Liberté de Presse au Tchad avec l’ex-journaliste et enseignant chercheur Dr Évariste Toldé

Mai 11, 2022

Le Tchad comme partout dans le monde a célébré le 3 mai dernier la journée mondiale de la liberté de la presse. Le rapport 2022 de Reporters Sans Frontière classe le Tchad au 104 rang sur 180. Et dis ceci: « La situation politique et sécuritaire du Tchad reste très instable et fait peser des risques importants sur l’exercice du journalisme. La mort, en avril 2021, du président Idriss Deby Itno n’offre pour l’instant aucune perspective nouvelle pour la démocratisation du pays. » Entrevue.

Alors où en est-on au pays avec la liberté de presse, en cette phase de transition? Comment se portent les médias? Dans quelles conditions travaille le journaliste tchadien? Vaste champ de questionnement. Nous recevons au plateau de notre émission Le Point et dans le studio Saleh Gaba l’ex-journaliste, politologue et enseignant chercheur Dr Évariste Ngarlem Toldé pour nous éclairer.

On est dans le studio Saleh Gaba, une grande figure du journalisme tchadien. On fête ce 3 mai la journée de la liberté de la Presse et on ne voit aucun signe qui parle de cet imminent journaliste. Qu’est que cela nous dit à nous tous, journalistes, citoyens, patron de presse, décideurs politiques sur l’état des médias au Tchad?

J’ai eu un pincement au cœur dès que vous avez prononcé le nom de Saleh Gaba (SG) que j’ai personnellement connu et je sais dans quelle situation il a disparu. Je suis dans un studio qui porte son. Je vaudrais vous dire merci d’avoir pensé à refaire vivre SG. C’est le prototype du reporter, le journaliste hors pair. Alors en cette journée qu’est que les Tchadiens et le journaliste tchadien on fait? À ma connaissance pas grand-chose. Une telle date devrait permettre de penser à ceux qui ne sont plus de ce monde, les premiers journalistes qu’on a eu à la radio dans les débuts des années 60. On m'a cité Khamis Togoï, Laou Djongosi ce sont des noms qu’on doit mettre ce 3 mai en valeur. Apparemment on n'a pas pensé à ces pionniers qui ont déblayé. le métier On devrait penser à ceux qui ont payé de leur vie pour que la liberté de la presse soit une réalité dans notre pays. Malheureusement on constate un relâchement par rapport aux années  passées alors qu’on devait poser des actes pour marquer cette journée.

Pour rétablir les choses, il y a le prix SG institué par la Haute Autorité des Médias audiovisuels (HAMA) avec le président Djonabaye Dieudonné. Si j’ai bien compris, l’état de la presse est catastrophique. Elle n’a même pas de mémoire?

Absolument. Je ne vous le fais pas dire. J’étais même parmi ceux qui ont institué le prix de l’excellence en journaliste. À l’époque, on voulait même un studio qui porte le non SG. Il y a eu débat, mais nous ne sommes pas arrivés à le faire.

Un studio Saleh Gaba?

Oui, oui un studio SG

Malgré cette grande tour (télévision et radio, Onama), personne n’a pensé à SG?

Même pas. Personne n’a pensé à l’immortaliser malgré la proposition de Sy Koumbo Singagali. Elle représentait l’ATPE (agence tchadienne de presse et d’édition), moi j’étais président de l’UJT (Union des journalistes tchadiens) et les présidents des corporations, on avait pensé à ces genres d’initiatives.

Le Tchad est passé de 123e rang à la 104e place. N’est-ce pas une amélioration? Ou c’est juste en trompe-œil?

Il faudrait qu’on nous dise qu’est-ce qui s’est passé entre temps. Le rapport de Reporter Sans frontière (RSF) c’est chaque année. Qu’est-ce qui s’est passé entre 2021 et 2022? Entre temps on a vu les journalistes faire de la prison, entraînés en justice, à la barre pour un oui, pour un non. Ce sont des images qu’on ne voyait plus. Je me rappelle, l’UJT on se mobilisait pour voler au secours, avec la Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH), le directeur  de radio Brakos de Moïssala qui était menacée par les militaires parce qu’il donnait libre parole aux auditeurs.

Dans une situation pareille, peut-on parler de la liberté de la Presse?

Oui, pourquoi pas. Cela a toujours existé. Vous savez au sortir de la Conférence nationale souveraine (CNS) en 1993, les journalistes, nous avons obtenu la Loi 19 sur le régime de la Presse, nous avons obtenu aussi la nomination d’Emmanuelle Touadé et la mise en place du Haut conseil de communication. Tout cela relève du domaine des textes juridiques qui régissent la presse au Tchad. J’ai aimé votre appréciation en disant « médias publics » et non des médias d’État. C’est tout à fait normal de nommer les journalistes qui sont fonctionnaires, agents de l’État. Moi mon problème ce que ces journalistes sont presque tous du même bord politique. Tous ceux qui arrivent là font les louanges du chef de l’État. Ils rament tous à contre-courant des idéaux du journalisme. Je ne citerai pas des noms, mais aujourd’hui, beaucoup des journalistes pour suivre sont obligés de passer par là.

Les médias privés travaillent dans la précarité, l’aide à la presse a tari, les publications respectent à peine les règles. Quelle solution faut-il proposer? Quel modèle économique proposer?

Vous savez nous nous sommes retrouvés en 2005 entre responsables des associations de journalistes à Kinshasa en République démocratique du Congo (RDC). Nous avons concocté la convention collective des journalistes qui fixe un minimum pour le journaliste : salaire, congés, etc. Nous avons travaillé, 14 pays, dans le sens de la viabilité des médias en Afrique et surtout de l’Afrique francophone. Vous avez parlé de l’impression, oui. Mais la détaxation des intrants qui rentrent dans la production d’un journal. Il y a le loyer, le coût de l’électricité, etc. Nous avons dit voici le minimum. Il faudrait aussi que le journaliste soit bien traité. Les patrons de presse, directeur de publication roulent tous en voiture alors que le journaliste marche à pied. Nous-mêmes parfois les journalistes nous nous faisons du mal à nous-mêmes. La convention voulue devrait s’occuper du journaliste. Dès l’instant qu’on a sa carte de presse, on doit avoir des soins gratuits, se déplacer librement, voyager rapidement, etc. Plusieurs domaines évoqués, mais les gens ne veulent pas nous entendre. En 2002 l’Union européenne (UE) avait mis 200 millions de F CFA pour demander à l’État tchadien de nous donner un local et l’équiper avec ces 200 millions. L’État tchadien est resté muet. 2003 ce fonds sont ramenés à 125 millions, 2004 à quatre-vingts quelques millions, 2005 j’étais arrivé comme président de l’UJT. Et les fonds sont rapatriés. Quelles raisons ont été évoquées? Ils disent « on ne peut pas mettre des fonds aussi conséquents à la disposition des journalistes, « nos ennemis », ils deviendront pires que les partis politiques.»

Justement, est-ce que cette situation, maintenir les journalistes dans la précarité n’est pas voulue? N’est-ce pas la faute des journalistes?

Oui. Vous l’avez ébauché. En 1988-89, on a créé l’UJT sous la dictature, organisation faîtière des journalistes. Aujourd’hui vous allez compter combien des organisations qui défendent des intérêts partisans dans la profession? Tantôt c’est ceci, tantôt c’est pour cela. Donc nous avons creusé notre propre tombe. Vous arrivez à un reportage, on attend les gars de télé. On va même les chercher comme si la radio et la presse écrite ne sont pas des médias. Il y a même une division entre médias publics et privés. On estime que ceux des médias publics doivent être privilégiés au détriment du privé. On crée de ces distanciations. On est entré dans la division, cela a fait le lit de la division. Les journalistes doivent demander des comptes aux autorités.

A votre époque, il y avait l’âme du journaliste tchadien avec les Madjirangar Fakir Kana Sawa. Malgré la dictature, il y avait quelque chose et cela donnait envie d’être journaliste. Mais aujourd’hui c’est creux, ça sonne faux. Quels conseils donnerez aux jeunes journalistes qui montent en termes de prise de conscience?

Avant la libéralisation des médias, il n’y avait que les médias publics à part Tchad Culture. Et tous ceux qui venaient sortaient des écoles de formation, même si les premiers étaient formés dans le tas, parce que le journalisme est une science et une technique. Ce n’est pas pour rien qu’on a concocté une loi, rien que pour la presse. Il n’y a pas une loi pour les médecins. Pas une loi pour les juges.On a choisi de faire une loi pour les journalistes parce que c’est un métier à part. La loi dit que toute personne exerçant dans un journal, une radio, une télé et tirant ses revenus d’une entreprise de presse est journaliste. Celui qui a 30 ans d’exercice et celui arrivé aujourd’hui, rien ne vous distingue. Cette disposition ne fait pas référence à un diplôme. Elle a ouvert la porte à ceux que j’appelle les brebis galeuses. Ils sont entrés dans la profession. Ils ont terni l’image de la profession.

Faut-il donc nettoyer le métier?

Oui justement.

Comment faites pour nettoyer?

Pour la remise de la carte de presse, je crois que la Hama a exigé que les Directeurs de publication et rédacteurs en chef soient issus des écoles du journalisme. Il faut un minimum. On a découvert à un moment qu’il y a qui venaient avec leurs diplômes de pêche ou d’agriculture et qui devenaient journalistes. Pourquoi ils ne peuvent pas aller aux Douanes ou à la Police avec ses diplôme?. Pourquoi c’est le journalisme qui absorbe ces gens-là.

C’est peut-être parce que c’est un métier de liberté. Non?

Oui, mais…un métier de liberté parce que c’est laissé à merci de tout le monde alors que c’est la loi qui règlemente. Je dis, c’est la loi qui les autorise puisqu’elle ne fait pas mention de diplôme. Je reconnais comme beaucoup que les meilleurs journalistes ne sont pas ceux qui sortent des écoles de journalisme. Là je suis entièrement d’accord.

On est en période de transition. Depuis les journalistes sont invités à ne pas diffuser des propos haineux. Est-ce que c’est le rôle du journaliste? Est-ce que ce n’est une forme de censure?

Non. Ce n’est pas le rôle du journaliste.

Mais on n’entend pas le journaliste dirent que ce n’est pas leur rôle.

Ils ne peuvent pas le dire. Ils ne peuvent pas s’arrêter de passer l’information. On ne peut pas empêcher le journaliste de dire ce qu’ils voit. Mais c’est la façon de le dire et de l’écrire. Aujourd’hui, il y a des médias modernes ces choses se disent.

Quel est votre mot de fin par rapport à l’état des médias et des conditions de travail des journalistes?

Moi je sollicite le statut particulier pour ceux qui travaillent dans les médias. Il faut faire en sorte que les conditions de travail des journalistes s’améliorent. Il faut faire parvenir l’information partout. Je demanderais en cette journée qu’elle soit consacrée à la réflexion aux conditions de travail des journalistes avant de penser aux projets.

Réalisation Bello Bakary Mana

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