Le président du conseil militaire de transition (PCMT) aurait récemment déclaré que « rien, au plan juridique, ne [l’]obligeait à organiser [le] Dialogue » mais qu’il a « décidé en [son] âme et conscience, que c’était la voie idéale ».
Une déclaration qui rappelle celle de son père disant ce qui suit à Jeune Afrique en 1994 : « personne ne m’a rien imposé. Dès juin 1990, alors que j’étais encore au maquis, j’avais déclaré que le but de notre combat était l’instauration de la démocratie » (Transition et élection au Tchad – 1993-1997, R. Buijtenhuijs, p. 60)
La déclaration du PCMT aurait, semble-t-il, fait bondir les quelques derniers irréductibles, dont le leader des Transformateurs, qui osent encore résister aux promesses inaudibles mais exubérantes, et presque envahissantes, de partage du généreux gâteau que le pouvoir militaire et ses tentacules civiles, composées essentiellement d’anciens opposés (opposants et Mps) réconciliés et fusionnés, ne cessent de faire miroiter.
Selon, donc, le Général d’armée à la tête du pays depuis un peu plus de 15 mois, « rien, au plan juridique, ne l’obligeait » à organiser le Dialogue.
Dit-il vrai ?
Réponse en demi-teinte :
En disant « rien ne m’obligeait », le PCMT parlait à l’imparfait, et donc au passé. Sauf s’il a appris la conjugaison à l’armée comme ce fut le cas pour son illustre prédécesseur dont l’inoubliable « je mourrirai » a été propulsé au premier rang des mots les plus recherchés sur facebook un soir de mars 2021, le PCMT ne dit pas que « rien ne l’oblige » à organiser le Dialogue national. Il ne parlait pas au présent. La grand-messe, tant attendue pour ses immanquables selfies et moments de ridicules grandiloquences à l’effet de masquer la vacuité des propositions issues des soi-disant pré-dialogues, aura bel et bien lieu. Ne nous inquiétons pas. Même pour la photo, ils l’organiseront, le fameux dialogue national que la classe politique traditionnelle voudrait « inclusif » et que la société civile ne le conçoit que « souverain ».
Le PCMT dit-il vrai lorsqu’il affirme qu’«au plan juridique», rien ne l’obligeait à organiser le Dialogue national ? Pas tout à fait.
En effet, le Conseil militaire de transition, après le coup d’état du 20 avril 2021 qui lui a permis de prendre pouvoir, a dissous la Constitution du 4 mai 2018 et lui a substitué une Charte de transition de la République du Tchad (qui n’est ni plus ni moins qu’un patchwork de la Charte nationale provisoire du 28 février 1991 et de la Charte de transition de la République du Tchad du 5 avril 1993 légèrement remaniées).
La Charte de transition du 20 avril 2021, à laquelle les textes législatifs ultérieurs (art.103), les dispositions de la Constitution dissoute, les lois et règlements non-contraires (art. 102) servent de béquilles, ne contient, il est vrai, aucune disposition claire rendant obligatoire la tenue d’un Dialogue national.
Mais, si elle ne prévoit pour aucun des organes de la transition l’obligation d’organiser une quelconque conférence nationale, la Charte de transition dit, en revanche, expressément que « la paix et la sécurité sont des préalables à la consolidation de la démocratie au Tchad » (Préambule) avant d’ajouter que « le Conseil militaire de transition [PCMT] est un organe de définition et d’orientation des questions de paix, de stabilité et de sécurité nationale » (art. 36) pour enfin rendre le président du conseil militaire de transition (PCMT) « garant de l’unité nationale » (art. 38)
Or, si la rhétorique de ‘‘Paix’’, de ‘‘stabilité’’ et d’‘‘unité nationale’’ a permis à son prédécesseur de confisquer le pouvoir à vie, la dissolution de la Constitution de 2018 par le Conseil militaire de transition et l’engagement quasi-constitutionnel (art.97) de celui-ci à limiter à 18 mois l’état d’exception dans ce pays profondément meurtri par plusieurs décennies de « guerres sans fin » (Les Temps Modernes 2017, M. Debos, N. Powell) impliquent nécessairement de réunir , dans ce laps de temps, autour d’une table, l’ensemble des acteurs politiques, bandes armées et militants associatifs afin de fixer les meilleures résolutions pour permettre à la nation de sortir du cycle de la violence et de surmonter ses divisions.
En cela, contrairement à l’analyse du PCMT, la tenue d’un Dialogue national trouve son fondement juridique dans la Charte de transition du 20 avril 2021.
Aurait-il dû dire « rien ne m’obligeait à instituer une Charte de la transition » ? Affirmatif ! La Constitution de 2018 suffisait largement à garantir l’expression démocratique. Si Kabadi avait accepté d’assumer, « en âme et conscience », ses responsabilités, les Tchadiens auraient déjà élu démocratiquement un président et ainsi pu éviter le spectacle désolant qu’offre ce régime d’exception qui ne survit que grâce à l’incommensurable tolérance des 16 millions de citoyens qui se laissent asservir, acceptent toutes les injustices et détournent le regard face à la négation de leurs droits les plus élémentaires.
Lyadish Ahmed