J’ai levé un peu les pieds sur mes chroniques hebdomadaires, happé par d’autres choses de la vie. Je suis de retour. Et l’actualité, comme journaliste, m’offre une panoplie de sujets, j’ai l’embarras de choix. J’ai choisi le volet de l’intrigante affaire Savannah.
Première phase. Le Tchad décide de nationaliser les actifs de Savannah Energy. Une décision qui est tombée comme un cheveu dans la soupe alors que, « la nébuleuse Savannah », selon l’expression du ministre d’État, secrétaire général de la présidence (SGP) Gali Gata N’gothé, a acquis la part de Esso Exxoon Mobil depuis plus d’1 an.
Je me suis alors interrogé sur le silence du gouvernement depuis tout ce temps. Pourquoi avoir été silencieux si longtemps? Qu’est ce qui a mal tourné? Pourquoi ce décret précipité de nationalisation ? Les autorités ne devraient-elles pas, dans un premier temps, expliquer publiquement dans une conférence de presse ce qui se passe? Et ensuite, dans un deuxième temps, lancer le débat au Conseil national de transition (CNT), donner les détails aux médias et laisser les citoyens s’emparer du sujet. Non. Elles ont fait le contraire: décret d’abord et par la suite les conseillers ont craché leurs venins sur Esso et Savannah sans avoir les détails.
Deuxième phase. Le SGP intervient en direct au journal de 20h. Il fustige le Cameroun, mais n’explique pas les zones d’ombres. En fait, selon mes investigations, le Cameroun dans le projet pipeline a droit à 5% sur le droit de passage. Pas plus. Ces 5% ont été une manne financière pour nos voisins. Ils en sont trop contents. Et tant mieux pour eux. Ils en ont tellement profité que désormais par un micmac orchestré par Savannah, le Cameroun a racheté 10% des parts de Savannah dans l’exploitation du pétrole. En français facile cela veut dire que le Cameroun par le truchement de Savannah, a 10% de notre pétrole. Chose inconcevable, inacceptable pour le Tchad.
Cette attitude prédatrice peut s’expliquer par la légèreté historique des autorités tchadiennes. Pour la petite histoire, après la mort du premier président tchadien, N’garta Tombalbaye, les autorités ne se sont jamais intéressées aux intérêts tchadiens au Cameroun mise à part le fret.
J’ai des exemples en guise d’anecdote pour vous sur les manœuvres prédatrices et historiques de l’État du Cameroun sur notre pays.
Un jour, j’ai rendu visite à un oncle, grand commis de l’État tchadien, plusieurs fois ministres. A chaque fois que j’échange avec lui c’est un régal. Dans la discussion, il me révèle 3 exemples où des intérêts tchadiens dont été détournés par le Cameroun alors que les Tchadiens étaient occupés à se faire la guerre.
Premier exemple, le Tchad a des intérêts dans la cimenterie du Cameroun, la fameuse Cimencam. Intrigué, je lui demande de m’expliquer. Il m’explique avec un calme Peul qui lui sied, en soutenant que le défunt président avait pris des parts dans la Cimencam afin que le ciment coûte moins cher aux Tchadiens. Et c’est avec ce ciment que l’ancien bâtiment du ministère des Affaires Étrangères ou BPN a été construit, l’hôpital Central ou de référence de N’Djamena a été bâti, si je ne m’abuse. Et depuis l’éclatement de la guerre civile au Tchad, le Cameroun a fait main basse sur ces parts. Stupéfait je lui demande.
Moi : Il n’y a pas des documents?
Lui : Avec la guerre, on les a perdu
Moi : Les Camerounais doivent avoir des copies, il faudra le leur demander. Non?
Lui : Oui mais quels intérêts ils auront en nous les remettant, c’est tant pis pour nous.
Deuxième exemple, le barrage de Lagdo, un lac artificiel d’une superficie de 586 kilomètres carrés, dans la région de la Benoué au nord Cameroun. Il a été construit pendant que le Tchad était en guerre, en drainant les eaux du fleuve Logone sans l’accord du Tchad. Aujourd’hui, le Cameroun s’en enorgueillit d’avoir un lac poissonneux. Oui, mais sur le dos des intérêts en affaiblissant le Logone.
Troisième exemple, la décortiqueuse de Bongor, non loin de la rive camerounaise de la ville de Yagoua, les pièces ont été volées morceau par morceau et vendues aux dirigeants de la Société d’Expansion et de la Modernisation de la Riziculture de Yagoua (Semry), qui avait le même modèle de décortiqueuse. C’était aussi pendant les guerres fratricides tchadiennes que le Cameroun a profité pour voler le Tchad.
Je l’ai religieusement écouté avant de lui poser la question sur le silence des autorités tchadiennes sur ces méfaits, il me regarde froidement et dit, « l’État s’est peu à peu affaissé au Tchad, les responsables sont obsédés par d’autres choses. Les vieux dossiers ne les intéressent pas. À l’époque, le défunt Hissène Habré s’était intéressé à ces questions, mais il n’a pas eu le temps ».
Moi : Et le Maréchal Deby Itno savait?
Lui : Oui, je pense, sous toutes réserves.
Moi : Pourquoi n’a-t-il pas agi?
Lui : Ah! Je ne sais pas…mais fort probablement il aurait estimé que cela ne valait pas la peine, soit que le moment viendra ou même mais que lui ne le fera. J’interprète, lâche-t-il…Bref, ou alors il avait peut-être d’autres combats à mener.
J’étais abasourdi…
Je vous raconte toutes ces anecdotes pour vous dire que les autorités de la transition ont raison de refuser l’entrée du Cameroun dans la production pétrolière. Le pétrole est Tchadien, s’il y a 10% des parts de Savannah à vendre, c’est au Tchad, en premier, que la proposition devrait faite, non pas au Cameroun. La seule explication plausible ce que le Cameroun tente de faire main basse, par ce subterfuge, des 10% du pétrole tchadien. Il a pris goût à sa vieille methode qui lui a jusqu’à là bien réussie. Il faudra une bonne dispute pour être des bons voisins, dit-on. Le Tchad est peut-être enclavé, mais ce n’est pas une raison pour nous « faire nos puits comme si les Tchadiens sont des M’boutoukou (cons) ».
Bello Bakary Mana