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Le Tchad des conflits et le difficile cheminement vers la paix

Written by  Avr 07, 2008

Voici la réflexion faite à Doba le 05/01/85 d’un grand leader du pouvoir FAN d’Hissen Habré dans son agenda confisqué plus tard en avril 1989 et lui-même tué dans les geôles par la sinistre DDS: il s’agit de feu Brahim Mahamat Itno, Ex-Ministre de l’Intérieur, cousin direct de M. Idriss Déby Itno : « Nous vivons dans un monde en perpétuelle mutation où tout change des mains, sauf les contradictions ; donc, faisant parti de ce monde en permutation, nous sommes en droit de se poser la question  pourquoi ces guerres dans ce monde dit « humain » ? Quels sont les mobiles de ces guerres ruineuses ? Ont-ils un trait commun ? Il y a un trait commun : c’est la recherche des possibilités ou moyens à atténuer à renverser ou à terrasser ou à finir avec son adversaire, alors que les origines des différents conflits sont différentes. Je pense qu’il soit utopique de s’attarder sur les causes des différents conflits de ce bas monde des déshérités. Selon mon humble pensée, eu égard au monde, à l’histoire et aux actualités, les conflits constituent la continuité du monde ou même la vie. J’estime qu’elle soit nécessaire pour la survie du monde humain car les mobiles des conflits sont nombreux et diversifiés qu’ils ne peuvent aboutir à un monde sans conflit qu’à la fin de ce bas monde des déshérités, et ceci ne soit possible qu’à la fin »

Le décor a été bien planté par ce combattant intrépide à l’époque où il était chargé de pacifier la partie sud du Tchad. Seulement, sa thèse se retournera contre lui et les siens quand les rivalités et les susceptibilités internes de son redoutable régime au pouvoir atteindront leur maturité. Feu Brahim Mahamat Itno avait parfaitement raison de la lecture qu’il se faisait de la vie dans son pays. Bien d’autres compatriotes, sans l’avouer, partagent encore la même dialectique conflictuelle : tous les partisans de la main armée pour la conquête, le partage et/ou la confiscation du pouvoir sont de cette école.

Dire qu’il ne devrait pas avoir de conflits dans notre pays, c’est renier et la réalité et les fondements même de notre patrie. Voyons pourquoi le Tchad est par nature une terre de conflits permanents.

1) Le territoire national présente une diversité naturelle qui est en elle-même avant tout une source de conflits : faire coexister dans un même territoire juridique de grands déserts, des savanes, des chaînes montagneuses sauvages, des forêts et lacs, c’est assembler des modes de vie qui peuvent être totalement différents. Ce n’est pas un tort pour les tchadiens, mais la diversité des milieux naturels, certains plus favorisés que d’autres, fournit déjà une part d’explication aux difficultés d’entente entre les composantes humaines du pays.

2) Ces composantes elles-mêmes sont si diverses qu’elles ont peur les unes des autres. Jusqu’aujourd’hui, la grande majorité des citoyens tchadiens ne se connaissent pas. Cela s’observe dans les milieux publics où le réflexe sécuritaire est au regroupement systématique sur la base des affinités naturelles. Tout ce qui est en dehors est non seulement « étranger » mais potentiellement dangereux. Des parents l’enseignent même à leurs enfants : se méfier de qui ne parle pas votre langue et ne vous ressemble pas ! Des cadres et responsables publics sont aussi marqués par ces préjugés que des citoyens ignorants n’ayant jamais voyagé. Ces cadres collaborent mieux avec n’importe quel étranger qu’avec des Tchadiens comme eux présentant une différence naturelle. Bien des conflits à l’issue dramatique n’ont été que la simple expression de cette peur de l’inconnu. Par exemple, si l’enfant a mangé chez un tel membre de telle ethnie avec ses camarades et se plaint après de maux de ventre, pas de doute : il a été empoisonné car ces « gens » seraient des « sorciers ».

3) Les composantes ethniques tchadiennes souffrent du fait de n’avoir pas de références historiques passées communes à revendiquer. Que voulez-vous qu’un sara, un moundang et un gorane revendiquent ensemble au-delà de la colonisation française ? Un pays ? Un royaume ? Une culture ? Ces gens ne se connaissaient pas avant cent ans. Ils n’ont vraiment réellement commencé à s’accepter que quand le colonisateur leur a légué de force un « État » à partager en commun en 1960. Un Etat dont ils n’ont pas jeté eux-mêmes les bases. Dès le départ, chacun a transposé sa différence, non pas comme un apport à la construction de l’État et de la Nation, mais plutôt comme un bouclier de retranchement. L’État était encore considéré jusqu’à récemment par nombre de nos populations comme la chose des Blancs donc pas forcément en symbiose avec les natures profondes des sociétés tribales archaïques.

4) Il faut constater ce phénomène de l’ignorance de l’autre par le fait que les ethnies se découvrent au fur et à mesure que se développent les coups de force et les affrontements sanglants. Les Goranes étaient découverts par les autres autour de l’affaire Claustre et surtout en février 1979. Avant eux, les Mbayes furent connus avec le règne de Malloum et Kamougué. Puis on découvrira les Béri (Zaghawa, Bidéyat) avec l’entrée du MPS, puisque avant cela ils étaient officiellement appelés « légion islamique » par le régime Habré. D’évolution en évolution de crise, on connaît maintenant les Tamas, les Hadjéraï, les Krédas, etc. On connaît même enfin que les Kim ne le sont pas tous, sinon des Kossop, des Eré, des Kolop… Certains se demandent si le Dr Aldjinedji ou les deux derniers chefs de la diplomatie, avec leur peau blanche, pouvaient être de « vrais Tchadiens » comme vous et moi ? Qui dit que j’en suis un ? Avec les prochaines crises, on finira par se connaître enfin mieux entre tchadiens ?

5) Le Tchad des conflits ne s’arrête pas à ça seulement. Officiellement, trois formes de culte révélé sont partagées par les tchadiens : Islam, Catholicisme et Protestantisme. En principe, les religions révélées véhicules des valeurs qui transcendent les différences naturelles et les rend dynamiques dans la construction de grands projets de société, sauf au Tchad. Et pour cause : pendant longtemps, les gourous de ces religions au Tchad ont étranglé ces valeurs nobles en imposant, au nom de leur culte, leurs tares et leur ignorance à leurs ouailles pour les manipuler. Ce qui fait qu’en 1979 par exemple, il n’était pas question pour le Tchadien d’admettre autre idée qu’il était sujet et victime d’une guerre religieuse, jusqu’à ce que les vicissitudes du pouvoir lui démontrent le contraire, à ses risques et périls. Aujourd’hui, après une traversée du désert tragique, les croyants de tous les cultes semblent se raviser et revenir à une lecture plus orthodoxe et moins politisée de leurs dogmes. C’est toujours de l’apprentissage dans la douleur !

6) L’absence de symbolique historique commune a toujours favorisé les fausses thèses à l’actif de la guerre permanente. Par exemple, pour légitimer la lutte du FROLINAT, on a inventé un Nord et un Sud qui auraient de vieux comptes à régler. Malheureusement, avant le Tchad indépendant, il n’y avait jamais eu un « Tchad Nord » et un « Tchad Sud » organisés en entités viables, au point de développer des échanges conflictuels de telle ampleur. Il n’y avait qu’une pléiade de royaumes, de communautés éparses, certaines soumises à d’autres, même des groupes totalement isolés dans leur naturel. D’où sont venus le « Nord » et le « Sud » conflictuels ? De l’imaginaire de faiseurs de conflits ! Aucune thèse historique valable à l’appui. Par exemple, l’Histoire des peuples du Mayo Kebbi Ouest était essentiellement liée au Cameroun, Nigeria et Afrique de l’Ouest. D’où pouvait venir des conflits anciens avec des Goranes, des Arabes, des Ouaddaïens dont les montures n’avaient jamais traversé le fleuve Chari avant l’arrivée des Blancs ?

7) L’Histoire présente aussi tente de s’écrire avec de l’encre illisible. Au lieu de mettre en avant ce qu’il y a en commun entre peuples divers du même pays, en vue de partager et de revendiquer un même patrimoine historique, les différents régimes qui se sont succédés ont développé le narcissisme du « chef fondateur » de la nation qui, elle-même ne sera autre chose que la pâle tentative d’imposition de dynastie éphémère à la tête du pays. Ainsi, après la revanche Nord-Sud inventée, on a évolué coup sur coup vers la stratification tribale et pyramidale du pays. Beaucoup parlent encore des Institutions nationales en termes péjoratifs : gouvernement sous Habré = gouvernement gorane, sous Deby Itno = gouvernement Zaghawa, etc. On se demande à quel siècle un gouvernement sera simplement celui de la république et non de X ou Y ? La question ne se pose pas encore puisque des groupes se battent armes au poing pour remplacer la dynastie actuelle. Multiplier cette tendance par le nombre d’ethnies ou de blocs régionaux en attente d’accéder au pouvoir un jour, et si par chance le Tchad ne disparaissait pas avant, la Somalie sera le pays modèle du continent entre temps.

8) Le Tchad des conflits est aussi celui de l’égoïsme et de l’arrogance triomphateur. Aujourd’hui que notre pays dispose de tant d’élites formées sur tous les plateaux planétaires du savoir-faire, c’est seulement en ce moment que les égoïsmes prennent le pas dans la vie publique. Car si ces Tchad conflictuels, à défaut de ne s’être jamais pris au sérieux, ont progressivement effacé les derniers liens symboliques et affectifs entre les Tchadiens, nombreux sont ceux qui se découvrent encore des différences fondamentales inconciliables dans leurs propres groupes. Nous avons cité l’exemple des Kim, mais ils ne sont pas seuls : il y a Ngambaye et N’gambaye, Gorane et Gorane, etc. selon les cantons et entités qui se créent pour afficher ces différences négatives.

L’absurdité tchadienne est qu’on évolue vers l’éclatement national sous le couvert bienveillant de l’État. Il serait plus judicieux que chacun prenne son autonomie que de morceler indéfiniment l’État qui a pour rôle fondamental de rassembler, de brasser. En tous cas, j’aurai aimé retrouver le royaume indépendant de mes ancêtres que de morceler mon terroir d’origine, sans lendemain sous le couvert d’un État qu’on est en train de tuer. Car je ne pourrai rien tirer de ces morcellements administratifs en terme positif de développement communautaire et de libertés que ce que seul l’État des quatorze préfectures est en mesure de m’apporter. Malheureusement, ce sont des cadres instruits qui sont les moteurs de ce démantèlement de l’État et donc de la République ! Au point qu’on peut créer des unités administratives par un simple ordre de mission ? Cela n’a rien à voir avec la décentralisation qui est un processus méthodique, contrôlé et progressif.

9) Le Tchad des conflits se nourrit dans la promotion de l’ignorance caractérisée au sein de la gouvernance. L’État est une conception moderne de la société, et qui devrait éliminer progressivement les différences et les disparités antagonistes au sein d’un même pays. Si des nations comme l’Égypte, le Maroc, le Mali ou l’Irak ont survécu à des siècles d’histoires, c’est justement parce que les composantes ethniques, sociales et religieuses de ces pays ont toujours agi pour consolider ce sentiment d’appartenance éternelle à un même pays, pas le contraire comme au Tchad ! Ainsi, tous ceux qui ont géré à divers niveaux ces nations citées, savaient qu’il y avait des limites à leurs ambitions personnelles. Ils savaient que la plus grande honte d’un dirigeant est de détruire l’héritage commun des peuples ou du moins de dégoûter par ses excès les générations montantes. Notre actualité tchadienne est concentrée sur les luttes autour d’un pouvoir vomi par les uns et convoité par les autres. N’djaména vient de payer un acompte à ces luttes en février dernier. Cependant, comment cet État vacillant pourrait se redresser et se construire si à tous les niveaux sont placés des mains indélicates, des têtes brûlées ? Et cela, même les oppositions y ont contribué, surtout à main armée ! Alors dans ce cas, cette source de conflits majeurs demeure, même en cas de changement de titulaire du pouvoir central car elle est ancrée dans l’obscure mentalité des élites tchadiennes.

10) Tout ce que nous venons d’évoquer ci-haut est de notre responsabilité commune, sans qu’aucun ne se dérobe. Maintenant, il faudrait ajouter les conflits liés à la gouvernance actuelle pour avoir un tableau complet du Tchad réel. Généralement, dans les débats, on s’évertue à tout mettre sur le dos du régime actuel, ce qui est en partie faux. Nombre de phénomènes décriés par les tchadiens ont une origine ancienne. Même le recours à la main armée est un phénomène plus ancien s’inscrivant dans une logique de revendication et de conquête du pouvoir importée de pays parrains qui n’ont jamais pratiqué la démocratie et qui n’acceptent même pas les principes élémentaires des droits humains tels que l’égalité des races. Les influences de ce modèle archaïque sur la société tchadienne ont davantage compliqué l’ambiance quasi conflictuelle déjà existant.

Ce long développement vise à démystifier la terreur des conflits dans l’esprit des Tchadiens. Les conflits font partie de nos réalités assemblées, sauf qu’il ne faudrait pas les légitimer et les instrumentaliser. En les affrontant par la recherche de la vérité et de l’équité, l’on se rendra compte que toutes ces sources de conflits évoquées plus haut, sont aussi sources de solutions extraordinaires et passionnantes pour ceux qui veulent s’en sortir, le pays avec. Donc, en allant à un dialogue inclusif, il faut d’abord accepter que les autres soient différents et qu’il en sera toujours ainsi. Ensuite, il faudrait recenser et mettre en commun ce qui pourrait constituer les symboliques, le patrimoine commun en vertu duquel chaque communauté accepte de plein gré de faire partie d’une entité éternelle qu’on appelle Tchad. Ceux qui croient qu’avec les armes ils pourront toujours s’imposer aux autres se trompent et n’ont pas d’exemples concluants à l’appui de leur théorie dans l’histoire des nations. Ils sont simplement en sursis, car soient ils gagnent et le pays disparaît, soit le pays gagne et eux disparaîtront dans leurs formules anachroniques : une seule alternative qui se joue au hasard des intérêts géostratégiques et non pas d’une prétendue supériorité naturelle sur les autres !             

Enfin, si les conflits dans leur développement, affectent la vie de chacun (misère, humiliation, exil, disparitions…), les nombreux tchadiens qui sont restés silencieux en se croyant plus prudents, devraient comprendre que c’est pendant le naufrage qu’on sauve sa vie, non pas après quand elle n’a plus de sens et qu’il n’y a plus de pays !

NB : Il faut soutenir l’action de la Commission Indépendante pour le Dialogue Inclusif, on ne sait jamais, la paix pourrait venir par n’importe quel chemin !

Enoch DJONDANG

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