vendredi 29 mars 2024

L’illusion de pouvoir pour lequel les Tchadiens s’entredéchirent depuis tant d’années

Written by  Déc 06, 2007

Malgré tout ce qu’ils ont vécu en une trentaine d’années de troubles, de cauchemars et de dérapages de toutes sortes, les élites tchadiennes semblent n’avoir guère évolué dans leurs schémas mentaux. On a plutôt l’impression que les ‘évènements’ multiples ont abruti et anéanti toute capacité individuelle ou collective à prendre du recul et tirer des leçons des expériences passées. Le régionalisme et le tribalisme ? Y’ en a qui y croient encore fort comme de l’acier, comme idéologie et voie d’émergence sociale par excellence. Divisionnisme et cafouillage ? La plupart des initiatives organisationnelles de lutte pompeusement baptisées ‘nationales’ n’ont été et ne sont que des piètres copies corrigées des clivages et des antagonismes existants ; il suffit d’y aller voir de l’intérieur pour en être dégoûté. Et pourtant, la mayonnaise continue de prendre dans les élites, comme des marges identitaires infranchissables. Derrière les sigles de partis politiques, d’associations ou de groupes ‘rebelles’, il y a la caricature des haines, des préjugés, des tares culturelles et des ambitions démesurées nourries à l’échelle ethnique ou régionale.

Ainsi, il y a des sous-tchad irréductibles : tchad-gorane, tchad-zaghawa, tchad-sara, tchad-n’gambaye, tchad-banana, tchad-hadjeraï, tchad-ouaddaï, tchad-arabe, etc. Gare à celui qui ne se reconnaîtrait pas dans ces clivages consacrés : difficile pour lui de faire carrière en politique ou dans la société civile, de réussir dans les affaires, de gagner un grade dans les forces de sécurité, etc. C’est derrière ces règles non écrites que les élites inconscientes et inconséquentes ont privé le pays de toute possibilité de paix et de progrès depuis plus de trente-cinq années ! Qu’elles soient de telle ou telle ethnie, les femmes tchadiennes sont toujours condamnées à perdre leur progéniture à tout moment, injustement et pour rien, sur l’autel de la violence politique, comme une fatalité ou une malédiction. Nos données humanitaires de 1993 établissaient un ratio de 3 victimes par jour de violence au Tchad (crime, torture, massacre ; source : LTDH) !

La question qui se pose est celle de savoir quels problèmes aussi inextricables empêcheraient le Tchad de suivre le parcours d’un pays normal ? Le fond du mal tchadien, c’est la soif de pouvoir, rien que la soif de pouvoir. Et pour y parvenir, tout problème de société ou d’individus peut être exploité à outrance pour opposer les gens entre eux, mobiliser les parents dans les tueries intercommunautaires pour une place au soleil, tous les moyens sont bons pourvu qu’on arrive à ses fins. Évocation de quelques souvenirs communs :

  • 1974, palais des congrès de N’Djaména : dans la grande salle archicomble, le parti unique MNRCS organisait un meeting en présence de feu le président Tombalbaye, contre ‘Dopelé au cou pelé’ (Jacques Foccart et Paris). Les jeunes badauds que nous étions traînaient dehors, faute de places. Alors survint Me Lubin, l’un des gourous haïtien de Tombalbaye, qui nous proposa de former une chorale spontanée et de venir chanter la ‘complainte du Tchad’, en échange d’une place à l’intérieur. Nous nous sommes retrouvés ainsi debout, une trentaine de badauds, face à Tombalbaye et à la nomenklatura politique de l’époque, esquissant : « Qu’il est doux ce coin d’Afrique ; pour mon cœur il est sans prix ; ce que je crains, ce qui m’obsède, c’est que les traîtres ne le rabaissent… ». Dans l’ambiance de terreur qui régnait, Tombalbaye le ‘grand compatriote’ avait les yeux flamboyants, les dents rougies par le cola et l’air farouche. Quelques mois plus tard, les ‘Moursalois’ étions réveillé le matin du 13 avril 1975, par les tirs nourris des combats entre la CTS (garde présidentielle) et les commandos venus de Mongo, où Tombalbaye trouva la mort : un règlement de comptes sud- sud pour le pouvoir. Depuis ce jour-là, nombre de ses proches et partisans tout puissants connaîtront un déclin sans fin, sans recours…
  • 13 avril 1977, place de l’Indépendance de N’djaména : pendant que la foule suivait le défilé militaire commémorant la prise du pouvoir par le CSM, une grenade puis une autre explosèrent devant la tribune officielle où trônait le général Malloum, successeur de Tombalbaye son ancien geôlier. Dans la panique, chacun de nous, les jeunes badauds, courut de son côté… Plus tard en 1979, les thuriféraires de ce régime militaire se bousculaient au pont de Chagoua dans la débâcle de leur pouvoir. À cause de leur gestion chaotique du pouvoir, des milliers de tchadiens moururent dans les déchirures de la guerre civile généralisée. Nombre de ces potentats militaires ne se relèveront plus de la perte de leurs privilèges de l’époque.
  • 1979, ancien palais présidentiel de N’Djaména : les combattants de la tendance FAP de Goukouni Oueddeï écrasèrent ceux de la tendance MPLT de Lol Mahamat Choua, alors Président du Conseil d’Etat (chef de l’Etat virtuel), au prix de dizaines de morts. C’était presque le BET contre le Kanem- Lac, pour le pouvoir. Goukouni deviendra président du GUNT et Lol Choua se convertira définitivement en démocrate pacifiste, mais la guerre pour le pouvoir ne cessera pas pour autant.
  • 7 juin 1982 : après avoir été chassé de N’Djaména par les forces du GUNT (9 mois de combats urbains fratricides et destructeurs), Hissène Habré prend sa revanche triomphale en s’emparant à son tour du pouvoir. Il instaura une dictature implacable calquée sur les modèles combinés de Tombalbaye, Mobutu et Sékou Touré de Guinée Conakry, avec un bonus estimé à 40.000 morts.
  • 1990, mobilisation générale des ‘militants’ de l’UNIR contre la ‘légion islamique’ d’Idriss Déby et Hassan Djamous à la place de l’Indépendance. « Nous vaincrons inch’Allah ! », criait au micro une prêtresse du parti unique, hystérique, sous les applaudissements nourris de la tribune officielle, remplie des mêmes cadres politiques qui animent encore actuellement la vie publique. Aucun cadre fonctionnaire ne devait manquer aux meetings de l’UNIR, au risque d’être pris par la terrible DDS. Les chefs des miliciens du parti faisaient régner la terreur dans la population. Mais il y eut finalement le 1er décembre 1990 : nombre de thuriféraires du régime de HH sont depuis lors dans un déclin irrésistible, et menacés de surcroît par la justice internationale.
  • La triste vérité historique qu’il faudrait définitivement reconnaître, c’est que les conflits nord- nord depuis 1979 ont fait peut-être dix fois plus de victimes ‘nordistes’ qu’il n’en a été reproché aux deux régimes ‘sudistes’ précédents de Tombalbaye et Malloum, contre lesquels le FROLINAT avait semé une haine implacable.

Derrière chacun de ces évènements, des trahisons, des morts, des familles détruites, des haines et revanches tribales activées, des tentatives d’épuration ethnique ou religieuse, beaucoup de mensonges publics, un gâchis considérable de ressources nationales, un business prospère pour les marchands de canons et les mafias. Avec en toile de fond, les mêmes acteurs politiques et militaires, les mêmes termes arrogants et injurieux, les mêmes propensions à la violence et à la diabolisation, la même inconscience collective, la même illusion d’avoir le monde à ses pieds, etc. Des premiers accords de Tripoli- Bengazi et Khartoum en 77-78 aux derniers accords de Syrte du 25/10/07, une quarantaine de rébellions armées, une vingtaine de ‘tables rondes’ ou assimilées, des dizaines de négociations séparées, une conférence nationale souveraine qui dura trois mois : que veulent encore les élites tchadiennes ? Des pays d’envergure tels que l’Angola, le Mozambique, le Libéria, la RDC, n’ont pas eu besoin de tant de sollicitudes de la communauté internationale pour arrêter leurs dérives. Les élites tchadiennes réclament encore les mêmes formules à l’unisson, sauf la vérité, la sincérité et la justice dans toute leur rigueur, pourquoi faire ?

Les vagues de gouvernance politique violente que connut le pays présentent toutes à peu près les mêmes caractéristiques : un pouvoir autocrate organisé autour d’un noyau familial ou clanique dur, jouissant de tous les privilèges, de l’impunité, arrogant et effronté, autour duquel gravitent des cercles de courtisans dont l’importance se mesure à l’ampleur des trahisons cumulées dans leurs groupes d’origine. Dans leur sillage, des milliers de victimes anonymes des turpitudes du système, des morts par centaines sur les champs de batailles fratricides, des exilés, des ‘travestis culturels’, etc. De toutes les causes défendues par ces régimes sanguinaires et ségrégationnistes passés, aucune n’a survécu pour devenir un acquis historique pour la nation. Tout aura été du provisoire, toujours du provisoire, malgré le coût subi par la nation !

Dès qu’un régime tombe, ses partisans aussi s’effondrent physiquement, matériellement, financièrement. Toute la peine pour s’accumuler des richesses injustes, tous les efforts pour étouffer les voix discordantes, tous les morts des champs de batailles, des prisons et les trahisons n’auraient servi à rien finalement. Retour à la case départ avec en prime misère accentuée, exil, rancunes et vengeance… Pourtant, les raisonnements des élites tchadiennes restent invariables. Les expressions ‘table ronde’, ‘dialogue inclusif’, ‘mercenaires’, ‘haute trahison’, entre autres sont restées les mêmes, creuses, ridicules, désuètes mais toujours d’actualité. Les mêmes pays voisins manipulent depuis toujours ces élites, les instrumentalisent pour détruire le patrimoine national, en agitant l’illusion d’un pouvoir facile, succulent. Jamais dans l’Histoire, une génération n’aura été aussi apatride et impitoyable envers sa patrie ! Les exemples d’ailleurs ne servent pas de leçons au Tchad, pays de Toumaï le troglodyte, depuis quarante ans !

Et, s’il faille considérer les vrais problèmes d’un pays, selon les normes standards en la matière, les solutions existent belles et bien, dans de nombreux dossiers administratifs, sur le papier, même dans les écrits de quelques internautes au-dessus de la mêlée. Mais cela n’intéresse pas les élites tchadiennes. Elles veulent rester dans leur état primitif, brut, s’abreuvant de méchanceté et de cynisme à tout vent, contre tout ce qui peut incarner le bon sens, le mérite, le progrès, la vertu. Des tribus entières du Nord et du Nord-Est sont en train de se décimer volontairement, dans la poursuite de l’illusion d’un pouvoir éternel, qui résout tous les problèmes de la famille, de la communauté, à moindre coût. Il suffit d’y mettre le prix, à savoir dominer sur les autres par le feu et le sang, et tout baigne !

Le problème, malheureusement pour les élites tchadiennes, est que le monde évolue à grands pas. Et lorsque l’on n’a plus la capacité ni la volonté de changer, d’évoluer dans le bon sens, l’on devient un obstacle majeur sur le chemin de la roue de l’Histoire. Alors les évènements commencent par se précipiter, de manière fortuite et échappent à toutes les précautions, jusqu’à l’autodestruction complète, les illusions avec ! Cela s’est reproduit déjà tant de fois dans notre passé commun, cependant on évolue encore et toujours dans cette même logique, absurde et suicidaire.

Il n’y a pas d’autres explications plus valables pour justifier le drame tchadien : drame et faillite des individus, étendu à tout un peuple et perpétué de système en système de gouvernance comme une fatalité, par des élites moribondes. Quand bien même les anges du ciel viendraient s’asseoir avec les acteurs tchadiens pour tenir une ultime ‘table ronde super inclusive’, ces derniers finiront par trahir leurs engagements et leurs professions de foi, pour renouer avec la mesquinerie, l’anachronisme. Sauf qu’il y a un coût humain considérable qu’ils ne peuvent malheureusement pas réaliser dans leur esprit brumeux. « C’est comme ça, le Tchad ; on ne peut faire autrement ! Il ne faudrait même pas chercher à ce qu’il en soit autrement », se dit le commun des mortels pour se dédouaner. Les Tchadiens aiment se flageller en entretenant leur situation de chaos chronique. Ils ne se réveilleront jamais, sinon que quand il sera trop tard pour eux tous ! En tous cas, c’est l’impression qu’ils donnent d’eux-mêmes.

Aujourd’hui, c’est avec une profonde amertume que nous devrions admettre l’échec de nos efforts et sacrifice personnel pour un réveil et une humanisation de la société tchadienne. Devrions-nous encore espérer un vrai sursaut mental et général de nos compatriotes en faveur de la paix juste, équitable et du développement humain durable dans notre pays ? Si non, nous sommes au regret de ranger notre plume et de faire l’autruche comme les autres, jusqu’à ce que les signataires des différents ‘accords de paix’, autres que celui du 13 août 07, renoncent formellement et définitivement à la violence, à continuer d’endeuiller les familles et à anéantir les espérances des tchadiens ! Même si personne ne nous prêtera attention pour ça ? Trop, c’est trop !

Enoch DJONDANG

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