vendredi 29 mars 2024

Quand l’eldorado se transforme en cauchemar

Written by  Fév 09, 2004

Les Tchadiens du Cameroun 1e partie : Quand l’eldorado se transforme en cauchemar

Fuyant les conflits et les persécutions ou poussés par le désespoir, un grand nombre de Tchadiens se retrouvent aujourd’hui au Cameroun voisin. Dans des conditions souvent précaires. Etat des lieux.

Ils sont fonctionnaires de l’Etat, diplômés sans emploi, étudiants, commerçants, simples paysans… Certains sont réfugiés statutaires ou demandeurs d’asile. D’autres, des nomades ordinaires, des migrants économiques ou des aventuriers tout azimut. À ce jour, nul ne peut chiffrer avec précision le nombre de ces Tchadiens venus au Cameroun dans l’espoir de sauver leur vie, d’échapper aux persécutions ou de bénéficier de la relative prospérité du pays.

Selon les sources, les chiffres varient : certains parlent de 500 mille Tchadiens vivant sur le territoire camerounais ; d’autres, de 1 million. Le Haut-Commissariat pour les Réfugiés, de son côté, annonce le chiffre de 39.642 réfugiés tchadiens, rien que dans les villes de Garoua, Yaoundé et Douala. Et chaque jour, il en arrive d’autres. Djingaotoudji Issac, Président de la Colonie tchadienne au Cameroun témoigne : « Ici, nous sommes nombreux, très nombreux. Dans toutes les villes, dans tous les villages du Cameroun, on a quatre chances sur deux de rencontrer un Tchadien (…) Et nous constituons une main d’œuvre quasi gratuite dans les chantiers de construction, dans les ports, sur le réseau ferroviaire… »

Mais c’est surtout dans les champs de maïs de l’Adamaoua et les plantations de coton de la localité de Garoua, au Nord du Cameroun, que la communauté tchadienne est légion. « Chaque année, entre mai et septembre, mille à deux mille Tchadiens débarquent au Nord du Cameroun. Par dizaines, ils sont recrutés par des propriétaires terriens qui les exploitent dans des conditions souvent inhumaines », déclare en substance un fonctionnaire camerounais d’origine tchadienne qui réclame l’anonymat. Il faut ajouter que certains, en particulier des femmes, évoluent à la débrouille. Rassem Dorkass, 38 ans et mère de 5 enfants, est de ceux-là. Au bord de la grande voie bitumée reliant le quartier Elig-Ezao au stade Omnisports au cœur de Yaoundé, elle passe 10 à 15 heures par jour devant son petit commerce. Indifféremment, Dorkass parle : « Cela fait 16 ans que je suis à Yaoundé. Mon mari est un gardien de nuit dans un restaurant au quartier Mokolo. Il gagne 23.500 F CFA par mois. Cela ne lui permet pas de payer à la fois le loyer, la nourriture, le savon, des habilles, des médicaments et la scolarité des enfants. Je suis alors obligée de me mettre dans la vente des arachides grillées pour lui venir en secours. » A quelques dix pas de l’étal de Dorkass, un groupe de vendeurs à la sauvette se chamaille dans un arabe qui rappelle le marché central de N’Djaména. Ce sont des jeunes Ouaddaïens qui se disputent l’ordre de payement de leur tontine…

Exode massif et continu
Selon nos sources, la migration tchadienne vers le Cameroun n’est pas un phénomène nouveau. Déjà en 1965, alors que le Tchad amorce une dérive dictatoriale sous la mégalomanie de feu président Ngarta Tombalbaye et que l’activité économique prend son essor au pays d’Amadou Ahidjo, les Tchadiens commencent à migrer au Cameroun. Une migration alors devenue unilatérale et qui, tout en fluctuant en fonction de la situation politique et économique du Tchad, n’a jamais cessé. Les seigneurs de la guerre qui se sont succédé au pouvoir au Tchad de 1975 à nos jours, n’ont fait qu’accélérer ce mouvement migratoire ; tandis que la déperdition économique et la déréliction sociale qui ont suivi et qui perdurent, servent de catalyseur à cet exode massif.

Mais pour les milliers de Tchadiens qui traversent illégalement la frontière vers « l’Ouest », le rêve de l’eldorado camerounais se transforme vite en cauchemar. Car depuis toujours, ils sont victimes d’une xénophobie ambiante et de la violence policière. Il faut rappeler qu’en 1988, huit à dix mille Tchadiens, selon les sources, ont été expulsés sans bagages du Cameroun. En 1991, un autre programme de refoulement de Tchadiens a été annulé in extremis. En février 2002, les étudiants tchadiens de l’université de Ngaoundéré, dans la province de l’Adamaoua au Nord du Cameroun, ont été l’objet d’une violente agression dont les causes n’ont pas encore été précisées. Aujourd’hui encore et en dépit de la Charte de la CEMAC qui appelle à l’intégration entre les peuples des six Etats de l’Afrique centrale, les tracasseries policières et « l’anti-tchadinisme » demeurent tenaces au Cameroun. À l’évidence, nos sources indiquent qu’au moment où nous écrivons ces quelques lignes, « pas moins de trois cents ressortissants tchadiens croupissent à la prison centrale de Yaoundé » pour des motifs souvent fallacieux ; tandis que bien d’autres sont régulièrement traqués par la police à cause du permis de séjour. Précisons que le permis de séjour au Cameroun pour les ressortissants de la CEMAC coûte 80.000 F CFA pour une validité de deux ans.

« Tchadien, mon chien »
« Ce dernier temps, on sent que les autorités camerounaises jouent la carte de l’apaisement ; parce que nous ne sommes pas aussi menacés comme par le passé », observe Barka Youssouf, un ancien élément de la Sécurité Présidentielle sous Habré, devenu vendeur de chaussures au marché central de Yaoundé. Est-ce l’odeur des royalties du projet pétrole de Doba, dont l’Etat camerounais est bénéficiaire à hauteur de plus de 50 milliards de dollars, qui change ainsi la donne ?

Quoi qu’il en soit, les efforts – bien intéressés – de l’Etat camerounais pour améliorer le sort des Tchadiens n’ont pas survécu à l’anti-tchadinisme longtemps ancré dans l’imaginaire du Camerounais. Pour Gareng Prosper, bachelier tchadien installé depuis 7 ans à Yaoundé, « quand un Camerounais t’appelle Tchadien, en appuyant sur le premier syllabe, c’est qu’il te traite de chien. » Laoudoumaye Timothée, employé à la boulangerie Caravelle à Yaoundé, ajoute : « Ce qui me choque le plus dans l’attitude des Camerounais, c’est le traitement qu’ils nous accordent au travail. Quel que soit notre niveau d’étude ou notre compétence, ils n’acceptent jamais nous payer au-dessus de 30.000 F CFA quand bien même ils ne peuvent pas se passer de nous. Il y a dans cette attitude du racisme et de l’esclavagisme. »

Pour le bureau de la colonie tchadienne, 3 Tchadiens sur 5 installés dans les villes du Cameroun travaillent comme veilleurs de nuit ou domestiques. Et l’immense majorité de ceux-ci gagne un salaire ridiculement bas : « Ils perçoivent en général entre 5 à 30 mille F CFA par mois », précisent nos sources. Entre-temps, une maison de deux chambres à Yaoundé coûte en moyenne 15 mille F CFA le mois ; la scolarité d’un enfant se situe entre 45 et 120 mille F CFA l’année ; le kilo de riz coûte 750 F CFA ; les frais médicaux sont pratiquement inaccessibles à ces nombreux Tchadiens du Cameroun.

Malgré cette précarité de la situation des travailleurs tchadiens au Cameroun, la majorité de ceux-ci n’est ni immatriculée à la Caisse nationale de prévoyance sociale, ni protégée par un quelconque syndicat. Exits donc les droits des travailleurs migrants chers au Bureau International du Travail (BIT) ; et tant pis pour celui qui se fait arrêter ou renvoyer de son boulot…

Pour tempérer ce calvaire, bien de Tchadiens se laissent embarquer dans les partis politiques, en particulier le RDPC du président Paul Biya et l’UDPC du nordiste Bello Bouba Maigari ; et obtiennent de ce fait des cartes nationales d’identité camerounaise. Toutefois, le nombre de ceux qu’on peut qualifier de « sans papier » reste important. Et ceux-ci continuent à mettre au monde des enfants qui ne sont enregistrés ni au Cameroun, ni au Tchad. Ces enfants seraient plus de 10 mille à être privés de nationalité et n’ont aucune possibilité d’accès à l’instruction.

Bétoubam Mbaïnaye

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