vendredi 29 mars 2024

Rencontre avec Djeralar Miankeol

Oct 12, 2003

« Les paysans ont été très mal valorisés en terme de compensation. Par exemple, un manguier était compensé à 3500 FCFA, un pied de mangue entier. Alors qu’en Europe une mangue coûte 1000 FCFA. Donc, on s’est rendu compte que c’était de la tromperie...» Djeralar Miankeol

Vendredi 10 octobre 2003, le gouvernement tchadien a inauguré officiellement sous grande pompe l'exploitation du brut à Komé (Doba). De passage à Montréal pour une rencontre avec des partenaires dans le cadre d'une étude d'un projet de développement et une évaluation environnementale régionaux, Monsieur Djeralar Miankeol, représentant d'une ONG dénommée Association d’Appui d’Initiative Locale pour le Développement (A.S.A.I.L.D.) basée à Moundou et qui travaille dans le Logone géographique (Logone et la Tandjilé)  a rencontré Ialtchad Presse. Durant cet entretien, tous les aspects des questions liés à l'indemnisation des paysans, aux conséquences environnementales et aux retombés concrets du projet pétrole ont été abordé. 

Ialtchad Presse: - Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de Ialtchad Presse, le premier journal électronique tchadien ?
Djeralar Miankeol 
: Je travaille pour une ONG nationale créée par des cadres tchadiens avec l’appui de la coopération suisse.
Ialtchad Presse: - Quel est le nom de l’ONG pour laquelle vous travaillez?
Djeralar Miankeol
 : L’ONG s’appelle Association d’Appui d’Initiative Locale pour le Développement autrement A.S.A.I.L.D. Cette ONG est basée à Moundou et travaille dans le Logone géographique c’est-à-dire les deux Logone et la Tandjilé. L’ONG est en place depuis 1985. Elle a commencé par des activités de micro-crédits tant financiers qu’en matériels agricoles. Depuis 1995, l’ONG a transformé ses activités et évolue comme accompagnateur disons qu’elle s’occupe beaucoup de l’aspect formation, d’aider la population par rapport aussi à tous les enjeux liés surtout autour du projet pétrole dont l’exploitation a commencé depuis 1996. Ces opérations de construction de surface sont à peine terminées et le premier baril est déjà sur le marché.

Ialtchad Presse: - Quelles sont les activités de votre ONG?
Djeralar Miankeol : Dans le cadre des activités de l’ONG, l’ASAILD se charge à aider, à conseiller la population à  mettre en place des systèmes de production beaucoup plus durables. À l'époque, les paysans étaient beaucoup plus ancrés à faire de la production intensive, à cultiver des hectares et une fois que le sol s’appauvrit, ils sont obligés de couper d’autres brousses. Ainsi, ils sont arrivés à appauvrir des terres qu’ils cultivent davantage, des terres fertiles deviennent de plus en plus rares. Ce qui ne leur permet pas d’assurer ne serait-ce que le minimum pour leur subsistance. Ils n’arrivent plus à produire comme par le passé ou des maraîchages étaient de longue durée.
Maintenant l’ONG travaille beaucoup dans le sens de l’intégration de l’agriculture et de l’élevage avec un accent mis sur la protection de l’environnement, de la place de la femme tchadienne dans l’économie villageoise etc. Comment faire en sorte que les producteurs arrivent à mettre en place des systèmes cohérents où l’agriculture combinée à l’élevage, ou encore comment on peut faire des cultures continues au lieu de faire des cultures discontinues, comment on peut intégrer les cultures de saisons pluvieuses mais aussi des cultures de maraîchages etc. C’est dans ce sens-là que l’ASAILD accompagne les producteurs dans le processus en les accompagnants mais aussi en les suivant dans leur système d’exploitation.

Ialtchad Presse: - Quelle est votre position par rapport à la compensation accordée aux populations des régions pétrolières?
Djeralar Miankeol : Maintenant dans le cadre du projet pétrole, depuis 1996, il s’est avéré qu’il y a eu beaucoup d’espoir autour de ce projet où la Banque Mondiale (BM) en soutenant ce projet a fait comprendre que ce dernier devrait sortir les paysans de leur état de pauvreté. Mais force est de constater en revanche que quand les opérations de construction ont démarré, on a dépossédé les populations de leurs terres, de leurs ressources…

Les paysans ont été très mal valorisés en termes de compensation. Par exemple, un manguier était compensé à 3500 FCFA, un pied de mangue entier. Alors qu’en Europe une mangue coûte 1000 FCFA. Donc, on s’est rendu compte que c’était de la tromperie parce que la part belle était accordée au gouvernement en terme de convention avec la BM pour avoir de l’argent en vue d’exploiter le pétrole pour enrichir ceux qui sont au pouvoir. Et nous nous sommes rendus compte qu’on ne pouvait pas continuer dans ce sens, nous qui travaillons dans la région du projet c’est-à-dire les ONG, les Associations de Droits de l’Homme (ADH). Nous avons vu la nécessité de construire une dynamique de développement en milieu rural. On s’est rendu compte aussi que tous les efforts consentis depuis des dizaines d’années sont en train de s’écrouler. Alors on a organisé un séminaire à grande échelle ou des ONG du Nord (États-Unis, Europe) et en même temps des ONG africaines, tchadiennes pour essayer de voir qu’est-ce qui se passe autour du projet pétrole dans la mesure où il nous a été dit que ça devrait apporter un bonheur aux populations les plus démunies. C’est pour ça que la BM finance le projet sur le guichet IDA en plus. À partir de ce moment, on a démontré que le projet apporte plus de malheur pour les pauvres et enrichit les riches. On l’a démontré dans le cadre de compensation du pied de manguier. Et nous avons été invités au niveau de la BM qui était contrainte de nous impliquer à partir de ce moment dans le projet. Donc depuis 1998, particulièrement, j’ai participé à l’évaluation des ressources de populations. Nous avons fait des études sur la valeur du manguier qui est passée de 3500 Fcfa à 550 000 FCFA. C’est sur cette base que cette ressource a été évaluée. Mais beaucoup reste à faire quant aux autres ressources notamment les qualités d’autres espèces qui ont des valeurs dans notre économie. Parce que le coton est en déclin pratiquement. Donc c’est sur les arbres fruitiers que les paysans arrivent à joindre les deux bouts compte tenu de la mondialisation où l’école est payée, où la santé est payée. On est en train de travailler dans ce sens.
Au-delà de ça, le plaidoyer que nous faisons autour de pétrole est trop large. Nous ne voulons pas retomber dans l’expérience du Nigeria, de l’Angola, du Cameroun, du Congo etc; où le pétrole a servi des régimes dictatoriaux d’acheter des armes, de réprimer la population déjà démunie. Dans le cadre du Tchad, le plaidoyer que nous avons fait a abouti en fait à la mise en place de la loi 001 sur la gestion des revenus du pétrole où certains pourcentages sont alloués à la région productrice. Et c’est dans ce cadre que nous sommes au Canada. Concernant les pourcentages  des revenus alloués à la région  pétrolière, on ne sait pas comment ça va être géré. Et au niveau des ONG  et des ADH, nous avons lutté pour qu’un plan de développement relatif au projet soit mis en place. Le premier baril va couler déjà. Si nous n’avons pas un plan de développement, évidemment, comme on le connaît dans la plupart des pays africains, les revenus du pétrole vont passer dans des caisses noires où on ne saura plus comment ça va se passer. Dans ce cadre, nous travaillons avec le cabinet canadien CIMA qui a gagné le marché pour élaborer un plan de développement. Cela aussi est malheureux et il faut encore le déplorer car il y a des cadres Tchadiens qui ont le savoir pour élaborer un plan de développement. Mais on va rattraper ce qu’on peut rattraper. On a plaidoyé à la BM qui a accepté d’envoyer une équipe composée de techniciens de l’État, des ONG et des ADH au Canada. Donc c’est dans ce cadre que nous sommes ici. Heureusement, le CIMA est resté ouvert. Nous avons fait des ateliers dans les villages pour que la population puisse exprimer ce qu’elle pense. Puisque lors des décisions qui sont prises dans les capitales et les grandes villes, on ne prend jamais les aspirations et les problèmes des populations à la base. On parle en leur nom mais en fait ce n’est que du leurre. C’est donc à ce titre qu’au niveau des ONG et des ADH nous sommes représentés. Nous sommes venus six personnes dans la délégation : une personne de la BM, deux personnes du gouvernement et trois personnes de la société civile. Et là, il a fallu une bagarre pour qu’on en arrive là. Mais déjà c’est une grande réussite d’avoir fait ce pas. Nous allons continuer de travailler toujours.
Maintenant en termes de plaidoyer, nous avons bien sur un message particulier. Je travaille dans un réseau des ONG et ADH qui s’appelle Commission Permanente Pétrole Locale (CPPL). Et le mandat que j’ai, c’est de voir comment impliquer la colonie tchadienne dans ce projet. C’est des revenus qui doivent profiter à tous les Tchadiens. Donc comment faire en sorte que nous puissions conjuguer tous nos efforts parce que les seuls plaidoyers que nous faisons au Tchad ne suffisent pas. À un autre niveau, il faudrait aussi qu’à l’extérieur du pays des voix puissent se porter là où des sensibilités peuvent faire pression sur le gouvernement tchadien. Nous savons aussi qu’au niveau de la BM, le Canada est assez représenté au conseil d’administration et c’est à ce titre que nous comptons nouer des relations assez sures avec la colonie tchadienne pour que des informations nous parviennent. On a aussi besoin de beaucoup d’informations au niveau du Canada en ce qui concerne les informations d’une manière générale dans le cadre du pétrole.

Ialtchad Presse: - Vous avez évoqué plusieurs aspects importants du dossier pétrole tchadien notamment celui des indemnisations des populations de la région pétrolière. Vous avez prix l’exemple du manguier qui a été réévalué de cent fois plus de la valeur de départ (3500 FCFA a 550 000 FCFA). Est-ce qu’on peut dire que la population concernée en est satisfaite et le combat à ce niveau est gagné? Si non, comment comptez-vous faire aboutir votre plaidoyer?
Djeralar Miankeol
 : En fait, le chemin a été long. Vous connaissez bien l’histoire du pétrole. C’est une histoire très complexe. Au Tchad, on a eu l’occasion avec la présence de la BM d’être dans le projet pour parler du pétrole. Dans d’autres pays c’était pratiquement impossible. On a vu le cas de l’Angola, du Gabon, du Cameroun etc. C’est un sujet tabou. Au Congo ça a amené beaucoup de guerre. Au Tchad on a la chance de discuter autour de ce sujet. C’est déjà une porte de sortie. Mais le chemin est très long parce que les firmes multinationales (FMN) sont des compagnies qui veulent maximiser le profit. C’est ça qui les intéresse. On parle de démocratie mais en fait, on est très loin.
Donc les enjeux même autour du pétrole surtout en ce qui concerne l’environnement avec les conséquences dramatiques que pourrait engendrer l’exploitation du pétrole sur le sol, les eaux etc... sont très vastes. On ne fait que commencer les compensations. Et ce n’est pas grand-chose par rapport aux conséquences néfastes sur l’environnement et sur la population...
Et concernant la gestion de revenus, même si une loi a été votée, c’est le régime en place qui va gérer les revenus. Et on connaît, il y a eu plein de détournements sur les grands projets financés par la Banque Mondiale sur l’éducation, la santé, etc. Donc le plaidoyer ne fait que commencer. On ne va pas baisser les bras. On va continuer surtout si on veut que les générations futures ne soient pas totalement lésées, si on veut que l’environnement ne soit pas totalement détruit. On sait que le Tchad est un pays agropastoral. Donc le plaidoyer ne fait commencer à plusieurs niveaux : au niveau de l’environnement, au niveau de revenu etc. Vous avez certainement entendu que les premiers revenus du pétrole, le bonus, ont été utilisés pour acheter des armes au Tchad malgré le plaidoyer qui a été fait. Nous avons la Banque Mondiale qui a pris un engagement vis-à-vis de l’opinion internationale que le projet pétrolier tchadien doit profiter aux populations les plus démunies. Et nous saisissons l’opportunité pour aller dans ce sens pour interpeller la BM et le gouvernement tchadien. Donc, on travaille à deux niveaux. On ne peut pas dire dès aujourd’hui qu’avec les valeurs des ressources qui ont été réévaluées que la population est contente. La population n’est pas préparée. Des gens qui sont habitués à gagner peut être 50 000 FCFA avec la culture du coton et qui se retrouvent dépossédés de leurs terres. Il faut bien les organiser sinon ils n’arrivent pas à gérer la situation. Tout le monde n’a pas été préparé. Et les FMN profitent du manque de préparation des Tchadiens pour faire ce qu’ils veulent sur le terrain.

Ialtchad Presse : Pour gérer les recettes pétrolières, le Tchad a adopté la loi dont vous parliez prévoyant qu’il en déposait 10% des fonds dans un fonds spécial destiné aux générations futures et 80% serviront à financer le développement et les programmes sociaux à l’intention de la population défavorisée. Qu’y a-t-il à ce niveau?
Djeralar Miankeol
 : La loi, on s’est battu pour qu’elle soit votée. Mais en Afrique d’une manière générale et au Tchad en particulier, on a les meilleures lois au monde. La question c’est celle de l’application des lois dans la mesure où l’exécutif, le législatif et le judiciaire sont mélangés. C’est toujours aux profits du régime en place. Donc l’exécution de cette loi pose problème. Nous avons milité pour qu’ils mettent sur pied un collège de contrôle dans lequel la société civile doit être majoritaire. Mais jusque-là, cette équipe n’est pas fonctionnelle. Et le baril va sortir. Les revenus vont être là. Mais les dispositifs pratiques pour la gestion des revenus ne sont pas prêts jusqu’aujourd’hui. Les 10% ont été convenus qu’ils soient logés dans des banques internationales. On nous a toujours rien dit. Moi, je milite. Je suis coordonnateur de réseau. J’ai beaucoup voyagé. On a travaillé avec la Banque Mondiale. Aujourd’hui rien n’est clair. Donc au niveau des dispositions, les lois sont les lois. Mais c’est les hommes qui les appliquent. Donc, est-ce qu’on a un système judiciaire, un système législatif, un parlement etc... qui peuvent aider?
Je sais que vous avez entendu l’exemple des projets élevage, des projets éducation etc. où des personnalités ont détourné des milliards de FCFA. C’est décrié au niveau de l’Assemblée mais ces personnalités sont en liberté et briquent des postes plus importants. Cela est connu déjà. On voit tout rouge encore. Comment la loi peut être mise en pratique? On doute de ça. Et, on se bat pour que le collège de contrôle puisse être fonctionnel parce qu’il aura au moins la liberté de suivre la gestion de ces revenus. Mais en même temps, on dit que ces fonds vont être gérés par des collectivités décentralisées. Il n’y a jamais eu d’élection au Tchad. Les préfets, les sous-préfets, les maires sont nommés. Et si on ne fait pas en sorte que les populations s’organisent à mettre en place des petits comités, on arrivera jamais à contrôler ces fonds qui vont passer dans des poches des individus qui vont en faire ce qu’ils veulent comme par le passé. C’est pour ça justement que nous essayons de faire ce qu’on peut faire et à quel niveau… À partir de ce moment, on a une base qui pourra aider au cas où il y a des revenus du pétrole. On pourra mettre dans les routes, dans les écoles etc. C’est dans ce sens que nous travaillons avec la CIMA qui a beaucoup travaillé avec le gouvernement mais ignorant la population. Nous sommes là pour leur dire attention dans telle région, c’est tel aspect que vous avez oublié. Nous essayons de tirer les ficelles mais ce n’est que le début du commencement.

Ialtchad Presse : On disait que les ONG et les ADH étaient complètement écartées des débats sur le pétrole. Aujourd’hui, vous nous dites qu’on vous en associe. Est-ce seulement au niveau des discussions qu’on vous associe? Vous disiez aussi que le collège de contrôle n’est pas fonctionnel. Vous n’avez pas apparemment de contre-pouvoir en tant que tel au niveau de la gestion des recettes du pétrole. Quelles sont les autres armes dont vous disposez pour demander une gestion saine des revenus du pétrole afin qu’un groupuscule de personnes n’en profite au détriment de la population défavorisée?
Djeralar Miankeol
 : Il faut dire que des grands points ont été franchis. On ne nous a pas introduit. Mais souvent, on se fait entendre. C’est très difficile qu’il y a de cela 5 ans, 10 ans, écouter la société civile, sortir, parler librement. Aujourd’hui, on a la chance qu’il puisse avoir une société civile qui se construit que ça soit au niveau des provinces, des grandes villes, de la capitale etc. Les ONG et les ADH ont mis sur pied des réseaux qui se font entendre. Et notre force aussi, c’est d’avoir des relations avec des partenaires du Nord, des réseaux allemands, américains, hollandais etc. Et cela fait une grande force.
L’autre chance qu’on a est que la BM a pris l’engagement devant la société civile que c’est un défi de faire de ce projet un exemple d’un projet de développement. Donc, c’est surtout à ce niveau que nous avons la chance d’interpeller la BM qui est très puissante. Vous savez que quand la BM et le FMI demandent des ajustements, il n’y a pas un État africain qui peut y résister. C’est vrai que l’État est souverain mais on a cette chance d’avoir la BM dans ce projet. On a aussi cette possibilité de nous organiser au niveau de la société civile mais aussi d’être en relation avec des partenaires à l’étranger. Le collège de contrôle dont je parle est constitué de 2/3 de la société civile. L’équipe est en place. Elle a des difficultés à commencer son fonctionnement. C’est déjà un grand pas qu’on se fasse entendre, qu’on soit dans les débats. Et c’est petit à petit qu’on va amener le changement. Le changement ne se fait pas du jour au lendemain. Donc cette chance qu’on a au Tchad d’avoir la BM dans ce projet, même si elle a des intérêts, on la tient sur parole. Et aussi le gouvernement qui prend des engagements devant la BM soi-disant qu’il fera tout pour que le projet profite aux pauvres, on le prend aussi au mot et on essaie de nous battre. Si vous voulez, le plaidoyer vient de commencer. Nous comptons aussi sur tout le réseau à l’extérieur, comme déjà ce que le journal Ialtchad Presse fait en ce moment. C’est quand la BM sait que son image de marque est en cause que ça pose problème. Et là nous avons aussi des partenaires aux États–Unis qui font beaucoup de plaidoyer autour du projet pétrole.

Ialtchad Presse : Le projet pétrole tchadien est le plus grand investissement privé en Afrique avec ses 3.5 milliards prévus dans les 5 ans à venir. Qu’est-ce qui est fait pour que du point de vue de la santé, de l’éducation, des infrastructures ces millions de dollars puissent profiter au pays et aux zones pétrolières méridionales?
Djeralar Miankeol
 : Déjà, en général, la première phase de la construction n’a pas profité aux Tchadiens. Les compagnies sont venues en place avec les moyens qu’on ne connaît pas au Tchad. Il n’y a pas un entrepreneur tchadien qui peut gagner un marché. On vous demande de fournir 36 000 œufs par jour, combien de milliers de tonnes de nourriture par jour etc. En fait, ce sont les entreprises étrangères qui en ont bénéficié notamment les entreprises françaises, sud-africaines etc.
Maintenant, on va passer à la phase d’exploitation et la question est de savoir comment faire en sorte que les revenus estimés à 50 milliards (tout est lié aussi au cours du baril qu’il soit à la hausse ou à la baisse). Mais déjà, ce que nous sommes en train de faire, nous sommes au Canada pour faire en sorte qu’il y ait un plan de développement de la région du pétrole.
Il faut que cela se fasse aussi pour le reste. C’est à partir de ce plan  qui est un outil de pilotage, qui va d’ailleurs indiquer ce qui doit être fait. C’est dans cela qu’il y a des choses qui sont prévues en matière de santé, d’éducation, de l’environnement, du développement rural, etc. Donc si vous voulez, nous sommes en train de préparer le récipient pour accueillir de l’eau. C’est ça l’image. Et si vous avez un bon et grand récipient, vous pouvez recevoir la pluie. C’est vrai qu’on est en train de parler de revenus qui vont tomber d’ici janvier 2004. C’est vrai que la population n’est pas préparée. Mais d’ici la fin de l’année, on aura ce plan de développement du projet pétrole. Donc il faudra nécessairement aller dans ce sens, prévoir des mécanismes dans le domaine de l’éducation, de la santé etc. L’État a toujours dit que la politique du développement se base sur ces secteurs précités. Nous pensons que si ce travail est fait, nous devons avoir un collège de contrôle avec le groupe consultatif que la BM a mis sur pied qui est sensé regrouper des consultants indépendants pour suivre les effets du pétrole sur le plan de l’environnement mais aussi de suivre comment les revenus vont être gérés. On a le Groupe International Consultatif (G.I.C) à l’échelle de la BM, le collège de contrôle au niveau du Tchad, mais si on arrive à mettre en place un plan de développement conséquent, avec la société civile aussi qui regarde de près, à travers le réseau national, régional au Cameroun et international, nous espérons que le mal ne soit pas total.

Ialtchad Presse : Concernant les populations qui ont été déguerpies de leur village, de leur localité, y a-t-il des politiques qui ont été élaborées pour les réhabiliter?
Djeralar Miankeol
 : Tout à l’heure, je disais qu’à tous les niveaux les Tchadiens n’ont pas été préparés pour le projet pétrole. Le consortium  est venu et, ils ont les gros moyens. Ils ont commencé les choses. Donc il y a beaucoup de Tchadiens surtout les paysans qui ont été déguerpis et ils se retrouvent dans les villes. Ils ont essayé après le plaidoyer de la société civile de réhabiliter quelques Tchadiens dans les villages et c’est insignifiant. Et ces opérations de réhabilitation ont été ridicules. 

L’avenir est encore très flou parce que quand vous venez dans la zone du pétrole, là où il y a les puits pétroliers, avec les différentes routes qui partent de partout pour  rejoindre le collecteur central au pipe-line pour conduire le pétrole jusqu'à Kribi (Cameroun), il y a beaucoup de villages qui sont emprisonnés. C’est comme des animaux dans une cage. On sait qu’il y a beaucoup de villages qui ont été déguerpis et nous avons entamé déjà des plaidoyers dans ce sens pour que l’État et la BM essaient de voir avec les compagnies qui sont sur place, comment faire en sorte que ces villages qui sont emprisonnés puissent retrouver un autre espace où ils pourront faire l’agriculture et l’élevage. Certains villages sont coupés des zones de culture, d’élevage parce qu’il y a un système de sécurité qui est en place. Donc les gens ne peuvent pas aller librement au champ pour faire des cultures. Il y a aussi beaucoup de travail qui reste à faire dans ce sens. Nous avons déjà entamé des études, nous avons élaboré les documents qui résument ou qui retracent la situation avec des preuves à l’appui et nous continuons à faire des plaidoyers dans ce sens à divers niveaux. Mais le pétrole tchadien, ce que beaucoup ignorent, n’est pas seulement le bassin de Doba. Alors le consortium est déjà dans l’Est du Tchad, dans le Moyen Chari. Ils sont au nord de Moundou jusqu’au Mayo Kébi. Donc le sud du Tchad quand vous regardez la carte hydrogéologie, c’est tout le bassin qui est concerné par le projet. Nous sommes en train de militer pour que nous puissions avoir une situation globale des réserves de pétrole tchadien. Car le consortium est très malin. Ils vous disent qu’on a seulement le pétrole de Doba, il faut regarder maintenant à grande échelle et ça va concerner des milliers et des milliers de Tchadiens. Et en même temps, en terme de pollution, puisque le sud du Tchad baigne dans un bassin où les deux fleuves Logone et Chari drainent depuis le sud jusqu’au Lac Tchad. Imaginez ce que ça va comporter s’il y a des fuites quelques soient les disponibles qui seront prise. C’est des milliers et des milliers d’agriculteurs, d’éleveurs, de pêcheurs qui vont être touchés par ce projet-là. Nous même on se demande quel est le mécanisme, quel est le dispositif que nous pouvons mettre en place pour faire de telle sorte que le consortium  puisse s’occuper des paysans qui n’ont de ressources que leurs terres, leurs aliments…Or les ressources vitales sur lesquelles les paysans se reposent sont en train d’être dépossédées et détruites. Donc, il y a très peu d’efforts, il n’y a pas une politique dans ce cadre. C’est un peu de manière ponctuelle qu’on essaie de compenser certains paysans qui n’arrivent même pas à trouver leur situation de départ. Donc un travail supplémentaire reste à faire. Et on vient dans une zone, on a perturbé le système d’exploitation des paysans mais il y a aucune étude qui a été faite pour envisager le redéploiement des paysans. Comment est-ce qu’ils peuvent adapter leur système d’exploitation ancien à cette nouvelle donne, à ce nouveau contexte. En tout cas, il y a un vide à ce niveau.

Ialtchad Presse : Je vous remercie de nous avoir accordé cette interview qui a touché les points obscurs et sensibles du projet. Comme vous l’avez dit, bien que ce soit réciproque, nous avons besoin de vous pour nous informer sur le dossier du pétrole tchadien. À notre niveau, nos portes vous sont ouvertes. Notre mission consiste à informer au maximum le peuple tchadien en général, mais la jeunesse en particulier tant sur le plan national qu’international sur tout ce qui se passe dans notre pays. Ialtchad Presse que vous venez de découvrir est le premier journal électronique tchadien qui travaille dans ce sens. Tous ensembles, nous allons conjuguer nos efforts pour le devenir de notre pays. Toutefois, je vous accorde la parole pour dire un dernier mot à nos lecteurs.
Djeralar Miankeol 
: Ce que je voulais dire au sujet de cette interview, c’est que souvent, quand nous au niveau de la société civile essayons d’aider le gouvernement, essayons d’apporter notre contribution pour ce projet, on est traité comme des ennemis du pétrole. On ne veut pas que le pétrole soit exploité. Loin de là. Nous voudrions que le pétrole, tel que la BM et le gouvernement le disent, que ce projet puisse amener vraiment le changement dans le mode de vie des populations les plus démunies. C’est notre seul souci.

Comment aider le gouvernement à aller dans ce sens parce que ce n’est pas facile de faire face à ces firmes pétrolières. Même les régimes les plus puissants sont gérés par les firmes pétrolières. C’est connu les Bush (Président des États-Unis), ce sont eux qui dirigent. Donc au niveau de la société civile, on a cette chance d’avoir cette liberté au moins de parler. Parce qu’on ne peut pas nous enlever cette liberté. Tout notre souci, c’est aider le gouvernement. On l’a déjà démontré à plusieurs reprises. Les lecteurs qui certainement vont essayer de comprendre ce qui a été dit, qu’ils le comprennent dans le sens positif. Ce n’est aucunement pour bloquer l’exploitation du pétrole comme beaucoup le pensent. Mais c’est pour attirer l’attention du gouvernement et de la BM de l’expérience qu’on a connu dans les pays surtout d’Afrique où le pétrole n’a amené que des misères. Le peuple Ogoni au Nigeria par exemple, au Congo…Ce n’est pas la population qui a profité du pétrole. Donc on essaie de rappeler les gens, de faire des propositions que le gouvernement a reconnues. C’est dans ce sens qu’on continue de travailler. On n’est venu au Canada pour aider le gouvernement à faire un travail qui peut aider les Tchadiens à changer leur mode de vie. En ce qui concerne le journal Ialtchad Presse, c’est par hasard que je suis tombé sur vous. J’ai eu la chance de réaliser cette interview. Je vous encourage. Je vais aussi porter l’information du travail qui a été fait au niveau du pays et désormais nous allons garder le contact pour vous fournir des informations. Mais dans le seul souci que les choses puissent aller positivement. Donc à ce niveau, que ça soit très clair. Mais pour le travail que nous faisons, si on ne le fait pas ; qui va le faire pour nous ? Dans des grandes villes comme N’Djamena, Moundou, Sarh, il n’y a pas d’eau ni d’électricité pendant des semaines. Des gens restent sans conditions minimum de santé, d’éducation, d’eau potable etc. Comment faire pour que le gouvernement tchadien puisse créer des conditions de vie décentes aux générations futures ?

Je vous encourage beaucoup en tant que jeune.

Ialtchad Presse : - Merci

Entretien réalisé Par Ahmad Mandekor

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