Le collectif des lauréats des écoles professionnelles de l’éducation nationale, en instance d’intégration à la Fonction publique, a tenu une réunion ce 24 juin, à la Bourse du travail, pour donner des orientations au sujet de leur départ pour l’exil. En chemin, ils ont été dispersés par les forces de l’ordre et de sécurité à coup de grenades lacrymogènes. Reportage.
Plusieurs prenaient leur menace de quitter le Tchad comme de la plaisanterie. Mais eux sont bien déterminés à le faire. La preuve, ce jeudi 24 juin, ils sont décidés de partir en exil. C’est une première fois dans l’histoire du Tchad que des diplômés réclamant l’intégration à la Fonction publique décident de s’exiler.
Bourse du travail, dans le 3e arrondissement de N’Djamena. Il est 8 heures 30 min. Le climat est calme et l’ambiance était bon enfant. La cour est pleine à craquer. Les lauréats des écoles professionnelles de l’Éducation nationale en instance d’intégration à la Fonction publique s’activent à régler des derniers détails de leur objectif.
Sac à dos, sac à main, valise, nattes, marmites et autres ustensiles de cuisine, sont entre les objets visibles qu’ils ont apportés. On peut lire sur leur visage la joie, la motivation, la détermination. Les derniers arrivés se font enregistrer en fournissant la copie de leurs diplômes et leurs photos d’identité auprès du collectif. « C’est une fierté que le Tchad perde cette jeunesse, ces mains d’œuvres », ironise Emmanuel, un membre du collectif.
Pabamé Deuzoumbé fait partie de ces mécontents qui veulent s’exiler. Il est lauréat de l’École nationale des instituteurs-bacheliers. Diplôme en poche depuis 10 ans, il se débrouille comme contractuels dans un établissement privé. Ce qui le démotive vraiment est le traitement salarial. « J’ai une activité, mais cela ne paie pas bien. Pour le mois, tu as 40 000F. Ce revenu ne couvre pas mes charges », explique-t-il. Là où le bât blesse, est que le paiement n’est pas régulier. « À compter des mois d’avril et mai, c’est hypothétique qu’on nous paie dans ces établissements privés », fait-il savoir. Aujourd’hui, il dit être content de quitter ce pays même si le lendemain en exil est incertain. Mais il compte bien continuer à enseigner dans son pays d’accueil. « On part pour revenir et non pas pour leur laisser ce pays pour lequel on a tant souffert », dit-il.
8 heures 30 min, la cérémonie d’au revoir a commencé. L’hymne national est entonné. Après, place aux discours.
Selon le coordonnateur du collectif des lauréats des écoles professionnelles de l’éducation nationale, en instance d’intégration à la Fonction publique, Nanga Thierry, l’heure n’est plus au dialogue, mais à la concrétisation. Pour lui, ils ne vont pas accepter d’être esclaves dans leur propre pays. « Nous n’accepterons pas de voir souffrir nos familles à côté parce qu’on est impuissant de les secourir », dit-il.
Nanga Thierry affirme que dans le passé nos aïeuls ont toujours vécu en harmonie et dans la concorde nationale sans distinction d’ethnie, de religion moins encore d’appartenance géographique. Aujourd’hui, le Tchad est pris en otage par un groupe d’individu sans foi ni loi, qui rende la vie difficile à leurs concitoyens et à leurs enfants, déplore-t-il. « Mon cher pays le Tchad, ces groupes d’individus nous imposent une discrimination, le népotisme, l’arbitraire et le vol au détriment de la Justice, de l’équité et du mérite. Ce mode de vie unique au monde est insupportable. Il nous astreint et nous contraint à quitter malheureusement notre cher et beau pays », dit le coordonnateur du collectif.
Nanga Thierry affirme que les hommes sont éphémères, le Tchad est éternel et la vérité et le bien sont aussi éternels. « Le moment viendra où la justice réapparaîtra au Tchad où nous essayerons ensemble autour de la table à discuter. A Dieu nos familles, à Dieu notre pays et à Dieu la jeunesse tchadienne », conclut-il.
Le porte-parole du collectif, Neuzilka Emmanuel a pour sa part indiqué qu’ils ont mené des démarches pour avoir le visa collectif, mais les autorités tchadiennes le leur ont refusé. D’après lui, leurs partenaires, notamment certaines chancelleries ont répondu favorablement. Ils sont déjà prêts à les accompagner. « Nous quittons simplement ce pays de merde vers là où les droits de l’homme sont respectés et la valeur de l’enseignant est connue. Selon leur condition de vulnérabilité de ces ambassades, elles ne peuvent pas intervenir en notre faveur du moment où nous n’avons pas obtenu le visa collectif », affirme-t-il. Selon lui, ces partenaires les attendent juste à la frontière.
Pour le coordinateur de la plateforme Wakit Tama, Me Max Loalngar, tous ces diplômés réunis dans la cour de la Bourse du travail est un symbole fort. « Le Tchad aura noté qu’en cette date du 24 juin 2021, un millier des jeunes tchadiens se sont réunis dans la cour de la Bourse du travail pour exprimer leur dégoût d’un système qui devrait mourir de sa propre mort », lâche le coordinateur de Wakit Tama. D’après lui, aller en exil, comme le collectif des lauréats le souhaite, c’est aussi une façon de lutter. Cependant, l’exil est très compliqué. « L’exil est amer et l’exil a ses réalités. Tant que vous n’avez pas encore franchi les frontières de votre pays, vous ne pouvez même pas savoir quelles sont les réalités qui sont de l’autre côté », prévient-il.
9H32mn, c’est le départ. En rang de trois rangées, les diplômés, mécontents, quittent la bourse de travail. Sur la banderole qu’ils brandissent, on peut lire : « Ce n’est pas par gaieté de cœur que nous quittons notre pays, ce sont nos autorités sans foi ni loi qui nous y contraignent » ou encore « nous ne fuyons pas notre pays, nous fuyons l’injustice, la discrimination, l’arbitraire, le népotisme… », « Adieu le Tchad, adieu nos familles, adieu la jeunesse tchadienne ». Tous joyeux, ils font chemin vers la frontière camerounaise, où leurs partenaires les attendent pour les récupérer. Mais c’était sans compter sur les autorités policières.
À peine 100m parcourus sur l’avenue Bokassa, la Police en embuscade. 9H47mn, une pluie de gaz lacrymogènes s’abat sur les mécontents en partance pour l’exil. C’était la débandade. Par les ruelles du quartier Kabalaye, les diplômés rallient à nouveau la bourse de travail. Les autorités ont contacté les leaders pour une concertation. Le Conseil national consultatif de la jeunesse est impliqué. Le collectif a accepté le dialogue. Deux des leaders partent pour négocier le sort de leurs compagnons de misère. Une consigne a été donnée , « personne ne rentre chez lui. Restez sur place. Si à l’issue de notre rencontre, il n’y a rien de promettant, nous allons partir », a déclaré Nanga Thierry, le coordonnateur du collectif. Les négociations sont en cours. Partiront ? Ne partiront pas ? Le suspense reste entier. Au moment de publier cet article, les membres du Collectifpassent la nuit à la bourse de travail. Les tractations continuent.
Christian Allahadjim
Allarassem Djimrangar