serait le contraire.
Ainsi le Tchad a accédé à l'indépendance le 11 Août 1960 sur un fond de crise totale.
Par Gaya -Ple Seïd