Dans quelques deux mois se dérouleront les prochaines élections présidentielles tchadiennes. Et comme à l'accoutumée, tous les acteurs sont en train de se réveiller, l'un après l'autre, pour faire entendre leurs voix ensommeillées et profondément en des-écho avec le quotidien. Bien que nous y soyons déjà habitues, cela ne manque pas de nous irriter. Plus personne n'est surpris, sauf bien entendu les quelques rares personnes qui viennent de se forger une espèce de conscience politique.
Ce qui est surprenant dans le discours des soi-disant acteurs et observateurs (étranges personnages qui disent agir pour nous à distance depuis les fenêtres de leurs appartements parisiens ou new-yorkais – ça frise la sorcellerie comme auraient dit mes amis camerounais), c'est la récurrence des idées, des concepts et des postures. Des phrases vieillottes, des postures entièrement inadaptées, des stratégies désuètes. A croire que les hommes politiques, les associations et les observateurs de la vie de notre pays vivent hors du temps.
Massalbaye Ténébaye et Delphine Kemneloum se réveillent et nous resservent une veille idée de pacte pour la paix ! La CPCDC (désolé je ne connais pas le sigle exact de ce groupuscule de personnes dispersées entre Paris et Washington et qui ne semblent être connus que des lecteurs de ialtchad) se cramponnent à des stratégies que l'Actus de Fidel Moungar à l'époque a testé sans succès. Beaucoup d'étudiants, longtemps endormis, se réveillent subitement et se rendant compte de leur situation de « perdus dans les vastes étendues américano-canadiennes ou sur les bords de la Seine », reviennent nous servir des analyses académico-intellectuelles sensées éclairer notre compréhension de la politique de notre pays. Certains encore, se demandant comment se faire connaître, vont jusqu'à vouloir jouer au révisionniste (mais sans la classe et le talent qui fait d'un révisionniste quelqu'un de dangereux - d'où je recommanderai simplement aux familles et aux associations des victimes de Habré de ne pas se laisser impressionner par monsieur Assilec Halata ; il n'a ni la carrure ni l'intelligence d'une personne capable de déformer la vérité) certainement en vue d'un positionnement politique prochain. Bref, que de litanies et de discours ennuyeux et qui sont devenus à la longue énervants.
À part les articles de Ahmed Lyadish et de Enoch Djondang que je trouve osé en ces temps difficiles, la plupart des commentateurs restent décevants. La plupart des positions sur les futures élections ne sont ni opératoires ni spectaculaires. Quand Delphine Kemneloum coordonnatrice du Comité pour la Paix au Tchad déclare qu'aller aux élections maintenant empirerait la situation, je me dis que l'adresse postale de cette dame doit être Jupiter ou Pluton. La situation ne va pas empirer. Elle n'a jamais été aussi pire. Et ce n'est pas le fait d'aller aux élections qui la rendrait encore plus dramatique. Massalbaye Tenebaye, président de la LTDH, Delphine Kemneloum, Soubiane, la CDPDC et l'ensemble des poltrons politiques et associatifs qui les peuplent doivent arrêter de vouloir partager avec nous de cette façon grossière leurs peurs du quotidien, leurs fantasmes aussi. Nous avons nos propres peurs et nous les assumons déjà avec beaucoup de difficultés. À N'Djaména, et dans n'importe quelle petite ville du Tchad, personne n'a osé applaudir quand la banque mondiale a décidé de suspendre ses crédits. Qui oserait d'ailleurs ricaner devant la fermeture de la seule boutique encore capable de faire des prêts dans un quartier ? Sauf bien sur ces quelques personnes que je viens de citer, et qui croient encore que l'avenir se dessine à Paris.
Je crois que nos commentateurs et nos acteurs politiques, nos « élites », devraient simplement revoir leurs copies (ils me rappellent nos bons vieux professeurs de la faculté d'Ardep-Djouml, qui relisaient les mêmes cours dix années durant) avant de nous les resservir les prochaines semaines. Nous voulons du neuf. Nous attendons d'eux de l'espoir et non de la fuite. Nous attendons d'eux des positions fermes et pas des déclarations lâches. Nous attendons d'eux qu'ils nous conduisent et pas qu'ils viennent se cacher à Paris ou derrière nous. Nous attendons d'eux qu'ils se comportent en hommes et en femmes capables de faire face à une situation unique dans l'histoire de notre pays, des hommes et des femmes capables d'assumer ce rôle unique que l'histoire est en train de leur offrir sur un plateau d'argent. Si ce n'est pas cela, qu’ils se taisent donc et nous laissent combattre avec nos armes à nous, qui sont les armes de la résistance quotidienne.
Amine Idriss Adoum