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« Plan de succession Deby », ruine de Macron

Written by  Mar 30, 2024

L’élection à marche forcée de l’héritier Deby à la présidentielle du 6 mai 2024 sera pour Emmanuel Macron, « le sparadrap du capitaine Haddock » [1]. Elle ruine déjà la politique africaine dont le locataire de l’Élysée voudrait pourtant convaincre d’en avoir débarrassé les oripeaux d’une Françafrique qu’il abhorrerait[2].  

 

Le Maghreb mis à part, le président Macron semble n’avoir plus d’appétence pour l’ex pré-carré africain. Il n’en parle plus ; ni à l’occasion de ses adresses solennelles, ni dans ses conférences de presses courantes. Son gouvernement et les officiels ne répondent plus aux attaques, mises en causes et insinuations parfois grossières qui servent de carburant à la dynamique de conservation de pouvoir des trois juntes de l’Alliance des États du Sahel (AES). Le caractère drastique des mesures de rétorsion sans précédent qu’il a fait adopter et qui n’épargnent ni les universitaires, étudiants, artistes, ni les acteurs de la vie économique et associative des pays membres de l’AES attestent qu’il n’est plus disposé à composer et à tendre l’autre joue aux dirigeants de fait de ces pays. À tort ou à raison, le triumvirat des putschistes Assimi Goita du Mali, Ibrahim Traoré du Burkina et Abdourahamane Tiani du Niger lui a fait passer l’envie des anciennes colonies africaines de la France.

Bases militaires : Du retrait total à l’allègement des effectifs

Sa « nouvelle frontière » est l’Ukraine qu’il considère impératif d’aider à se défendre contre l’ogre russe et la menace que celui-ci fait peser sur toute l’Europe Occidentale. La conjonction de la double occurrence de l’éviction humiliante de son armée des pays de l’AES et la guerre en Ukraine a accéléré la réflexion sur la perspective d’une fermeture à brève échéance de ce qui reste encore des bases militaires françaises en Afrique de l’Ouest et Centrale. Ainsi, la création par la France, aux soutiens des opérations de l’OTAN sur le flan Est, du « Commandement terre pour les opérations aéroterrestres en Europe (CTE) » avec les opérations « Lynx » en Estonie et « Aigle » en Roumanie génère des besoins en hommes, en matériels et équipements que le rapatriement de ceux déployés en Afrique Centrale et de l’Ouest, pourrait aider à pourvoir. Mais manifestement l’autorité militaire qui tient au maintien des emprises africaines pour des raisons géostratégiques si ce n’est de prestige, et aussi de gestion de ressources humaines[3], ne souhaite pas hâter le pas, d’où la mission de Jean-Marie Bockel, pour négocier un simple allègement des effectifs. Au premier rang des emprises à conserver, figure à une place de choix celles de Tchad[4].

Du Bouclier du régime au chantage à la coopération militaire

Sauf que cet attachement de l’armée française au Tchad est du pain béni et un filon pour le régime Deby fils[5]. En user jusqu’à la corde pour soumettre la France par le chantage à la dénonciation de la coopération militaire ou celui d’un rapprochement avec la Russie de Poutine et son nouvel instrument de prestation de services militaires marchands « Africa Korps », est un des crédos du régime de N’Djamena. Le voyage pour le moins opportuniste en Russie du chef de la junte Mhamat Idriss Deby et sa rencontre avec Vladimir Poutine le 24 janvier 2024 ; de même que l’accord de coopération avec la Hongrie de Victor Orban, faux nez s’il en est, de Poutine dans l’Union Européenne (UE), sont autant des signaux à forte intensité envoyés à une France désireuse de ne pas cautionner le plan de succession dynastique. Et ça marche.

L’exception tchadienne dans la diplomatie française

Alors même que le Quai d’Orsay publie communiqués et déclarations pour dénoncer les atteintes aux droits des manifestants au Sénégal, ou critiquer le report par le Président Macky Sall des élections générales et appelle au respect de la décision du Conseil constitutionnel du pays, la diplomatie française est restée aussi bavarde qu’une carpe s’agissant du Tchad alors qu’il s’y passe des atteintes aux droits humains encore plus graves. Ainsi, aucun communiqué de celle-ci pour dénoncer le caractère non inclusif du processus électoral en cours avec une composition exclusivement mono-partisane de l’Agence de gestion des élections (ANGE) et du Conseil constitutionnel. Un Conseil constitutionnel[6] qui vient de s’illustrer comme attendu, par l’invalidation de toutes les candidatures à valeur ajoutée, des tchadiens du Nord et musulmans pour faire « place nette » au seul héritier candidat comme ce fut les cas par le passé pour Deby père. Aucun communiqué non plus pour dénoncer l’exécution sommaire, lâche et ignoble du principal opposant, Yaya Dillo le 28 février 2024 par l’armée ou à tout le moins, pour appeler à une enquête internationale véritablement indépendante. Mieux, le porte-parole du Quai d’Orsay affirme sans ciller, ne pas vouloir faire de commentaires sur Yaya Dillo dont, dit-il, la France « a pris bonne note de sa disparition » [7]. Fermez le ban.

De même, pas de communiqué pour dénoncer la candidature et la prochaine élection à marche forcée de l’héritier Président de transition à la présidentielle du 6 mai. Et pourtant le Président Macron affirmait bien solennellement depuis le perron de l’Élysée que « la France n’était pas pour un plan de succession (…), elle ne sera jamais au côté de ceux et celles qui forment ce projet »[8]. Qu’importe la solennité de l’engagement du Président Macron, l’intérêt de l’armée commande et prime. À la poubelle donc, les principes et standards des droits de l’homme et de la démocratie dès qu’il s’agit du Tchad. Mais le fait est que par son silence, la France entraîne tacitement par une espèce de « gentlemen’s agreement », celui non seulement de tous les autres pays membres de l’UE, mais également celui de la Commission Européenne. Ainsi, à la poubelle, la résolution du Parlement Européen[9] réitérant la condamnation du coup d’État militaire perpétré par le Conseil Militaire de Transition (CMT) et demandant instamment à l’UE et à ses États membres « d’envisager l’ouverture d’une procédure au titre de l’article 96 de l’accord de Cotonou, qui pourrait conduire, en dernier recours, à la suspension de la coopération au développement de l’Union avec le Tchad jusqu’au rétablissement de l’ordre constitutionnel légitime » conformément à la Charte africaine de la démocratie et aux résolutions ad hoc de la Commission Paix et Sécurité de l’UA. Or on sait que l’essentiel du ressort de l’appui budgétaire du régime par les aides directes et indirectes et du financement du processus électoral provient de cet espace géographique européen et fonde celui-ci à avoir un minimum d’exigence en retour. Mais ce faisant, la France, avec dans son sillage, l’UE, donnent elles-mêmes le bâton pour se faire battre par leurs détracteurs qui ont beau jeu de dénoncer la politique du double standard : condamnation d’un côté des coups d’État et des violations des droits de l’homme et des principes démocratiques au Sahel et de l’autre, adoubement du putschiste Deby fils à qui tout est toléré même l’indicible.

De la Féodalité à l’envers des rapports

Par ailleurs, s’il est dans l’air du temps de dénoncer la féodalisation des dirigeants africains du pré-carré aux locataires passés et actuel du palais de l’Élysée ; c’est peut-être vrai ailleurs. Mais dans le cas du Tchad des Deby père et fils, c’est plutôt l’inverse. Ceux-ci tiennent la France par son tendon d’Achille à savoir, son armée qui d’une part, entend conserver vaille que vaille ses emprises du pays et en particulier, la base aérienne « Sergent-chef Adji Kossei » de N’Djamena, et d’autre part, voue une admiration sans bornes à la bravoure ou à la sauvagerie des combattants du désert tchadien, à la tactique de combat peu académique et coûteuse en vies humaines, mais manifestement efficace à ses yeux. La France n’a jamais réussi à rien imposer ou refuser aux Deby père et fils si ce n’est pas grand-chose. Au contraire elle leur a tout passé et tout pardonné ; la succession de Présidents en France n’y change rien. Des exemples sont légions : du parapluie financier au bouclier diplomatique en passant par l’assurance-vie militaire. Entre l’hérédité Deby et la France, le jeu c’est de l’ordre du : « pile Deby gagne, face la France perd ». La récente déclaration de J.-M. Bockel qui s’est permis d’affirmer à N’Djamena, en dépit de la retenue que prescrivent les usages diplomatiques, non seulement « son admiration » à l’héritier Deby, mais que l’armée française doit rester au Tchad alors même que l’héritier en question est déjà en précampagne électorale et que ses hommes viennent d’exécuter Yaya Dillo, son principal opposant, est une magistrale démonstration de l’emprise de N’Djamena sur Paris et de l’abîme de celle-ci.

Nécessaire banalisation des relations aux ex-colonies

Les convulsions actuelles de la relation de la France à ses anciennes colonies en particulier du Sahel, amplifiées par le kérosène des entrepreneurs politiques d’un néo-panafricanisme de tribune, jamais à court d’arguments et avec parfois la bienveillance opportune de la Russie d’un Poutine plus que jamais conquérant, dénote d’une fin de cycle ; d’un changement radical d’époque. La France doit en prendre acte en travaillant désormais à banaliser sa relation à ses anciennes colonies à l’instar de ce que font la Grande Bretagne et l’Espagne. En effet, le passé colonial et le passif de la Françafrique sont derimant pour la défense de son image, de ses bonnes intentions et la valorisation de sa coopération pourtant agissante, à paramètres relationnels constants. Qui plus est, en ne se débarrassant pas complétement des symboles qui cristallisent et catalysent sa détestation sur le Continent Noir que sont notamment le Franc CFA et surtout les ersatz des corps expéditionnaires que constituent ses bases militaires, elle contribue elle-même à remettre des pièces dans le jukebox d’un patriotisme d’opportunisme de ses opposants.

Paradoxe de la jeunesse tchadienne

Dans le cas du Tchad, aussi paradoxale que cela puisse paraître, les velléités de rapprochement du pays avec la Russie de Poutine trouve davantage d’échos favorables dans les rangs de la jeunesse très engagée dans l’opposition radicale aux régimes Deby père et fils. Et cela, alors même que la Russie avec Wagner, hier et Africa Korps, aujourd’hui, ne s’est jamais mise au service d’une opposition à un régime en place. Elle est toujours du côté du pouvoir pour lui garantir de se payer sur la bête, notamment en mines d’or, de diamant, de puits de pétrole. À cela s’ajoute l’indispensable accessoire du kit de mise sous cloche des libertés publiques et individuelles ; ce que connaissent tous les régimes partenaires de Wagner et qui confine à la vérité, à kit du régime d’exception. Bref, pour cette jeunesse tchadienne, le basculement d’alliance du pays reviendrait à tomber de « Charybde en Scylla ». En a-t-elle seulement conscience ? Peu semble lui importer. Seule compte pour elle, la rupture avec la France, source imaginaire ou avérée de ses frustrations et complice de son asservissement par le soutien quasi-inconditionnel aux Deby père et fils.

Quoiqu’il en soit, travailler à maintenir ses emprises militaires au Tchad, c’est d’abord pour la France, accroitre son propre désarmement diplomatique à l’égard du régime Deby fils, avec des effets collatéraux sur la vigueur de sa parole dans le monde. C’est ensuite renforcer le sentiment de toute puissance de Deby fils, qui fort de l’audience internationale, continuera d’asservir et de brutaliser son peuple. Mais c’est aussi alimenter, comme ailleurs sur le continent, le fantasme jamais démontré d’un pillage des ressources naturelles du pays par son armée. Enfin, c’est mener un combat d’arrière-garde ; au mieux, retarder l’échéance au risque de ne pas en maîtriser le calendrier et les modalités comme ce fut le cas au Niger, au Burkina et Mali.              

Abdoulaye MBOTAINGAR
Docteur en droit
Maître de conférences à l’université d’Orléans

 

[1] Hergé, « L’affaire Tournesol » in Les Aventures de Tintin, Casterman 1956.

[2] Voir, A. Mbotaingar, Emmanuel Macron et la succession Deby: de l’incompréhension à l’incrédulité, https://www.ialtchad.com/index.php/details/item/651-emmanuel-macron-et-la-succession-deby-de-l’incompréhension-à-l’incrédulité.

[3] V., É. Vincent, « Le désarroi des militaires français face au retrait des troupes d’Afrique », Le Monde, 26 septembre 2023.

[4] C’est au demeurant la raison pour laquelle dans les premières informations de presse, relatives au champ de la mission du représentant personnel d’E. Macron en Afrique, Jean-Marie Bockel, le Tchad n’était pas concerné au même titre que Djibouti.

[5] V. A. Mbotaingar, Retrait de l’armée française du Sahel : Fin de soutien au pouvoir tchadien ?, https://www.ialtchad.com/index.php/details/item/3025-retrait-de-l-armee-francaise-du-sahel-fin-de-soutien-au-pouvoir-tchadien

[6]  Décision n°007/CC/2024 du 24 mars 2024.

[7] Chr. Lemoin porte-parole adjoint du Quai d’Orsay, Point de presse du jeudi 14 mars 2024.

[8] Déclaration du 27 avril 2021 au côté de Felix Tshikedi alors président de l’UA.  

[9] voir, Résolution Commune n° B9‑0575/2022</NoDocSe>  du 14/12/22, notamment les points 1, 6, 7 et 13.

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