vendredi 29 mars 2024

Entrevue avec Ismaïl Hachim, Président de l'AVCRP

Oct 12, 2005

Le procès de Hissein Habré au Tchad comporte beaucoup de risque. Cela risquera d’être dramatique et périlleux à cause de la rancune et la haine de la population en son encontre. Il n’aura aucune chance de survivre à son arrivée à l’aéroport de N’Djamena. Il sera lynché.

Ismaïl Hachim, président de l’Association des Victimes de crimes et Répression Politique au Tchad (AVCRP) est à Dakar. Lui-même victime du régime Habré, c’est pour une deuxième fois qu’il est dans la capitale sénégalaise. Débouté en 2000 par la justice sénégalaise qui s’était prononcée incompétente pour juger Hissène Habré pour des crimes commis au Tchad, M. Hachim croit que cette fois-ci est la bonne. Pour lui la disposition « transitoire » belge permettra à la justice sénégalaise d’extrader l’ancien président tchadien afin qu’il soit jugé en Belgique.

C’est par rapport à cette affaire que M. Ismail Hachim nous a reçus  au siège de la Rencontre Africaine de la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO) sis Avenue Seydou Nourou Tall Villa N°4024. Après les « salamalecks » coutumières et un bref échange en arabe tchadien, nous avons entamé l’entrevue. C’est un homme calme, attentif et disposé qui a répondu à toutes nos questions sur le combat qu’il mène. D’entrée de jeu il lance « mon but est d’informer l’opinion publique tchadienne et internationale sur le bien-fondé de notre poursuite judiciaire à l’encontre de H.Habré ». L’homme n’a rien oublié de son malheureux séjour dans les geôles de la redoutable Direction de la Documentation et de Sécurité (DDS). Il veut que justice soit rendue en la mémoire des 45.000 disparus durant le règne de fer d’Hissein Habré.

Ialtchad Presse : Bonjour M. Ismaïl Hachim, vous êtes le président de l’Association des Victimes, de Crimes et Répression Politique au Tchad. Pourquoi cette ONG a été créé ?
Ismaël Hachim Abdallah : D’abord merci. Notre ONG dénommée Association des Victimes, de crimes et Répression Politique au Tchad (AVCRP) est issue des circonstances extrêmement difficiles et catastrophiques, suite à la chute de Hissène Habré le 1er décembre 1990. Nous nous sommes retrouvés avec des milliers des victimes parmi lesquelles on y dénombre des orphelins, des handicapés, des veuves, des  rescapés des prisons. Tous étaient traumatisés et déstabilisés mentalement. Et tous ne savaient à quel saint se vouer. Ces milliers de personnes souhaitent que justice leur soit rendue et aspiraient à une réintégration dans la société tchadienne. Elles ont alors estimé nécessaires de s’organiser en association dans un cadre juridique légal pour faire prévaloir leurs droits autrefois bafoués. C’est ainsi qu’est née notre Association.

Ialtchad Presse : Quelle est votre mission et quels sont vos objectifs ?
Ismaël Hachim Abdallah : Notre mission est la défense des intérêts moraux et matériels des victimes de la répression. Pour cela nous avons procédé d’abord à identification des victimes, à l’inventaire de leurs biens spoliés et plaidons jusqu’au aujourd’hui leur cause afin que l’Etat tchadien les indemnise. Nous interpellons le pouvoir public et dénonçons toutes formes d’atrocités qui portent atteintes aux droits humains. Et nous militons pour qu’enfin des cruautés, comme par le passé, ne se répètent plus jamais au Tchad. Enfin, nous cherchons à donner un exemple au reste du monde en véhiculant un message de paix et de justice sociale. Nous avons deux objectifs principaux :

- Au niveau national, nous n’avons pas ménagé nos efforts pour convaincre le pouvoir en place de se débarrasser de nos anciens tortionnaires, bourreaux et complices du régime déchu. Et permettez-moi de vous annoncer que  nous avons réussi grâce à aux pressions exercées sur le gouvernement tchadien à relever de certains postes de responsabilité les personnes impliquées pour des atteintes et des violations massives des droits humains. Ces personnes doivent être désormais mises à la disposition de la justice et nous nous en réjouissons. Il faut dire que c’est un acte historique très important qui permettra à la société tchadienne de renouer avec la stabilité, la paix et la justice sociale.

-Au niveau international, nous sommes associés aux ONG internationales pour traduire en justice Hissène Habré et ses complices.

Ialtchad Presse : Comment avancent vos démarches auprès des officiels sénégalais ?
Ismaël Hachim Abdallah : Il y a cinq ans, ici même à Dakar, nous étions déçus par la justice sénégalaise qui s’était prononcée incompétente pour juger Hissène Habré. Nous nous souvenons bien du courrier qu’a adressé aux victimes tchadiennes,  le président Abdoulaye  Wade lorsqu’il était dans l’opposition. M. Wade a clairement dit, à l’époque, qu’une fois qu’il accéderait au pouvoir, il livrerait Habré à la justice. Aujourd’hui, il est au pouvoir. Et Habré n’est toujours pas jugé. Nous étions obligés d’explorer d’autres horizons où nous pourrions faire valoir nos droits.  Nous nous sommes rendu comptes alors que le Sénégal a ratifié la convention internationale des Nations Unies contre la torture, donc il pourrait faire « l’affaire ». Nous sommes donc ici pour sensibiliser l’opinion publique sénégalaise et internationale. Mais surtout nous adresser aux confréries musulmanes, entres autres ; Tijanes et Mourides. Des confréries très influentes politiquement au Sénégal. L’objectif est de leur demander de convaincre le président Abdoulaye Wade de remettre à la disposition de la justice Hissène Habré pour qu’il réponde des graves et multiples violations des droits humains commis sous sa gouverne. Voilà le but de notre déplacement ici à Dakar.

Ialtchad Presse : Comment avez-vous été accueilli par la société civile sénégalaise ?
Ismaël Hachim Abdallah : Nous avons été accueillis à bras ouvert par le très paisible peuple sénégalais. La société civile sénégalaise s’est mobilisée pour nous venir en aide. C’est grâce à elle que nous parcourrons les chancelleries étrangères accréditées au Sénégal pour les allier à notre cause. Mais il faut dire que nous avons remarqué ici que Habré a menti au peuple sénégalais et nous sommes là pour le démentir.

Ialtchad Presse : Avez-vous le soutien des autorités tchadiennes dans les démarches entreprises  pour extrader Hissène Habré ?
Ismaël Hachim Abdallah : Oui, nous avons le soutien des autorités tchadiennes. Je dois vous dire que le gouvernement tchadien a commencé par collaborer au niveau des entraves liées au volet international. Premièrement, N’Djamena a procédé à la levée de l’immunité de H.Habré. C’est pour la première fois au monde qu’un  pays lève l’immunité de son ancien président. Deuxièmement, les autorités tchadiennes ont donné l’autorisation à la commission rogatoire de venir au Tchad faire des investigations et accéder aux archives de la DDS. Donc à ces niveaux, rien à craindre.

Ialtchad Presse : Pourquoi vous ne réclamez pas que H.Habré soit jugé au Tchad ?
Ismaël Hachim Abdallah : Le procès de H.Habré au Tchad comporte beaucoup de risque. Cela risquera d’être dramatique et périlleux à cause de la rancune et la haine de la population en son encontre. Il n’aura aucune chance de survivre à son arrivée à l’aéroport de N’Djamena. Il sera lynché. Ce n’est pas le but 

Ialtchad Presse : Pourquoi vous n’avez jamais fait des pressions sur le gouvernement tchadien afin que H.Habré soit jugé au Tchad, devant les Tchadiens par exemple ?
Ismaël Hachim Abdallah : Si nous n’avions pas opté pour cette voie, c’est parce que nous estimons que H.Habré a fait de nombreuses victimes et endeuillé des milliers des familles tchadiennes. Pour ce fait, nous craignons pour sa vie au Tchad. Car les familles des victimes seront tentées de se faire justice au détriment du droit. Nous sommes pour un procès équitable. Habré a droit une défense. Voilà pourquoi il est souhaitable que ce procès se tienne dans un autre pays que son pays d’origine.

Ialtchad Presse : Les victimes tchadiennes ont-elles été indemnisées ?
Ismaël Hachim Abdallah : Nous avons mené une campagne pour sensibiliser le gouvernement sur cette question afin qu’il indemnise les victimes. Nous avons recouru aux avocats pour ficeler un dossier juridique. Nous l’avons soumis au gouvernement sous forme des propositions. Et les autorités tchadiennes nous ont promis de soutenir ces propositions. Pour l’instant nous attendons.

Ialtchad Presse : Pourquoi votre organisation s’acharne-elle seulement contre Habré ?
Ismaël Hachim Abdallah : Non. Nous ne nous acharnons pas contre Habré seul. C’est contre tout un système. Raison pour laquelle on parle de Habré et de ses complices, des bourreaux et des tortionnaires. Comprenons-nous bien, le système c’est la DDS. Une puissante machine répressive rattachée à la présidence et qui était à l’époque un Etat dans un État. Nous n’épargnons personnes. Il y a H.Habré et ses co-auteurs.

Ialtchad Presse : Hissène Habré et Idriss Deby ont marqué le Tchad de 1982 à 1990, le procès Habré peut-il se tenir sans Deby ?
Ismaël Hachim Abdallah : Je crois que c’est deux choses qu’il ne faut pas confondre, même si le dossier date de cette époque. Nous tenons à préciser qu’au niveau national des poursuites sont engagées contre les anciens agents de la DDS et à l’échelle internationale contre Habré. Mais le président Deby ne figure pas dans notre programme. Car lui aussi était victime de cette répression même s’il était l’ancien chef d’état-major de Habré. La preuve est qu’il a combattu ce régime. Autre chose importante : Deby est président de la République du Tchad et jouit d’une immunité présidentielle. Nous devons plutôt demander à Deby de soutenir notre combat. Et nous ne pouvons en aucun cas de figure le poursuivre.

Ialtchad Presse : Qu’allez-vous faire pour convaincre l’opinion sénégalaise et africaine très réticente pour l’extradition de Habré vers la Belgique. Parce qu’elle estime que même le président Deby doit répondre sur sa part de responsabilité durant la terreur de DDS sous Habré ?
Ismaël Hachim Abdallah : Je pense que nous possédons des éléments des preuves irréfutables grâce aux documents et aux archives qui témoignent l’ampleur des atrocités. S’agissant de la confrérie « Tijanes »  dont le soutien à H.Habré est  avéré. Celle-ci est encore sous informée. Nous espérons bien la convaincre dans les jours à venir. Quant à l’opinion africaine, je dois dire qu’elle-même était la victime de Habré. Pour le président Deby, il a lui-même perdu la majorité des membres de sa famille. Bref, c’est à la justice d’apprécier la situation.

Ialtchad Presse : Quelle est la situation des droits humains sous le régime actuel ?
Ismaël Hachim Abdallah : Comparativement au régime de Habré, où le peuple était bridé et laminé, dépossédé de sa liberté, il y a lieu de dire ici que sous le régime actuel, le peuple tchadien jouit de sa liberté et de son intégrité. À l’époque, circuler à l’intérieur du Tchad posait problème. Aujourd’hui, la liberté de circulation des personnes et de leurs biens est un fait réel. Le message de mon organisation au peuple tchadien est de leur demander de s’organiser davantage pour lutter contre toutes autres formes des restrictions des libertés publiques.  

Ialtchad Presse : En dépit d’un impressionnant soutien international acquis à votre cause, vous ne parvenez toujours pas à ébranler le dispositif juridique sénégalais. De même, les officiels sénégalais sont restés de marbre face à la pression. Selon vous qu’est ce qui  bloque ?
Ismaël Hachim Abdallah : Il est très tôt de parler des blocages. Nous sommes en pleines démarches à tous les niveaux. Donnons le temps à la justice sénégalaise de traiter le dossier conformément au délai requis.  

Ialtchad Presse : Quelle lecture faites-vous des déclarations du président Abdoulaye Wade et de son ministre des Affaires Étrangères Cheikh Tijani Gadjo. Tous deux disent s’en remettre à la justice de leur pays ?
Ismaël Hachim Abdallah : Nous ne sommes pas surpris par ces déclarations. Nous connaissons bien le président Wade dont la position est toujours complexe à cerner dans cette affaire. Le fait de dire de s’en remettre à la justice de son pays est pour lui un moyen de refuge. D’autant plus que la justice manque d’indépendance et nous savons cela. Vous savez cette affaire est trop politisée au point qu’il nous est aussi difficile de mieux comprendre l’intention réelle des gens.  

Ialtchad Presse : Qu’en pensez-vous lorsque l’on dit que l’affaire Habré est une question politico-judiciaire qui mérité aussi un traitement politique et juridique ?
Ismaël Hachim Abdallah : Justement, c’est à cause de son caractère politique que nous sillonnons toutes les représentations diplomatiques occidentales et africaines pour leur demander de bien vouloir nous trouver une solution à cette question politique. Au niveau juridique, nous comptons sur la pression du peuple sénégalais sur l’appareil judiciaire. Le but, c’est de réussir à associer le politique au juridique pour obtenir l’extradition de Habré.

Ialtchad Presse : Si jamais H.Habré est extradé. Ne craignez-vous pas qu’il fasse un déballage qui compromettre la cohésion sociale déjà précaire Tchad?  
Ismaël Hachim Abdallah : Depuis quinze ans règne au Tchad une stabilité politique. Le peuple est mûr pour consolider cet acquis qu’est l’unité nationale. Je pense donc que Habré n’est plus en possession de ses moyens pour influencer sur la scène tchadienne. De plus, le procès aurait lieu à l’étranger.

Ialtchad Presse : S’il n’est pas extradé ?
Ismaël Hachim Abdallah : Nous verrons bien. Nous sommes une coalition et nous prendrons ensemble les décisions adéquates devant une telle éventualité.

Ialtchad Presse : Hissène Habré est un ancien chef d’Etat africain, avec son procès prendra effet cette disposition de compétence universelle. Qu’est-ce que vous en dites ?
Ismaël Hachim Abdallah : Le fait de juger Habré entre dans cette logique. Celle de rompre avec l’arbitraire, l’injustice érigée en règles par quelques dirigeants de  ce monde sur des paisibles populations. La mise en application de cette disposition de compétence universelle serait sûrement dissuasive pour certains dirigeants politiques qui oppriment leurs peuples. J’encourage son application.

Ialtchad Presse : Les États-Unis et l’Israël ne souhaitent pas que leurs ressortissants comparaissent devant une juridiction étrangère au nom de cette loi. Comment trouvez-vous leur position ?
Ismaël Hachim Abdallah : Si aujourd’hui cette loi est en souffrance c’est parce que certaines grandes nations s’illustrent par le mauvais exemple. Je déplore qu’elles mettent tous les moyens pour torpiller l’avancée de cette loi.

Ialtchad Presse : Merci M. Hachim
Ismaël Hachim Abdallah : C’est moi qui vous remercie.

Entretien réalisé par Makaila Nguebla, correspondant à Dakar

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