jeudi 28 mars 2024

Le pétrole appauvrissant du Tchad

Written by  Déc 11, 2005

Au-delà des défilés, des cortèges bruyants et du tintamarre organisés par le régime de Déby à l’occasion des similis élections et des célébrations de ses « victoires », la tristesse et la grisaille demeurent le lot commun des tchadiens tant dans les villes que dans les campagnes. Ce raffut régulièrement mené vise à couvrir l’indifférence à son égard de la population surtout préoccupée par la lutte quotidienne pour sa survie.

Un moment de réflexion sur le bilan de quinze années de règne de Déby sur l’économie tchadienne s’impose. La grande œuvre autoproclamée, l’exploitation du pétrole et ses effets favorables sur l’éradication de la pauvreté, a été reconnue par son auteur lui-même comme un énorme raté (1). Après avoir dépensé sans compter les ressources reçues pendant la période d’investissement, Déby a « découvert » que les recettes budgétaires issues du secteur pétrolier ne sont pas à la hauteur de son immense boulimie financière et de l’inextinguible soif d’argent et de ses affidés.

A posteriori, les tchadiens se rendent compte qu’ils avaient raison initialement en priant pour que le pétrole reste encore quelques temps dans le sous-sol. C’est la triste revanche de tous ceux qui ont été traités d’anti patriotes, pourchassés et embastillés avec la bénédiction du FMI et de la Banque Mondiale, Wolfenshon en tête. Pourtant, dès le bonus attribué par le consortium bénéficiaire du permis d’exploitation, avant le démarrage des travaux de construction des structures de production, un détournement avait été opéré sur les fonds destinés aux projets de développement économique et sociaux.

La période d’investissement dans le bassin pétrolier de Doba a été édifiante sur l’incapacité du régime à promouvoir l’essor du secteur privé avec le constant de la faible participation des entreprises tchadiennes aux travaux. Quelques mois après le lancement de la production pétrolière, l’opinion a été surprise par l’aveu sur les erreurs commises dans la négociation des conventions pour l’exploitation des champs de Komé, Bolobo et Miandoum.

Cet aveu tardif n’est pas sincère. Il n’a pour but que de diluer l’incompétence et les arrangements intéressés exercés lors des discussions relatives à ces conventions. Pouvait-on espérer un miracle de négociations menées par un groupuscule de tchadiens, dont l’expertise principale est l’inféodalité à Déby, alors qu’il avait en face une armada d’experts camerounais aux compétences variées et de représentants des compagnies pétrolières chacun rompu dans son domaine ? Dernièrement dans une interview, Déby a voulu faire porter la responsabilité de son incurie à Habré qui aurait signé ces conventions en 1998 ! Pourtant, alors qu’il a eu tout le loisir de renégocier ces accords, sa volonté de disposer de ressources faciles avant les élections de 20001 a conduit à accepter un dispositif qu’il conteste aujourd’hui. Ainsi, dans ses discours de campagne, il affirmait qu’avec les revenus procurés par le pétrole, il fallait offrir le bonheur que ses opposants refusaient au peuple.

La faillite de Déby est patente depuis que les arriérés de salaire des fonctionnaires, de pensions de retraités, de bourse d’étudiants et des fournisseurs de l’Etat sont devenus récurrents à partir de l’année 2003. L’accumulation de ces arriérés, surtout dans les provinces où vit la majorité de la population dans un état de misère endémique, provoque l’arrêt fréquent des cours et des soins ainsi que le marasme du secteur non pétrolier en 2004. Les raisons avancées pour justifier ces défaillances (hausse de la masse salariale, changement de grille des militaires, etc.) ne convainquent pas car le programme du gouvernement, soutenu par la Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et la Croissance (FRPC) du FMI et d’autres apports de la communauté financière internationale, notamment les produits de l’allègement de la dette issus de l’Initiative PPTE, prenait en compte ces mesures en faveur des secteurs dits prioritaires, dont particulièrement la santé et l’éducation.

La croissance record du PIB enregistrée en 2004 relève de l’anecdote car elle n’était due qu’à l’émergence de la production pétrolière dans les comptes nationaux. Les fluctuations excessives du PIB non pétrolier, soumis aux seuls aléas climatiques non anticipés et donc non maîtrisés, expriment bien l’inexistence d’une vision du développement durable du pays. Le recul paradoxal du Tchad de la 167eme place en 2003 à la 173eme en 2004 de l’indice du développement humain publié par le PNUD, malgré l’exploitation pétrolière, prouve l’inanité de la politique économique poursuivie par Déby sous la bienveillante houlette des institutions internationales et avec le soutien agissant de Chirac.

Le gouvernement impute ses difficultés de trésorerie à la loi 001 du 11 janvier 1999 sur la gestion des revenus pétroliers du bassin de Doba. Dans un communiqué publié début février 2005, il attribue par ailleurs aux législateurs l’adoption de cette loi dont il avait présenté lui-même le projet, incité par la Banque Mondiale à la recherche de l’alibi autorisant l’octroi de son prêt et sous la pression des organisations de la société civile nationale et internationale ! A peine une année après sa mise en œuvre, pour entretenir la gabegie déjà en cours, le pouvoir s’efforce de la modifier dans les dispositions qui font son originalité : constitution d’un fonds des générations futures (10%) et affectation principale aux secteurs prioritaires limitativement définis.

Cependant, les règles de gestion des revenus pétroliers en particulier et des ressources de l’Etat en général sont régulièrement contournées grâce aux personnes liges placées dans le circuit des finances publiques. En effet, sont essentiellement nommés aux divers postes stratégiques (Ministres des Finances, du Plan, du Contrôle d’Etat, des Infrastructures, du Pétrole, etc. ; Président du Collège de Contrôle et de Surveillance des Revenus Pétroliers, CCSRP ; Directeur national de la Banque centrale régionale, la BEAC ; Trésorier Payeur Général, Directeur Général du Trésor, Directeur Général des Douanes, Inspecteur Général des Finances, Caissier Général, Directeurs Administratifs et Financiers des ministères, administrateurs des projets de développement, etc.) les apparentés familiaux et ethniques de Déby, les clients fidèles du régime, sans considération de leur état de service, et quelques rares fonctionnaires sans texture que l’ambassadeur de France au Tchad, interdit d’appeler « Laoukouras » (2)

Issu de limbes du parti unique de Hissein Habré, le régime de Déby dont la nature profondément anti-démocratique et les velléités guerrières sont reconnues, manifeste un rejet viscéral d’une gestion républicaine des finances publiques. La persistance des dépenses hors budget malgré les engagements pris et jamais réellement respectés le prouve amplement. Pour financer ses interventions militaires en RCA depuis 2002 et son activisme au Darfour, couvrir les dépenses incontrôlées autour des soins médicaux à l’étranger du chef de l’Etat (location d’avions médicalisés, entretien des déplacements des membres de sa famille, etc.), s’assurer des victoires électorales, le Trésor public est définitivement devenu une cassette royale affectée à Déby.

Les satisfecit délivrés régulièrement au Tchad par le FMI et la Banque Mondiale, dédouanent le pouvoir d’un réel effort de redressement de sa gestion. Pour tenter de maintenir leur programme avec le Tchad « on the track », les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux ferment les yeux sur des pratiques non orthodoxes dangereuses pour l’économie : absence ou inapplication du plan de trésorerie public, multiplication d’avances exceptionnelles de la Banque centrale régionale à l’Etat, emprunts à taux élevé auprès des banque gagés sur les ressources pétrolières, etc. Tout ceci est commis en violation flagrante des dispositions du même programme tendant à éviter les effets inflationnistes d’une gestion incontrôlée des ressources pétrolières, à l’inciter l’Etat à poursuivre ses efforts de collecte des recettes fiscales traditionnelles et à promouvoir le développement du secteur privé. En attendant, le Tchad a toujours le taux de prélèvement fiscal le plus bas d’Afrique, à cause principalement d’une forte évasion fiscale commise avec une administration publique désormais dominée par des faux diplômés et le népotisme poussé à son paroxysme.

L’échec de 15 ans de règne de Déby vient d’être admis par le Président de l’Assemblée Nationale lui-même, en interpellant son énième Premier Ministre sur les promesses non tenues. Malgré l’adoption en 2003 de « stratégies » nationales de réduction de la pauvreté et de bonne gouvernance, imposées par les bailleurs de fonds, seules des mesures sectorielles surfacturées, soutenues à bout de bras par les donateurs et leurs assistants techniques surpayés ont étés réalisés et la corruption (3) est dorénavant bien armée, comportant toutes chances de développement durable.

En définitive, le gouvernement et ses partenaires extérieurs sont noyés dans un cercle vicieux et pris dans une fuite en avant dont on ne perçoit pas le bout. Pour justifier l’acharnement dans leurs appuis, les bailleurs de fonds étrangers, malgré le gaspillage et les dilapidations de ressources grossiers, prétendent que l’arrêt de leurs aides serait plus préjudiciable aux pauvres. La communauté financière internationale doit cesser son hypocrisie et suspendre sa prime accordée à la mauvaise gestion. Si les pays du G8 sont sincères dans leur volonté de contribuer à la lutte contre la pauvreté des populations africaines, ils doivent sortir de leur résignation complice, aiguillonnés par leurs citoyens. Il faut dès maintenant éviter au Tchad l’expérimentation sahélienne traumatisante du syndrome hollandais !

Député ALI Gabriel GOLHOR

(1) Communiqué de presse du service de presse de la Présidence d’Octobre 2004
(2) Nom ngambay synonyme de sous-fifre, gratte-papier, fonctionnaire docile.
(3) Rapport 2004 du CCSRP : un table-blanc de mauvaise qualité à 125 000 F CFA au lieu de 30 000 F CFA

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