Le Libéria, le plus ancien pays africain noir indépendant, coincé entre la Côte d’Ivoire, la Sierra Léone et la Guinée Conakry, est l’Etat ouest-africain qui présente le plus de similitudes politiques avec le Tchad, pays de Toumaï. Non par la population (3.130.000 h, près de la moitié de la population tchadienne), ni par la superficie (111.370 km², soit 11 fois moins étendue). Peuplé majoritairement de descendants rapatriés d’esclaves Africains Américains des Etats-Unis d’Amérique, et de quelques minorités autochtones mandingues, ce pays est connu pour ses immenses plantations d’hévéa (caoutchouc), ses mines de diamants et surtout la guerre civile depuis 14 années, qui a embrasé les pays voisins. Quelles similitudes avec le Tchad ?
Dans les années 80, le monde découvrit avec horreur les images macabres d’exécution sur la plage de Monrovia des membres du gouvernement de Tolbert, renversé par un jeune sergent-chef de l’armée, un inconnu du nom de Samuel N’Do. Ce soldat d’ethnie mandingue croyait prendre une revanche historique par rapport aux discriminations et à la marginalisation subies par sa minorité ethnique depuis des générations. Mais une gouvernance basée sur la revanche devient rapidement une dictature affreuse et extravagante, comme ce fut le cas de Hissène Habré.
La roue de l’Histoire se fixera sur un trafiquant de diamants nommé Charles Taylor, dont les déboires avec Samuel N’Do le conduiront sur le chemin de la rébellion armée, aidé par certains pays voisins. On assistera alors à une formidable mutation de Taylor en chef de guerre redoutable, entraînant dans son sillage de sinistres individus tels que le caporal Fodé Sanko et Mosquito de la Sierra Léone (auteur des mutilations “manches longues et courtes“). Pour éviter que les troupes de Taylor ne s’emparent de la capitale Monrovia, les forces nigérianes d’interposition seront dépêchées sur place. Taylor bloqué dans les faubourgs de Monrovia, Samuel N’Do se croyant rassuré, se rendit naïvement au siège de la force panafricaine. Dommage pour l’exécuteur des Tolbert ! Un autre petit chef de guerre rival aux aguets, Prince Johnson, au mépris des règles internationales, blessa et captura Samuel N’Do sous les regards impuissants des soldats nigérians. Humilié et sauvagement torturé à son tour par Johnson, la fin tragique de Samuel N’Do sera visionnée sur cassettes VHS à travers tout le continent. Il semblerait que ces images terribles auraient décidé Hissène Habré à fuir N’Djaména pendant qu’il était encore possible de le faire le 30 novembre 1990.
La mort de Samuel N’Do prolongea la crise politico-militaire, obligeant les forces nigérianes de l’ECOMOG à de véritables engagements contre les troupes de Taylor, jusqu’à ce que la solution des urnes soit enfin acceptée pour mettre un terme à la guerre. Surprise ! Charles Taylor, désigné comme l’un des co-responsables de la tragédie libérienne, gagne les élections et une nouvelle virginité politique. Cependant, le naturel de trafiquant chassé revint au galop sous le costume de chef d’Etat. En instaurant un régime de prébendiers, rassemblant autour de lui des aventuriers sans scrupules, s’accaparant des richesses de son pays, Taylor poussa la folie jusqu’à exporter son système mafieux de gouvernance vers les pays voisins. La Sierra Léone, pays paradisiaque mais vulnérable, souffrira particulièrement des ingérences de Taylor, à l’instar d’un voisin du Tchad.
La solution boiteuse, pour la communauté internationale, était une fois de plus, la mise à l’écart manu militari de Taylor, président élu mais dangereux. Le processus d’expatriation de Taylor, par ailleurs réclamé par la justice internationale, n’allait pas se faire en douceur. De terribles combats allaient encore embraser ce petit pays meurtri par les chefs de guerre. Pendant que tous ces drames se déroulaient, un jeune des quartiers déshérités de Monrovia, un fils de « Laoukoura » ou de « Mandjago », allait connaître un destin exceptionnel. Maître incontesté du ballon rond, ses talents le conduiront sur les podiums européens et mondiaux, pendant que son pays subissait les affres de la classe politico-militaire des « mieux éduqués ». Mais le jeune Georges WÉA avait acquis des convictions humanistes et s’engagea aux côtés des opprimés de son peuple. Il mit sa fortune de professionnel à la disposition d’œuvres socio-économiques remarquables. Malgré tout, sa belle maison de Monrovia sera brûlée intentionnellement par les guerroyeurs jaloux lors de la dernière bataille – inutile et meurtrière- de la capitale. Georges WÉA ne se découragera pas pour autant, et fidèle à ses convictions, il répond à l’appel du destin en osant se présenter contre la puissante racaille politico-militaire de son pays. Même s’il ne gagnait pas ces élections, le jeune Georges WÉA aura déjà inscrit son nom sur le registre sélectif des bâtisseurs de l’Afrique digne et libre, à son âge !
Revenons à présent aux comparaisons. Le Tchad aussi est otage des chefs de guerre, négriers et rabbistes de notre époque. Pendant que certains groupes « rebelles » fatigués reviennent au bercail, d’autres clans guerriers se détachent, avec les mêmes arguments et dans le même style que les premiers, pour nous imposer une nouvelle tragédie à la somalienne, pour la conquête du pouvoir. La démocratie en panne, l’hibernation, le manque d’audace, d’imagination et de vision des 70 partis politiques légalisés, ainsi que la main étrangère habituelle, leur ouvre cette nouvelle brèche. En dehors de la rhétorique habituelle de la diabolisation du pouvoir clanique en place, aucune solution rationnelle de fond, aucun programme convaincant n’est proposé. Le vrai programme, risquerons-nous de le dire, ne serait-il pas encore l’imposition de nouveaux tributs au peuple amorphe, en cas de… ? Dans tous les cas, pendant que la peur de mourir ou de tout perdre d’un côté et les calculs hypocrites intéressés de l’autre minent les « démocrates » tchadiens face à cette situation, l’image très évidente d’une « somalisation » de notre pays, définitivement possédé par les bandes armées tribales, dans un proche avenir me terrorise !
À la différence du Libéria, il n’y a pas de forces étrangères neutres et conséquentes au Tchad, sur qui le peuple apeuré pourrait espérer une résurrection de la République et l’avènement de la paix civile véritable. Sinon, ça fait 35 années que les drames humains, les massacres, l’instabilité politique et administrative, l’alternance clanique par coups de forces sanglants, l’anarchie et la paupérisation forcée de la population active, ont cours comme un ordre logique qu’il ne faudrait pas remettre en cause ! Donc, sauf un tsunami (événement social imprévisible et irrésistible à au moins 7,5 degrés à l’échelle du changement) briserait la malédiction qui plane toujours sur le peuple tchadien.
Autre comparaison négative : des vedettes de la trempe de Georges WÉA, notre pays en a connu dans le domaine du sport et de la musique. Au ballon rond, il y a eu Tokomo Nabatingué et plus récemment N’Doram Japhet. Dans la musique, il y a MC Solar (tantôt franco-sénégalais) et d’autres. Ces vedettes ont connu en leur temps, la gloire des médias occidentaux et beaucoup d’argent, pas du CFA froissé ! Mais contrairement à Georges WÉA – je me trompe peut-être - ils n’ont pas estimé utile d’aider la jeunesse déboussolée et malheureuse de leur pays d’origine. En tous cas, je n’ai entendu aucun groupe local se prévaloir de leur parrainage volontariste et généreux. L’auraient-ils fait sous d’autres cieux ? Je ne puis répondre à leur place. Seul mon cher ami et homonyme Nocky N’Djédanom s’est inscrit dans la logique de Georges WÉA, avec la littérature (qui ne paye pas de surcroît). Bravo, Nocky ! Je ne dis pas que ces vedettes internationales d’origine tchadienne devraient être candidates aux « formalités électrocurales » de 2006. Cependant, si elles avaient pensé à leur pays, avec le grand capital médiatique des stars engagées et généreuses, elles seraient pour notre jeunesse (plus de 52 % de la population) des alternatives crédibles par rapport aux dinosaures (hommes politiques du passé encore en activité) et aux politico-militaires de la jungle somalienne.
J’avais même secrètement en projet, entre 1995 et 1997, de tenter d’organiser à N’Djaména un grand symposium des vedettes et stars tchadiennes de la diaspora, dans le but et l’espoir de susciter une nouvelle dynamique constructive et optimiste au sein de la jeunesse, à l’exemple de ce qui se passe sous d’autres cieux africains. Mais il était difficile de manager un tel projet dans la position statutaire militante qui était mienne à l’époque. Je ne désespère pas que cette idée devienne une réalité, par d’autres entrepreneurs sociaux audacieux, comme l’est devenue Fest’Africa-Tchad des confidences lilloises de Nocky N’Djédanom en 1995 !
Hors je dois constater, à contrario, que Georges WÉA pourrait s’appeler chez nous Tchanguiz Vathanka, ce réfugié d’origine iranienne bahaï. Qu’une personne de race persique fasse des milliers de kilomètres, fuyant une réalité barbare dans son pays d’origine, pour devenir au fond de la savane tchadienne, un « BRAKOSS » digne de ce nom, c’est déjà une légende comme Georges WÉA ! À la différence que Tchanguiz ne voudra être ni maire, ni député de Moïssala, son terroir d’adoption, ni candidat en 2006 aux présidentielles. Malgré ses œuvres grandioses et sa vulnérabilité juridique (il est toujours un réfugié politique), d’aucuns ne rêvent que du jour où il sera arbitrairement expulsé du Tchad, pour retrouver leur sommeil « vempireux ».
En faisant ces comparaisons contestables, n’y a-t-il pas lieu de se dire enfin qu’il y a véritablement un problème humain de références, de modèles dans notre pays ? Je suis même sûr que si Tchanguiz était originaire de son Moïssala ou Tchadien d’origine tout court, il n’aurait pas eu le temps d’achever sa deuxième réalisation communautaire, car ses frères de sang l’auraient empoisonné ou d’autres l’auraient déjà flingué. Je me rappelle les confidences faîtes par des amis ayant travaillé sur les chantiers de la zone pétrolière de Doba : certains affirment avoir échappé de justesse à la mort par voie occulte (bangossienne), pour simplement avoir osé investi leurs économies dans la construction de résidences confortables dans leur terroir. Alors, combien de victimes la gestion des 5% des revenus dévolus à la région productrice fera-t-elle en son temps, sur ce registre de mentalité rétrograde ?
L’ambiguïté tchadienne : d’un côté nous sommes devenus champions de la mendicité internationale (la moindre calamité est une aubaine), de l’autre nous n’aimons pas construire nous-même notre pays par nos initiatives et celui qui ose le fait à ses risques et périls. Jusqu’à quand, ya djamâa ? Bravo, Georges WÉA ! Courage, Nocky N’Djédanom ! Pour finir, permettez-moi de proposer deux citations à la jeunesse tchadienne :
Enoch Djondang