Il y a déjà, 72 heures que les portes de la Justice tchadiennes ont été fermées par les magistrats. Ceux-ci réclamaient leur sécurité et celle du milieu judiciaire en général. Les enjeux d’une grève illimités à la Justice sont importants. Votre journal Ialtchad s’est entretenu ce 23 mars avec Me Hisseine Ngaro, huissier de Justice Commissaire-Priseur. Interview.
Que devient la Justice au Tchad ?
D’abord il faut dire c’est une situation à déplorer. J’avoue que depuis 1989, date à laquelle j’ai pris fonction à la justice en tant que greffier en chef avant de quitter cette fonction pour devenir aujourd’hui huissier de Justice, les choses ne font qu’aller de mal en pis à partir de 1990. Malheureusement, depuis cette date jusqu’à l’heure actuelle on se demande si le pouvoir judiciaire est considéré comme un troisième pouvoir au même titre que le législatif et l’exécutif. En toute sincérité je ne pense pas. Le pouvoir judiciaire est devenu complètement amorphe par la faute du politique et législatif. Aussi simple que paraitre comme cela aujourd’hui, je vous donne un exemple. En 1993, 95 les gens tiraient sur le personnel judiciaire. Dans l’ancien palais de justice de N’Djamena devenu actuellement trésor public, nous avons connu beaucoup d’humiliations de la part de l’exécutif et du législatif.
Les choses semblent s’enfoncer pourtant ?
Pie aujourd’hui si les magistrats sont dénigrés cela vient des deux autres pouvoirs (exécutif et législatif). Vous savez en son temps il n’y avait qu’un seul syndicat des magistrats. Le politique a réussi à diviser les magistrats et prendre ceux qui sont à sa dévotion pour en faire des ministres, des chefs de juridiction etc. l’aspect le plus marquant est qu’aucun respect n’est dû à un magistrat dans ce pays. Or, on ne peut parler de véritable démocratie dans un État que lorsqu’il existe une véritable Justice indépendante. Autrement, c’est l’indépendance des magistrats qui fait l’indépendance de la Justice. Les choses sont claires, l’exécutif dispose d’un palais rose, identique au législatif mais il n’existe même pas un palais digne de ce nom pour le judiciaire. Avec cela on vous dit que le Tchad est un État démocratique où les droits et devoirs sont respectés. C’est le fait que les magistrats soient divisés qui fait que les décisions sont rendues non sur le droit mais en considération des volontés politiques ou législatives.
Selon vous, qu’est-ce qui peut être à l’origine des menaces répétitives des magistrats ?
Aujourd’hui l’insécurité se généralise non seulement concernant les magistrats mais le maillon judiciaire dans son ensemble. On tue des magistrats, des greffiers, des huissiers, des avocats dans ce pays depuis 1990 à nos jours.
A chaque fois, on se retrouve entre personnel du corps judiciaire parce qu’on forme un seul noyau. Mais choses à déplorer il y a des magistrats ou des greffiers du pouvoir qui viennent casser l’ordre préétabli. Ce que ceux-ci oublient les gens ne font pas part des magistrats, ils tirent sur tout le monde. Malheureusement on ramène les mêmes délinquants devant un juge au lieu de dire la vraie sentence, il se montre clément. Quelque fois, nous sommes aussi responsables de ce qui nous arrive.
Vous dites à quelque chose le malheur est bon, que cela veut dire ?
Je dis à quelque chose le malheur est bon parce que les magistrats doivent cette fois, prendre leur destin en main. Ils doivent dire qu’ils sont des magistrats, hommes indépendants, garants de la justice pour tous. Ils ont pour devoir d’assoir la démocratie dans ce pays. Aujourd’hui ce sont les deux syndicats qui se retrouvent ensemble. L’heure est à la prise de conscience de cette situation. Je pense que nous formons un seul corps et le corps c’est la magistrature. Désormais plus de deux syndicats, un seul pour défendre les intérêts de tous. Je crois que quand on prête serment pour légiférer en toute conscience et âme, on doit prouver qu’on est indépendant. Il faut que les magistrats prennent garde, ils doivent s’assumer c’est-à-dire être solidaires. Ils doivent rendre leur verdict conformément à la loi. Je sais que certains magistrats ont fait ça et qui ont la conscience tranquille. Tant qu’ils se fragilisent en termes de syndicats, ils ne s’en sortiront jamais.
La justice se ferme au pays, quelles peuvent être les conséquences à votre avis en tant qu’auxiliaire de Justice ?
Les conséquences sont simples, ceux qui viennent demander justice parce qu’ils ont foi en elle, sont sur les carreaux. Ils sont obligés d’attendre, les urgences qu’on ne peut même pas regarder étant donné que c’est un arrêt illimité. Or il y a des faits qui nécessitent des urgences. Par exemple un accidenté de circulation qui croupit à l’hôpital et on attend la décision du juge pour qu’il soit évacué. Cette grève va faire part belle à certains officiers de police judiciaire(OPJ).
Vous dites la grève des magistrats va faire part belle aux OPJ. Expliquez-vous davantage ?
La grève des magistrats va faire part belle aux OPJ évidemment. Ils diront que la justice ne travaille pas ‘’on règle ça entre nous’’. A mon avis c’est ouvrir une boite à Pandore en ce qui concerne l’injustice. Les gens vont croire qu’en payant les amendes on règle le problème or rien n’est réglé. En matière criminelle par exemple, rien ne se règle au niveau des OPJ ou commissariats. Autres conséquences, le nombre des personnes gardée à vue va remplir les prisons et les commissariats. Et qu’est-ce qui va se passer ? Demain il n’y aura pas à manger pour les détenus et cela risque de susciter une grève des prisonniers. On ne peut pas parler d’un pays démocratique sans justice s’il vous plait ! Dès que la justice cesse de travailler, les abus viennent de toute part.
Que faut-il faire pour arrêter les abus ?
Pour arrêter les abus, il faut mettre les magistrats dans toutes les conditions requises. Assurer la sécurité au travail comme à la maison. Les contrôles dans la ville même si tu présentes ta carte professionnelle, on te néglige. On compare même un magistrat à un ministre. Or il y a une grande différence entre un magistrat et un ministre. Le ministre est nommé par un décret et peut partir à tout moment mais un magistrat reste un magistrat. Il n’y a pas une école de ministre mais une école des magistrats. On doit concéder au juge ou magistrat, la valeur et l’honneur qui sont les siennes. Les magistrats doivent avoir eux aussi l’escorte comme le Président du CMT et le Président du CNT. Le judiciaire est le 3eme pouvoir, pilier de la démocratie.
Les magistrats ont raison de jeter leurs cartes professionnelles, quel commentaire faites-vous ?
Les magistrats ont raison de jeter leurs cartes professionnelles, moi je ne la porte pas sur moi. Je me promène qu’avec ma carte nationale identité. Il faut que le Chef de l’État dise au service de sécurité que les magistrats et l’ensemble du service judiciaire est assermenté. Je pense qu’il faut que cela cesse sinon il ne sert à rien de parler Justice dans ce pays-là. C’est quand les gens vont commencer à se pourchasser comme dans une jungle qu’on comprendra l’importance de la Justice. Aujourd’hui 4à 5 jours la justice ne travaille pas, je pense que dans un État normal on doit déjà interpeller beaucoup de gens. Ce qui les intéresse actuellement c’est Doha, or 80 pourcent de ceux qui ont mis ce pays à genoux sont là-bas. Je suis désolé qu’on veuille restaurer la démocratie sans la Justice.
Interview réalisée par
Moyalbaye Nadjasna