vendredi 29 mars 2024

Le Tchad n’est pas la chasse gardée de la Banque Mondiale

Written by  Fév 06, 2006

La Banque Mondiale, crée à Bretton Woods en 1944 dans le contexte de l’époque, avait pour mission de soutenir la reconstruction des pays européens d’après-guerre. Plus tard, sa mission a été élargie aux cas de catastrophes naturelles et aux urgences humanitaires résultant des conflits dans les pays en développement. Influencée par les activités des Nations Unies durant ces dernières années, la Banque Mondiale décida d’orienter ses activités dans le cadre de la lutte globale contre la pauvreté.  Et malgré ses multiples réformes internes, la qualité de ses opérations laisse parfois à désirer et suscite plutôt des tensions sociales graves et des crises au sein des populations des pays en développement.

Néanmoins, la Banque Mondiale s’est élargie à d’autres Institutions de développement [1][1] et ses activités couvrent plusieurs domaines. Avec ses partenaires et Etats clients, elle joue un rôle important au niveau de la politique mondiale, surtout en cas de situation d’urgence complexe. Vu la disponibilité des pays en développement souvent demandeurs, la Banque Mondiale donne parfois un appui financier substantiel dans certains de leurs grands projets.

Mais de nos jours, sous prétexte de venir en aide à ces pays en développement et d’organiser leur méthode de gestion, l’Institution de Breton Woods influencée par le zèle de certain de ses fonctionnaires, se comporte malheureusement en Gendarme néocolonial des pays démunis. Ce qui justifie d’ailleurs les accusations des Organisations de la société civile qui lui reprochaient de ne pas respecter ses propres principes dans certains projets connus.
Au Tchad, les multiples conflits politiques et armés avaient bloqué son réel développement économique et social. Par contre, ce pays recèle d’importantes richesses dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et surtout des ressources minières et du pétrole. Le pétrole, cet Or noir qui aujourd’hui, est de plus en plus sollicité pour le développement industriel mondial, a été sciemment occulté au Tchad par l’ancienne puissance coloniale. Mais, il a été progressivement identifié, exploré et exploité par des Firmes multinationales privées. Vu l’importance de sa quantité et de sa qualité, le pétrole tchadien a été l’objet de convoitise de plusieurs Etats, des Compagnies multinationales et même des Institutions internationales.

L’enjeu du pétrole tchadien aurait même provoqué des conséquences dramatiques, dont le reversement des régimes des anciens présidents Tombalbaye en 1975 et Habré en 1990. Ces Chefs d’Etat, à un moment donné de leur époque, s’étaient fermement opposés à la main mise de certains de nos partenaires qui tentaient de bloquer l’exploitation du pétrole tchadien, afin de maintenir le pays dans la perpétuelle dépendance économique et plonger son peuple dans la misère et la servitude. Ce pétrole aurait occasionné également, la disparition mystérieuse des hauts cadres tchadiens et membres du Gouvernement, impliqués dans sa négociation et le suivi.
Membre de la Banque Mondiale depuis 1963, le Tchad tout comme les autres pays d’Afrique noire, à plus de quatre décennies d’indépendance politique. Il possède des ressources humaines importantes, qui sont utilisées également par des Institutions internationales, telle la Banque Mondiale. Ses dirigeants, quelle que soit leur capacité de gouvernance, ils ont acquis une certaine expérience politique, tout comme de gestion. Et malgré leurs difficultés internes, ils savent défendre les intérêts de leurs citoyens et préserver leur souveraineté.

Au Tchad, les difficultés quotidiennes sont vécues par les populations, mais non par les fonctionnaires de la Banque Mondiale. Ces derniers qui sont officiellement affectés pour assurer l’exécution et le suivi des projets, se livreraient en fait à des dépenses absurdes par rapport aux objectifs des dits projets et au détriment du pauvre contribuable tchadien. Et leurs évaluations souvent fantaisistes vont dans le sens favorable à leur prestation. La survie professionnelle de certains de ces Experts ne dépend que de l’existence de projets des pays en développement. Et même si l’exécution et la faisabilité de ces projets ne reflètent pas les réalités locales, ils sont financés par les prêts de la Banque Mondiale et plongeant d’avantage nos Etats dans l’interminable spirale de la dette extérieure.
Au cas où les dirigeants politiques tiennent à les rappeler à mettre de l’ordre, commencent alors des menaces, des représailles et même du chantage à l’égard des Gouvernements. C’est dans cette logique de stratégie machiavélique que se situe le différend actuel entre le Tchad et la Banque Mondiale.

Le Tchad est ainsi accusé de violer l’Accord signé en 1999 avec la Banque Mondiale sur le Programme de Gestion des Revenus Pétroliers. La Banque Mondiale reproche au Gouvernement tchadien, soutenu par son Assemblée Nationale, de vouloir élargir l’utilisation des 10% du fonds prévus pour les générations futures à l’administration territoriale et à la sécurité. C’est pourquoi, elle a pris des mesures de représailles à l’encontre du Gouvernement tchadien, en bloquant le décaissement des crédits de 124 millions de dollar US, alloués au Tchad par l’Association Internationale pour le Développement (IDA) pour financer huit projets en cours d’exécution, dont le montant total est de 297 millions de dollar US.

Le Gouvernement tchadien de son côté, a réagi de manière conséquente en signant avec la République de Chine/Taiwan un Accord pour l’exploitation des autres gisements de son pétrole. C’est un acte certes audacieux qui a ses conséquences, mais quelle que soit la perception politique des uns et des autres vis à avis du régime actuel de N’Djamena, il faut saluer le courage du président Idriss Déby à prendre cette décision de diversifier nos partenaires énergétiques.

Surpris par la réaction conséquente du Tchad, certains responsables de la Banque mondiale s’agitent pour chercher une porte de sortie de crise, provoquée par leur propre intransigeance aveugle. Le Tchad n’a jamais eu l’intention de rompre sa coopération avec la Banque Mondiale. Toujours est-il que la position du Gouvernement tchadien, confirmée par son Assemblée Nationale est légitime. Il revient alors aux Experts de la Banque Mondiale de faire des propositions concrètes et réalistes qui prendraient en considération les priorités immédiates du Tchad afin de trouver une solution rapide et équitable à ce différend.

En fait, les responsables de la Banque Mondiale chargés de suivi du dossier Tchad souhaitent-ils réellement le développement de ce pays pour le faire sortir un jour de sa pauvreté ? Sinon, pourquoi suspendre le décaissement du fonds des projets qui sont en cours d’exécution ? Si le Tchad n’avait pas ce projet de Pétrole, la Banque ne financerait-elle pas les projets dont elle vient de mettre son embargo financier ? La Banque Mondiale a-t-elle l’intention de faire asphyxier le Tchad, déstabiliser son régime politique actuel et renverser le président Idriss Déby?

Est-il normal que le Tchad produise d’énormes quantité de pétrole et que ses fonctionnaires perçoivent de salaire de misère, vivent dans l’obscurité et sans avoir régulièrement de l’Eau potable, ni bénéficier des soins et couverture sanitaire adéquate. Pourtant l’Éducation, la Santé et les Infrastructures sont identifiés comme secteurs prioritaires et dont l’exécution des projets est suivie et évaluée par la Banque Mondiale ?  Pourquoi la situation est si dégradante et la Banque Mondiale reste muette ou indifférente jusqu'à la récente décision de l’Assemblée Nationale tchadienne d’amender la Loi 001 sur la Gestion des Revenus pétrolier du Tchad ?

Serait-il juste que des fonds importants évalués à plus de 36 millions de dollars US déjà disponibles, soient stockés dans des Banques commerciales en Europe, pour les générations futures, alors que dans les Hôpitaux et Maternités[2][2], des milliers des enfants tchadiens meurent déshydratés à la naissance, faute de Sérum et des jeunes femmes décèdent à l’accouchement par manque d’antibiotique ou encore des vieillards crèvent du simple fait de paludisme ?

Quel avenir de la génération future pourrait-on préparer en immobilisant ces fonds propres du Tchad à l’extérieur, jusqu'à l’épuisement total de sa production pétrolière avant de les utiliser ? Or dans l’immédiat malgré l’apport de la Banque Mondiale, tous les enfants tchadiens ne vont pas à l’École et même ceux qui partent ne bénéficient pas d’encadrement conséquent du fait des troubles psychologiques et morales de leurs Enseignants, qui n’arrivent pas à subvenir régulièrement à leur besoin alimentaire quotidien. Et les étudiants tchadiens à l’extérieur sont abandonnés à eux-mêmes sans bourses d’études. Quel modèle de développement pour le Tchad la Banque Mondiale voudrait-elle expérimenter ?

Dans de telles conditions, comment la Banque Mondiale pourrait-elle réaliser au Tchad, son Programme de Réduction de la Pauvreté ? Comment pourrait-elle accompagner ou du moins créer les conditions favorables pour permettre au Tchad d’atteindre les objectifs du Développement du Millénaire fixés et adoptés par les Nations Unies ?

Le Tchad n’a jamais refusé de rembourser les prêts octroyés par la Banque Mondiale pour la réalisation de son Projet de l’Oléoduc ? Le fait que le Tchad décide d’utiliser dans l’immédiat une partie de ses propres ressources pétrolières, afin d’accélérer son développement et offrir à ses générations futures un cadre de vie plus agréable que celui vécu actuellement par ses populations meurtries, doit-il le soumettre à cet embargo. Et pourtant, ce n’est pas le Gouvernement mais les populations innocentes qui sont brimées par cette mesure de représailles.

Le Tchad ne peut-il pas demander légalement d’utiliser ses propres ressources, même si elles étaient prévues pour les générations futures ? Ou bien nos Experts de la Banque Mondiale préfèrent plutôt voir les autorités tchadiennes aller solliciter d’autres nouveaux prêts aux intérêts exorbitants, qui seraient encore grignotés par les fameuses missions de négociation et d’évaluation dans lesquelles se précipiteraient certains fonctionnaires prédateurs de la Banque , dont certains seraient de moralité douteuse ?
La Banque Mondiale est-elle mieux placée que les autorités tchadiennes pour apprécier les besoins réels du Tchad ?  La Banque s’est-elle octroyée des nouvelles compétences dans l’appréciation des problèmes sécuritaire des pays en développement ? N’est-il pas légitime pour le Tchad de se préoccuper de sa stabilité et de la sécurité de ses populations ? Quel modèle de gestion la Banque Mondiale voulait-elle innover au Tchad, si ce n’est qu’une autre nouvelle forme de main mise néocoloniale ?

La Banque Mondiale est habituée à s’interférer dans la gestion des pays en développement. Cela serait une bonne chose et même salutaire, si son interventionnisme aboutit à améliorer les conditions actuelles de vie des populations tchadiennes. Dans le cas contraire, même si le Gouvernement tchadien ne réagirait pas, les élus du Peuple tchadiens ou encore les populations elles-mêmes la dénonceraient.

Certes, la Banque Mondiale a fait des efforts importants pour soutenir certains projets de développement du Tchad, dans les domaines de l’agriculture (US. $ 20 millions), de la réforme du secteur de l’Éducation (US. $ 42.34 millions), de la Santé des populations (US. $ 24.56 millions), mais en tant qu’Institution de Développement, elle doit rester au-dessus des humeurs subjectives de ses fonctionnaires agissant de manière politicienne.
Accusant le Tchad de violer l’Accord signé en 1999 sur le Programme de Gestion des Revenus Pétroliers et dénonçant la mauvaise gestion des autorités tchadiennes, la Banque Mondiale continue sa menace en brandissant d’autres recours qui « incluraient la suspension de nouveaux crédits ou dons, l’arrêt des déboursements des fonds liés à tout ou partie des  opérations en cours, l’accélération du remboursement des prêts et crédits alloués au Tchad ».[3][3]
Le pétrole de Doba appartient-il aux Tchadiens ou à la Banque Mondiale. Ce pétrole a jailli après de longues et difficiles années de  lutte contre certaines puissances et leurs Multinationales, contre certaines Organisations non gouvernementales et même contre certains leaders politiques tchadiens, qui sous prétexte de défendre certains idéaux, n’étaient pas conscients de la situation dramatique de misère sociale dont sont plongées nos populations.
Le Gouvernement du Tchad avec ses partenaires internationaux et ses citoyens issus de différentes couches sociales, avaient mené cette longue lutte pour convaincre les pays donateurs et membres de la Banque Mondiale et aboutir à l’Accord de financement du Projet de construction de l’Oléoduc pétrolier DOBA-KRIBI. Malgré les difficultés rencontrées depuis l’élaboration, la négociation et la réalisation de ce projet, les Tchadiens savent ce qu’ils veulent et le Gouvernement du Tchad n’a pas perdu de vue ses intérêts.
Aujourd’hui, le prix du baril du pétrole est en hausse par rapport à celui indiqué dans l’Accord signé en 1999. Aucune modification n’a été réclamée parce que le Tchad tient à respecter ses engagements internationaux. Mais les richesses pétrolières du Tchad doivent bénéficier aux populations tchadiennes qui en ont besoin d’abord maintenant et demain également. Il serait donc absurde de laisser crever nos populations actuelles pour préserver l’avenir des générations futures. Le cadre de vie et le bien être des générations futures doivent être mis en place dès maintenant. Le Tchad n’accepterait pas de chantage et ne sera pas la chasse gardée de la Banque Mondiale. Il revient aux responsables de l’Institution de Bretton Woods de faire des propositions concrètes respectant les priorités urgentes et actuelles du Tchad, déterminé à atteindre les objectifs du développement du Millénaire adoptés par les Nations Unies.
En tant que citoyen Tchadien, nous avons le droit de nous prononcer sur cette question importante qui concerne notre pays, En donnant ici notre avis personnel, nous espérons enfin que les discussions entamées récemment à Paris, entre les délégations du Tchad et de la Banque Mondiale avec la participation du Fonds Monétaire International comme observateur, se poursuivent pour aboutir à des propositions concrètes, prenant en considération les préoccupations réelles du Tchad.

L’avenir du Tchad et l’enjeu de son pétrole ne sont pas comparables, ni négociables par rapport à la stratégie de gestion de la Banque Mondiale. Il serait important de ne pas perdre de vue cette donnée si les responsables de la Banque Mondiale veulent mettre fin à ce contentieux et enfin permettre à chacun de rentrer de ses droits légitimes. /-

Hassane Mayo-Abakaka

[1][1]- Le Groupe de la Banque Mondiale est composé de cinq Institutions de développement étroitement liées : il s’agit de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD), l’Association Internationale de Développement (IDA), l’Agence Multilatérale de Garantie des Investissements (MIGA) la Société financière Internationale (SFI) et le Centre international de règlement des différends internationaux (CIRDI).
[2][2] - Voir le film «DEAD MUMS DON’T CRY» sur DVD de Dr. Grâce KODINDO, Ob/Gyn, Chad produit par la BBC-PANORAMA SERIES en Juin 2005, sur la situation dramatique des femmes et enfants nouveau-nés à la Maternité de N’Djamena, la capitale tchadienne.
[3][3] -Lire le Communiqué de la Banque Mondiale sur la révision de la loi portant gestion des revenus pétroliers, N0. 2006/227/AFR du 29 Décembre 2005.

 

 

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