Je suis arrivée à 11h 45 min au palais du 15-janvier. D’autres occupations d’ordre professionnelles m’ont empêché d’être présent le matin. Je sentais depuis quelques jours que les choses tiraient vers la fin, mais je tablais sur jeudi. Le président du présidium a bien caché son jeu par ses coups de colère surprise et ses tiraillements verbaux avec certains participants.
12h 00 min. J’entre dans la grande salle de la plénière. Quelques participants ont la parole. Arrive le tour de Clément Abaïfouta, militant des droits humains, et président de l’association des victimes du régime de l’ex-président Hissène Habré. Il était assis devant moi. Il prend le micro et affirme avoir été agressé par Ahmed Bedeï Tollimi parce qu’il a réclamé que le retour au Tchad de la dépouille du défunt président se fasse à condition que les victimes soient indemnisées. Son intervention in extenso : « Merci M. le président, le principe aurait voulu que vous me donniez ma motion avant que je ne puisse parler. Soit, je voudrais ici interpeller le présidium pour dire que j’ai toujours été l’objet de menaces. Tout à l’heure, j’étais aux toilettes, le conseiller Ahmat Bedeï m’a agressé, n’eut été le cameraman ont serait venu aux mains. Il me dit que je veuille ou non le corps d’Hissène Habré va venir et je vais manger cela. Quand même, un conseiller de la République, lui qui a brûlé une ambassade, qui a saccagé une ambassade se retrouve au Conseil national et m’agresse, j’interpelle ici le présidium. Ma sécurité est menacée, ma vie est menacée, de prendre vos responsabilités. Et je vous remercie » Tous les regards dans la salle se sont tournés vers la travée réservée aux membres du Conseil National de Transition (CNT).
Je me suis éclipsé pour aller préparer mon émission.
16h 25 min. Je suis de retour mais dans la salle 400 où j’aime bien me réfugier pour travailler et pour profiter de son confort. Une dame se lève et réclame la restitution d’un bien immobilier de sa famille confisqué depuis le temps de la dévastatrice police politique, la DDS (Direction de la documentation et de sécurité) depuis plus de 30 ans. L’occupant est le défunt directeur de cette organisation. Même la chute de l’ancien régime n’a rien fait parce qu'il se recyclait comme politico-militaire. Et profitait des accords d’amnistie, « s’il était vivant il allait se joindre aux accords de Doha dans le seul but de continuer à confisquer un bien qui ne lui appartient pas ». La salle était émue par cette intervention. Le visage du président Gali aussi. Lui qui a échappé de justesse à une mort certaine dans les infamantes geôles de DDS.
17h 28 min. Le rapporteur général Limane Mahamat entame sa synthèse. C’était de toute beauté. En quelques minutes il a résumé plus d'un mois de 5 commissions, de plusieurs sous-commissions et des 3 comités d’Adhoc. Seul ombre au tableau, en pleine exposition, le professeur Limane a été lâché par une coupure d’électricité. Quelques personnes applaudissent, une voix retentit dans l’obscurité pour dire « Ahann, cela s’annonce mal ». 2 secondes plus tard la lumière est de retour. Les caméras fixe le président Gali qui semble rire de cette cocasserie qui s’est produite également en matinée.
17h 40 min. Gali reprend la parole, « vous aurez constaté que la synthèse, plus le rapport résume les travaux du dialogue national ». Nerveux en matinée, soudain, son visage s’élimine comme soulagé par le poids des responsabilités et par la fin qui s’annonce. Il fixe du regard la salle, sourit et surprend les participants, « je ne peux que vous demander l’approbation de ce travail pour mettre fin à toutes ces discussions. Et donc le dialogue est fini ». Il laisse quelques secondes couler et continue, « merci, merci beaucoup. C’est maintenant que je peux dire que la séance est levée. Rendez-vous samedi dès 8h00, je vous remercie ».
Spontanément les participants se lèvent, applaudissent. Et dans une espèce de communion entonnent l’hymne national, La Tchadienne « Peuple tchadien debout et à l’ouvrage… lève les yeux l’avenir est à toi….Ô mon pays… ». L’émotion traverse la foule. J’ai tenté de rester journaliste, à l’écart, pour mieux écrire mon avant-dernière chronique. Peine perdue, je me suis surpris debout entonnant avec mes compatriotes les derniers couplets. Il y a des choses qui nous dépassent, qui nous transperce l’âme et nous transcende disait quelqu’un. Il avait raison.
Bello Bakary Mana