J’écris cette chronique comme journaliste, mais aussi comme Peul. Pourquoi? Pour lever le voile sur les souffrances des miens, les Peuls nomades et éleveurs. Pour sensibiliser le public tchadien, le monde et les autorités. Enfin, je l’écris pour exprimer mon ras-le-bol. Comme l’a si bien dit un ami, « les éleveurs sont doublement victimes : d’un côté, ils sont victimes des exactions. Et de l’autre, ils sont présentés systématiquement comme des fauteurs de trouble »…
Contexte : j’ai vu une vidéo poignante d’une femme peule qui demande au président de transition (PT) Mahamat Idriss Deby de voler au secours des éleveurs peuls afin d’arrêter les exactions dont ils sont victimes depuis la mort du Maréchal président Idriss Deby Itno. Cette vidéo est révoltante, mais de pareils abus n’émeuvent plus personne au pays. Il me semble qu’une bonne partie de nous, Tchadiens, avons perdus le sens de l’indignation.
La dame précise qu’en cette période de chasse aux votes (allusion au futur référendum), il faudra que le PT dise aux militaires véreux, aux administrateurs indélicats (préfets, sous-préfets, gouverneurs) et à certains citoyens malhonnêtes d’arrêter de faire des éleveurs peuls une machine à cracher des billets de banque. Subtilement, elle demande donc de troquer le vote des éleveurs peuls nomades contre leur sécurité.
Il faut le dire, le redire que ces exactions sont connues de tous, mais personne ne veut trouver de solution. Parce que plusieurs en tirent profit. Les nomades peuls sont finalement victimes des règles du code de conduite peul, « le Pulaaku » qui est un ensemble de valeurs peules.
Voici en vrac quelques-unes : « le mougnal », (patience, réserve) ou le « sabourr » en arabe tchadien. Le « semteèndé » (honte, pudeur), le « hakkilo » (la réflexion, agir avec intelligence), le « neddhaaku » (dignité, amour propre), etc. Dans cette communauté, quoiqu’il arrive, il faut se comporter en Peul. Il faut avoir ces principes chevillés au corps.
J’ai l’habitude lorsque je discute avec les membres de la communauté de leur dire « ce fameux code nous perdra dans ce pays ».
A ce code, il faut ajouter, par exemple, l’interdiction de mendier. Il m’arrive d’échanger dans les rues de la capitale, N’Djamena, avec de jeunes dames, des adolescents de plus en plus nombreux, en leur demandant pourquoi ils s’adonnent à la mendicité ? Savent-ils que c’est une pratique interdite par la communauté? Ils me répondent invariablement, « nous avons perdu notre bétail. C’est honteux, mais c’est mieux que d’aller voler ». Mon cœur se serre. Je vide mes poches, baisse la tête et je disparais honteux dans la nature.
Un jour dans un camp de nomades peuls lors d’une causerie, un parent me lance, « sais-tu quelle est la seconde ressource du Tchad après le pétrole? »
Moi : « L’or »
Lui : « Non. Le Peul éleveur et nomade »
Moi : « Arrête, tu exagères »
Lui : « Non. Partout dans ce pays, les éleveurs peuls souffrent. On spolie leurs richesses à cause de leur bétail ».
J’étais surpris et bouche bée. Il finit par me lâcher, avec pudeur, « parlons d’autres choses. Comme tu es journaliste, le jour où tu voudras écrire un livre sur ces exactions, j’ai des tonnes d’histoires à te raconter ».
Cette vidéo a réveillé en moi un sentiment de ras-le-bol. Tout pour les autres, rien pour l’éleveur nomade. Cet éleveur sans village fixe. Cet éleveur qui erre dans la brousse est aussi un citoyen à part entière comme cet agriculteur fixé dans son terroir. Et qui se plaint à longueur d’année de l’éleveur. Comme ce militaire qui traque à la grandeur du pays l’éleveur. Comme cet administrateur civil qui ne cesse de faire les poches de l’éleveur. Dans ce vaste pays, l’éleveur est caricaturé, vilipendé, qualifié de trafiquant, de coupeur de route, de brigand. Traîné dans la boue par une certaine presse comme le vilain citoyen. Que cela cesse.
Enfin, dans la vidéo cette dame a pris la parole en mettant de côté le « Pullaaku », signe que c’est trop. Elle est meurtrie dans son être en violant le Pulaaku. Surtout qu’elle est une femme issue d’un milieu conservateur. M. le PT, il est temps de s’occuper aussi des éleveurs peuls avant que cela ne soi « un problème peul ». Écoutez cet appel. Et prenez des mesures pour stopper ces exactions. C’est notre patrimoine commun qui disparaîtra si rien n’est fait.
Bello Bakary Mana