« Heureux qui, comme militaire, s’est arrogé le pouvoir en Afrique dans la décennie 2020 »[2], met l’État sous coupe réglée, nargue les institutions multilatérales, et ô surprise, avec les compliments. « Autres temps, autres mœurs » dirait Cicéron. Simplement, la parole d’officier et la colonne vertébrale des pouvoirs, plus que jamais autocratiques, semblent avoir fait des progrès notables, mais en vacuité.
Au long printemps des coups d’État constitutionnels de la décennie 2010 qui ont sclérosé la gouvernance de l’essentiel des États d’Afrique, se greffe désormais celui des coups d’État militaires en apparence salvateurs, mais aux dividendes tout aussi évanescents.
Confusion, reniement et outrance
Bénéficiant d’un rare alignement des planètes, Abdourahamane Tiani du Niger, Assimi Goïta du Mali, l’héritier Mahamat Idriss Deby du Tchad, Ibrahim Traoré du Burkina Faso, Mahamadi Doumbouya de la Guinée et dans une moindre mesure, Olingui Nguema[3] du Gabon, peuvent allègrement chacun :
- Soumettre, faire et défaire les institutions, la constitution, les lois et règlements du pays comme jamais un président, avec la plus forte légitimité démocratique, n’aurait pu le faire[4]. Ainsi au Burkina Faso, les putschistes respectifs de janvier et septembre 2022 ont tenu à prêter serment sur la constitution du 5 novembre 2015, qu’ils ont pourtant suspendu, en présence, excusez de peu, de la quasi-totalité des représentations diplomatiques accréditées, et sans que le conseil constitutionnel n’y trouve à redire. Il en est de même de la ratification du traité de création de la Confédération de l’AES par des assemblées nationales qui plus est, de non élus, en lieu et place d’un référendum. On ne peut faire plus dans la confusion de genre ;
- Faire de l’appareil sécuritaire du pays, des instruments dévolus quasiment à la surveillance et à la répression des médias et journalistes libres, des membres de la société civile, et surtout des opposants politiques. Ceux-ci étant pourchassés, enlevés, torturés et détenus dans des prisons parallèles en dehors de toute procédure légale. Il s’agit d’une véritable de chape de plomb sur la vie civile, politique et associative digne de l’époque de la dictature des partis uniques. Qui plus est, en ce qui concerne les pays en guerre, ce tropisme des services sur le personnel politique et associatif non-courtisan, regardé comme le plus grave danger par les putschistes, se fait au détriment de la surveillance indispensable des organisations terroristes qui pourtant, ne cessent de prospérer sur le terrain ;
- Fouler aux pieds les instruments juridiques internationaux régissant les transitions politiques, et ce, y compris la charte éponyme que chacun d’eux a fait adopter lui-même « souverainement » comme c’est désormais l’usage de dire. En ce sens et par métaphore footballistique, l’héritier Déby du Tchad, a été à lui seul, à la fois : équipe engagée, arbitre central, juges de lignes, commissaire du match, ramasseurs de balles et public dans les gradins applaudissant à tout rompre ses propres prouesses, lors du « championnat de la transition » tchadienne. Comme par hasard, il a été déclaré vainqueur de la phase aller dont seuls des sparring parteners étaient autorisés à concourir. Il sera évidemment vainqueur sans appel de la phase retour qu’il s’apprête à livrer le 29 décembre 2024 sans adversaire. Il affirmait pourtant qu’il se tiendra à son rôle d’arbitre central : parole d’officier supérieur. Il a fait tout le contraire. Et cela, bien sûr avec les financements et félicitations de la fameuse « communauté internationale » ; l’Union Européenne et la France en tête, dont - il s’est bien moqué. C’est un cas d’école particulièrement éloquent et inspirant pour les autres putschistes de la décennie, en attente dans les starting block;
- Faire de la CEDEAO, le mouton noir des organisations multilatérales, simplement parce qu’elle a opposé aux putschistes des sanctions économiques sur le fondement des dispositions de son protocole additionnel relatif à la démocratie, alors d’une part, qu’elle demeure la plus efficiente des organisations sous-régionales du Continent et d’autre part, qu’à une autre époque, elle avait levé des armées (ECOMOG) sans réprobation générale, pour rétablir des Présidents déchus par des putschs, notamment en Sierra Léone et en Gambie ou faire la guerre aux rebelles au Libéria et en Guinée-Bissau sous la mandature d’un certain Alpha Oumar Konaré ; alors Président de la République du Mali. C’est un peu cocasse, il faut l’avouer ;
- Dénoncer la soumission de la CEDEAO à une France plus que jamais impérialiste et refuser de sortir de l’UEMOA et de la BCEAO qui pourtant conservent, institutionnellement des liens plus ou moins organiques avec l’impérialiste France, contrairement à la CEDEAO ; C’est encore un peu plus cocasse ;
- Refuser le soutien militaire de la CEDEAO ou de l’Initiative d’Accra et en même temps, dénoncer à grand renfort, le défaut de soutien de la CEDEAO et de ses pays membres dans la lutte contre le terrorisme islamiste, malgré les offres répétées de disponibilité de l’organisation et ses concours financier et humanitaire substantiels, comme le fait le putschiste Burkinabé ;
- Invoquer le panafricanisme et le patriotisme pour dénoncer des partenariats politiques et militaires d’hier jugés impérialistes, mais pour vite, les substituer par de nouveaux, tous aussi impérialistes, mais il est vrai, peu regardants à la démocratie et aux droits de l’homme ;
- Dénoncer le pillage des ressources naturelles et le service de la dette asphyxiant, par et à l’égard des impérialistes néo-colonialistes d’hier pour les brader aussitôt aux non moins impérialistes d’aujourd’hui (Chine, Russie, Turquie, Qatar, Émirats Arabes Unis, Iran, Arabie Saoudite, etc.), à l’égard desquels l’endettement public du pays, aux conditions souvent usuraires, s’accroît de manière démesurée ;
- Être capable d’expulser sans ménagement et de manière compulsive, les représentants diplomatiques de certains États (Allemagne pour le Tchad, France et Suède pour les trois pays de l’AES, etc.) et continuer paradoxalement à laisser croire à une mainmise toujours ferme de ces États impérialistes sur la politique et l’économie du pays ;
- Être capable d’expulser les forces armées étrangères parmi les plus puissantes, les mieux équipées et entrainées (USA, France, Allemagne notamment) sans opposition de leur part, et continuer à dénoncer des tentatives de coups d’État de ces États, si ce n’est leur imputer la situation sécuritaire délétère du pays, qu’on était censé pouvoir régler en trois mois comme l’annonçait Ibrahim Traoré du Burkina Faso.
- Être capable d’expulser au forceps une mission spéciale des Nations Unies (le cas de la Minusma au Mali) ou son représentant résident (au Burkina Faso) sans une mise au ban du concert des Nations et, aller à la tribune de l’ONU barrir comme un éléphant en dépit des usages diplomatiques qui professent un langage tout en finesse, subtilité, sous-entendus et esprit ou maïeutique. Il est vrai que feux les présidents Vénézuélien et Cubain, Hugo Chavez et Fidel Castro, coutumiers du fait, ont fait des émules sur le Continent ;
- Invoquer le souverainisme populaire et ne jamais consulter le peuple si ce n’est à travers des assises dont les participants sont habilement sélectionnés pour leur obséquiosité à l’égard du putschiste ;
- Interdire les médias internationaux pour les rendre inaccessibles à la population et ne pas craindre de se dépêcher de démentir par des communiqués ronflants, les informations traitées sur les ondes de ces mêmes médias, si ce n’est leur reprocher la non-couverture de ses propres exploits ;
- Dénoncer le FCFA comme l’instrument de soumission, de pillage et de financement de la France par l’Afrique et ne pas inscrire la sortie de cette monnaie en tête des priorités de son agenda politique. Pis, laisser dénoncer à tort ou à raison, la mainmise de la France sur cette monnaie et ne rien entreprendre, à l’image de la passivité des dirigeants de la CEMAC, pour mettre fin aux comptes d’opérations auprès du trésor français[5], mais aussi, à la présence des administrateurs français au conseil de la BEAC, alors même que les dirigeants de l’UEMOA y sont parvenus depuis 2019 avec effet en 2021 ;
- Être reconnaissant à l’égard de la France et demander, même à faire « ami-ami » avec elle au lendemain du coup d’État pour ensuite subitement la vouer aux gémonies pour un prétendu impérialisme hideux, mais seulement lorsque celle-ci refuse son concours et condamne le putsch comme l’ont fait les généraux Tiani ou Goïta[6];
- Commettre des massacres de masse sur la population civile et les opposants politiques sous des prétextes fallacieux et s’opposer à toute enquête indépendante en invoquant l’ouverture d’enquêtes par le parquet national. Des enquêtes dont les suites et les conclusions ne seront jamais connues car elles n’ont, à la vérité, jamais existé. Il en est ainsi notamment, des massacres du 20 octobre 2022 dits du « Jeudi Noir » et de l’assassinat de l’opposant politique Yaya Dillo en février 2024 pour le Tchad ; des massacres du 27 mars au 1er avril 2022 de Mourra au Mali ; de ceux de Soro en février 2024 ; de Nouna en décembre 2022 ; d’Ouahigouya en février 2023 et de Karma en avril 2023 pour le Burkina Faso.
Justement, la situation du Burkina Faso détonne dans ce printemps putschiste. Ibrahim Traoré semble avoir été inspiré et conseillé par Assimi Goïta du Mali sur les protocoles de neutralisation de toute velléité de contestation de son pouvoir ; de lutte contre le terrorisme, de renversement des alliances avec les Occidentaux et du rapprochement avec Poutine, et aussi de la conservation du pouvoir. Mais, comme qui dirait, l’élève semble avoir désormais dépassé le maître.
Le cas Burkinabé
Les burkinabé ne nageaient pas dans le bonheur et la prospérité sous le Président Rock Marc Christian Kaboré, en raison de la corruption et de l’incurie d’une partie de la classe politique. Mais ils jouissaient d’une part, d’une sécurité relative et d’autre part, des libertés publiques et individuelles sans commune mesure. Depuis, le « putsch dans le putsch » de septembre 2022, ils n’ont toujours pas pris le chemin du bien-être et de la prospérité, à l’exception peut-être des seuls « Wayiyan[7] ». Mais ils ont perdu certainement et la sécurité et la liberté. La sécurité a quasi-disparu en raison de l’explosion et de l’expansion des attaques terroristes de plus en plus violentes et atroces ; des attaques dont les massacres de Barsalogho du 24 août 2024 sont le symbole. Mais ils ont aussi perdu la sécurité en raison des représailles de l’armée et des VDP[8], toutes aussi violentes, sauvages et atroces sur des populations simplement soupçonnées de complaisance à l’égard des terroristes[9].
Quant-à la liberté d’aller et venir, de conscience, d’entreprendre ou seulement de vivre, elle n’existe pas dans les territoires de plus en plus vastes de l’arrière-pays et même dans certaines grandes villes comme Djibo que les terroristes contrôlent effectivement ou par blocus, malgré les rodomontades et forfanteries du pouvoir à Ouagadougou.
Inversement, dans les grandes agglomérations (Ouaga et Bobo, notamment), les libertés politique, syndicale, associative et de presse ainsi que la justice, sont mises sous cloche si ce n’est réduite à celle de promouvoir, défendre et applaudir aveuglement jusqu’à l’absurde, Ibrahim Traoré et son régime. Les téméraires contrevenants sont voués aux gémonies pour apatridie et négritude de salon. Ceux qui sont présents sur le territoire, sont enlevés et disparaissent sans aucune forme de procès ou sont enrôlés de force dans les rangs des VDP. Quant - à ceux qui sont hors du territoire, leurs proches n’échappent pas aux représailles en vertu du nouveau paradigme juridique de la responsabilité pénale du fait d’autrui. Les Wayiyans et les services de sécurité veillent au grain.
C’est une véritable expérimentation grandeur nature des ouvrages « 1984 » avec son « Big Brother », mais aussi « La ferme aux animaux » de George Orwel. Ce tableau est à quelques nuances près, sensiblement le même au Niger, au Mali, en Guinée[10] et au Tchad[11] où l’espace démocratique et la liberté de presse s’amenuisent à vue d’œil. Mais il est vrai, qu’avec ces néo-putschistes, le patriotisme, le souverainisme, le nationalisme et le panafricanisme aussi incompatibles qu’ils soient, sont saufs, du moins en apparence.
Reste que, répéter à longueur de temps : « souverainisme », « patriotisme » ou « panafricanisme » procède de l’incantation destinée à masquer le vide bilantielle comme l’indique l’Indice Ibrahim de la Gouvernance en Afrique (IIGA) 2024[12] pour ces pays. Mais elle est aussi un cache-misère pour ne pas avoir à rendre compte et répondre d’une gouvernance défaillante et s’éterniser au pouvoir. Et puis que vaut le souverainisme quand les problèmes majeurs, sécuritaires, économiques, sociaux et migratoires sont d’essence globale et appellent des solutions supra et transnationales, même pour les plus puissants des États de la planète ?
Comme le disait Charles de Gaulle à propos de l’Europe, « bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : patriotisme, souverainisme, panafricanisme ! Mais ça n’aboutit à rien et ça ne signifie rien »[13] quand de surcroît on a simplement switcher une tutelle par une autre.
Enfin, le patriotisme et à plus forte raison, le panafricanisme ne sont pas solubles dans l’exclusion d’une partie de ses concitoyens ou dans la complaisance à l’égard de sa famille, de son clan et de son ethnie ou de ses coreligionnaires.
Abdoulaye Mbotaingar
Docteur en droit
Maître de conférences à l’université
[1] Cette tribune est la suite d’une première consacrée au même thème et intitulée : « Putschistes Et Vanité du Pouvoir Absolu », https://www.ialtchad.com/index.php/details/item/3333-putschistes-et-vanite-du-pouvoir-absolu
[2] Une paraphrase du célèbre poème « Heureux qui comme Ulysse » (1558) de Joachim du BELLAY.
[3] Olingui Nguema du Gabon est un cas à part. Même s’il n’est pas hasardeux de penser qu’il a conquis d’autorité le pouvoir pour le lâcher de sitôt, la transition qu’il conduit reste ouverte et il n’a pas rempli les prisons du Gabon d’opposants. Ceux-ci au contraire continuent de rentrer d’exil pour y prendre part et exercent librement leurs droits politique et civile.
[4] Encore que Faure Gnassingbé Eyadema du Togo, Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire, Faustin-Archange Touadéra de la RCA, encore mieux Kaïs Saïd de la Tunisie et bientôt Felix Tshisekedi de la RDC, notamment n’ont rien à envier aux putschistes militaires en termes de pouvoir absolu et de tripatouillage constitutionnel et institutionnel.
[5] Au demeurant généreusement rémunérés désormais.
[6] Pour ce dernier, à l’occasion du « putsch dans le putsch » contre le président Bah N’DAW le 24 mai 2021.
[7] Soutiens actifs d’Ibrahim Traoré. Ils sont physiquement présents sur les ronds-points de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso, mais assurent aussi la veille en ligne et n’hésitant pas à désigner à la vindicte populaire ou aux services d’État, les cibles civiles à neutraliser.
[8] Volontaires de la Défense de la Partie : des supplétifs de l’armée burkinabé.
[9] Les 53 morts et 20 disparus des massacres d’Inata du 14 novembre 2021 ayant justifié le coup d’État contre le président Kaboré font pâle figure devant les pertes militaires et civiles sous les deux régimes putschistes.
[10] Voir pour la Guinée : l’enlèvement et la disparition des opposants Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, ou encore les récentes dissolution, suspension ou mise en observation de la totalité des parties politiques, mais aussi la suspension des médias critiques.
[11]Voir, le journal Le Monde du 24 oct. 2024, « Au Tchad, les arrestations par les services de renseignement se multiplient » :https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/10/24/au-tchad-les-arrestations-par-les-services-de-renseignement-se-multiplient_6359190_3212.html
[12] https://mo.ibrahim.foundation › files › 2024-10.
[13] Ch. de Gaulle, interview à l’ORTF, le 14 décembre 1965.