Donc les membres du Collectif des diplômés sans emploi sont fâchés, très fâchés. Depuis quelques jours ils défraient la chronique. Ils sont déterminés à avoir gain de cause. Ils ont raison d’être décidé à ce que l’État leur trouve une solution durable. Si aucune solution n’est trouvée, ils quitteront le pays pour d’autres cieux, scandent-ils lors de leur manifestation à la Bourse de travail. À première vue, leur menace de quitter le pays ressemble à une grosse blague. Apparemment non. Le Collectif est sérieux dans sa démarche. Pourquoi sont-ils arrivés à cette situation? Ont-ils raison? Ont-ils tort? Quelles leçons peut-on en tirer?
D’abord, ils ne sont pas arrivés à cette impasse de leur gré. C’est par la faute du système. C’est aussi par la faute de ceux qui ont géré depuis trois décennies ce pays. Ces diplômés sont maltraités depuis 15 ans. Et pourtant ils sont des lauréats des écoles professionnelles de l’éducation nationale, en instance d’intégration à la Fonction publique. Autrement dit, ce sont des jeunes gens qui ont passé et réussi des concours gouvernementaux. Ils ont été formés par l’État dans le domaine de l’enseignement. Et à la sortie de leur formation l’État les a laissé tomber. C’est encore plus injuste lorsque l’ancien régime leur a fait la promesse de les intégrer dans la fonction publique.
Cette injustice que ces diplômés vivent est inacceptable. Voilà des jeunes gens formés, valident et qui ne demandent que de travailler. Pas n’importe où, mais dans un domaine où le besoin est criant. Le système accepte de les voir dans la précarité en les désignant « diplômés en instance d’intégration ». Le problème c’est qu’ils attendent depuis longtemps. Très longtemps sans pouvoir accéder au paradis convoité : la fonction publique. Le système les traîne, les fatigue jusqu’à la moelle sans qu’une issue ne pointe à l’horizon. Le sacrifice consenti par ces jeunes compatriotes s’est transformé au fil du temps par une immense frustration.
Ensuite, le Collectif a su mobiliser ses membres avec une excellente stratégie qui consiste à dire « comme vous n’avez pas besoin de nous dans un domaine si important, après des années de contrat presque bénévole laissez-nous partir ailleurs ». La stratégie du Collectif a consisté aussi à se réunir, à fixer une date de départ vers l’ailleurs dans une ambiance bon-enfant. C’était touchant. C'était émouvant. C’était doublement touchant lorsque les autorités n’ont rien trouvé de mieux que de bombarder à coups de gaz lacrymogènes la colonne des candidats en partance à l’exil qui se dirigeait vers la frontière camerounaise où semble-t-il les chancelleries les attendaient pour leur accorder des visas collectif. Cette violente intervention policière était maladroite. Elle a fait dit-on 4 blessés. C’était un manque de sensibilité et de compassion. Au même moment de l’argent est déversé dans le sécuritaire avec le recrutement militaire. Cette somme aurait pu servir à intégrer ces jeunes à la Fonction publique. Surtout qu’ils y entrent pour enseigner, pour transmettre le savoir aux enfants tchadiens.
Enfin, il y a quelques leçons à tirer sur l’engagement de ce Collectif. Première leçon, la méthode de mobilisation. Comment a-t-il réussi à mobiliser sa base? Avec plus de 300 personnes déterminées et enthousiastes, le Collectif s’est donné une perspective : le départ du pays qui ne veut pas leur faire de la place. Deuxième leçon, le Collectif est resté compact et solidaire. Pas de dispersion dans leur réclamation. Pas tête qui dépasse. Plusieurs ont moqué ce collectif. Beaucoup les ont traités de tous les noms d’oiseaux. Beaucoup leur demandent de se débrouiller en vivotant dans la précarité. Cette remarque est injuste. Aux dernières nouvelles, les autorités de transition ont décidé de rencontrer les leaders du Collectif pour tenter de trouver une solution. Si rien ne se passe, ils promettent de quitter le pays ce mercredi 30 juin. Mais avant de partir, ils vont initier l’opération « brûle diplômes ». Une opération symbolique pour signifier leur exaspération. Déjà, certains acteurs de la société civile et des politiques veulent les récupérer mais les concernés sont lucides face aux calculs des uns et des autres. Ils ne demandent rien d’autre que de vivre chez eux et de travailler. Bref, ils ne sollicitent ni la pitié ni l’aumône. Ils réclament le droit de vivre dans la dignité. Et dans leur patrie.
Bello Bakary Mana