L’interférence du Soudan dans les affaires intérieures du Tchad est très ancienne, multiple et sous diverses formes. Ainsi comme la Libye, le Soudan a toujours servi de base arrière et même de sanctuaire pour les Opposants politico-militaires en rébellion contre le pouvoir de N’Djamena.
Depuis 1959, les Tchadiens installés au Soudan se sont constitués en comité de dissidents dénommé :<Comité du Tchad Libre>, siégeant à Khartoum. Mais compte tenu de son hostilité à l’égard de ce Comité, l’ancien président Tombalbaye accusa plus tard les autorités soudanaises d’entretenir <un Gouvernement de la République Islamique du Tchad en exil>. En fait, il ne s’agissait que du Mouvement National de Libération du Tchad, MNLT transformé le 20 Avril 1965 en Front de Libération du Tchad, FLT de Ahmed Hassan Moussa, un ancien membre du Mouvement Socialiste Africain, MSA de Ahmed Khoulamallah, l’un des partis politiques interdits par le président Tombalbaye en 1962.
En 1965, des milliers des Tchadiens vivaient au Soudan et le FLT bénéficiait déjà à l’époque du soutien des fonds collectés par les travailleurs tchadiens du Gesirah. Organisé et bien structuré, le FLT s’engagea dans la lutte armée contre le régime de N’Djamena. En 1966, les dirigeants de l’UNT à savoir Issa Dana, Président et Mahamat Abba, Secrétaire Général, se sont concertés avec Ahmed Hassan Moussa du FLT, pour créer à Nyala au Soudan, le Front de Libération Nationale du Tchad, FROLINAT placé sous la direction d’Ibrahim Abatcha, Ce dernier, originaire et natif de la capitale tchadienne est membre de l’UNT, parti politique crée depuis le 16 Septembre 1958, mais interdit également en 1962.
En 1966, le Frolinat a mené plusieurs actions militaires dans les régions du Guerra, Ouaddaï et Salamat. Ces offensives localisées se sont étendues plus tard au Batha, au Chari Baguirmi, au Lac et à Bardaï. En 1972, la rébellion s’est généralisée dans les régions Est du pays et des groupes de combat du Frolinat se sont apparus même au Mayo Kébbi et à Léré. En 1974, la rébellion avait même attaqué la Garde nomade surveillant les installations pétrolières de la Continental Oil Company, CONOCO dans la région de Doba.
Aussi, les premiers dirigeants du Frolinat ont reçu le soutien des Tchadiens servant dans l’Armée Soudanaise, pour assurer la formation et l’entraînement de leurs combattants. De 1965 jusqu’au 1972, le Soudan a été pratiquement une base opérationnelle du Frolinat. Mais suite aux accrochages survenus en mai 1972, entre l’Armée soudanaise et les combattants du Front Populaire de Libération, le Frolinat fut réduit à la clandestinité. Ses activités sont interdites et son Bureau fermé. Heureusement qu’un autre sanctuaire s’est ouvert plus tard en Libye, du Colonel Kadhafi qui continue toujours lui aussi, ses interférences au Tchad, en soutenant tantôt le pouvoir de N’Djamena, tantôt la rébellion et parfois en essayant de les opposer ou les réconcilier comme ces derniers temps.
De même en Avril 1989, lorsque le Colonel Idriss Deby est entré en dissidence contre l’ancien président Hissein Habré, c’est au Soudan qu’il s’est refugé avant de conquérir les régions Est du Tchad. Le 1er décembre 1990, il prend le pouvoir à N’Djamena, grâce d’abord à un soutien actif de la France, avec l’appui des combattants du MPS, de Tchadiens résidant au Darfour, mais aussi des Soudanais. Et durant ses premières années de pouvoir, la présence massive des nouveaux Soudanais au Tchad avait suscité l’hostilité générale de l’ensemble des populations tchadiennes. Pour les Soudanais, surtout originaires du Darfour, le Tchad était leur nouveau El Dorado….
Aujourd’hui encore, avec la détérioration de la situation politique au Tchad, beaucoup de Tchadiens opposants politiques et officiers militaires en dissidence, ont trouvé refuge au Soudan. Suivant les traces de leurs aînés du Frolinat, et surtout décidés à défendre leurs droits de revenir un jour participer librement à la gouvernance de leur pays, ces frères de l’Opposition se sont organisés dans différentes formations politico-militaires. Ces organisations se fixent toutes comme objectif de renverser le pouvoir de N’Djamena, mais n’arrivent pas à constituer une seule Coordination de lutte pour atteindre leurs objectifs.
Avec l’éclatement du conflit du Darfour, d’autres Mouvements soudanais de lutte armée sont créés, et leurs leaders réfugiés au Tchad, bénéficient du soutien des autorités de N’Djamena. Alors, en réaction au soutien ouvert du président Idriss Deby Itno au Mouvement pour la Justice et l’Egalité, MJE, du Dr. Khalil Ibrahim, le président Hassan El Béchir qui avait déjà donné de larges facilités au Front Uni du Changement, FUC du Capitaine Mahamat Nour Abdelkerim, autorise le rassemblement au Soudan, d’autres Mouvements politico-militaires tchadiens, tels, l’UFDD du Général Civil Mahamat Nouri, la Coalition CNT-RaFD de Timan Erdemi, et même le CPR de Mahamat Amine Ben Barka, récemment crée, mais bien constitué par des cadres très déterminés.
Le soutien discret mais très actif du pouvoir de N’Djamena au MJE, qui parfois participaient aux offensives des Forces Armées tchadiennes contre les forces de la rébellion, a conduit les dirigeants de Khartoum à s’engager fermement et ouvertement pour déstabiliser le Tchad. C’est ainsi que les milices armées Djan-Djaouites du gouvernement soudanais intervenaient à l’intérieur du territoire tchadien et souvent dans les camps de réfugiés du Darfour, troublant ainsi les activités et actions d’Assistance ou de Secours mené par les Organismes et Agences humanitaires. En appuyant la rébellion armée tchadienne du Front Unis pour le Changement, malgré « les tirs de semence » des Forces françaises de l’Opération Épervier, le soutien du Soudan a conduit le FUC le 13 Avril 2006, jusqu’aux abords du Palais présidentiel à N’Djamena.
Avec le retour au bercail du Capitaine Mahamat Nour Abdelkerim du FUC, suite à l’Accord signé avec le président Deby en Libye, c’est par l’Union des Forces Démocratiques pour le Développement, UFDD du Général Mahamat Nouri, que le Soudan persiste encore à déstabiliser le Tchad. En appuyant la rébellion armée de l’UFDD et la coalition CNT-RaFD de Timan Erdimi, le président El Béchir réplique ainsi aux interférences du président Deby Itno dans les affaires intérieures soudanaises.
Ainsi ayant constaté l’ampleur des attaques de la rébellion du FUC en Avril 2006 et surpris par les récentes offensives militaires de l’UFDD et de la coalition de CNT/RaFD, le Chef de l’Etat tchadien monta la surenchère pour qualifier la rébellion tchadienne, des Mercenaires puis des Terroristes à la solde du Soudan, de l’Arabie Saoudite et d’Al-Quaida. Khartoum a été certes un point de transit de Ossama Ben Laden, mais le FROLINAT crée depuis 1966 au Soudan, avait certes des combattants arabophones et musulmans, mais pas des Islamistes fondamentalistes. De Goz-Beida en passant par Abéché, Adré, Ounianga Kébir et Fada, l’actuelle rébellion tchadienne continue non seulement de troubler le pouvoir de N’Djamena, mais de menacer sérieusement la stabilité du Tchad. Malgré le ralliement de l’ancien rebelle, le Capitaine Mahamat Nour Abdelkerim du FUC, devenu aujourd‘hui Ministre de la Défense, l’accalmie n’est pas encore garantie. Sa présence au Gouvernement est certes un atout pour le pouvoir de N’Djamena, mais aussi un signe de provocation de certains membres de l’entourage du Chef de l’Etat. Bref, le Conflit du Darfour tout comme les récents affrontements armés ont entraîné des centaines de morts et le déplacement des milliers des civils tchadiens et soudanais.
Malgré les multiples Accords signés suite aux efforts du Guide de la révolution libyenne, Mouammar Kadhafi et du président français Jacques Chirac, ou encore des autorités iraniennes, les relations bilatérales entre le Tchad et le Soudan restent troublées et marquées par la méfiance réciproque. Les Mouvements de rébellion contre les pouvoirs de N’Djamena et de Khartoum continuent d’exister et se renforcent. L’ONU cherche à envoyer ses Casques bleus pour servir de Forces internationales d’interposition. Le Soudan est ferme et réticent et le Tchad embarrassé, hésite. Que faire pour sortir de cette crise ? Tout dépendra des efforts concrets de paix à consentir par les Généraux Idriss DEBY ITNO et Hassan EL BECHIR en acceptant de négocier avec leurs rebellions armées en vue de trouver de solutions pacifiques acceptables pour tous et dans l’intérêt de leur pays. Cet engagement honorable dépendrait non seulement de leur volonté politique, mais aussi de leur maturité d’Homme d’Etat, capable de faire la paix pour l’avenir des générations futures.
Hassane Mayo-Abakaka