J’ai failli rater l’occasion d’aller vivre avec les confrères journalistes sur le terrain l’opération Haskanite. Il faut dire que c’était ma faute. J’étais injoignable. La technologie m’a joué un tour pour quelques 24h. J’ai été repêché par le ministère à la dernière minute après que j’ai pu me reconnecter au monde de la technologie. J’ai envoyé un message accusateur à qui de droit…
Moi : « Finalement, vous êtes parti sans moi? Ou bien?... ».
La réponse m’est vite revenue..
Lui : « Bello, demain 6h du matin on se retrouve à la Base militaire Adji Kossei ».
J’ai hésité entre ces deux choix cornéliens. Aller voir, toucher, raconter, informer sur l’opération Haskanite au Lac ou bien participer à la consultation publique de la Haute Autorité des Médias et de l’Audiovisuel (HAMA) qui veut adopter un cahier de charges de Web Télévision et de Web radio? Un sujet qui m’intéresse en tant que journaliste et président de l’Association des Médias en ligne du Tchad (AMET). Moi et mes amis nous nous sommes préparés à y aller avec des arguments juridiques bien ciselés. Nous venions de sortir d’une empoignade médiatique avec la HAMA et son président au sujet de leur insistance à vouloir interdire illégalement aux médias en ligne la production audiovisuelle. J’avais envie d’aller en découdre gentiment avec mes amis de la HAMA. J’ai choisi d’aller faire des reportages sur-le-champ de l’opération Haskanite . D’autres collègues s’en sont occupés.
Vendredi 6h du matin. Je suis le premier à arriver au rendez-vous à la Base militaire Adji Kossei. Peu à peu, les autres arrivaient en petits groupes de 2, 3 personnes. Trente-cinq minutes plus tard, nous sommes 15 ou plus à embarquer.
6h 38 min. L’équipage démarre l’hélicoptère pour peut-être le chauffer avant le décollage. Les larges hélices bruyantes tournent à pleine capacité et donnent des petites secousses faisant dandiner les occupants. Les portes se font fermer par un jeune militaire, casque d’écoute à la tête comme dans un studio radio. L’avion bouge en dandinant plus fortement. Je croyais qu’il allait décoller sur place comme j’ai l’habitude de voir dans les films de guerre. Non, il a roulé un peu avant de prendre son envol. C’est réussi. Il était 6h 50 minutes. La vue aérienne était impeccable. Mes confrères se sont jetés sur leurs appareils photos ou téléphones pour photographier, faire des vidéos, comme pour se venger de l’interdiction de filmer lorsqu’on était au sol. Cette année la saison de pluie a été lourde. Des étangs d’eau et des zones inondées encerclent la capitale tchadienne, N’Djamena.
50 minutes plus tard, des îlots commencent à apparaître. Sommes-nous déjà au Lac? Des îlots, nous sommes passés à des îles de plus en plus grandes. De l’eau à perte de vue. Je me disais à moi-même, « je ne savais pas qu’il a autant d’eau dans la partie septentrionale de notre pays. Je me rends compte que la saison des pluies vient de finir. Et le pays a subi d’énormes inondations ». Je reviens à moi. Je demande au militaire assis en face de moi si on est au-dessus du Lac Tchad? « Oui. C’est un vol de 50 min à 1h de temps », me souffle-t-il à l’oreille. Je jette un coup d’œil sur la montre de mon téléphone. C’est exact. Il y a à peu près 45 min qu’on vole.
Ah! Le Lac Tchad est sous notre hélicoptère. Il est immense. Magnifique. Majestueux. Je n’avais vu que le bras à Bol, capitale régionale, il y a quelque 5 ans. Les bras m’en sont tombés. J’étais saisi d’une émotion indescriptible. Émotions et interrogations se bousculaient dans ma tête. Soudainement, une petite colère m’envahit. Je réfléchis à basse voix, « on n’a rien fait de ce don de Dieu. De cette immense ressource. On en tire que des miettes. On a rien fait pour l’exploiter, pour développer la région. Développer cette zone est la meilleure arme contre Boko Haram. Qui ne l’aurait pas fait à notre place? » Entre temps, l’hélicoptère baisse en altitude, la manœuvre évacue ma sourde colère. J’avais les yeux écarquillés de curiosité. Je tournais et retournais mon regard à travers le hublot ouvert aux vents qui nous servait de ventilateur.
7h 41 minutes. Atterrissage réussi. La porte s’ouvre. Les journalistes descendent en premier. Le ministre est dernier à descendre, crépitements des appareils. Bousculades des caméras. C’est le protocole d’usage. Des militaires partout. Fin du protocole. On se disperse, chacun accoure pour embarquer dans le premier véhicule militaire disponible destination la résidence du préfet. Je réussis à monter dans une des camionnettes. Le chauffeur roulait à grande vitesse. Les quelques minutes de route sont devenues un enfer. Il fallait s’accrocher sinon on peut facilement être éjecté du véhicule. Je me suis agrippé aux miliaires et à une roue de secours jeté au milieu de la caisse arrière. Le travail au terrain a commencé. Le journaliste est aussi un soldat, mais un soldat de l’information.
Bello Bakary Mana