Enfin ! Grâce aux recettes de la méthode Idriss Deby Itno (IDI), notre pays va prendre pied dans la production de son pétrole. Peu importe la brutalité du procédé présidentiel décrié par ses adversaires, il n’y a pas de procédure « prédéfinie » en la matière, quand il s’agit d’une remise en cause et non d’une révision de contrat. Les exemples dans l’histoire récente sont nombreux : le cas du Dr Mossadegh d’Iran, Hugo Chavez du Vénézuéla, Evo Moralès de Bolivie, etc. Le problème n’est pas de pleurnicher sur les intérêts des majors pétroliers, mais d’aller dans le sens du droit des peuples à disposer de leurs richesses.
Il est vrai que notre pétrole était bradé, tout le monde l’avait démontré et dénoncé. Il n’y avait pas d’autres solutions à terme que celles intervenant avec les dernières décisions du général IDI. Que cela lui coûte le pouvoir, là n’est pas le problème. C’est une question nationale fondamentale qui transcende l’état actuel de gouvernance de notre pays.
Bon ou mauvais régime, c’est une illusion de croire qu’un vrai dialogue à lui seul suffirait à résoudre le mal tchadien. Il s’agit d’un problème d’hommes et d’époque. Il faut être clair : le phénomène de la rébellion armée est l’obstacle majeur au décollage du Tchad sur tous les plans. Surtout que ce phénomène s’est institutionnalisé depuis les régimes précédents, on ne peut pas démontrer qu’il apportera un changement fondamental, en dehors de remplacer un clan par un autre. Les interminables querelles claniques de leadership dans les groupes armés le manifeste. Il n’y a jamais eu de « lutte de libération nationale » au Tchad, ni au Nord ni au Sud depuis 30 ans, mais des luttes pour le pouvoir, avec le soutien d’influences étrangères. L’état actuel du pays du troglodyte Toumaï est la résultante de toutes ces luttes et violences anachroniques. Pire ! Aujourd’hui, les groupes rebelles sont tombés dans le piège d’une satellisation au conflit du Darfour et présentés comme des forces de mercenariat montées de toutes pièces par et contre les gouvernements du Tchad et du Soudan. Cette vision, largement partagée dans les milieux diplomatiques, n’incitera pas la « communauté internationale » à parrainer de vraies tables rondes pour résoudre définitivement le problème. Car, par principe, les conflits sont classés par types sur le plan du droit international, et celui du Tchad, intervenant dans un contexte où une Constitution existe et reconnue, l’engagement de la communauté internationale se limiterait, au nom de la paix et du business, au retour monnayé des rebelles au « bercail » et non pas remettre en cause le régime de IDI.
De ce point de vue, l’opposition civile dite « radicale » du moment a raté son préalable de participation des rebelles à un dialogue « inclusif ». Elle aurait dû poser aux rebelles le préalable de la reconnaissance formelle du noyau dur de la Constitution issue de la Conférence Nationale Souveraine (CNS), à savoir le Préambule, les Titre 1 et 2 relatifs aux fondements de la République (laïcité, égalité totale des citoyens, suffrage universel, etc). Il n’est pas sûr que ces groupes armés issus de minorités ethniques dominantes et privilégiées, soient vraiment pour une gouvernance légitime par les urnes qui ne les arrangeraient pas. En ignorant cet aspect des choses, l’opposition politique dite « radicale » remet implicitement en cause les Actes de la CNS ayant aboli la prise du pouvoir par la force et la confiscation de la souveraineté du peuple par un groupe dominant. Le dialogue utile avec des groupes armés obéit à une démarche différente de celle avec des groupes civiles légaux, c’est la nuance qu’il faut accepter, quitte à ce que, au terme des deux processus de dialogue, un nouveau cadre de légalité remplaçant la Constitution actuelle, permette à chacun de participer à la mise en œuvre du nouveau consensus national. Les formules Kano, Lagos, Franceville sont périmées.
Les politico-militaires sont assez grands pour poser eux-mêmes leurs préalables, au lieu d’être instrumentalisés par d’autres acteurs comme un épiphénomène récurrent de surenchère dans les rapports de force politiques. La recherche de la paix dans un pays ne saurait se faire à n’importe quel prix, surtout quand il s’agit du Tchad, pays où les inégalités, les préjugés régionaux et religieux, la médiocrité et le pillage, la violence politique et l’impunité ont été institutionnalisés progressivement mais sciemment durant plusieurs décennies.
L’Union Européenne tente de lancer un processus de dialogue et de sortie de crise à la « togolaise », pour obtenir un accord politique transitoire entre le régime de IDI et l’opposition dite « radicale » du moment (CPDC, FAR). Cet accord entérinerait la « légitimité » de fait du quinquennat actuel de IDI, en échange d’un partage équitable du pouvoir et de la manne pétrolière qui apaiserait les tensions dans le pays. La formation d’un Gouvernement de large consensus et les élections législatives en 2007 boucleraient ce processus. Dans le fond, on cherchera à préserver les gros intérêts engendrés par la manne pétrolière croissante, en optant pour des solutions douces qui contourneraient l’essentiel, à savoir l’alternance. Aujourd’hui, la Chine populaire devient la 5e puissance de l’Axe Tchad, après la France, les USA, la Libye et le Soudan. Dans quelle mesure ces puissances pourraient-elles s’entendre sur une gouvernance consensuelle à N’Djamena qui tiendrait compte de leurs intérêts et visées divergentes ? Chacune s’arrangera à disposer de ses propres valets tchadiens (partis politiques, sociétés civiles, rebellions armées), et ces derniers auront-ils de la mesure pour ne pas affaiblir et détruire davantage leur pays dans les luttes fratricides pour le pouvoir ? On observe que, depuis les années 50, c’est l’Étranger qui oriente et diligente la vie publique au Tchad.
En attendant, quand un Acte de Gouvernement est susceptible de modifier profondément le cours des évènements et le sort des populations d’un pays, un vrai patriote démocrate n’a pas le droit de se dérober et d’aller se camper dans une position de blocage épidermique à l’endroit d’un pouvoir. Car si le pouvoir de IDI devrait durer encore des années, on ne peut demander à chaque fois aux élites de démissionner en boycottant les évènements marquants. Une vraie opposition devrait se montrer plus agressif et moins défaitiste : le pétrole appartient à tous les Tchadiens et non pas à IDI et ses proches exclusivement ! L’Union des Syndicats du Tchad (UST) et le Syndicat des Enseignants Tchadiens (SET) l’ont bien compris en acceptant d’entrer dans la commission mixte de renégociation. C’est à l’intérieur que ces centrales syndicales trouveront les éléments de leur stratégie future, quand il faudra réclamer la part du travailleur tchadien.
Etre dans une telle commission ne signifie pas soutenir le régime de IDI. L’enjeu est plus que cela. Au lieu de former des coalitions pour défendre des conventions elles-mêmes décriées dès le départ, il faut jouer le jeu avec IDI cette fois-ci pour percer tous les mystères de la gestion d’un dossier initialement réservé au Clan. On pourra alors, en connaissance de cause, marquer sa différence ou son opposition en temps opportun. Or, nous avons l’impression que quand une crise survient entre le Gouvernement et des intérêts étrangers, la réaction immédiate des autres acteurs publics est de prendre parti pour les intérêts étrangers. Comme si l’image du Tchad commandait de rester dans la merde que nous avions avalé à un moment donné ?
Par exemple, dans le bras de fer avec la Banque Mondiale, nous avions soutenu l’introduction de la Sécurité dans les secteurs prioritaires à financer par les revenus pétroliers. Ce n’était pas pour soutenir IDI, car un jour le pouvoir évoluera. Alors la question préjudicielle de la réforme de l’armée et de la sécurité sera au centre de la transition. Ce n’est pas en ce moment-là qu’il faudra aller s’agenouiller devant les partenaires pour quémander l’argent nécessaire sur une question de souveraineté nationale d’un Etat indépendant depuis 46 ans ? L’opposition « radicale » s’est-elle posée une seule fois la question du bénéfice des œuvres du régime actuel (loi 001 modifiée, loi 004 sur la corruption, etc.) qui lui fourniront les moyens de gouverner et de changer radicalement la situation du Tchad ? L’opposition, si elle veut réussir, devra utiliser les armes et la logique du général IDI même. Malheureusement, elle semble atteinte par l’âge et l’usure des stratégies des leaders et continue de se marginaliser.
Il est fort possible que le pouvoir MPS ait justement misé sur le boycott automatique de l’opposition et de la société civile gauchiste, pour avoir les mains libres dans la renégociation des contrats pétroliers. Alors, la position inattendue de l’UST et du SET pourrait à terme poser problème dans la cohésion de cette commission en cas de manœuvres souterraines. Sauf si les représentants des syndicats mordaient à l’appât des dessous de table. IDI peut gagner cette nouvelle bataille, car elle est légitime. Il peut aussi la perdre, ou plutôt son pouvoir et il en est conscient. Car les majors pétroliers ne sont pas des enfants de cœur et pourraient tout mettre en œuvre pour rendre le pays ingouvernable, d’autant que les candidats sont nombreux dans les élites, prêts à se mettre au service de qui leur promet la location du palais de Djambalgato. Tout est désormais possible en termes d’évènements et de rebondissements au Tchad !
Cependant, il y a quelques conseils de prudence à donner à nos acteurs publics impliqués dans cette renégociation.
Un : qu’ils s’assurent que la Société tchadienne des hydrocarbures (SHT) ne devienne pas un nouveau holding à coloration clanique et/ou de placement des grands rapaces connus de la place.
Deux : que les aspects occultés ou volontairement rejetés du dossier pétrole soient repris en compte par le canal de cette commission.
Trois : que le problème de la gestion et de la redistribution équitable des revenus pétroliers entre les régions, au-delà du quota de la région productrice et des secteurs prioritaires, fasse l’objet d’un nouveau consensus national.
Si, pour une fois, le général de corps d’armée IDI de son côté et ses challengers de l’autre, pouvaient privilégier jusqu’au bout, sans coups fourrés l’intérêt national et la franchise dans la nouvelle conduite de ce dossier pétrole, le Tchad gagnera sa plus belle victoire historique : son Indépendance économique ! Qui vivra verra !
Enoch DJONDANG