Françafrique : Quand le mythe de la stabilité flirte avec le mécanisme de stérilité (politique et économique), c’est par le Tchad que commence l’effondrement !
Dans le monde diplomatique N°623 de février 2006, Anne-Valérie HOH et Barbara VIGNAUX publient un article intitulé l’Afrique n’est plus l’Eldorado.
Ces journalistes faisaient état des critiques africaines du néocolonialisme français exprimées en marge du dernier sommet Afrique-France de Bamako (Mali). Cette politique est marquée notamment par le soutien immodéré de Paris aux régimes gabonais et togolais pour ne citer que ceux-là (Plus récemment encore, pour déjouer un coup d’Etat militaire, c’est l’armée française qui assure la sécurité du président tchadien lors d’un retour de voyage dans la clandestinité). Mais les auteurs se concentrent essentiellement sur le désintéressement de l’Afrique qui anime les entreprises françaises (Bolloré, Bouygues, Veolia, …) pourtant présentes depuis plusieurs années. Ce simple constat rend l’article insatisfaisant tant par sa qualité que par sa substance.
Afin d’apporter une explication à la fois cohérente et structurelle au regard des théories économiques, mais aussi et surtout des pratiques politiques, nous partons des faits imputables à la vieille France Afrique (matrice des relations franco-africaine) pour démontrer les méfaits du système sur les plans politique (I) et économique (II). Dans ce dernier point on verra qu’il est raisonnable d’expliquer la débandade des entreprises françaises par leurs inefficacités consécutives à leurs positions de monopole (entendu comme manque de perfectionnement perpétuel). On soutiendra en fin qu’il leur est stratégiquement raisonnable de reconquérir leurs marchés traditionnels respectifs plutôt que d’y revenir après une aventure dans des environnements méconnus et vivement concurrentiels.
I- Politiquement, la logique du mythe s’oppose aux principes démocratiques…
Concocté par la droite française, la chiraquie en l’occurrence, le mythe de la stabilité, développé au sein de la Françafrique, aurait pour objet d’endiguer les aspirations des peuples de l’Afrique francophone tendant à tordre le cou, par la voie des urnes, aux dictateurs désavouées lors de la conférence de la Baule (1990) par le socialiste Mitterrand.
Les moyens de ce dessein quant à eux s’incrustent dans le cœur des machines à organiser des élections truquées d’une part ou déclencher des guerres fratricides d’autre part résumant ainsi la rhétorique à :
1- Éterniser « les bons élèves » au pouvoir par des élections qualifiées de démocratiques libres et transparentes alors même qu’on remplissait les urnes de vrai faux bulletins quitte à dépasser dans certains cas le nombre d’inscrits sur les listes électorales. Et comme par hasard les observateurs internationaux ne débusquaient jamais les tricheurs. Le cas du Togo constitue suivant cette optique un bel exemple.
2- Chasser par les armes « les mauvaises élèves » quitte à sacrifier des milliers de vies humaines pour remplacer une dictature par une autre, la soutenir l’entretenir en la faisant bénéficier de l’ignoble largesse lors des échéances électorales. Le Tchad de l’ère Deby est un parfait exemple de ce dernier point de vue.
Si le cas du Togo est intéressant par la capacité du mythe de la stabilité à fabriquer un Eyadema fils, organiser un hold-up électoral,…, ce même cas attire notre attention par ces conséquences stérilisantes empêchant tout changement démocratique ne serait-ce que dans la continuité. La stabilité n’empêche pas en effet le changement d’homme au sein d’une même famille politique. Cette configuration est en tout cas vraie dans la vie politique française par exemple.
Fort du soutien de la communauté internationale et plus précisément de la France, Eyadema fils perpétue le projet dictatorial pour lequel il est formaté. Pendant ce temps les malheureux togolais apprennent malgré eux à relativiser leur malheur lorsqu’ils se trouvent au Togo, sinon ils rejoignent les réfugiés de l’ère Eyadema père au Bénin voisin.
Ces opprimés vivent dans leur ensemble leur malheur en bons africains : penser à une punition du ciel. Rappelons ici que Dieu n’est pas coupable !
Au Tchad au contraire le rapport avec le bon Dieu n’est pas de même nature. Les gens recherchent perpétuellement un changement mais dans la dispersion : les uns prennent les armes, les autres s’éternisent dans l’opposition politique interne ou externe. Pendant ce temps le mythe de la stabilité accroche le stérilet à la démocratie naissante de ce pays. Mais la réplique de l’opposition dans son ensemble, bien qu’elle reste dispersée, a eu le mérite de tuer dans l’œuf tout embryon de scénario à la togolaise.
Repousser la fatalité et désormais le but ultime du mythe de la stabilité au dépend bien évidement de tout processus démocratique en Afrique francophone. Ce nouveau défi à un prix dont le Tchad risque de payer l’addition à commencer par les régions jouxtant le Darfour soudanais et la RCA, respectivement à l’Est et au Sud-est, et ce probablement avant 2007. Cette date marque le début d’une alternative politique certaine en France au profit de la gauche sinon d’une génération nouvelle de la droite dite décomplexée incarnée par le fameux Sarkozy. D’ici là observons au passage ce que deviendra la cote d’ivoire !
L’enjeu actuel du mythe serait donc de sauver le guerrier tchadien du club et « stabiliser » de facto le fragile centrafricain Bozizé installé par la grâce de l’armée tchadienne et la largesse matérielle et financière française.
Suite à ce succès face à une modeste armée centrafricaine, la clique de Deby attrape la folie de grandeur et s’attaque au soudan voisin en soutenant officieusement les rebelles du Darfour. Elle oublie toute fois un détail important : le Soudan grand comme deux fois le Tchad et presque cinq fois la France totalise derrière lui plus de 25 ans de lutte contre l’ancienne forte rébellion sudiste de John Garang.
Au résultat le rêve tourne au fiasco d’autant que le soldat Deby menacé plus que jamais de tout bord menace à son tour de s’écrouler à tout moment. Par ailleurs la chiraquie agonisante vit ses derniers jours naturellement dans la mauvaise humeur, notamment au regard des difficultés politiques de Dominique De Villepin, dans l’attente de la date de l’alternance.
Ce climat présente d’opportunités que les successeurs potentiels de Chirac et de ses acolytes africains doivent saisir pour ouvrir une nouvelle page de relation franco-africaines tournées vers un avenir socio-économique meilleure pour les deux peuples respectifs.
Cette démarche apparaît à nos yeux comme la plus stabilisatrice permettant en effet à la France d’éviter les prédictions des déclinologues relatives à sa présence en Afrique. Aussi permettra-t-elle aux nouvelles générations africaines de modérer leur francophobie dont la légitimité ne fait aucun doute.
II- … il finit par stériliser les économies et affaiblir les monopoles français !
L’enchevêtrement entre l’économique et le politique laisse arguer que la stérilisation du système politique n’est pas neutre du point de vue économique.
Théoriquement l’idée de constituer un monopole dans une économie se justifie par l’existence d’économie d’échelles et de coût fixes relativement élevés. Si l’on s’inscrit dans cette configuration on peut par exemple reconnaître la capacité du monopole à réaliser des investissements lourds sans craindre d’éventuelles difficultés relatives au retour sur investissement…En revanche, l’absence de concurrent incite le monopoleur à se renfermer dans une logique routinière contraire aux impératifs de perfectionnement tout en pratiquant des prix élevés. C’est ce dernier cas qui a caractérisé la présence des entreprises françaises en Afrique.
Faisons remarquer ici que les monopoles constituer par les entreprises françaises (Vinci, Bolloré, Bouygues,…) dans les économies africaines ont permis de rendre des services (BTP, transport,…) et surtout produire des biens publics à coût surréaliste.
Il en découle une mauvaise allocation de ressources dans tous les secteurs des économies concernées avec des effets incontestablement négatifs pour le consommateur africain : produits et service de qualité douteuse et à prix d’or dans un contexte d’appauvrissement structurel et généralisé accentué par le coût de la vie imputable en grande partie à la bêtise de la dévaluation de France Cfa de 50% en 1994.
Pour ce qui concerne les entreprises on peut penser qu’elles sont gagnantes en fin de compte mais un regard attentif permet de relativiser grâce à l’examen d’éléments factuels. Raisonnons pour se faire sur les filiales africaines des entreprises françaises.
Ces dernières ont certes contribué dans des proportions importantes et pendant plusieurs années à augmenter la profitabilité de leurs sociétés mères respectives et améliorer par conséquent la part de profit de l’actionnaire.
En revanche, le revers de la médaille s’observe à travers l’inefficacité de ces filiales mise en évidence depuis peu par leurs incapacités à faire face à la concurrence des pays asiatique notamment la chine. On assiste donc à une débandade : Les nouveaux eldorados seraient au Maghreb ou en Asie. Pour autant le pari n’est pas gagné d’avance car la culture d’entreprise n’est pas forcément la même sur les terres supposées promises.
Réinvestir en Afrique ce qui a été dérobé aux consommateurs serait non seulement un geste de bonne augure mais aussi et surtout rationnel et vital pour les investisseurs d’autant qu’il suffit de reconquérir leur marché traditionnel plutôt que d’y revenir après l’aventure maghrébine et/ou asiatique.
Par ailleurs, en faisant le choix de réinvestissement, elles doivent apprendre à sortir de leurs coutumes monopolistiques routinières et donc échapper au travers de l’inefficacité. Ainsi pourront-elles, grâce au réinvestissement, faire face à la concurrence et occuper la place que leur prévoit l’orthodoxie économique.
Ces éléments factuels concernant les entrepreneurs et les politiques peu scrupuleux démontrent l’échec des politiques jusqu’ici poursuivies par la fameuse Françafrique dont le certificat de décès sera délivré à l’horizon 2007 à moins que De Villepein reprenne le relais. Ces éléments ont par ailleurs l’intérêt d’inspirer ceux qui vont façonner les relations franco- africaines pour les décennies à venir.
En clair il serait souhaitable de voir se matérialiser une rupture dans la continuité.
La rupture doit être l’œuvre des politiques qui doivent favoriser la coopération décentralisée complémentaire d’une coopération bilatérale dont les lignes directrices seront fixées par les deux parties.
La continuité quant à elle devrait concerner les entrepreneurs qui ont perdu confiance en eux peut être pour anticiper la fin d’une époque. Mais la logique économique comme elle les a rendu inefficace, à cause de leurs comportements, leur permettra de rattraper le temps perdu et reprendre le dessus sur leurs nouveaux concurrents à condition de savoir jouer cette fois ci au bon moment et selon les bonnes mœurs.
FADOUL.D Khalid