mercredi 27 novembre 2024

Merci Moussa Faki pour ce discours marquant

Aoû 25, 2022

Finalement le fameux dialogue national s’est ouvert à la date prévue. Je dois participer comme représentant des médias. À l’ouverture je tenais à y être, mais mon badge n’était pas prêt. Je me suis abstenu à contrecœur, mais je savais qu’il allait y avoir tout le gratin politique, politico-militaire, amis et diplomates. Et je sentais que quelque chose allait se passer...

Faute d’y être, je synchronise la radio. Oui lors des pareils évènements je préfère la radio pour sa magie et sa force à laisser l’auditeur imaginatif.

J’entends… « nous invitons….la parole est au président de la commission de l’union africaine Moussa Faki….etc ». Je roulais dans mon vieux tacot, mon frère était assis à mes côtés.

Moussa Faki commence les préliminaires de son discours. Rien de saisissant sauf qu’il annonce éprouver du plaisir. Soudainement le contenu se densifie, des mots forts et bien ciselés me scotch à l’antenne. Il regrette l’absence des plusieurs acteurs politiques, sociaux et politico-militaires. Et appelle, comme il le mentionne, les uns et les autres au dépassement pour s’inscrire dans la logique d’inclusion et de réconciliation véritable. Par cette phrase Faki semble s’être déjà dépassé, préparé à dire la vérité.

Il y est allé à toute allure, avec franchise et dit, il ne lit pas, son discours plein d’émotion. Égrenant les ruptures, les trahisons, les revirements, les combines dont il a été témoin et acteur de ces décennies de querelles tchadiennes. Des  disputes sans fin qui ont lassé les Tchadiens, les ont lessivés. Et qui ont fini par croire qu’il n’y a plus rien à faire pour ce pays. Surtout que les mêmes acteurs, les mêmes « querelleurs » s’apprêtent à continuer avec la même méthode. Ils ne semblent pas vouloir lâcher malgré les ravages du temps.

« Il est profondément regrettable de constater qu’après trois décennies nous nous retrouvons dans les mêmes, voire pires conditions de tension et de recours à la violence pour tracer nos trajectoires politiques et pour écrire l’histoire de notre pays », dit-il.

Je ne connais pas l’homme. Je ne l’ai jamais rencontré ni échangé avec lui, mais son discours m’a ému, m’a touché, pas comme journaliste, mais comme fils de ce pays. Il a le mérite Faki d’avoir pu nommer les choses. Il l’a fait dans une double identité celui du président de la commission de l’Union africaine et celui d’enfant du Tchad qui a trop souffert de voir les dirigeants de son pays s’enfoncer dans la misère abyssale de l’orgueil, de la mauvaise gouvernance, du communautarisme, du clanisme érigés en système politique. J’ai voulu écouté cette intervention comme journaliste, mais aussi vite le citoyen tchadien que je suis a pris le dessus sur le journaliste que je voulais resté.

Je suis toujours au volant de ma voiture. J’ai presque oublié vers quelle direction je devrais aller tellement ce discours m’a emporté. Subitement je me retourne vers mon frère. Et lui dit, presque d’une voix tremblotante de joie.

Moi : « Moussa Faki a livré un grand discours. Un très grand discours. Il a mis la barre haut. Il vient de voler la vedette à tous. Il a été à la hauteur des enjeux ».

Mon frère : silence d’abord, « oui, mais on verra… »

Moi : « Le discours est parfait. Il a préparé ce moment, il y a longtemps, je crois. Il a certainement écrit son discours lui-même ».

Mon frère : « J’ai de la misère avec ces gens-là » (voulant signifier que Faki était un maillon fort de l’ancien système qui a pourri le pays ».

Moi : « Oui je comprends. À César ce qui est à César. Le discours est dense et senti. Le président de la transition à une pente raide à remonter. Il doit faire plus. Pourquoi pas annoncer sa non-candidature et celles des autres membres du gouvernement et du Conseil militaire de transition (CMT)? ».

Mon frère : « Tu es toujours égal à toi-même, naïf et idéaliste. Bon, ton avis, toi le journaliste, que cache ce discours? ».

Moi : « Cela cache à peine un positionnement. C’est aussi le discours d’un potentiel candidat tout court ou un « candidat-recours » ».

J’arrive à destination, mais ce discours m’est resté dans la tête. Un peu fâché, je me suis dit à moi-même. Je n’écris rien parce que le discours est bon, mais son porteur n’est pas fiable. J’ai résisté, mais c’était malhonnête comme journaliste de ne rien écrire. Voilà je n’ai pas pu m’empêcher d’écrire cette chronique, parce que ce discours est véridique, émotif et courageux dans cette phase de transition. J’ai décidé de l’écrire tardivement à main levée. Il fallait que je dise simplement, à travers cette chronique….

…bravo Faki.

Aux dernières nouvelles, dit-on, la galactique de l’ex-régime n’a pas apprécié le discours. Elle reproche à Faki d’avoir même refusé de remettre son discours au protocole. Balivernes. C’est son discours, son œuvre, il en fait ce qu’il veut. Et donne à qui il veut.

Selon des sources proches de la présidence de transition, nuitamment Moussa Faki a été sollicité pour aider. Aider qui? Pour faire? Dans quel but? Faki, disent les mêmes sources, déclina l’offre en l’accompagnant des mises en garde.

Il a raison, Faki. Il l’a déjà souligné dans son discours « …les Tchadiens ont montré une incomparable capacité d’endurance et de résilience. Ils aspirent plus que jamais à être gouvernés autrement. Ils veulent enfin vivre et s’épanouir dans un  État où le travail, la justice, l’abondance, la quiétude, la tolérance et la joie seront désormais leur quotidien…. »

Merci Faki.

Bello Bakary Mana

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