Ses adversaires le disaient fatigué de gérer son système « toile d’araignée ». Un système dont il est le cœur. Et d’où il voit tout, sait tout, contrôle tout et décide de tout. Pis ces derniers temps, il s’est recroquevillé sur lui-même et sur son fauteuil de président laissant fleurir rumeurs et ambitions dans son entourage. Il surgit toujours à la dernière minute tel un vieux lion forçant tous les ambitieux à faire profil bas. Il vient de surprendre pour la énième fois par sa longue présence au Lac après l’attaque de Boko Haram (BH). Alors qu’une semaine auparavant, on le disait éreinté par le pouvoir. Longue chronique d’un soldat hardi, d’un président déroutant et du tout nouveau Maréchal!
Mercredi 23 mars, pendant que le pays luttait contre le virulent coronavirus, une autre nouvelle, tout aussi virulente, tombe : la secte BH a attaqué par surprise l’Armée Nationale Tchadienne (ANT) sur l’île de Bohama, dans la région du Lac. Le bilan est de 98 morts et 44 blessés graves. C’était un coup dur. Parmi eux plusieurs officiers importants. Jamais de mémoire de tchadien, l’armée n’a subi une si grande perte. Jamais de mémoire, le soldat Idriss Deby Itno (IDI) n’a vécu un tel affront.
Par un tweet le président tchadien annonce la nouvelle « pendant que nous sommes en lutte contre le coronavirus, les illuminés de BH ont attaqué nos forces armées dans le Lac-Tchad. Je salue le sacrifice de nos vaillants soldats. Je réitère notre total engagement à vaincre le péril terroriste. » À ce moment, le président n’a pas laissé paraître sa colère. Il la rumine et décide de se rendre sur les lieux de l’attaque.
Sur l’île, c’est la désolation : voitures calcinées, corps noyés, soldats égorgés, munitions emportées. Le président avance au micro, lunettes noires sur un visage fermé, la voix chevrotante de colère, il annonce que ces méfaits doivent être punis.
Le lendemain, il remballe sa veste de président et enfile sa tenue de soldat. Ajuste son grade de Général 5 étoiles. Décide de camper sous un hangar loin des dorures du palais. Dans le sable, la poussière, l’austérité des lieux, l’inhospitalité du climat. Il n’est à l’aise que parmi sa troupe. Il fait de son hangar son quartier Général. Il jure d’en finir avec la secte terroriste de BH. Il s’entoure de ses officiers. Il prépare la riposte.
À cet instant, le soldat a pris le dessus sur le Président. Il aime cela IDI, être soldat. Être simplement combattant sur le terrain. Se contenter du peu. Vivre en groupe. Défier toutes les lois du protocole. Il oublie même qu’il est président. Qu’il ne devrait pas être là, surtout pas en première ligne. Sauf qu’il a déjà dit que le Tchad est le seul pays au monde où le président monte au front pour faire la guerre. Il n’a pas tort. Il connaît ce pays, il connaît ce peuple pour qui être chef, c’est savoir guerroyer. C’est une des qualités de chef qui les impressionne. Un chef prêt à faire face à la mort, cette visiteuse indésirable. « Pour gouverner les Hommes, il faut les impressionner », disait Napoléon Bonaparte.
Le soldat Deby Itno a-t-il fait de cette assertion son principe? Il y a longtemps, un routier du journalisme français Jean-Pierre Elkabbach l’avait déjà surnommé, en direct sur les antennes de la radio française Europe 1 le Napoléon d’Afrique. C’était au lendemain de sa fumante victoire en 2008, sur les rebelles venus de l’Est échoués aux portes de son palais. Alors que personne ne le croyait capable de retourner la situation en sa faveur. Une prouesse militaire dont les Tchadiens en parlent jusqu’aujourd’hui. Qui invoquant le soutien français. Qui invitant la division des rebelles. Peu importe, le soldat Deby Itno est sorti victorieux après avoir presque perdu ce pouvoir qu’il aime tant.
Beaucoup de Tchadiens ne l’aiment pas comme président, mais beaucoup l’adore comme soldat et admire son audace. Ils oublient comme lui qu’il est président. Ils oublient comme lui que sa place n’est pas en première ligne. Ils sont amoureux de leur président-soldat lorsqu’il brandit sa canne de général. Et entonne le cri de ralliement « moral, moral, moral »
Dans les Réseaux sociaux (RS), il n’y avait que des éloges pour lui. Pourtant, les internautes tchadiens sont connus pour leurs critiques acerbes. Ils aiment le détester virtuellement. Ils adorent l’admirer militairement.
Le Président de l’Assemblée Nationale (PAN) Dr Haroun Kabadi et Mahamat Zene Bada, Secrétaire Général (SG), du Mouvement Patriotique du Salut (MPS, parti au pouvoir), se sont rendus sur le terrain. Ils n’ont pas pu retenir leurs ardeurs.
Le PAN, euphorique, trouvait que le grade de Général était peu pour le soldat Deby Itno. Le SG enthousiaste renchérit « … M. le président sur les réseaux sociaux, c’est un boum ». Avant cela, l’opposant Saleh Kebzabo (SK), président de l’UNDR, a critiqué la présence prolongée du président et a dénoncé les injustices dans l’armée. Aussitôt, un torrent de reproches s’abat sur SK. Certains lui réclament le silence, d’autres exigent de lui la solidarité face à l’ennemi.
Entre-temps, le président fait de la « com » sur les RS. Il en a fait son allié. Lui qui dénonçait, il y a peu, sa mauvaise utilisation. Il en joue, en rejoue, en abuse. Il laisse photographier presque tous ses faits et gestes. Tantôt descendant de son hélicoptère. Tantôt pianotant sur son téléphone devant la carte de la région. Il trace sa stratégie de contre-attaque. Ces images venues d’un autre monde frappent les imaginaires.
Elles ne sont pas seulement destinées à la consommation locale. Elles s’adressent aux partenaires stratégiques, aux présidents des pays voisins, à ceux des pays du G5 Sahel. C’est très fort. C’est un coup fumant d’un président bluffant. C’est la tactique d’un soldat téméraire qui s’appuie sur la technologie de l’information et de la communication. Le soldat Deby Itno n’est plus ce soldat d’antan. C’est un Général 2.0, un soldat de son époque.
Une semaine après le lancement de l’opération « colère de Bohama », il fait le tour des lieux de combat entouré par la troupe. Assis au milieu des soldats, il lance en Arabe locale « armé tchadienne maa lib hana Boko Haram ». Traduction libre : « Boko Haram ne peut se hasarder à s’amuser face à l’armée tchadienne ». Et le Général-soldat rajoute que le Tchad ne participera plus aux opérations hors des frontières.
La nouvelle retentit, à travers le monde, comme un coup de canon tiré par le Général Deby Itno. Les partenaires stratégiques sont tétanisés, particulièrement la France. Les pays voisins sont chaos debout. Les pays du G5 Sahel sont envoyés au tapis. C’est le branle-bas de combat dans les rédactions et les chancelleries. Sans le soldat Deby, ça serait la catastrophe prédisent les plus optimistes.
Pendant ce temps, il a déjà enfilé sa veste de président. Le ministre tchadien des Affaires Étrangères et de l’Intégration Africaine de l’époque Chérif Mahamat Zene est envoyé au combat médiatique arrondir les angles. Il affirme par communiqué que les propos du président ont été mal interprétés. Au passage, il tacle nos collègues-journalistes de langue arabe. Il conclut que Tchad ne quittera pas les théâtres des opérations extérieures. La colère de Bohama s’est envolée. La diplomatie des tanks est toujours d’actualité.
Début du mois mai. L’actualité colère de Bohama s’est atténuée. Corona virus a repris le dessus. Le comité de veille mis en place et dirigé par Kalzébeu Pahimi Debeu (KPD), ministre d’Étatt, patine. La maladie et sa psychose gagnent du terrain. Les esprits s’emballent. Le comité fait un faux pas en signant une convention avec la Fondation Grand Cœur de la Première dame Hinda Deby Itno au lendemain de l’annonce par le président d’un investissement de 15 milliards de francs CFA. L’opposition monte au front et dénonce cela. Saleh Kebzabo, opposant, ne lâche pas prise comme pour prendre sa revanche sur sa sortie sur Bohama. Dans un tweet, il appelle le soldat Deby Itno à reprendre le commandement de la guerre contre la Covid-19. Il aime cela, le président, se faire désirer.
15 mai. Le président dissout la cellule de veille sanitaire. M. Kalzébeu et sa cellule sont enterrés. Deby Itno prend la tête d’une nouvelle organisation, le Comité de gestion de crise sanitaire.
26 juin. Bohama est presque aux oubliettes. Coivd-19 s’affaiblit. Le président de l’Assemblée Nationale, Dr Haroun Kabadi sent l’ennui s’installer à travers le pays. Il sort de son tiroir son discours de Bohama dans lequel il disait que le grade de Général était peu, trop peu pour le soldat Deby Itno. Il met en œuvre une proposition de résolution.
Le verdict tombe : le Général Idriss Déby Itno est élevé à la dignité de Maréchal du Tchad pour service rendu à la Nation et les nombreuses victoires militaires remportées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, souligne l’article 1er de la proposition de résolution votée par les députés. C’est par 146 voix pour, 00 contre 00 abstention. L’opposant Saleh Kebzabo présent lors de la plénière quitte la salle avant le vote. Il n’a pas apprécié la procédure adoptée. Pour lui, cette récompense est contestée dans sa méthode, mais pas dans le fond. À retenir « pas dans le fond ». Les partisans du pouvoir jubilent.
29 juin. Le PAN Dr Kabadi et les présidents des groupes parlementaires se rendent au Palais présidentiel signifier au Président Deby Itno son élévation à la dignité de Maréchal du Tchad. Élévation acceptée par le premier des Tchadiens. Une première dans l’histoire du Tchad. Une de plus dans l’histoire singulière de l’Afrique noire.
La date de la cérémonie de l’élévation est fixée au 11 août. C’est aussi la date de l’indépendance du pays. Simple coïncidence? Choix assumé? Calcul politique? Quelques jours avant, une note officielle du Protocole d’État est signifiée à tous pour dire qu’il faudra désormais dire et écrire : Maréchal du Tchad, Président de la République, Chef de l’État. Une page de l’histoire est tournée.
Bello Bakary Mana