Chronique

Chronique (84)

Jour après jour, il y a une année, s'ouvre la première année de la phase II de transition marquée par la dissolution du Conseil Militaire de Transition (CMT) et la prestation de serment du président de transition, Mahamat Idriss Deby Itno pour une durée de 2 ans définie selon les résolutions du dialogue national inclusif et souverain (DNIS). Une année plus tard, quel bilan ?

L'an 1 de la seconde phase de transition a commencé avec la nomination de gouvernement d'union nationale le 12 octobre 2023. A sa tête un ex-opposant à Idriss Deby père, M. Saleh Kebzabo et quelques mécontents de l'ancien régime qui avaient combattu les armes à la main le régime Deby. 8 jours plus tard, la tragédie du 20 octobre 2022 s'est produite. Ceux qui contestaient Mahamat Idriss Deby fils ont été réprimés. Une répression inédite. Des morts par certaines, des arrestations et des enlèvements par milliers.

La semaine qui suit cette répression a été terrifiante. Les voix discordantes sont amoindries par cette nouvelle forme de « démocratie armée ». Le désormais président de transition est le seul maître à bord. Contrairement aux premiers 18 mois, la première année phase de la seconde transition, liberté de manifestations sont abusivement restreintes.  Le président de transition est vénéré et loué par ses courtisans. L'héritier sans s’en rendre compte se retrouve a exercé le pouvoir d'un président élu.

Une idée lui a été soufflé à l’oreille : des tournées à l'intérieur du pays. Elles sont engagées sur le dos des contribuables tchadiens pendant que les denrées alimentaires connaissent une flambée exponentielle. Tel un président élu ou un candidat en campagne présidentielle, il sillonne le pays. En une année il met à la retraite certains généraux et élèves d’autres au même grade.

La première année de cette seconde phase a été aussi celle de critiques acerbes des actions du gouvernement. D'abord, la mise sur pied de la Commission Nationale chargée de l'Organisation du Referendum Constitutionnel (CONOREC) a été fortement critiqué du fait de sa composition. La crédibilité de cette organisation remise en cause ainsi que tout le processus d'enrôlement. Cette institution n'est pas la seule, il y a aussi les organes de pilotage, de contrôle et de suivi-évaluation des résolutions et recommandations du dialogue national inclusif et souverain (DNIS).

Ensuite, la recrudescence des conflits n'a pas cessé. Plus de 37 cas de violences inter et intracommunautaires ont défrayé la chronique, à l'Est, au Centre, dans le Lac-Tchad et au sud du pays. La puissance publique a démontré ses limites et n'a pas souvent pu s'imposer pour régler le conflit devant la justice républicaine mais par le prix du sang (Dia). Les règlements des conflits par l'État paraissent incongrus pour plusieurs tchadiens qui se demandent où est passée la justice ?  Cette phase est aussi marquée par les grèves des magistrats. Ils ont dénoncé à maintes reprises le projet de Constitution qui, selon eux, ne garantit pas l’indépendance du pouvoir judiciaire. Ils réclament aussi une meilleure condition de travail.

L'électricité reste toujours un défi pour cette seconde phase de transition. Les promesses faites par le PT lors de sa prestation de serment pour la multiplication fois 3 de la capacité énergétique de la ville de N'Djamena avant fin janvier 2023 a été un échec. Les N'Djamenois subissent trois fois plus de délestage que les 10 dernières années. Les vagues de protestations dans les quartiers se multiplient, N'Djaména est sombre comme un tombeau. Certains commencent à remplacer les câbles de la SNE par des panneaux, les pénuries de carburant, les flambées des prix des denrées, du transport. Tout échappe à la transition.

L'an 1 de la deuxième phase de la transition a été chaotique. Le Président de Transition et les membres du gouvernement sont interpellés pour redresser la barre avant qu'il ne soit trop tard.

Abderamane Moussa Amadaye

J’écris cette chronique pour m’interroger sur l’état de la transition. Où en sommes-nous ? Vers où allons-nous ? 

Je vous rassure que je ne possède pas une boule de cristal. Je ne consulte ni marabouts, ni les oracles. J’esquisse des prédictions hasardeuses sur ce qui pourrait arriver en m’inspirant des faits d’actualité.

Alors on est rendu là, dans une transition de campagne permanente. En prétextant de vouloir toucher du doigt « le vrai vécu des Tchadiens », la mission de la transition est jetée aux oubliettes. L’envie à peine dissimulable du principal acteur de la transition Mahamat Idriss Deby de demeurer président.

Un exemple factuel parlant...

Hier samedi, le président de transition (PT) a bouclé sa tournée de 23 régions en grande pompe lors d’une rencontre politique dans la capitale tchadienne, N’Djamena. Il a d’abord dressé les succès de la première phase : révision du fichier électoral, le futur referendum, a présenté la transition comme une chance historique pour refonder le pays. Il a fait une tonne de promesses : l’électricité vert, l’électricité thermique, des lampadaires, des kilomètres de bitume, des collecteurs d’eau, des avenues à réhabiliter, deux nouveaux hôpitaux, etc. C’est père Noël, les bras pleins de cadeaux, qui rend visite avant l’heure, aux millions de Tchadiens qui en arrache tellement leur vie est de plus en plus difficile.

Entre temps, les Tchadiens sont interdits de manifestation, le travail de la presse est entravé, un mandat d’arrêt est lancé contre le principal opposant, plusieurs membres de son parti sont arrêtés, les groupes rebelles sont sur les pieds de guerre quelque part dans le sud-libyen, les politico-militaires rentrés au bercail sont mécontents, le programme Désarmement démobilisation et réintégration (DDR) tarde à démarrer, etc. Les Tchadiens sont épuisés, dépités, découragés par toutes ces péripéties.

A la question vers où allons-nous ? Vers le néant, enfin, peut-être…

Je n’exagère pas. On m’a raconté qu’un célèbre journal avait titré, il y a des décennies, en Une : Tchad, État néant à cause de la guerre civile entre Tchadiens. Je ne souhaite pas une autre guerre pour mon pays mais inexorablement il s’achemine, une nouvelle fois, vers le néant.

Bello Bakary Mana

Il y a quelques jours le ministère des Transports et de la Sécurité Routière a annoncé un nouveau Code de la Route qui rentrera en vigueur le 20 octobre prochain.

La circulation au pays et surtout dans la capitale tchadienne, N’Djamena, est une vraie jungle. Les accidents de la route sont légions. Conséquences : des milliers de morts, des milliers de blessés, des milliers d’handicapés à vie. Les incivilités sur la route sont quotidiennes. Les Tchadiens étant des sanguins, les accidents tournent parfois à la bagarre, aux engueulades, etc.

Analysé froidement, ce nouveau Code est une excellente nouvelle. Pour reprendre la formule des frères Dupont et Dupond dans Tintin la célèbre bande dessinée «… je dirai même plus.. », c’est une solution pour atténuer les souffrances et les vies brisées sur les routes tchadiennes.

J’étais heureux de saluer cette bonne nouvelle dans mon édito ou ma chronique lorsque je suis allé naviguer sur le réseau social Tiktok, histoire de me détendre. Je tombe alors sur un extrait vidéo du virulent et pragmatique Cheikh Mahamat Ahmat alias Faki « handicapé ». Il dénonce ce code avec des arguments simples en affirmant, je traduis ses propos en arabe locale en les résumant, lorsqu’il s’adresse aux gouvernants.

Cheikh Mahamat Ahmat : « ...le Président, le Premier ministre, le gouvernement, le ministre du commerce, le président des commerçants, les délégués, les députés se sont réunis. Pas de route, des rues cabossées, plein de nid de poule, des herbes partout au lieu de se réunir pour trouver des solutions pour faire baisser les prix sur les denrées alimentaires, ramener l’eau. Ils se sont réunis pour parler du port du casque sur la moto. Le casque c’est du riz? Du macaroni? Vous n’avez pas peur du Bon Dieu? Au moment où votre peuple a faim, vous refusez de parler des denrées alimentaires. Honte à vous. Haram à vous… ».

Il rajoute pour conclure, « …pire, ils dressent les hyènes (les policiers) pour aller s’attaquer aux chèvres (le public, usagers motocyclistes et automobilistes). A partir du 20 octobre, les policiers là, seul Dieu sait ce qu’ils feront dans cette ville… ».

Les prêches aux allures populiste de ce Cheikh sont vachement intelligentes. Cette sortie me parle, me touche. Et j’imagine elle touche aussi des milliers des Tchadiens. Je suis déchiré entre la vérité du Cheikh et la responsabilité des pouvoirs publics.

L’application stricte de ce Code préservera certainement des vies. Pouvoir s’acheter à manger pour manger à sa faim aussi sauvera des vies.

J’avoue que j’aime les prêches du Cheikh. Elles sont réalistes et praticopratiques. Il parle tellement bien du quotidien difficile des Tchadiens qu’il est devenu, pour moi, un peu notre « conscience morale ». Nous avons tous oublié qu’il y a quelques années l’histoire du port de casque a soulevé la colère « des clandomen » ou les mototaxis. A l’époque le maréchal Idriss Deby Itno a reculé de peur que la fronde ne mute en autre chose plus dévastatrice pour son régime. Le général Mahamat Idriss Deby reculera-t-il ? Lui qui assure juste une transition. Le GBS (gros bon sens), comme disent les Canadiens français, le recommande. Surtout le volet port de casque. Même si au fond il faut commencer quelque part à discipliner les Tchadiens avec ce Code.

Bello Bakary Mana

La nomination du général Ramadan Erdebou au mois de mai passé, comme Directeur général de la Société nationale d’électricité (SNE), a été soulignée avec satisfaction par certains. Mieux, elle a été saluée avec jubilation par plusieurs. Ils avançaient son intégrité de militaire comme argument comme si cela suffisait pour ramener de l’électricité à tous. Et en tout temps, 24/24.

Ceux avec lesquels j’ai échangé, à l’époque, étaient presque tous déçus que je leur dise : « non soyons sérieux, il n’est pas compétent pour la tâche. Sa place est dans les casernes. Pas à la tête de la SNE. Surtout qu’il y a dans ce pays des Tchadiens qui ont fait preuve de leur compétence en la matière ».

Je finissais la discussion en leur disant, « on en reparlera, je crains le pire… ».

Les plus gentils lâchaient cette interrogation, « tu souhaites qu’il s’embourbe? »

Les plus méchants, virulents, disaient, « Bello, rien ne trouve grâce à tes yeux, toi. Ce type est bien et intègre ».

Je me taisais pour ne pas envenimer la discussion. Ils étaient des fanatiques finis du Général. Pas parce qu’ils l’aiment d’amour pur. C’est parce qu’ils croyaient, désespérément que le général crierait : lumière. Et lumière se fera dans tout le pays.

Je n’écris pas cette chronique pour narguer mes contradicteurs, ni même pour leur signifier que j’avais raison, mais pour leur dire : j’attends encore le résultat positif de notre général intègre à la SNE. Je crois qu’on vit le pire : l’obscurité pour presque tous à tout temps.  Même en saison de pluie. Voilà son bilan après plus de 90 jours.

Pourquoi est-il en train d’échouer sous nos regards? Je répète : parce qu’il n’est simplement pas qualifié pour l’emploi. Vous voyez que cela n’a rien à voir avec son intégrité. Il est peut-être un bon soldat, un excellent général, mais il n’est pas à la bonne place. Et il ne comprend pas ce qu’est la gestion d’une société parapublique comme la SNE.

La preuve, il serait en dispute avec son supérieur le ministre de l’Énergie à cause d’une nomination bidon. Au lieu d’obéir à son ministre, manu militari, il refuse. Et pourtant c’est un militaire qui connaît la règle de la hiérarchie chère à l’armée, comme elle l’est aussi pour l’administration. Chaque jour qui passe fait de la SNE un « boulet noir » pendu sur la tête des Tchadiens.

Entre temps, les deux têtes de l’exécutif de la transition sont occupées à d’autres choses. Le président de transition (PT) est en balade de campagne dans la campagne tchadienne. Il a oublié sa promesse faite de ramener l’électricité pour tous. Le Premier ministre de transition est impuissant. Les Tchadiens sont dans l’obscurité. L’économie est dans le noir. La capitale N’Djamena s’endort sans électricité aux sons chaotiques des groupes électrogènes et les N’Djamenois chaque nuit, dans l’obscurité, n’ont que cette prière à la bouche « Allah bane ââ loum ». Traduction : Dieu les maudisse.

Bello Bakary Mana

La décision de la suspension pour 8 jours du journal en ligne Alwihda et de son directeur de publication (DP) M. Djimet Wiché par la Haute Autorité Des Médias et de l’Audiovisuel (HAMA) est un premier coup d’essai pour intimider les médias en ligne.

La Hama justifie sa décision en soutenant que deux papiers de mon confrère Djimet Wiché contenaient des « propos injurieux au président de transition et des propos communautaristes de nature à porter atteinte à la cohésion et à la discipline au sein de l’armée ». Connaissez-vous la signification de cette phrase dans les états autoritaires ou dictatoriaux? Elle signifie une « offense au chef de l’État ». Sommes-nous dans une dictature? Je ne crois pas. Pour tout dire, j’étais curieux de comprendre cette décision que je trouve disproportionnée et injuste.

Je suis alors allé relire la mission de la Hama sur le site officiel de l’organisation. Et oh surprise, je découvre ceci : « La Hama est une autorité administrative et indépendante chargée, entre autres missions, d’assurer la liberté et la protection de la presse, de garantir l’accès aux sources d’information et aux moyens publics d’information. Il doit par ailleurs, veiller au respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans la presse, la communication audiovisuelle et en ligne ».

Alors, je me suis posé cette question. Pourquoi pour si peu la Hama est prompte à punir, saisir, fermer, intimider? Alors que sa mission est d’assurer la liberté, la protection de la presse et l’expression pluraliste. En fermant Alwihda pour 8 jours et en punissant Djimet, elle va contre ses propres principes.

J’ai toujours cru que la Hama est sous la pression des longs bras qui la pousse à prendre des décisions injustes contre les médias privés et les journalistes. Pire, elle croit que sa mission c’est d’être une béquille politique au service de la présidence. Sinon comment comprendre cette attitude envers les médias.

La suite de cette décision injuste a visiblement encouragé certains à faire du zèle. Selon notre confrère, des agents l’on prit en filature le poussant à trouver refuge chez l’habitant du coin pour passer la nuit hors de son domicile. Je n’ai jamais cru entendre un tel récit digne d’un film hollywoodien en cette période de transition où les journalistes devraient être libres de critiquer, d’investiguer pour bien informer les Tchadiens. Cette transition n’est pas aidée par la Hama, qui comme la Tour de Pise, penche toujours d’un côté sous l’influence des certains tapis à la présidence de la République. Bref, si tout cela arrive c’est par la faute du journaliste tchadien qui a cédé à vil prix l’indépendance de son organisation au pouvoir politique.

Bello Bakary Mana

Je devais écrire une chronique sur les 63 ans d’indépendance du Tchad. J’ai vite abandonné l’idée. Au lendemain de ce 11 août je suis donc allé faire mes lectures quotidiennes des nouvelles du monde comme pour éviter celles du pays. Je n’ai pas pu m’en empêcher. Je clique. Et je tombe sur cette phrase de M. Caman Bédou Oumar dans une entrevue dense qu’il a accordée dans nos colonnes. Il parle des Tchadiens en affirmant avec conviction « qu’on n’est pas seulement bon à rien, on est mauvais en tout ».

Comme disent les jeunes N’Djamenois « grando kalamak sey » (le grand-frère a dit la vérité) à 90%.  J’ai trois exemples pour illustrer comment nous sommes presque mauvais en tout.

Dossier pétrole : Vous avez vu les membres de l’équipe de choc des négociateurs du dossier pétrole décoré et élevé au Grade de Commandeur et faits officiers. Ils chantaient partout avoir gagné sur toute la ligne au sujet du dossier COTCO. La célébration de nos champions négociateurs, leur élévation et leurs médailles n’ont rimé à rien parce que le Tchad a perdu la première manche du jugement en référé. L’arbitre a donné raison à Savannah qui reste actionnaire à 41, 06 % du capital de COTCO. Les autorités se sont murées dans le silence et le déni.

Dossier référendum : Durant le Dialogue national inclusif et souverain (DNIS), la question de la forme de l’état avait chauffé les esprits. Étant participant représentant des médias j’avais senti la peur bleue du président du présidium la veille du débat en plénière sur la question. Il avait même convoqué un huis clos avec quelques représentants de différentes « corporations ». Lors des débats, j’avais pris la parole pour dire qu’il fallait plutôt proposer 2 constitutions, une en faveur du fédéralisme, et une autre pour l’État unitaire fortement décentralisé, mais un seul référendum. Les Tchadiens choisiront. Voilà que le mauvais génie tchadien a encore frappé. Ils ont tout fait pour que les Tchadiens votent sur la seule constitution de l’État unitaire décentralisé. Personne n’est dupe. C’est un tour de passe-passe pour faire gagner l’option de l’État unitaire. Une filouterie pure et simple inspirée par notre malfaisance.

Dossier Armée nationale: Cette institution représente parfaitement le mal faire tchadien. Plus de 600 généraux, en majorité analphabète, sur 100 000 hommes pour une population d’une dizaine de millions. Cela frise le ridicule. Même la puissante Chine avec ses plus d’un milliard d’habitants et plus de 2 millions de soldats n’a que 200 généraux comme l’a si bien dit M. Caman. Pourtant dans le dossier de « askarié » (militaire) on s’y connait. Non? Je ne suis pas sûr de cela. Une chose est certaine, on est plutôt « une bonne bande de guerriers violents et indisciplinés »

Enfin, factuellement c’est cela le pays. Seul le monde des arts, de la musique, des lettres et des médias privés qui brillent par leur ingéniosité. Bref, dans ce pays on est finalement tous des « bons en rien et mauvais en tout ».

Bello Bakary Mana 

Le président de transition (PT) Mahamat Idriss Deby a été invité à Abuja au Nigeria pour se joindre à la réunion d’urgence de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) à la suite du coup d’État au Niger où le président élu Mohamed Bazoum a été destitué. Il a été désigné médiateur à la surprise de tous. Mais une petite gêne, en petit caractère est écrit au bas du contrat : « un médiateur sans mandat acté de la Cédéao ».

En apprenant la nouvelle, j’ai compris pourquoi il a été invité. Je me suis alors posé cette question : ces dirigeants ouest-africains sont-ils sérieux? Non. Ils ne le sont pas. Pourquoi?

D’abord, le Tchad n’est pas membre de la Cédéao. Il est curieux que cette responsabilité soit accordée au président de mon pays. Le fait que le Niger soit notre voisin n’est pas suffisant. Le PT devait décliner poliment cette invitation et cette responsabilité. Pis, probablement le Tchadien a accepté la mission en espérant un jour le retour de l’ascenseur où lui aussi aura besoin que cette Cédéao plaide pour lui. Erreur. Il est aujourd’hui le seul militaire qui a fait un coup d’État et qui est ami avec la politique française en Afrique. Cette même classe politique de la « si grande France » qui mène la vie dure à ses collègues militaires. La politique de deux poids, deux mesures prend tout son sens.

Ensuite, je ne vois pas comment le président de transition va faire pour que ses amis « militaires et putschistes »; un peu comme lui, accepteront-ils de l’écouter? Lui aussi est en pleine médiation. Lui aussi est doublement fautif pour avoir piétiné la Constitution de son pays. Lui aussi a violé son propre engagement en ne respectant pas le délai de transition de 18 mois. Lui aussi a pris le pouvoir par la force. Lui aussi semble se préparer à ne pas respecter l’appel de l’Union africaine (UA) lui demandant de ne pas se présenter aux prochaines élections. Il y a dans cette mission quelque chose d’incongru.

Enfin, la Cédéao ne semble pas être aidée par le discours agressif des autorités françaises. C’est pourquoi le président de transition tchadienne devrait se tenir à l’écart. Il a déjà plein sur les bras avec sa transition à lui. Il n’a aucun intérêt à jouer ce rôle complexe dans un contexte compliqué. Pourquoi un président légitime et démocratiquement élu comme le Béninois Patrice Talon ne peut pas être désigné médiateur? Surtout que son nom était sur toutes les lèvres. Pourquoi un président en fin de mandat comme le sénégalais Macky Sall ne pouvait-il pas mieux assumer ce rôle? À l’allure où les choses se déroulent, il risque gros au cas où la junte nigérienne refuse de céder. Et la Cédéao, refusant de perdre sa crédibilité, s’engage militairement à chasser la junte nigérienne. Il ne faut pas oublier que Wagner et le président russe Poutine ne sont pas loin et voleront, peut-être via le Mali ou le Burkina Faso en sous-main, au secours des putschistes.  Bref, cette mission confiée au président tchadien, arrivé au pouvoir par la force, sans expérience de médiation et étranger à la Cédéao est maladroite et dangereuse.

Bello Bakary Mana

Makaila, Abel, Tahirou, Habib Ben ont organisé une conférence-débat pour disent-ils faire le bilan de la transition et examiner les perspectives. Bilan et perspective? Oui, faire le bilan et les perspectives un après-midi comme ça. Sans aucune raison sinon celle de vouloir exister dans une transition embrouillée et ennuyante.  

Je taquine souvent l’un d’entre eux, mon ami Makaila, le surnommant « activiste désactivé ». Il me répond toujours, sourire au visage, « journaliste opposant ». Je lui réplique, « dit journaliste et arrête-toi ». On en rit, on se balance des blagues comme depuis toujours avec « Fofana » son autre surnom de foot en plus de son premier surnom sigle de prénom « MK ».

Depuis leur retour, nos amis n’ont cessé de cumuler des erreurs. Je reviens sur quelques-unes de ces erreurs majeures.

Première erreur. C’est d’avoir accepté de cautionner le coup d’État. Surtout avoir accepté d’accompagner la perpétuation d’un système dynastique. Ils ont cru que leurs actions virtuelles et leurs amis aussi virtuels incarnaient le réel. Le réel tchadien est plus dur. Plus acrimonieux. Plus complexe. Ils le découvrent.

Deuxième erreur. Leur retour dans le brouhaha, en trompe œil, les a fait croire qu’ils étaient incontournables pour la transition. Ils marchaient presque sur les eaux du fleuve Chari, la tête dans les nuages de N’Djamena. Ils se voyaient ministre de la République, DG oubliant au passage qu’ils ne représentaient rien, comme dirait le ministre de la Réconciliation nationale M. Abdramane Koulamallah. Le réveil est brutal. Leur « entrisme » a été précipité et mal réfléchi.

Troisième erreur. C’est de n’avoir pas pu constituer lors du Dialogue national inclusif et souverain (DNSI) un groupe d’activistes pour peser sur les débats. J’ai fait à mon ami Makaila la remarque. Lors du DNIS, ils étaient perdus, noyés dans le tas des personnes ressources. Ils étaient inaudibles.

Quatrième erreur. Ils ont refusé de continuer à être activistes au Tchad, sur le terrain. Ils devaient s’inspirer d’un garçon comme Ahmat Haroun Larry. Brouillons parfois, mais intelligent dans son activisme. Il déjoue les pièges de la tentation. Et quand, le système croit l’avoir, il démissionne. C’est ce qu’il a fait après sa nomination à la Mairie, spécialement à la Voirie. C’était un gros piège tendu pour le temps de la saison de pluie. Larry a vite compris qu’il allait se faire prendre et se noyer dans les eaux de pluie s’il y restait.   

Alors que nos amis se complaisaient dans leur situation. Au début de leur retour, ils disaient partout avec fierté être les invités du président comme s’ils n’étaient pas chez eux, dans leur pays. Ils étaient ivres de leur retour. Et commençaient déjà à croire que le président de transition et son entourage avaient besoin d’eux pour la suite de la transition. Ils étaient d’accord par avance pour l’accompagner à s’agripper au pouvoir. Je n’ai jamais cru que le président de transition avait besoin d’eux. Ils réalisent aujourd’hui que leur retour n’était qu’une simple opération de communication. Rien de plus.

Bello Bakary Mana

L’esprit de la fête de Tabaski a fait ses effets sur le président de transition. Il s’est souvenu des manifestants du 20 octobre 2022. Ceux que j’appelle les « sacrifiés en exil » de la seconde phase de la transition, ou « les insurgés armés » comme dirait le Premier ministre de transition Saleh Kebzabo.

Ils sont pardonnés. Oui pardonnés. Vous êtes surpris? Pas moi.

Je me rappelle une discussion avec un compatriote qui approuvait cette répression. Parce que, argumentait-il, « ces manifestants sont tous manipulés par le président du parti Les Transformateurs Succès Masra, ils sont tous originaires du sud, ils sont tous des drogués, ils sont tous des antis de ceci, des antis de cela, des haineux, des détestables, etc. ».

J’ai eu de la peine à lui faire comprendre que manifester pacifiquement est un droit. Et même s’il détestait ces manifestants ou les partisans des transformateurs, il se doit de dénoncer cette répression aveugle, inacceptable, exécutée par des Tchadiens sur d’autres Tchadiens. Et qu’il faudra faire attention à ne pas faire du « Kebzabo ». C’est-à-dire vouloir être plus dur que les durs partisans du président de transition.

Surtout que demain, les mêmes qui ont qualifié cette manifestation « d’insurrection armée », ne pourront invoquer le droit de manifester. Ils s’exposent, en soutenant une telle répression, d’être à l’avenir victimes de la même méthode. Les Tchadiens ont un adage pour bien résumer cela, « la lame qui a rasé Issa, rasera Moussa ».

J’ai fini en disant à mon contradicteur, « si j’étais le conseiller du président de transition, je lui aurais conseillé de choisir Succès Masra comme Premier ministre. Parce que, objectivement, c’est son meilleur allié et adversaire. Cela le débarrassera de cette vieille classe politique de l’opposition. Et surtout marquera la rupture, la montée d’une nouvelle génération, même si cela risque d’être symbolique. Les symboles comptent en politique ». Mon ami est resté insensible à mes arguments.

J’avoue que le Tchad est le paradis des apprentis politiques. La répression du 20 octobre a fait des dizaines de morts, un millier de jeunes incarcérés, des centaines d’exilés, un parti politique décimé, son chef chassé du pays, des procès bidons, une justice aux ordres tout cela est passé comme lettre à la poste à part le rapport du président de la Commission Nationale des droits de l’Homme (CNDH) Mahamat Nour Ibédou qui a dit la vérité. Depuis lors, on lui mène la vie dure.

Ce qui choque dans ce pardon, c’est le fait que le président, de surcroît d’une transition, se réveille le matin d’une fête et dit avoir pardonné ceux qui ont offensé sa présidence pour avoir manifesté après les avoir massacrés, embastillés, forcés à l’exil, etc. Lui le maître du ciel et de la terre tchadienne pardonne à qui il veut sans rendre de comptes à personne.

Je me suis alors rappelé la fougueuse sortie du président de transition clamant qu’il ne baissera jamais la tête devant un autre président d’un autre pays.

Mais selon plusieurs sources, son dernier voyage en France lors du sommet pour un nouveau Pacte Financier Mondial, le tête-à-tête, la veille du sommet entre le président français et tchadien, cachait autre chose. L’Élysée a d’abord remonté les bretelles du président de transition au sujet de l’arrestation des militaires français à la frontière soudanaise. Ensuite, il a exhorté le Tchadien à se ranger sur la position du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) demandant qu’aucun acteur de la transition ne se présente aux futures échéances électorales. De plus, il a fortement été recommandé au Tchadien une ouverture politique sincère à la principale opposition armée le Front pour l’Alternance et la concorde au Tchad (Fact), le retour du chef des Transformateurs et de ses militants exilés au pays et un apaisement des tensions sociales.

Voilà les raisons cachées de ce pardon le jour de la Tabaski. Un pardon sur commande. Menton levé « Jupiter Macron » a ordonné. Tête baissée « Mahamat Kaka » a exécuté. Reste à savoir s’il s’abstiendra de se présenter aux futures élections. Là, c’est une autre histoire.

Bello Bakary Mana  

Plus le temps passe, plus il est difficile de faire semblant. Les non-croyants disent que le temps est le seul maître des enjeux. Il est Dieu. Les croyants disent que seul Dieu est maître et du temps et des enjeux. La transition de 24 mois est prise entre ces deux thèses. Le pays traverse des moments de vérités. Premier problème : il n’y a qu’une Vérité. Il faudra s’y faire et y faire face. Deuxième problème : il y a toujours en chacun de nous deux personnalités dans une même personne. Vous comprendrez plus loin pourquoi je dis cela.

Le groupe de sages de l’Union Africaine (UA) a demandé aux responsables de la transition de respecter deux points.

Un, pas de prorogation des 24 mois de la transition. Pas question de ne rajouter un jour ni retrancher une nuit.

Deux, tous les membres de la transition ne doivent pas participer aux prochaines échéances électorales.

Depuis cette sortie des sages, il y a un « silence officiel gêné » au sommet de l’État. Quelques « petits seconds couteaux » ont décidé de donner la réplique aux sages en affirmant, « le pays est souverain ». « C’est le Dialogue National Inclusif et Souverain (DNIS) qui a décidé que tout Tchadien (ne) peut se présenter à condition qu’il remplisse les conditions ». « Et qu’après tout c’est au peuple souverain du Tchad d’en décider, pas à l’UA ».

Je crois avoir trouvé le pourquoi de ce silence. Je m’explique….

Vous vous souvenez de la sortie du président à Gozbeïda, dans le Wadi Fira, disant ne pas être le gouverneur de l’ambassadeur allemand Jan-Christian Gordon Kricke, expulsé du pays quelques jours avant, qui lui avait, dit-il, demandé de ne pas nommer Saleh Kebzabo au poste de Premier ministre.

Voici in extenso la déclaration du président de transition traduit de l’Arabe locale. « Aucun président du Tchad, de Tombalbaye au Maréchal Idriss Deby Itno (paix à son âme), n’a jamais baissé la tête. Et jusqu’à ce que les Tchadiens choisissent leur président. Moi non plus je ne baisserai pas la tête devant aucune personne ni devant aucun État ».

Les trois mots « choisissent leur président » m’ont intrigué. C’est passé presque inaperçu, mais nous journalistes sont là aussi pour disséquer les mots, les gestes et les expressions présidentiels.

D’abord, est-ce un aveu de non-candidature? Hum…c’est trop mince pour le dire, mais ce n’est pas rien.

Ensuite, comment interpréter ces mots? La première idée qui m’est venue à l’esprit c’est l’expression de l’écrivain malien Ahmadou Hampâté Bah qui disait, « dans la personnalité de la personne, il y a plusieurs personnalités ».

Le président de transition (PT) n’échappe pas à cette sagesse de Hampâté. Et lorsqu’on est en politique active, on est obligé de faire cohabiter ces personnalités qui se tiraillent en permanence.

Cela pour vous dire que cette sortie et l’expression « choisissent leur président » est l’exemple parfait que le « Mahamat Kaka », le gentil petit fils de grand-maman qui sommeil dans la moitié d’âme du PT veut organiser des élections libres, transparentes et céder le pouvoir dans l’intérêt du pays.

Mais le rageux, l’agressif « Mahamat Idriss Deby Itno » tapi dans l’autre moitié du PT veut organiser des élections pour son propre compte. Et bien évidemment les gagner et s’éterniser au pouvoir dans l’intérêt des amis politiques et de la famille. Pour atteindre cet objectif, il est prêt à renvoyer les diplomates, défier l’UA, etc. Après tout le pouvoir, il l’a hérité du père Maréchal. Et au nom du clan et de la famille, il faut le conserver. Il faut pour cela faire le « dos rond » et laisser passer la « fâcherie » de l’UA. Et qui va certainement s’estomper avec le temps.

Ah! le temps, encore lui. C’est, semble-t-il, la moitié du nom de Dieu. Et le silence l’autre moitié. Allahou Akhbar (Dieu est grand), dirait Mahamat Idriss Deby. Allah hou sami-itt (Dieu est silence), dirait « Mahamat Kaka ». Et ses amis politiques acquiesceront InchAllah.

Bello Bakary Mana

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