IaltchadTribune

IaltchadTribune (111)

Selon les grands médias, l’Alliance Nationale, principale coalition des forces rebelles tchadiennes (ou « mercenaires » selon), vient de déclarer sa disponibilité de participer à un ‘dialogue inclusif’ avec le pouvoir et les autres acteurs. Nous n’allons plus revenir sur les contours de cette terminologie ‘dialogue inclusif’, car c’est par les faits et les intentions réelles des acteurs publics tchadiens que ce ‘machin’ prendra une forme qualifiable. Nous saisissons cette annonce de la rébellion, survenant après une défaite militaire confirmée à mi-mots, pour analyser là où nous en sommes aujourd’hui dans la difficile quête de la paix. Nous essayerons avec l’indulgence des internautes de résumer les positions des belligérants de la crise tchadienne, au regard seulement des faits avérés, pour voir à quelle distance sommes-nous de la paix.

D’une manière générale, la position des rebelles a toujours connu deux variables.
Quand leurs leaders étaient en négociation en 2007 en Libye, ils avaient dans un premier temps, réclamé la participation des partis politiques et de la société civile comme préalable aux discussions. Par quelle alchimie, quelques temps plus tard, ces mêmes leaders déclarèrent publiquement qu’ils lèvent ce préalable de participation des autres acteurs et que les négociations étaient très avancées, à part quelques petits détails à évacuer. Pour les partis politiques (CPDC, FAR…) et les sociétés civiles qui faisaient de cette participation leur credo, ce fut un vrai coup de poignard dans le dos. Puis les Accords de Syrte furent signés en grande pompe le 25 octobre 2007 et largement diffusés pour la première fois. A ce stade, les tchadiens pouvaient espérer approcher la paix. Malheureusement, la sincérité était absente de toutes ces gesticulations. On ne croit qu’aux armes et ce sera comme ça !

La preuve ? Un mois à peine après Syrte, les rebelles déclarèrent ces accords caducs et les hostilités reprirent de plus bel en fin 2007, pour atteindre leur apogée en février 2008 avec le cauchemar de N’Djaména. L’échec de cette énième tentative de coup de force et la gravité de ses impacts ont fini de convaincre l’opinion que la paix n’est pas pour demain.
Avant de tirer une telle conclusion hâtive, analysons les paramètres, côté rebelle, qui rendront difficile un vrai retour à la paix ou même simplement une ‘paix des braves’ (solution ne concernant que les promoteurs de la main armée). Sans se tromper, la conception de la solution finale, pour la plupart des groupes rebelles, sous-entend les éléments suivants :

-   En priorité, le renversement par tous les moyens du général IDI : il parait inconcevable, pour certains leaders ayant été proches de ce dernier et parents, de revenir comme simple ‘courtier’ à ses pieds (question d’honneur tribal ?) ;

-     A défaut, gagner du temps en obtenant une position politico-militaire dans le système qui permettra d’y arriver tôt ou tard ;

-     Pour cela, un désarmement des milices rebelles parait la pire des bêtises pour ces leaders : ils exigent de rentrer avec leurs forces telles quelle, en considérant que la signature d’un accord les reverse automatiquement, avec armes et bagages, dans les forces gouvernementales. De plus, ils avaient contribué eux-mêmes à cette partition de la force publique en assemblage de forces clanico - tribales, selon les alliances secrètes entre familles dominantes ;

-     Pour les groupes rebelles issus des ethnies ‘délaissées’ du pouvoir FROLINAT, le ralliement et le désarment sont possibles, moyennant quelques compensations avantageuses dans l’Administration et l’armée, ce qui explique la facilité avec laquelle ils finissent par rallier le pouvoir en place ;

-     Les Accords de Syrte n’ont jamais reconnu l’Accord du 13 août 07 comme ‘l’Accord de base’ du règlement du problème tchadien, ce qui veut dire que le suffrage universel qui doit fonder la légitimité de tout pouvoir et de toute autorité, parait encore incompatible avec les intérêts et les visées des rébellions tchadiennes. Aucune d’ailleurs n’a jusqu’ici fait des commentaires sur le contenu de cet accord, ses insuffisances et des propositions concrètes pour le compléter utilement et le renforcer.

En face des rebelles, les partis politiques, tout en réclamant le dialogue inclusif, défendent un autre credo. Ils savent qu’ils sont liés par les textes fondant leur existence et régissant leur fonctionnement. Ils savent que, dans les conditions normales d’un pays démocratique, seuls les partis qui siègent à l’hémicycle ou sont capables de tenir la rue dans une confrontation avec l’autorité en place, sont considérés comme les vrais acteurs politiques. Or, dans notre contexte, peu seraient en mesure de remplir ces critères, même si l’étau sécuritaire et répressif se desserrait. Alors, certains sont partants pour espérer que l’application correcte de l’Accord du 13 août 07 correspondrait aussi à leurs intérêts et à leurs visions du pays. Tandis que d’autres visent tantôt la contribution financière promise de l’Etat en s’agitant dans la mouvance présidentielle, sans rien représenter sur le terrain. D’autres encore, selon la logique de l’opportunisme et de la sournoiserie à la tchadienne, ont les pieds des deux côtés du fossé : le jour, ils sont légalistes dans un camp, la nuit ils espèrent la réussite d’un putsch militaire qui les permettraient de s’allier aux nouveaux maîtres du pays dans le partage du gâteau du pouvoir.

Assis autour d’une table ronde ou carrée, face aux rebelles, la position de certains partis politiques sur certains sujets tels que l’actuel mandat présidentiel, serait fort délicate, au risque d’être considérés comme des partisans des dits putschistes. Or, c’est ce qu’espèrent certains des leaders rebelles pour qui la cohabitation avec IDI pour quelques temps légaux encore serait pire qu’une prison !
Maintenant, voyons le côté des sociétés civiles. Le risque le plus évident pour ces activistes est de se faire piéger sur un terrain où les intérêts et la loi de la jungle justifient l’acharnement et les coups fourrés. La société civile ne peut que défendre des règles du jeu claires et sincères. Elle ne peut pas transiger sur des questions inévitables, telles que les crimes politiques, la responsabilité des conflits intercommunautaires, les causes des injustices socio - professionnelles, le caractère impersonnel et non appropriable de la fonction publique, etc… Si elle a le courage de faire de ces points son credo, elle risquerait d’être l’ennemie la plus coriace des autres acteurs publics, principalement tous ceux qui défendent la légitimité de la main armée et de « ses acquis ».  Alors, on peut bien s’interroger sur ce qu’espère la société civile dans des discussions creuses et virulentes qui tourneront quasi-exclusivement sur les attaques de personnes et/ou de clans rivaux autour de la question du pouvoir ? Les réconcilier sur quoi et contre qui ? L’Etat de droit ? La démocratie pluraliste ? Le suffrage universel direct, transparent et incontestable ? Au regard des enjeux, il importe que la société civile cadre préalablement et rigoureusement sa participation à des rounds politiques, au risque que la naïveté et l’inexpérience de certains de ses leaders ne la piège et ne la discrédite durablement.

Du côté du pouvoir et du gouvernement, les tentatives de coup de force des rébellions, depuis au moins les Accords de Syrte, ont fournis une argumentation en béton pour mettre le tout sécuritaire en priorité.
En effet, il n’est aucun régime si menacé par ses opposants, qui accepte gentiment de se faire « hara kiri ». Les actions rebelles, ayant de surcroît échoué plusieurs fois, ont conduit les partenaires extérieurs et même un peu plus d’opinion publique intérieure, à opter pour la sécurité et la stabilité, en d’autres termes faire avec le pouvoir en place, devant l’inconnue lourde en incertitudes. Les partisans de la rébellion armée, actifs sur le Net, devraient prendre en compte cette donne qui va croissante en audience. Les gens en ont marre d’être réduits, avec leurs familles, à fuir ou à se tapir sous leurs lits, dans l’attente que des frères ennemis règles leurs comptes qui semblent ne pas concerner tout le monde. Pourquoi le citoyen lambda en est arrivé à cette attitude ? La réflexion n’est pas exclusive, pourvu qu’elle soit objective. Il est rare, dans l’histoire des peuples, que l’état d’esprit des populations soit plutôt de fuir devant l’avancée des « éventuels libérateurs ». La relecture objective des évènements de février dernier s’impose !

Le sentiment frustrant d’être pris dans l’étau soudanais, malgré la gravité de nos problèmes intérieurs, renforce davantage cette défiance populaire face à l’inconnue des aventures politico-militaires. L’autre revers des tentatives de coup de force des rebelles, c’est le risque de la crispation du pouvoir dans la perspective des prochaines consultations électorales. Car non seulement elles risqueraient d’être hypothétiques, dans l’impossibilité de réaliser de vrais recensements dans un climat de guéguerre permanente, mais elles arriveraient à échéance sans que l’opposition civile n’ait eu le temps de se préparer, à cause de la guerre cyclique. Gageons que la saison des pluies soit mise à profit par les démocrates pour reprendre la main sur les « mains armées », sinon on tournera en rond !

La dimension personnelle et clanique est essentielle dans les atermoiements de tout processus de normalisation. Nous avions dit plus haut que le désarmement effectif des forces rebelles, avant ralliement, leur paraissait inacceptable dans leurs perspectives secrètes. Il y aurait d’autres raisons plus sociologiques à cela : la vendetta ! Cette barbarie d’un autre âge qui a fini par s’imposer dans la vie publique tchadienne, comme la tradition albanaise de la vengeance, empêche ses promoteurs de concevoir une vie normale où la sécurité, l’intégrité physique et la quiétude seraient simplement assurées par les services sécuritaires de l’Etat sans exclusif. La masse des crimes de sang commis de sang-froid et non jugés, les codes d’honneur violés à l’occasion des représailles sur le terrain des affrontements fratricides (viols, vols aggravés à main armée, assassinats, massacres intercommunautaires) rendent difficile l’acceptation d’un désarmement social général. Tandis que, à l’exemple tragique du leader de l’ex-rébellion FUC rallié, il serait désormais inacceptable pour le général IDI de permettre à des ‘Robin des Bois’ de faire la parade à N’Djaména devant les portes du palais rose avec leurs Toyota et leurs sbires armés jusqu’aux dents, sous- couvert d’accords de réconciliation. Les grandes tranchées et le dispositif défensif de la ville en témoignent amplement. Alors, quelle sera l’alternative pour les leaders les plus coriaces de la rébellion armée ? Pourront-ils supporter la mésaventure de Jean-Pierre Bemba ou de Mahamat Nour Abdelkérim ? Accepteront –ils l’exil et la renonciation en échange de la paix ?

En conclusion, au regard de tout ce qui précède, on est loin d’espérer un retour imminent de la paix, surtout que certains acteurs sont habitués à cette situation de chaos permanent depuis leur jeunesse.
Ils pourront persister aussi longtemps que le destin n’en décide autrement, peu importe le prix pour les tchadiens ! Tant que les parrains extérieurs peuvent tirer leurs profits de cette sale guerre, tant que la majorité silencieuse et ses élites démissionnaires se camperont dans la peur et la fatalité, tant que l’argent nerf de la guerre coulera à flot pour soutenir les conflits au détriments des impératifs de développement et de lutte contre la pauvreté, les tchadiens doivent accepter de vivre l’enfer comme leur lot et leur mérite collectif !

Quelqu’un avait écrit sur le Net : « Que valent plus ces révolutionnaires que le défunt Néhémie dans la dénonciation de l’injustice ? ». Tentative de réponse : mon ami Néhémie était précurseur d’un Tchad Nouveau qui est encore à l’état de fœtus dans l’esprit de ses compatriotes, donc trop en avance sur le temps. C’est peut-être aussi notre malheur commun, les amis de Néhémie, de Béhidi, de Dr Ibni et de ceux qui tiennent encore le nez hors des eaux boueuses et puantes du pays de Toumaï le troglodyte et des Sao ?

Enoch DJONDANG

Le VIe Congrès ordinaire de la Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme (LTDH) devait se tenir ce mois de février 2008 à Abéché, la capitale historique et politique du Nord-Est du Tchad. Ce choix de lieu avait été décidé au congrès précédent tenu à N’Djaména. Un congrès, c’est l’occasion pour une organisation de faire le point sur son bilan, sur le contexte environnemental, se définir de nouvelles orientations et se doter d’une nouvelle direction. La LTDH, créée par le Manifeste du 15 février 1991 à N’Djaména, est la première organisation associative des droits humains au Tchad.

Elle était une organisation mythique pour les Tchadiens pour plusieurs raisons :

-     Elle était créée dans un contexte encore marquée par la peur au sortir d’une dictature féroce, celle de Hissène Habré ;

-     Elle apportait un concept nouveau d’humanisation de la société tchadienne et faisait du respect du droit du citoyen un élément central de son combat ;

-      Elle s’était fondée sur une base pluraliste reflétant réellement la diversité nationale : parmi la centaine des premiers membres fondateurs, il y avait toutes les sensibilités régionales et politiques, même des cadres du parti au pouvoir MPS ;

-     Dès le départ, elle avait mis la barre de la lutte très haute, en consentant de grands sacrifices dans un contexte de violences criminelles terrifiantes : un an seulement après sa création et le jour même de son premier anniversaire le 16 février 1992, son Vice-président l’avocat BEHIDI Joseph fut lâchement assassiné par des professionnels du crime. Par la suite, certains de ses militants payeront cher leur engagement à travers le pays ;

-     La LTDH avait acquiert par sa détermination une capacité d’agir sur l’ensemble du territoire, jusqu’aux coins reculés et oubliés comme le Tibesti : que des violations massives des droits humains se passent au fin fond du Ouaddaï, du Sud ou du Lac Tchad, elle relevait le défi de la dénonciation et de la gestion de crise ;

-     La LTDH avait aussi risqué gros dans des cas difficiles comme Ninguilim au Ouaddaï, les 300 Goranes déportés du Nigeria, les évènements du 13 octobre 1991 (Affaire Hadjéraï), la dure répression dans le Sud, etc. Elle avait même démontré sa notoriété en défendant le cas des compagnons arrêtés de feu Abbas Koty, ce qui à l’époque n’était pas du goût d’une certaine opinion très remontée contre le Clan au pouvoir ;

-     En dehors de ce combat de la protection quotidienne des droits des citoyens, la LTDH avait formé plus d’un millier de citoyens de toute provenance sociale, professionnelle et religieuse. Par exemple, elle avait participé à la formation en droits humains et droit humanitaire de nombre de promotions de gendarmes tchadiens, d’agents d’exécution des lois, d’autorités administratives et militaires et d’autres sociétés civiles.

-      À l’actif de la LTDH, des mémorandums, des rapports annuels sur l’état des droits humains, des rapports d’enquêtes de bonne facture, ainsi que des outils pédagogiques de sensibilisation et de formation.

C’est dire que cette organisation occupe encore et toujours une place affective dans la plupart des milieux. Posséder une carte de la LTDH avait été salutaire à de nombreux voyageurs sur les routes hantées par les vrais faux malfaiteurs de notre pays.

Malheureusement, comme nous sommes au Tchad, les maux et virus qui minent et qui ruinent tous les espoirs naissants dans notre pays, sont aussi passés par les couloirs de la LTDH. Aujourd’hui, elle n’est que l’ombre d’elle-même. De nombreux militants et membres fondateurs ne cessent de nous interpeller, en tant que Président fondateur, sur l’appréciation critique qu’ils se font du déclin irrésistible de leur organisation. Car la LTDH n’appartient et n’appartiendra à personne en propre. Elle n’a pas été créée pour servir des intérêts et penchants mondains des uns ou servir de strapontin de positionnement pour les autres. Elle ne peut être au service de réflexes tribalistes, régionalistes ou partisans inavoués. Si l’on en est arrivé là, c’est le développement d’un mal endogène lié aux contradictions et aux antagonismes internes de notre société tchadienne. Ce mal qui veut que tout soit régionalisé, partitionné, dévié de l’initial, pour s’adapter à la petitesse des individus. Je passe sur les voies et moyens utilisés à ces fins honteux, que vous connaissez tous pour le vivre à ciel grand ouvert à tous les niveaux de pouvoir social au Tchad.

Aujourd’hui, si je suis obligé de prendre la plume pour battre le rappel des militants de la LTDH, c’est que l’heure est grave et qu’il faut que le VIe Congrès sorte notre organisation de la faillite. L’état des droits humains a dépassé les limites du tolérable. Il y a des régions où, sans exagérer, la vie n’est pas loin de l’état primitif et sauvage de l’humanité. Cette situation ne saurait être tolérée que si les acquis de notre lutte n’avaient pas existé. Aujourd’hui, la LTDH dispose d’un réseau intérieur incroyable de militants qu’elle n’utilise plus : ils sont partout, dans toutes les institutions de l’Etat, civiles, militaires, sécuritaires. Il y en a parmi les rébellions armées, les oppositions politiques. Beaucoup s’interrogent et attendent à quand leur organisation retrouvera ses marques de noblesse ? Ce n’est pas pour la gloriole d’un individu ou d’un groupe de potes, mais pour un Tchad débarrassé de l’oppression, de la négation de la valeur de l’humain et de la vie. Ce n’est pas pour se positionner politiquement mais pour bien rappeler aux acteurs publics en mal de pouvoir les gardes fous, les limites à ne pas franchir.

Si aujourd’hui l’opinion internationale ne voit que des hommes de violence, des voyous, des aventuriers comme identité commune à tous les Tchadiens, c’est parce que la défaillance des défenseurs des droits humains se fait de plus en plus sentir. Il y en a pourtant qui continuent de se battre dans leur coin courageusement, mais que peuvent-ils seuls contre un système monstrueux qui enfle chaque jour un peu plus, en se nourrissant de la déchéance des élites ?

D’autre part, toute organisation doit s’adapter au contexte stratégique du moment. Après avoir oscillé durant plusieurs années entre le Sud et certaines parties du grand Nord, le centre de gravité des violations massives et systématiques des droits humains s’est focalisé pour une longue période dans la partie Nord-Est du pays. C’est là que devraient prioritairement être orientées nos actions, sans négliger le reste. Quand la donne évolue ainsi, l’organisation devrait aussi s’y adapter. Nous avons besoin de reconstruire et de consolider des bases militantes solides et intégrées dans les parties les plus sensibles actuelles du territoire national, dont principalement le Nord-Est.

La LTDH ne peut se donner autres priorités au risque qu’il s’agisse d’une déviance de nos traditions de lutte et d’engagement. L’esprit du mouvement associatif et la conscience citoyenne devraient désormais être promus dans ces contrées du Nord abandonnées à la barbarie et aux tourments de toutes sortes. Si vous convenez avec moi qu’il devrait en être ainsi, les militants de la LTDH où qu’ils soient devraient faire un plaidoyer interne et social pour que l’organisation retrouve force, légitimité et cohésion pour se remettre en ordre de bataille. Les hommes de valeurs ne manquent pas pour être les moteurs de ce réveil salutaire.

Par exemple, il serait raisonnable que le Congrès reporté d’Abéché porte à la tête de la LTDH quelqu’un de reconnu pour son engagement, son ancienneté et son intégrité dans le combat mené, surtout connaissant et maîtrisant mieux la problématique humanitaire gravissime de l’Est. Le camarade Abdelkérim, président de la Fédération LTDH du Ouddaï- Biltine répondrait bien à ce profil. De plus, ce militant a une vision vraiment nationale de la lutte et l’as souvent démontré. Au moment où il faille mettre un terme aux griefs répétés de nos militants originaires du Nord et d’autres régions marginalisées dans les actions, ce sera un signal fort du Congrès à l’opinion et aux partenaires. Le fait de résider en quasi-permanence à Adré n’a pas vraiment d’incidence sur cette option Abdelkérim. Les moyens modernes actuels et la dernière réforme interne de la LTDH responsabilisant les présidents de fédérations et renforçant le Secrétariat permanent du siège national le permettent : il faut simplement les hommes qu’il faut !

La LTDH est une machine complexe, délicate et sensible. Sa gestion interne et quotidienne, ses rapports tant avec ses membres qu’avec le grand public et les partenaires stratégiques, financiers et politiques devraient être confiés à des mains expertes. Car c’est là que pourraient se former les contreperformances. Il n’y a pas de meilleur profil actuellement que le camarade Eric Dessandé ! Membre fondateur, sa forte personnalité ; ses talents de gestionnaire et d’animateur pointilleux font de lui l’homme qu’il faut pour reprendre en main la direction technique de la LTDH, en qualité de Secrétaire Général Exécutif. Nous sommes sûrs qu’il saura refaire du siège de notre organisation cet endroit sacré de refuge de plus d’un désolé de ce pays malade.

Je tiens à préciser ici que je n’ai contacté ni Abdelkérim ni Eric et que je procède dans la plus grande transparence par le Net, car la LTDH est un nerf vital de notre pays. Je ne le fais pas non plus par calcul, je n’y gagnerai rien de particulier sinon que je voudrai voir le Manifeste pour une Société de droit au Tchad, acte fondateur de notre lutte commune, reprendre sa place dans la vie de la LTDH et de tous ses militants où qu’ils se trouvent. C’est aussi mon devoir en tant que Président fondateur. Nous devons rester fidèles à cet engagement qui est plus noble que toutes les autres causes qui se disputent tragiquement l’espace de notre pays et notre peuple !

Et je suis convaincu que si la LTDH et les organisations qui ont été les piliers de notre processus démocratique se ressourçaient, le spectre du chaos permanent qui est en train de pousser à l’exil des milliers de nos compatriotes, surtout avec février 2008, sera brisé. Il n’est aucune force opposée au progrès moral et social qui pourrait résister indéfiniment et impunément ! J’invite donc les camarades militants de la LTDH de sortir de leur silence ou découragement pour adresser des messages d’encouragements, des critiques objectives et des suggestions à leur organisation à l’adresse suivante, pour un tournant historique avec le Vie Congrès ordinaire à Abéché !

Enoch DJONDANG
Ancien Président fondateur

Tout tchadien soucieux de son pays et de son avenir, a suivi avec inquiétude et amertume, les derniers événements du 02 février 2008 qui se sont dramatiquement déroulés dans notre pays, causant  des pertes humaines parmi les civils, des blessures graves, des dégâts matériels considérables, toute en obligeant des milliers des civils à quitter leurs âtres vers d’autres endroits, à la recherche d’une paix qui devient de plus en plus impossible dans ce vaste pays, ayant quelques fils dont les cœurs semblent être plus restreints pour une cœxistence pacifique. Mais au-delà de tout ce malheur dont le peuple tchadien est la première et dernière victime, Nous devons nous penchons sur les issues qui pourraient un jour nous aider à stabiliser ce pays tant ravagé par des guerres calamiteuses durant plus de quarante ans, empruntant toujours la même voie qui n’arrangera ni le pays, ni son peuple. 

Je pense qu’il est temps que l’élite politico-militaire tchadienne ,prenne  conscience que cette patrie ne mérite pas cette situation de non-paix, non-guerre ,tout en mettant en considération que ce qui se passe et ce passera, n’est pas une fatalité, mais plutôt une situation montée de toutes pièces par certains fils du Tchad, aux yeux desquels, le pouvoir est une fin et non pas un moyen de gérer le pays, bâtir une nation solide débarrassée de haine et d’égoïsme, faire du Tchad un pays de droit…et j’en passe. Conséquences : le pays se déchire et s’engouffre dans un bourbier politico-militaire, bourré de banalités ethnico-claniques, mécontentements des uns envers les autres, règlements des comptes, etc. Tout cela au détriment de tout un peuple meurtri par des longues querelles dévastatrices, qui n’ont rien apporté comme remède à une crise qui rappelons-la était au début entre soi-disant Sudistes et Nordistes, avant de faire son virage historique vers le Nord qui n’arrive pas à s’en débarrasser.

La nouvelle source du mal 
Ceux qui connaissent l’Histoire du Tchad remarquent aisément que cette ancienne-nouvelle situation qui prévaut au pays, n’est qu’une série continuelle de notre passée sombre, ajoutons à cela un nouvel élément qui vient  se figurer sur la  longue liste des causes à l’origine de cet interminable crise, à savoir l’Or noir qui, au lieu d’être une bénédiction pour ce malheureux peuple, est devenu l’une des principales sources du mal tchadien.si donc les uns et les autres continuent à se battre pour présider les tchadiens seulement, ce pays ne connaîtra jamais la paix et la stabilité, deux éléments sine qua non pour toute démarche vers le développement et le progrès.

Monsieur le Président de la République
Vous connaissez comme tout le monde que certains régimes africains, le Tchad inclus, avaient plus ou moins utilisé la fameuse méthode militaire pour régler à la racine les différends politiques qui les opposaient à certaines forces rebelles, mais finalement aucun de ces régimes n’a pu voir ce cher rêve se concrétiser.au contraire, ladite méthode était souvent la cause principale de leurs effondrement face à des insurrections, Rebellions, coup d’Etat, révoltes…je vous laisse le choix de les qualifier. Un exemple parmi d’autres : l’ex chef d’Etat somalien Mohamed Siad Barré n’avait-il pas adopté l’option militaire pour remédier les maux politico-sociales de son pays durant presque trois décennies, sans pour autant atteindre cet objectif, laissant finalement son pays dans l’actuelle impasse que tout le monde connait. Concernant le Tchad, après votre arrivée au pouvoir pour but de libérer le peuple Tchadien de la Dictature, et d’instaurer ensuite une Démocratie réelle, tous les tchadiens ou presque, avaient souhaité avec optimisme la morte définitive du malheur politique tchadien. Vraisemblablement, ce n’est pas le cas, ne serait-ce que dans la donne actuelle des choses qui se caractérise par une série d’affrontements militaires et une stabilité invisible. Tout cela, à mon humble avis, nous amène vers une évidence selon laquelle le choix militaire peut résoudre une crise temporairement, mais jamais définitivement et que seul  un dialogue politique sérieux, inclusif et sincère, peut sauver le Tchad de son chavirage, car, nous ne sommes pas les premiers à  emprunter cette voie pacifique, et ne sommes non plus les premiers à avoir des crises en Afrique, puisque il y a des pays qui ont connu des crises plus dramatiques que les nôtres (Rwanda, Burundi, Liberia, etc.) et sont finalement parvenus à résoudre leurs crises, pas via des dialogues des sourds se contentant à partager un morceau de gâteau appartenant à tout un peuple, mais grâce à un  dialogue sincère et nationaliste. Ces vifs exemples nous prouvent qu’il n’y a pas de nation sans contradiction, cette dernière est l’essence même de la vie, comme le disait feu Ahmed Sékou Touré. J’aimerai bien, mon Président que vous reconnaîtriez l’existence d’une crise multiforme au pays, dont les solutions ne sont pas forcément militaires et ne sont non plus impossibles, si les uns et les autres décident sincèrement un jour de s’inspirer d’expériences d’autrui en matière de règlement pacifique des crises. Tout en divorçant cet égoïsme politique.

Messieurs les opposants politico-militaires
Je ne trouve pas intéressant de douter sur vos causes, ni de les qualifier de quoi que ce soit, je laisse cela à chaque tchadien conscient de juger ce qu’il voit. l’important pour moi en tant que jeune tchadien c’est la paix, la stabilité et la concrétisation des aspirations de la jeunesse tchadienne, voire de tous les tchadiens sur la terre tchadienne qui nous est tous chère et qui comme vous le savez a beaucoup souffert et risque de souffrir encore, si nos dirigeants politiques  n’abandonnent pas cette  sombre voie militaire qui n’a jamais réglé définitivement les choses, soit au Tchad soit ailleurs, nous avons vu  la venue de plusieurs formations politico-militaires au pouvoir scandant des nobles slogans comme : la libération du peuple, l’instauration de le Démocratie, d’une Justice libre, et la liste peut s’allonger. Mais en fin de compte rien ne se réalise en ce sens. Conséquence : le peuple concerné par ce changement ne s’adhère plus à cette thèse qu’il l’avait essayée suffisamment. Pis, la vive mémoire de ce peuple garde toujours les mauvais souvenirs du choix militaire qui a prouvé, jusqu’à ce que le contraire soit prouvé, son échec total à ramener la stabilité et la paix dans un pays qui n’est pas encore en mesure de faire un miracle à la Mauritanienne. Bref, que Monsieur X s’empare du pouvoir, en évinçant Monsieur Y, à cause de ses milles et un défaut, est une chose et garantir aux autres que ce changement ne sera pas un simple changement de façade comme, en est une autre. Essayez donc Messieurs de nous chercher d’autres alternatives politiques qui pourraient nous faire sortir de ce vicieux cercle.

Les issues verrouillées de la crise
Je suis persuadé que  les deux parties, à savoir oppositions politico-militaires et l’actuel régime conduit par le Président Idriss Deby Itno, détiennent les clefs des portails qui nous mènent  vers des heureuses issues politiques, il suffit donc qu’ils les utilisent, au lieu de tenter vainement à forcer des serrures bien codées, qui ne deviennent franchissables qu’en  introduisant les clés, accompagnées au même moment des mots de passe suivants :

- le Tchad est une chose, l’appartenance, régionale, ethnique et clanique en est une autre ;

- Renoncez à l’option militaire ;

- Instaurer une Démocratie réelle et non de façade ;

- Écartez le pays de certaines banalités ethnico- claniques;

- Débarrassez-vous de cette illégale et cupide ruée vers la présidence ;

- Bannir le maintien à tout prix du pouvoir (ça coûtera cher au pays) ;

- Reconnaissez l’existence d’une longue et sérieuse crise tchado-tchadienne (au-delà des aspects externes) ;

- Faire sincèrement face aux sérieux problèmes socio-économiques du pays ;

- renforcez les rôles des Institutions Républicaines ;

- laisser le parlement d’être le vrai représentent du peuple, pas une simple chambre d’enregistrement ;

- faire une véritable armée Républicaine capable de défendre la légalité constitutionnelle du pays et son intégrité territoriale ;

- cherchez la paix sociale avant de se tourner à la stabilité politique ;

- Faire disparaître ou Réduisez tout simplement, toute forme d’exclusion politique, économique ou sociale ;

- Cessez de vous appuyer sur des étrangers qui ne visent finalement que leurs intérêts stratégiques ;

- Inspirez-vous d’expériences de certains pays africains, en matière de résolution politique et pacifique des crises ;

- Utilisez les richesses du pays pour le bien du pays ;

- Laissez le quatrième pouvoir faire son noble travail ;

- Cessez de croire qu’une Union politique ou militaire, de circonstance et (pas de conviction) peut aller loin ;

- Reconnaissez enfin que vous (les deux parties) répétez les mêmes scènes de cette très longue
    et onéreuse parodie tchadienne ;

- Respectez et faire respecter les Droits de l’Homme tchadien ;

- N’enrôlez pas des gamins dans les conflits politico-militaires ;

- Ne marginalisez pas la société civile ;

- Sachez que tout opinion politique diverse n’est forcément pas ennemi de qui que ce soit ;

- N’exportez pas la bien existante crise tchadienne aux autres, parce que ces derniers, après avoir bien connu son existante, essayent de remédier les leurs via les nôtres ;

- Reconnaissez que la crise du Darfour et l’Or noir tchadien ne sont que des gouttes qui ont fait
      déborder le bien plein marre tchadien ;

- Mettez dans la tête qu’on peut tromper un peuple une ou deux fois, mais pas toujours. 

- Sachez que tous les tchadien n’ont pas certes, la maturité politique, mais ils ont quand même
     appris la langue de bois via leur élite politique, sans l’avoir étudiée ;

- Arrêtez les arrestations arbitraires ;

- s’il y a des coupables dans quoi que ce soit, laissez la Justice faire son travail ;

- Rappelez-vous en fin, que vous étés tous responsables devant l’Histoire et devant Dieu aussi. 

Les Tchadiens vous exhortent Messieurs, à d’utiliser ces vingtaines des mots de passe ou bien quelques-uns, avec les clefs que vous détenez, afin que ce pays puisse déverrouiller à ses fils quelques issues, par lesquelles sortiront tous les tchadien de cette effroyable et longue impasse politico-sociale. 

Abdelsemi Ahmat

L’an 2007 est partie. 2008 est arrivée. Comme d’habitude, à pareil moment, c’est l’heure des bilans. Oui, il convient de prendre du recul, dresser un bilan sans complaisance de l’année qui vient de s’en aller.

D’abord, il faut préciser que 2007 a été riche en actualité.
L’espoir était né fin 2006, lorsque le leader du front uni pour le changement (FUC) Mahamat Nour Abdelkerim a fumé le calumet de la paix avec le gouvernement de N’Djamena, sous l’égide du guide libyen.
En Février 2007, le FUC scelle son entrée au gouvernement, et Mahamat Nour Abdelkerim fut nommé ministre de la défense nationale. Tout le monde avait applaudit à l’époque. Mais la lune de miel n’a été que de courte durée, elle a finie comme elle a commencée, raille un leader de l’opposition Tchadienne.

Ensuite, c’est la tenue du dialogue entre la majorité présidentielle et ses alliés d’un côté, et l’opposition démocratique, du moins celle réunie au sein de la coordination pour la défense de la constitution (CPDC) de l’autre. Ces pourparlers parrainés par l’union européenne et la France ont débouchés le 13 Août 2007 à la signature d’un accord, baptisé « Accord pour le renforcement du processus démocratique au Tchad ». Le document signé constitue une feuille de route importante pour la suite du processus électoral, tant décrié, s’il est réellement appliqué par les signataires. Refonte du fichier électoral qui sera désormais informatisé et fiable, composition paritaire de la CENI, la CNRE…, les principales préoccupations de l’opposition ont été prise en compte, une première dans l’histoire politique du Tchad depuis la conférence nationale souveraine de 1993. Là aussi, tout le monde ou presque avait applaudi. Près de six mois après la signature dudit accord, les langues se délient, « rien est fait du cote du pouvoir pour son application » lance irrité IBNI OUMAR MAHAMAT SALEH, le porte-parole de la CPDC sur BBC Afrique mi-décembre 2007.

Dans la même lancée, on a assisté à une avalanche d’initiatives de paix.
Le groupe dit « de Libreville » conduit par l’ancien président GOUKOUNI WEDDEYE a tout essayé. En vain. Parallèlement, des négociations se poursuivent discrètement, pour aboutir plus tard à des accords parcellaires. Une partie des opposants au régime DEBY rentrent au bercail mi-octobre après avoir conclu un accord grâce à la médiation du président Béninois, à Cotonou. À Syrte, le gouvernement représenté par le « super » ministre d’état, signe un accord de paix et de réconciliation nationale avec les principaux mouvements rebelles opérant à l’est du pays (CNT, UFDD, RFC, UFDD /F). À peine cet accord signé, qu’un de ces signataires annonce les couleurs. « L’accord est caduque », comme pour préparer les esprits. La suite on la connaît.
Reprise des hostilités le 25 Novembre 2007, soit un mois tout juste après la signature de la paix en Libye, au grand dam du guide Libyen, médiateur dans la crise Tchadienne, qui depuis s’est enfermé dans l’omerta. Le brisera-t-il ? Les deux camps se rejettent la responsabilité de la reprise des combats, d’une rare violence selon des sources proches des deux états-majors.

L’accord de syrtes est-il caduque au regard de la situation actuelle ? « Il est encore valable pour ceux des signataires qui ne l’ont pas violé », précise le gouvernement. « Nous sommes toujours pour l’application de l’accord » affirment les rebelles de leur côté. Véritable comédie disent en cœur certains observateurs de la scène politique Tchadienne.

Et puis, à un moment où personne ne s’y attendait, une affaire tout aussi insolite qu’amusante s’invite dans l’arène publique tchadienne déjà troublée. L’affaire de l’ONG Française « Children Rescue ou Arche de Zoé », puisque c’est de cela qu’il s’agit. Cette rocambolesque affaire a mis à nue la légèreté qui caractérise l’administration Tchadienne. Ce qui a le plus laissé pantois plus d’un, c’est bien la visite impromptue de Nicolas SARKOZY a N’Djamena début Novembre. Il y est reparti en compagnie des journalistes français et des hôtesses espagnoles venue couvrir l’opération de « L’arche de Zoé », du nom de cette ONG française qui a voulue emmenée en France 103 enfants à partir d’Abéché à l’est du Tchad. Cette affaire a failli crée un séisme diplomatico -politique entre N’djamena et Paris. Les choses sont rentrées dans l’ordre, entre temps. Les deux présidents (SARKOZY et DEBY) se sont vus en marge du sommet Afrique- UE de Lisbonne du début du mois de Décembre, puis discrètement à Paris quelques jours plus tard.
La justice a été dite, et les membres de l’ONG ont été condamnés à 8 ans de travaux forcés, avant d’être rapatriés par vol spécial de la compagnie nationale « TOUMAI AIR TCHAD » affrété par le gouvernement français ce vendredi 28 Décembre vers la France. Les magistrats français essayeront de reconvertir leur peine de travaux forcés en peine criminelle. La peine de travaux forcés n’existant plus dans le catalogue du code pénal français, pourtant copie conforme de celui utilisé par les ex colonies de l’espace francophone, dont le Tchad fait partie.

ET en cette fin d’année 2007, le spectre de la reprise des hostilités à l’est se pointe à l’horizon. Le gouvernement voyant le mal venir a préparé les esprits, à travers un communiqué lu sur les antennes de l’Office Nationale de Radiodiffusion et de Télévision du Tchad (ONRTV). « Le soudan est en train d’entraîner, d’armer les rebelles tchadien en vue de déstabiliser le Tchad », dit en substance le communiqué. Le soudan de son côté a porté plainte contre le Tchad qu’il accuse d’avoir violé son territoire pour bombarder les positions des forces rebelles basé au Soudan.

Comme on le constate, l’année qui s’est achevé augurait des jours heureux pour le Tchad, tant les initiatives de paix essaient prometteuses. Hélas, les faits nous démontrent le contraire. La paix est loin d’être acquise, à moins d’un sursaut patriotique de dernière minute. Nous espérons que les différents accords signés çà et là seront appliqués.

En attendant, l’espoir a simplement été déçu, et c’est grand dommage pour le Tchad et les Tchadiens dans leur grande majorité.

C’est en tout cas ce que je pense.

Bonne et heureuse année 2008 à tous.

Eric TOPONA MOCNGA

Voici la réflexion faite à Doba le 05/01/85 d’un grand leader du pouvoir FAN d’Hissen Habré dans son agenda confisqué plus tard en avril 1989 et lui-même tué dans les geôles par la sinistre DDS: il s’agit de feu Brahim Mahamat Itno, Ex-Ministre de l’Intérieur, cousin direct de M. Idriss Déby Itno : « Nous vivons dans un monde en perpétuelle mutation où tout change des mains, sauf les contradictions ; donc, faisant parti de ce monde en permutation, nous sommes en droit de se poser la question  pourquoi ces guerres dans ce monde dit « humain » ? Quels sont les mobiles de ces guerres ruineuses ? Ont-ils un trait commun ? Il y a un trait commun : c’est la recherche des possibilités ou moyens à atténuer à renverser ou à terrasser ou à finir avec son adversaire, alors que les origines des différents conflits sont différentes. Je pense qu’il soit utopique de s’attarder sur les causes des différents conflits de ce bas monde des déshérités. Selon mon humble pensée, eu égard au monde, à l’histoire et aux actualités, les conflits constituent la continuité du monde ou même la vie. J’estime qu’elle soit nécessaire pour la survie du monde humain car les mobiles des conflits sont nombreux et diversifiés qu’ils ne peuvent aboutir à un monde sans conflit qu’à la fin de ce bas monde des déshérités, et ceci ne soit possible qu’à la fin »

Le décor a été bien planté par ce combattant intrépide à l’époque où il était chargé de pacifier la partie sud du Tchad. Seulement, sa thèse se retournera contre lui et les siens quand les rivalités et les susceptibilités internes de son redoutable régime au pouvoir atteindront leur maturité. Feu Brahim Mahamat Itno avait parfaitement raison de la lecture qu’il se faisait de la vie dans son pays. Bien d’autres compatriotes, sans l’avouer, partagent encore la même dialectique conflictuelle : tous les partisans de la main armée pour la conquête, le partage et/ou la confiscation du pouvoir sont de cette école.

Dire qu’il ne devrait pas avoir de conflits dans notre pays, c’est renier et la réalité et les fondements même de notre patrie. Voyons pourquoi le Tchad est par nature une terre de conflits permanents.

1) Le territoire national présente une diversité naturelle qui est en elle-même avant tout une source de conflits : faire coexister dans un même territoire juridique de grands déserts, des savanes, des chaînes montagneuses sauvages, des forêts et lacs, c’est assembler des modes de vie qui peuvent être totalement différents. Ce n’est pas un tort pour les tchadiens, mais la diversité des milieux naturels, certains plus favorisés que d’autres, fournit déjà une part d’explication aux difficultés d’entente entre les composantes humaines du pays.

2) Ces composantes elles-mêmes sont si diverses qu’elles ont peur les unes des autres. Jusqu’aujourd’hui, la grande majorité des citoyens tchadiens ne se connaissent pas. Cela s’observe dans les milieux publics où le réflexe sécuritaire est au regroupement systématique sur la base des affinités naturelles. Tout ce qui est en dehors est non seulement « étranger » mais potentiellement dangereux. Des parents l’enseignent même à leurs enfants : se méfier de qui ne parle pas votre langue et ne vous ressemble pas ! Des cadres et responsables publics sont aussi marqués par ces préjugés que des citoyens ignorants n’ayant jamais voyagé. Ces cadres collaborent mieux avec n’importe quel étranger qu’avec des Tchadiens comme eux présentant une différence naturelle. Bien des conflits à l’issue dramatique n’ont été que la simple expression de cette peur de l’inconnu. Par exemple, si l’enfant a mangé chez un tel membre de telle ethnie avec ses camarades et se plaint après de maux de ventre, pas de doute : il a été empoisonné car ces « gens » seraient des « sorciers ».

3) Les composantes ethniques tchadiennes souffrent du fait de n’avoir pas de références historiques passées communes à revendiquer. Que voulez-vous qu’un sara, un moundang et un gorane revendiquent ensemble au-delà de la colonisation française ? Un pays ? Un royaume ? Une culture ? Ces gens ne se connaissaient pas avant cent ans. Ils n’ont vraiment réellement commencé à s’accepter que quand le colonisateur leur a légué de force un « État » à partager en commun en 1960. Un Etat dont ils n’ont pas jeté eux-mêmes les bases. Dès le départ, chacun a transposé sa différence, non pas comme un apport à la construction de l’État et de la Nation, mais plutôt comme un bouclier de retranchement. L’État était encore considéré jusqu’à récemment par nombre de nos populations comme la chose des Blancs donc pas forcément en symbiose avec les natures profondes des sociétés tribales archaïques.

4) Il faut constater ce phénomène de l’ignorance de l’autre par le fait que les ethnies se découvrent au fur et à mesure que se développent les coups de force et les affrontements sanglants. Les Goranes étaient découverts par les autres autour de l’affaire Claustre et surtout en février 1979. Avant eux, les Mbayes furent connus avec le règne de Malloum et Kamougué. Puis on découvrira les Béri (Zaghawa, Bidéyat) avec l’entrée du MPS, puisque avant cela ils étaient officiellement appelés « légion islamique » par le régime Habré. D’évolution en évolution de crise, on connaît maintenant les Tamas, les Hadjéraï, les Krédas, etc. On connaît même enfin que les Kim ne le sont pas tous, sinon des Kossop, des Eré, des Kolop… Certains se demandent si le Dr Aldjinedji ou les deux derniers chefs de la diplomatie, avec leur peau blanche, pouvaient être de « vrais Tchadiens » comme vous et moi ? Qui dit que j’en suis un ? Avec les prochaines crises, on finira par se connaître enfin mieux entre tchadiens ?

5) Le Tchad des conflits ne s’arrête pas à ça seulement. Officiellement, trois formes de culte révélé sont partagées par les tchadiens : Islam, Catholicisme et Protestantisme. En principe, les religions révélées véhicules des valeurs qui transcendent les différences naturelles et les rend dynamiques dans la construction de grands projets de société, sauf au Tchad. Et pour cause : pendant longtemps, les gourous de ces religions au Tchad ont étranglé ces valeurs nobles en imposant, au nom de leur culte, leurs tares et leur ignorance à leurs ouailles pour les manipuler. Ce qui fait qu’en 1979 par exemple, il n’était pas question pour le Tchadien d’admettre autre idée qu’il était sujet et victime d’une guerre religieuse, jusqu’à ce que les vicissitudes du pouvoir lui démontrent le contraire, à ses risques et périls. Aujourd’hui, après une traversée du désert tragique, les croyants de tous les cultes semblent se raviser et revenir à une lecture plus orthodoxe et moins politisée de leurs dogmes. C’est toujours de l’apprentissage dans la douleur !

6) L’absence de symbolique historique commune a toujours favorisé les fausses thèses à l’actif de la guerre permanente. Par exemple, pour légitimer la lutte du FROLINAT, on a inventé un Nord et un Sud qui auraient de vieux comptes à régler. Malheureusement, avant le Tchad indépendant, il n’y avait jamais eu un « Tchad Nord » et un « Tchad Sud » organisés en entités viables, au point de développer des échanges conflictuels de telle ampleur. Il n’y avait qu’une pléiade de royaumes, de communautés éparses, certaines soumises à d’autres, même des groupes totalement isolés dans leur naturel. D’où sont venus le « Nord » et le « Sud » conflictuels ? De l’imaginaire de faiseurs de conflits ! Aucune thèse historique valable à l’appui. Par exemple, l’Histoire des peuples du Mayo Kebbi Ouest était essentiellement liée au Cameroun, Nigeria et Afrique de l’Ouest. D’où pouvait venir des conflits anciens avec des Goranes, des Arabes, des Ouaddaïens dont les montures n’avaient jamais traversé le fleuve Chari avant l’arrivée des Blancs ?

7) L’Histoire présente aussi tente de s’écrire avec de l’encre illisible. Au lieu de mettre en avant ce qu’il y a en commun entre peuples divers du même pays, en vue de partager et de revendiquer un même patrimoine historique, les différents régimes qui se sont succédés ont développé le narcissisme du « chef fondateur » de la nation qui, elle-même ne sera autre chose que la pâle tentative d’imposition de dynastie éphémère à la tête du pays. Ainsi, après la revanche Nord-Sud inventée, on a évolué coup sur coup vers la stratification tribale et pyramidale du pays. Beaucoup parlent encore des Institutions nationales en termes péjoratifs : gouvernement sous Habré = gouvernement gorane, sous Deby Itno = gouvernement Zaghawa, etc. On se demande à quel siècle un gouvernement sera simplement celui de la république et non de X ou Y ? La question ne se pose pas encore puisque des groupes se battent armes au poing pour remplacer la dynastie actuelle. Multiplier cette tendance par le nombre d’ethnies ou de blocs régionaux en attente d’accéder au pouvoir un jour, et si par chance le Tchad ne disparaissait pas avant, la Somalie sera le pays modèle du continent entre temps.

8) Le Tchad des conflits est aussi celui de l’égoïsme et de l’arrogance triomphateur. Aujourd’hui que notre pays dispose de tant d’élites formées sur tous les plateaux planétaires du savoir-faire, c’est seulement en ce moment que les égoïsmes prennent le pas dans la vie publique. Car si ces Tchad conflictuels, à défaut de ne s’être jamais pris au sérieux, ont progressivement effacé les derniers liens symboliques et affectifs entre les Tchadiens, nombreux sont ceux qui se découvrent encore des différences fondamentales inconciliables dans leurs propres groupes. Nous avons cité l’exemple des Kim, mais ils ne sont pas seuls : il y a Ngambaye et N’gambaye, Gorane et Gorane, etc. selon les cantons et entités qui se créent pour afficher ces différences négatives.

L’absurdité tchadienne est qu’on évolue vers l’éclatement national sous le couvert bienveillant de l’État. Il serait plus judicieux que chacun prenne son autonomie que de morceler indéfiniment l’État qui a pour rôle fondamental de rassembler, de brasser. En tous cas, j’aurai aimé retrouver le royaume indépendant de mes ancêtres que de morceler mon terroir d’origine, sans lendemain sous le couvert d’un État qu’on est en train de tuer. Car je ne pourrai rien tirer de ces morcellements administratifs en terme positif de développement communautaire et de libertés que ce que seul l’État des quatorze préfectures est en mesure de m’apporter. Malheureusement, ce sont des cadres instruits qui sont les moteurs de ce démantèlement de l’État et donc de la République ! Au point qu’on peut créer des unités administratives par un simple ordre de mission ? Cela n’a rien à voir avec la décentralisation qui est un processus méthodique, contrôlé et progressif.

9) Le Tchad des conflits se nourrit dans la promotion de l’ignorance caractérisée au sein de la gouvernance. L’État est une conception moderne de la société, et qui devrait éliminer progressivement les différences et les disparités antagonistes au sein d’un même pays. Si des nations comme l’Égypte, le Maroc, le Mali ou l’Irak ont survécu à des siècles d’histoires, c’est justement parce que les composantes ethniques, sociales et religieuses de ces pays ont toujours agi pour consolider ce sentiment d’appartenance éternelle à un même pays, pas le contraire comme au Tchad ! Ainsi, tous ceux qui ont géré à divers niveaux ces nations citées, savaient qu’il y avait des limites à leurs ambitions personnelles. Ils savaient que la plus grande honte d’un dirigeant est de détruire l’héritage commun des peuples ou du moins de dégoûter par ses excès les générations montantes. Notre actualité tchadienne est concentrée sur les luttes autour d’un pouvoir vomi par les uns et convoité par les autres. N’djaména vient de payer un acompte à ces luttes en février dernier. Cependant, comment cet État vacillant pourrait se redresser et se construire si à tous les niveaux sont placés des mains indélicates, des têtes brûlées ? Et cela, même les oppositions y ont contribué, surtout à main armée ! Alors dans ce cas, cette source de conflits majeurs demeure, même en cas de changement de titulaire du pouvoir central car elle est ancrée dans l’obscure mentalité des élites tchadiennes.

10) Tout ce que nous venons d’évoquer ci-haut est de notre responsabilité commune, sans qu’aucun ne se dérobe. Maintenant, il faudrait ajouter les conflits liés à la gouvernance actuelle pour avoir un tableau complet du Tchad réel. Généralement, dans les débats, on s’évertue à tout mettre sur le dos du régime actuel, ce qui est en partie faux. Nombre de phénomènes décriés par les tchadiens ont une origine ancienne. Même le recours à la main armée est un phénomène plus ancien s’inscrivant dans une logique de revendication et de conquête du pouvoir importée de pays parrains qui n’ont jamais pratiqué la démocratie et qui n’acceptent même pas les principes élémentaires des droits humains tels que l’égalité des races. Les influences de ce modèle archaïque sur la société tchadienne ont davantage compliqué l’ambiance quasi conflictuelle déjà existant.

Ce long développement vise à démystifier la terreur des conflits dans l’esprit des Tchadiens. Les conflits font partie de nos réalités assemblées, sauf qu’il ne faudrait pas les légitimer et les instrumentaliser. En les affrontant par la recherche de la vérité et de l’équité, l’on se rendra compte que toutes ces sources de conflits évoquées plus haut, sont aussi sources de solutions extraordinaires et passionnantes pour ceux qui veulent s’en sortir, le pays avec. Donc, en allant à un dialogue inclusif, il faut d’abord accepter que les autres soient différents et qu’il en sera toujours ainsi. Ensuite, il faudrait recenser et mettre en commun ce qui pourrait constituer les symboliques, le patrimoine commun en vertu duquel chaque communauté accepte de plein gré de faire partie d’une entité éternelle qu’on appelle Tchad. Ceux qui croient qu’avec les armes ils pourront toujours s’imposer aux autres se trompent et n’ont pas d’exemples concluants à l’appui de leur théorie dans l’histoire des nations. Ils sont simplement en sursis, car soient ils gagnent et le pays disparaît, soit le pays gagne et eux disparaîtront dans leurs formules anachroniques : une seule alternative qui se joue au hasard des intérêts géostratégiques et non pas d’une prétendue supériorité naturelle sur les autres !             

Enfin, si les conflits dans leur développement, affectent la vie de chacun (misère, humiliation, exil, disparitions…), les nombreux tchadiens qui sont restés silencieux en se croyant plus prudents, devraient comprendre que c’est pendant le naufrage qu’on sauve sa vie, non pas après quand elle n’a plus de sens et qu’il n’y a plus de pays !

NB : Il faut soutenir l’action de la Commission Indépendante pour le Dialogue Inclusif, on ne sait jamais, la paix pourrait venir par n’importe quel chemin !

Enoch DJONDANG

Chers amis,
Je romps le silence que je me suis imposé depuis mon dernier article sur www.ialtchad.com/opinion/’’L’illusion de pouvoir pour lequel les tchadiens s’entredéchirent…’’ du 06/12/07, article que les tristes évènements de février dernier ont largement confirmé, une fois de plus pour ma peine. Je connais mieux que quiconque les risques encourus d’une arrestation, d’une élimination ou d’une disparition en cette période de folies fratricides qui anime les élites de notre pays. Mais nous est-il permis de se taire face à la menace et à la probabilité tangible d’une disparition tragique de notre pays, hypothèse encore plus insupportable pour des gens sensés que la somme des désastres et des folies consommées ? 

Dès le départ, nous avions dénoncé le fait que la majeure partie de nos élites (qui s’expriment) et de la diaspora est fortement acquise à l’apologie de la violence politique, comme s’il s’agissait d’un jeu d’enfants, après plus de trois décennies d’expérimentation de cette recette. Aujourd’hui, au grand jour à N’Djaména en ce mois de février 2008, après que les compatriotes ruraux de l’Est et du Centre l’avaient déjà maintes fois subies depuis trois ans sans répit et dans l’indifférence générale, l’opinion découvre la réalité de la mise en œuvre des théories fratricides des uns et des autres. La population de la capitale, réfugiée, déplacée, déguerpie ou non, vit amèrement dans sa chair et dans son âme ce déclin collectif, dans l’impuissance totale. Tandis que les tons, les préjugés, les mesquineries et l’insensibilité des élites positionnées sont restées les mêmes, comme si cela ne suffisait pas encore ?

Il y a eu plusieurs évènements classés ‘graves crises’ au Tchad depuis le tout premier d’envergure, la révolte populaire du 16 septembre 1963 à Fort-Lamy (Quartier Mardjane Daffek et Centre-Ville), matée dans le sang par la jeune armée nationale de l’époque sous Tombalbaye. Mais ce qui s’est passé dans la semaine du 02 au 08 février 2008 à N’Djaména dépasse encore l’entendement. Non pas que février 1979 ait été déclassé en horreur et en folie. En 1979, il y avait cette cassure nord-sud qui atteignait son apogée, drainant ses préjugés, ses rancunes, ses revanches, ses victimes, entre l’école revancharde du FROLINAT et les pouvoirs fantoches en place. Février 2008 a-t-il quelque chose en commun avec 1979 ?

1)     Le contexte est différent : une guéguerre fratricide et interminable de clans apparentés ou rivaux, instrumentalisés, financés et lourdement armés par les mêmes puissances qui n’ont cessé d’endeuiller la nation tchadienne depuis plus de 35 années ;

2)     Comme ce fut le cas avec les régimes précédents, ces milieux gangrenés par le virus de la contestation armée, usent d’arguments fallacieux pour prendre en otage tout processus de normalisation de la vie publique et de la construction d’un Etat de droit moderne ; rien ne peut se faire de façon durable et pour le bien des générations futures, tant que l’appât d’un pouvoir juteux, qui est censé délivrer toute une communauté de la misère endémique, devient un motif suffisant pour déclencher les aventures politico-militaires ruineuses ;

3)     Avec la multitude des accords signés et aussitôt dénoncés ou violés, il est probant que les acteurs publics ne seraient pas tous prêts à sacrifier leurs ambitions et leurs tares pour donner une chance historique à notre pays ; pire : quand le péril physique est mis en relief, la méfiance épidermique et les arrières- pensées obscures conduisent inévitablement à des incidents malheureux, comme ce fut le cas des disparitions d’hommes politiques le 03 février dernier ;

4)     Il y a un choix absolu à faire au niveau politique entre les deux modèles, démocratique ou à main armée, qui se disputent la scène publique ; il n’y a pas d’autres alternatives. C’est une question préjudicielle qui mérite une réponse claire de tous : pouvoir, opposition, société civile et rébellion armée. On ne peut pas continuer de faire cohabiter les deux modèles dans un même pays en ce 21e siècle. Chaque modèle procède d’une vision de société et d’un historique différent. Les intérêts en jeu sont aussi divergents. Si l’écrasante majorité des tchadiens choisit finalement la démocratie et l’Etat de droit universellement pratiqué, alors il restera aux politico-militaires de se référer intégralement aux Accords de Syrtes du 25 octobre 2007 qui les concerne exclusivement. En considérant ces accords comme une annexe de l’Accord du 13 août 2007 qui est fondamental. Dans l’optique d’un dialogue inclusif, c’est l’une des premières questions préalables sur laquelle chacun doit se prononcer !

5)     Comme il est aussi illusoire de croire qu’un simple dialogue inclusif, face à face entre tous ces acteurs autoproclamés suffirait à purger le pus du mal tchadien. Le fond du problème est l’enjeu du pouvoir et de la survie des groupes ethno –claniques qui se battent pour son contrôle. Dans l’ambiance de désordre régnant, d’aucuns croient fermement ne pas trouver leur compte si jamais le Tchad redevenait un pays normal, avec des règles consenties et respectées par tous et une certaine égalité entre les citoyens. Ceux-là, de quelque bord qu’ils soient, sont malheureusement les plus présents et actifs sur la scène et les mieux connus et soutenus de l’étranger, auxquels s’ajoutent de nombreux opportunistes. Les autres tchadiens paieront toujours plus chèrement le prix de leur apathie !

6)     La guéguerre tchadienne n’est pas une fatalité mais un vrai business pour certains : pourquoi le courage manque-t-il tant aux élites de faire l’analyse critique et le bilan humanitaire et économique du phénomène de la violence politico-militaire de manière impartiale et rigoureuse ? Pourquoi des élites trouvent normal l’instrumentalisation de groupuscules sans véritables projets de société et se confondant de surcroît avec des clans en train de se faire décimer inconsciemment sous ces illusions de domination guerrière ? Pourquoi un tchadien digne de ce nom ne se poserait-il pas des questions sur la prospérité du commerce des armes en direction de son pays, soit disant pour soutenir tel contre tel ? Nos élites auraient-elles perdu le bon sens, à cause de la haine viscérale, jusqu’à ce niveau insoutenable d’archaïsme intellectuel ?

7)     Un constat amère : le silence voire l’impuissance des organisations de défense des droits humains durant cette énième crise majeure, à quelques exceptions près ; tous n’étaient pas directement menacés et il y avait des marges pour agir ne serait-ce que vérifier les infos, pour contrecarrer les ravages occasionnés par la rumeur folle, ou encore interpeller les belligérants sur les dégâts collatéraux subis par la population ? Malheureusement ces évènements ont mis à nu l’absence de stratégie de gestion de crise et de capacité d’anticipation qui faisait la notoriété d’antan de ces organisations. La recherche de positionnement personnel, le goût de la villégiature offerte aux leaders à la faveur de l’évacuation des étrangers, sans justifier dans bien des cas d’une menace directe réelle et la confusion de rôle avec les partis politiques ont démobilisé la base militante, et pire dévoilé l’incapacité de gérer la proximité des citoyens dans une telle kermesse de violations massives des droits humains. Cette carence se ressent fortement, sauf qu’elle relève encore de tabous ! La presse indépendante a été plus responsable en justifiant sa mise en quarantaine volontaire.

Avec tout ce qui se passe, nous devons aussi admettre l’échec collectif de notre processus démocratique par le comportement inqualifiable et récurrent d’une frange importante de notre population, lors de chacun de ces évènements politico-militaires, C’est l’échec sans appel de tous : des gouvernants, des partis politiques et de la société civile qui n’ont pas su éduquer le peuple dans le sens souhaitable ! Ainsi, tout le monde est devenu dangereux et anarchiste au Tchad. (Comme écrit sur le mur d’une des prisons secrètes de l’ancien régime : ‘l’homme tchadien est devenu un loup pour l’homme tchadien’).

Notre jeunesse, abandonnée à elle-même, est une source de grandes inquiétudes. Au vu de ses agissements quasi-quotidiens notoires, dans les cours d’école jusqu’au vandalisme honteux des 2-4 février dernier, elle ne s’illustre que par les casses, à l’image lamentable des aînés. Les ravages causés en deux jours de folie seulement sur les patrimoines publics et privés à N’Djaména devraient faire réfléchir les uns et les autres. Certaines personnes ont poussé le cynisme à trouver normal la casse des patrimoines des proches du pouvoir, mais restent silencieux sur les ravages du centre médical populaire ‘Assiam Vantou’, de MASOCOT (Programme Vih-SIDA) et même de l’OANET (pourtant siège des Associations !), fait d’armes des mêmes pillards en quête de ‘libération’ ? Ceux qui y voient l’expression d’un ras-le-bol populaire autant que ceux qui conviennent que c’est le summum de l’incivisme et de l’inconscience collective : dans un cas ou l’autre, il y a danger en vue pour l’Etat de droit démocratique !

Chose encore plus curieuse, c’est le fait qu’après le drame du début février, aucun sursaut patriotique n’est au rendez-vous : l’état d’esprit actuel des acteurs politiques et politico-militaires ne pourra que difficilement favoriser des entreprises de cohabitation pour le bien du pays. Il n’y a plus de confiance et l’argent perfide n’y changera rien. Il est très possible que la population subisse encore des drames plus critiques que celui des 2-3 février 08 à cette allure, en y participant elle-même.

Pour le dialogue inclusif (si cette solution pouvait encore marcher ?), il va falloir se montrer sérieux, trouver des tchadiens sérieux et conséquents pour les mettre autour de cette table ronde, définir les contours, la portée et les limites de ce processus, les thèmes-clés (étant entendu qu’on ne peut répéter une CNS bis), les qualités des acteurs et de quelle légitimité se prévalent-ils pour engager le peuple sans être mandatés, qui va garantir l’application des décisions ou résolutions, etc. Cette question de la garantie est de loin la plus difficile, car la versatilité et la perfidie passent pour des vertus au sein de la classe politique en général. Quand il est question de trahir pour une miette, on rivalise en ridicules !

Si l’on place l’Accord du 13 août 2007 au centre du dispositif de sortie de crise, avec comme annexe 1 les Accords de Syrtes du 25 octobre 2007 pour les politico-militaires de tous bords, il restera la racine du problème à discuter, à savoir la définition politique et consensuelle du profil d’une Armée Nationale et Républicaine véritable et les mécanismes contraignants pour sa mise en œuvre avant la fin du mandat actuel, avec une implication forte de la Communauté internationale. Voilà, à notre humble avis les éléments clés de la sortie de crise !

On est habitué aux rififis tchadiens : un dialogue inclusif précipité étalera au grand jour les supercheries et les perfidies, en plus de cette capacité incroyable de diaboliser ; aucune solution miracle qui n’aie été déjà proposée auparavant et, à la fin du spectacle le meilleur : une course effrénée et sans pitié pour les postes dans les organes retenus. Peu importe le prix des crises qui surviendront pour les populations, les bonus de morts, les nouveaux déplacés et exilés, les casses du patrimoine administratif des villes!… Nul n’imagine à ce point combien les acteurs publics devraient avoir comme problème de conscience ? Alors, face à face, yeux dans les yeux une fois encore, pourquoi pas ?

Nous souhaitons nous tromper pour une fois dans notre analyse, mais seul Dieu fera en sorte que les uns et les autres soient réellement au rendez-vous de la paix et de la justice ! La déchirure de février dernier semble plus profonde qu’en 1979 et, en plus des faits de l’état d’urgence, aura de graves conséquences sur la vie publique à court et à moyen terme. Il faut que les uns et les autres en prennent conscience et évoluent dans leur vision du pays, sinon la chute collective dans le gouffre somalien sera irrémédiable au prochain couac ! Si la griffe de l’état d’exception ne nous emporte pas, nous sommes toujours disposés aux échanges francs avec ceux qui le souhaitent et qui aiment réellement le Tchad.

Enoch DJONDANG

Auparavant, je voudrais faire une remarque d’ordre méthodologique relative au ton critique que je vais utiliser par rapport à l’expérience Tchadienne.  Comme la sociologie est une science critique et, à ce titre, sa vocation est de faire prendre conscience du caractère social des institutions et des représentations, surtout lorsqu’elles se cristallisent, s’ossifient et perdent leur vitalité et leur pertinence. À cet effet, critiquer l’archaïsme ou bien l’ignorance de la société Tchadienne, ce n’est pas dénigrer les Tchadiens, ni porter atteinte à sa valeur culturelle, mais plutôt attirer l’attention sur des chemins culturels hérités du passé et ne véhiculant plus l’humanisme qui était le leur à une époque où ils étaient en harmonie avec l’environnement. La sociologie n’est pas un discours idéologique ou apologétique ; elle est une analyse des pratiques sociales dans leur historicité et leurs contradictions. Par pratiques sociales, j’entends l’interaction entre les hommes dans la vie de tous les jours, à travers les institutions que sont les entreprises, les administrations, l’école, l’université, les hôpitaux, la famille, le voisinage, les associations, etc.

Toutes ces interactions se fondent sur des représentations qui leur donnent leur légitimité et leur pertinence. Or la modernité à laquelle nous avons aspirée, a détruit les structures sociales antérieures que nous semblons incapables de maîtriser. Chacun de nous, pauvres ou riches, exprime un malaise, en ayant le sentiment que la « vie normale » se déroule ailleurs. Cet ailleurs mythique, source de frustrations individuelles et collectives, est l’expression de notre incapacité à nous organiser pour profiter des vastes potentialités humaines et naturelles de ce pays. Le Tchadien vit un malaise profond et un désespoir total dont les causes sont objectives, renvoyant à la crise profonde et globale du lien social, perceptible dans la violence politique, et aussi dans les formes brutales des rapports entre individus dans la rue, dans l’entreprise, entre fonctionnaires et administrés, dans les familles, entre frères, entre frères et sœurs, bref une crise dont l’origine est à rechercher dans la formation des classes sociales et la naissance de l’individu. Elle marque le passage d’une forme de sociabilité à une autre, une sociabilité incarnée jadis par l’oncle généreux et le voisin solidaire à une sociabilité désincarnée, asséchée, et qui ne répond qu’a l’injonction de l’argent. C’est l’argent qui aujourd’hui remplace l’affabilité de l’oncle, la générosité du cousin, la disponibilité du voisin et la solidarité des gens anonymes. Ceci indique que la société Tchadienne est en cours de formation et que l’individu mesure désormais son effort sur le critère monétaire qui structure le lien social sur le donnant-donnant et « les eaux glacées du calcul au comptant ».La crise provient de ce que le nouvel ordre social se construit dans l’anarchie, dans le rapport de forme et dans la brutalité, sans que les individus aient conscience de ce qui leur arrive. ON se plaint de ce que X a changé, ou que Y a perdu le sens des valeurs ou que Z n’a rien de son père. Certains disent que DIEU a été oublié, d’autres disent que peut être Dieu à maudit TOUMAÏ. Et pourtant les mosquées et les églises sont aussi pleines que par le passé.

Sans nier l’intérêt individuel, la société traditionnelle, celle de la génération de nos parents et grands-parents, a toujours su canaliser l’appétit pour les richesses matérielles par les valeurs morales, le sens de l’honneur, le nife, etc. Aujourd’hui, l’échange monétaire, l’urbanisation et le salariat ont libéré les logiques de l’intérêt individuel. L’évolution de la structure morphologique, malgré des résistances bien réelles, est portée par un individualisme imposé par les formes d’organisations des sociétés occidentales : Une chambre pour famille conjugale, salariat, voiture etc. Important cette morphologie, sans qu’elle n’ait le choix, le Tchad n’a pas mis en place les institutions et le droit qui vont avec cette dernière.

Interface entre les familles Tchadiennes et le marché international, l’Etat est pris d’assaut par les réseaux de corruption que favorise la structure néo-patrimoniale du régime dans lequel des castes sont au-dessus des lois. Détenir une position dans l’appareil de l’Etat, particulièrement dans l’armée, la douane, les services des impôts, dans le service de marché public et récemment au ministère de contrôle d’Etat et de moralisation, c’est s’assurer une place stratégique dans le noyau de l’économie basée ces dernières années sur la rente pétrolière, or les secteurs traditionnellement créateurs de richesses de ce pays ont connu un recul énorme.  Certes la corruption n’est pas propre à la culture Tchadienne ; mais elle est une tendance naturelle dans toutes les sociétés individualistes, que la modernité a neutralisée par l’autonomie de la justice et la liberté de presse. Dans l’économie rentière que nous connaissons tous, ce qui est consommé par une famille est retiré à une autre, selon le modèle du jeu à somme nulle. C’est ce qui explique la corruption à tous les niveaux de l’appareil de l’Etat et aussi la dureté des rapports dans la vie quotidienne marqués par la jalousie, avec ce sentiment que le voisin ou le collègue du travail a pris la part qui ne lui était pas due. En un mot, économie rentière a peu de chance de donner naissance à une société civile où le pouvoir économique se sera émancipé du pouvoir politique. Cette théorie est confirmée par l’expérience historique des sociétés civiles occidentales, expérience qui montre en outre que le développement économique suppose que l’autorité soit publique et institutionnalisée et que le pouvoir soit séparé en branches exécutives, législatives et judiciaires. C’est à ce prix que les occidentaux sont sortis de l’état de nature de Hobbes pour construire l’espace public de l’Etat de droit. Avant de voir si le Tchad a les moyens de cette évolution.

Que Dieu bénisse le pays de TOUMAÏ

Adam Abdramane Mouli alias Djidda

Le culte du pétrole

"Jeune homme, vous êtes encore trop jeune pour parler du pétrole" rétorqua Tombalbaye à un jeune du Lycée Félix Eboué âgé d'à peine une vingtaine d’années, c’était en 1974, lors des assises de "l’Ecole des cadres". Aujourd’hui, l'ex-lycéen, agronome de son état, a la cinquantaine et le pétrole vient à peine de couler. "Oncle Tom", comme l'appelaient familièrement les jeunes de l'époque, savait pertinemment que l’exploitation pétrolière des deux compagnies présentes au Tchad à l'époque (CONOCO dirigée par Voegeli et la compagnie libanaise par Abdoulwahab) échappera à une série de chefs d'Etat tchadiens, et lui en premier.

A la fin des années 60, Tombalbaye a négocié en vain avec la France pour son engagement dans une vaste campagne de prospection. L'ancienne puissance coloniale ne croît pas cependant au projet. Tombalbaye se tourne alors vers les États-Unis et concède à CONOCO (Continental Oil Company) un permis de recherche sur près de 604.000 km², entre le Lac-Tchad et la frontière sud du pays.

A l'inauguration officielle des locaux de la CONOCO sis au Canal St-Martin ce 31 mars 1973, étaient présents le Président Tombalbaye et son futur successeur Félix Malloum, deux chefs d'Etat qui seront à tour de rôle emportés par la houle de cette huile minérale qui détruit autant qu'elle préserve et dont la présence au Tchad été découverte en 1969. Le Ministre des Travaux Publics, des Mines et de la Géologie de l'époque, M. Raymond NAIMBAYE a fait remarquer dans son discours que "si la CONOCO a pris des risques d'ordre technique et financier, le Tchad également a pris des risques en donnant de permis de certaine importance à ses partenaires". Le Ministre conclut son allocution par un vœu : "que l'esprit de franchise, de sincérité puisse persister entre nous et nos partenaires"[1][1].

N'est pas franc et sincère qui veut. Le présent article, débuté en février 2003 et achevé en novembre 2004, n'a nullement la prétention de donner de quelconques leçons sur la gestion du pétrole du Tchad, ni d'égaler tant de documents de qualité ayant traité du pétrole à problème qu'est celui du Tchad, mais se propose de suggérer quelques pistes de solutions au regard de nos faiblesses face aux partenaires, lesquelles solutions sont de toutes les manières, sujettes à critiques. À travers cet écrit, je commets sans nul doute, l'imprudence de mettre le doigt dans l'engrenage, les goûts du détail et du risque aidant ; qu'à cela ne tienne, puisque ayant pour seule arme, le bic et un peu de courage. Et puis, je serai mauvais serviteur si je parle de notre pétrole avec bienveillance et sans prévention. Quoique dépassé, un rappel des conditions des négociations s'avère nécessaire, non pas dans le but de jeter de l'anathème sur qui que ce soit, ni de suggérer de changer de partenaires au milieu de la rivière, mais d'attirer l'attention sur les écueils à éviter. Bien que survivant sous assistance respiratoire, le Tchad est une vaste nappe pétrolifère, d'où d'éventuels contrats.

Par ailleurs, je me réjouis des effets produits par mon modeste article intitulé " lettre à Koumbo " publié dans l'hebdomadaire " L'observateur " n° 299 du 6/10/04, parlant entre autres du pétrole, du gaz et de l'électricité et qui a été suivi 48 heures plus tard, par une réaction très positive du Gouvernement. Les visions sont identiques sur ces points et je m'en félicite. Le repentir vient de faire le quart du chemin, la bonne gouvernance doit faire le reste.

Des leçons à retenir : sur un milliard de francs que rapporte le pétrole, le Tchad touche moins de 20 millions de francs si l'on intègre tous les investissements extérieurs à récupérer par le consortium. Pourquoi donc cette différence ?

Trois documents juridiques lient le consortium americano-malaisien ExxonMobil-Chevron-Petronas aux deux Etats (Tchad et Cameroun). Les conventions d'établissement de Tchad Oil Transportation Company (Totco) et de Cameroon Oil Transportation Company (Cotco) pour la partie aval et la "convention de recherches, d'exploitation et de transport des hydrocarbures "pour la partie amont, datant de 1988 et qui a fait l'objet d'une révision ultérieure importante (l'avenant n° 2, de mars 1997). Les deux premiers fixent les modalités de la gestion de l'oléoduc (redevance, fiscalité et droit applicable, règlement des litiges entre les parties …). Le second, passé entre le Tchad et le consortium, fixe les règles relatives à l'exploitation et, ce qui nous intéresse plus particulièrement, royalties et dispositions fiscales.

Les conventions de Totco et de Cotco sont des documents publics, ce que les autorités tchadiennes et camerounaises paraissent ignorer. On se les procure aisément auprès du consortium lui-même, qui refuse en revanche de communiquer la convention "amont", la plus intéressante. Explication du chargé des relations extérieures au siège d'Exxon à Houston : "le propriétaire des ressources en question étant un pays peuplé de 7 millions d'habitants, cette confidentialité est une atteinte à l'exercice de la citoyenneté. Mais il est vrai qu'au Tchad, comme ailleurs, le pétrole est une affaire très privée [2][2].

Les négociations menées avec les partenaires ressemblent à un secret ésotérique qui n'est accessible qu'aux seuls initiés puisque le dossier a été traité avec une opacité merveilleuse. Alors qu'au Tchad les informations relatives au projet pétrole sont restées dans l'ombre du confidentiel, au Cameroun par contre, on a minutieusement préparé la population afin d'en tirer un maximum de profit. Là-bas, on sait que dans toute situation de combat, la défense est tout aussi importante que l'attaque. Initialement, "le dossier pétrole" du côté camerounais a été confié à la Société des Hydrocarbures du Cameroun pour sa confection. Cette première étape finie, il fut ensuite passé en revue par des bureaux d'études étrangers spécialisés en la matière qui ficelèrent inextricablement tous les liens. Une fois le colis suffisamment compacté, on attendit de pied ferme les Tchadiens qui se sont fait cueillir comme des fruits mûrs puisqu'en plus d'un document bien fait, les hauts responsables politiques camerounais se sont fait appuyer chacun, par des techniciens chevronnés face à une poignée de responsables tchadiens sans arme ni protection, usant apparemment d'un langage gestuel lors des négociations sinon comment comprendre… et ce, malgré tout ce que notre pays dispose comme cadres. Où sont-ils, les premiers négociateurs tels que Georges Diguimbaye, Raymond Naïmbaye, Abdoulaye Djonouma ? Et les pétrochimistes à l'instar de Mahamat-Saleh Alhabo? Et nos 300 étudiants, des "très proches" du régime, envoyés aux USA depuis plus d'une décennie pour étudier la pétrochimie et quasiment invisibles depuis lors. Tout portait à croire que la défaite tchadienne était inéluctable. Les Tchadiens auraient pu encore à cet instant précis, retourner la situation en leur faveur s'ils étaient perspicaces, en simulant avec le truchement de notre ambassadeur au Cameroun, un rappel urgent de la délégation, par le Président de la République, n'en déplaise à nos interlocuteurs camerounais. De toutes les manières, nous étions en position de force, même si des pressions externes persistent. Cela aurait permis de rendre compte de la situation désastreuse à qui de droit et de demander le report des négociations, le temps matériel de monter des dossiers par une expertise en la matière et amoindrir le déséquilibre face aux Cameroun et au Consortium. On serait alors très loin des déboires notoirement connus aujourd'hui. Les dirigeants camerounais pour leur part, n'ont fait que protéger l'intérêt de leur pays, ce qui est tout à leur honneur.

"Vaincre la rage" n'est pas synonyme de "la rage de vaincre". A mauvais négociateur, mauvaises garanties. Le projet a plus de 6.800 travailleurs, avec 2000 Tchadiens et 4.800 Camerounais. Sur 111 millions de dollars US dépensés en biens et services, 38 millions de dollars sont dépensés au Tchad et 73 millions au Cameroun. Au cours du 3ième trimestre 2001, sur 240 consultations, 57 ont eu lieu au Tchad avec 3.205 participants et 183 au Cameroun avec 5.326 participants [3][3]. Le quotidien "Cameroon Tribune", dans sa parution du 20 octobre 2000 a écrit dans ses colonnes " ce que le Cameroun gagnera : - Sur le plan financier : (1) redevance de transit égale à 0,41$ sur chaque baril de pétrole soit 35 à 80 milliards/an pendant 30 ans ; (2) 5% d'impôt sur le bénéfice de COTCO/an ; (3) taxe foncière ; (4) indemnisation des populations sur le tracé pour plus de 5 milliards -  Sur le plan des infrastructures : (5) construction de la  route Bertoua-Garoua Boulaï ; (6) route Ngaoundéré-Touboro-Moundou ; (7) nombreuses routes secondaires ; (8) construction de nombreux ponts ; (9) densification du réseau téléphonique ; -  Sur le plan de l'emploi : (10) création des milliers d'emplois de chauffeurs, conducteurs d'engins, gardiens de parcs, de matériels, défricheurs; - Sur le plan de l'environnement : (11) création des parcs nationaux de Campo et de Mbam Djerem  ; (12) développement de la conscience écologique ; (13) création d'une fondation pour l'environnement (FEDEC) pour les Pygmées et les Bakota  ; (14) renforcement des capacité en matière de gestion environnementale[4][4] ". Comme ils aiment bien le dire, le Tchad a blessé un éléphant qui est allé mourir au Cameroun. Et pourtant c'était l'occasion toute indiquée d'exiger de notre méthodique et malicieux voisin, des largesses. Outre des conditions plus souples pour l'évacuation du brut, on pourrait pousser les pions le plus loin possible pour en gagner un minimum : fourniture en électricité, un chemin de fer le long de l'axe Ngaoundéré-Baïbokoum, une portion du port de Douala réservée au Tchad, des franchises sur certaines marchandises, une inscription de nos étudiants dans des universités et instituts camerounais à des tarifs de cession, le respect scrupuleux de la libre circulation des Tchadiens etc… Une belle bataille sera alors gagnée.

Infrastructures : En matière de transport du matériel pour la construction de l'oléoduc long de 1070 km reliant Doba au port de Kribi sur l'Atlantique, le Cameroun s'est vigoureusement illustré là aussi en se taillant la part du lion indomptable et sa stratégie était la suivante : le gouvernement camerounais a donné feu vert à la Chambre de commerce du Cameroun de parrainer les transporteurs pour l'acquisition à crédit, des véhicules gros porteurs, l'Etat se portant garant ; alors que de l'autre côté, le Tchad n'a guère eu la présence d'esprit d'orienter nos hommes d'affaires dans le bon sens. Pour le transport dudit matériel, le Cameroun et une étrange société soudanaise dont le siège fait face à l'immeuble de la STAR Nationale à N'djaména, RAIBA TRANS TCHAD LTD, sous la fourrure de laquelle se cacheraient également des Tchadiens de souche et d'adoption, ont littéralement raflé le marché. Les bénéfices réalisés par la société RAIBA ont été entièrement rapatriés au Soudan, au moment des amours avec notre grand voisin de l'est naturellement. La fameuse société fictive de transport aérien ROMA … est encore dans les mémoires.

La route du pétrole bâtie le long des pipe-lines par Bouygues alias "David Terrassement" porte un déséquilibre selon que l'on se trouve du côté tchadien ou camerounais. Au Cameroun, la surveillance de l'ouvrage a été confiée à des ingénieurs nationaux qui ont veillé à ce que la qualité soit respectée : la route plus large, les rigoles à fortes pentes fortifiées, les garde-fous solides, les portions de route traversant des agglomérations humaines bitumées afin que la poussière ne se déverse sur la population et l'administration équipée quand il s'agit d'une ville, le tout sur fonds pétroliers. Mbaïboum, le village camerounais situé de l'autre côté du pont de la Mbéré en est un exemple. Et pourtant, la ville de Doba, capitale du pétrole est toute couverte de poussière latéritique pendant la saison sèche et toute gluante après une seule pluie. A Doba, c'est l'envers du décor de luxe. Les responsables administratifs dans leur majeure partie ne sont pas véhiculés et s'adjugent quelquefois les services des motocyclistes pour leurs déplacements. Les résidences (si résidences il y a) de ces autorités sont éclairées à la lampe tempête alors que tout à côté, la société "Tchad Cameroun Construction" (TCC) rayonne d'électricité et de surcroît refuse de prêter ses services électriques. Et pour cause : rien ne figure dans les documents officiels. Quels degrés de respect peuvent avoir les populations à l'égard de leurs administrateurs sans moyens et jetés dans les quartiers par manque d'habitation comme de vulgaires individus et de surcroît dans une ville qui accueille tant d'étrangers de marque ?  

Un des termes de contrat lourd de conséquence contenu dans les documents signés avec le consortium est qu'après les travaux, le consortium devra laisser le milieu tel qu'initialement trouvé. L'illustration a été faite à Bam sur l'axe Komé-Baïbokoum qui disposait, pendant la construction de l'axe Komé–Kribi, de maisons, électricité, terrain de sport etc. Une fois les travaux terminés, tout mais alors tout a été démonté. Les remblais aussi ont été dégagés pour respecter les termes du contrat alors que dans cette zone sévit à outrance, l'onchocercose. Les maisons même démontables, auraient pu servir de centre de santé, d'école ou toute autre infrastructure sociale. Les engins lourds des travaux une fois jugés désuets (bien qu'en état de marche), ne sont pas rétrocédés au Tchad mais détruits et enterrés puisque aucune clause ne le prévoit. Ce que le gouvernement ignore, c'est que le cœur du consortium ne bat pas au même rythme que les cœurs des humains. En somme, aucune trace du consortium ne doit figurer après son passage ce qui rend davantage moins visibles les traces de pétrole. Le Cameroun pour sa part, a exigé des bâtiments fixes, la rétrocession des véhicules et engins lourds, tandis que le Tchad n'ayant pas exigé cette conditionnalité, ne dispose que de maisons démontables et les ouvriers des champs pétroliers habitent dans des conteneurs démontables à volonté. Par rapport à la tour de Shell construite à Brazzaville, un joyau du Congo visible depuis Kinshasa, ici à N'djaména, le consortium n'a bâti aucun immeuble à la taille de sa stature dans notre pays, une conditionnalité omise nous dira-t-on. Une fois de plus, de quoi a-t-on discuté avec les partenaires ?

Sur le terminal flottant dans la mer à 12 km de la côte de Kribi, un tanker d’une capacité de 2 millions de barils [5][5], amarré en permanence et où viennent s'approvisionner les navires pétroliers, séjournent six fonctionnaires tchadiens (4 inspecteurs pétroliers et 2 inspecteurs des douanes) relevés toutes les deux semaines. Que font-ils exactement ou que contrôlent-ils sur ce machin ? Ces inspecteurs ont été formés en France pendant un mois, c'est-à-dire à peine la première leçon bûchée que les voilà arrivés en fin de formation et propulsés sur le tanker, incapables d'interpréter un compteur d'eau de la STEE. Que peuvent-ils contrôler, les pauvres ? Surtout pas la quantité du brut exploitée (225000 barils/jour) apparemment entachés d'une marge d'erreur [6][6].

En effet, les cuves de récupération construites en prévision à un surplus de brut des 300 puits, sont toutes pleines après l'exploitation d'environ 200 puits alors que le nombre total de puits a dépassé 600 dont bon nombre non encore exploité (y compris ceux d’ENCANA). Le brut extrait des puits est d'abord conduit vers un collecteur, puis vers un séparateur qui en extrait le pétrole de l'eau, des sables et autres déchets. Le brut nettoyé est ensuite envoyé dans l'oléoduc pour Kribi vers le terminal où des bateaux viennent s'en approvisionner. Mais que se passe-t-il exactement. Les compteurs posés au niveau de chaque puits afin de quantifier le volume du brut original ne fonctionnent pas. Premier couac. En d'autres termes, l'on ne sait guère la production de chaque puits, ne serait-ce que partiellement. Ni au niveau des collecteurs ni au niveau des séparateurs, les compteurs ne fonctionnent. Comment comprendre qu’ESSO installe des compteurs non fonctionnels ? Mystère ! Dans ce magma d'indélicatesses, le Ministre du pétrole a cru bon pallier à ce manquement surprenant par un arrêté 035 qui autorise ESSO à poser des compteurs à Kribi plutôt que Doba ; de caribe dans sylla ! Donc le pétrole sort du territoire tchadien vers le Cameroun sans aucun contrôle, sans aucune estimation. En amont comme en aval, c'est ESSO qui est le seul détenteur de la vérité ; le ministère du pétrole ne maîtrisant sans doute ps toutes les données. Pour jauger le brut, on estime la capacité du bateau plein à Kribi, lesquels bateaux se succèdent à un rythme effréné à telle enseigne que des pénalités sont prévues pour deux types de retardataires : ceux qui accostent à Kribi avec retard (le bateau est pénalisé) et ceux qui quittent Kribi avec retard (le consortium est pénalisé), l'essentiel étant de charger au plus vite pour faire place aux suivants. Qui sait avec exactement la capacité des différents bateaux ? Certainement pas les Tchadiens. Lors d'une rencontre sur le pétrole, à la question de savoir comment les Tchadiens allaient-ils contrôler les compteurs ? Un responsable du projet a rétorqué que des essais ont été menés à Houston aux USA avec de l'eau et ce, pendant plus de deux semaines et la conclusion est que les compteurs sont en très bon état de marche et aucune malversation n'est possible. À une autre rencontre, un responsable a affirmé que " le Tchad est le premier pays au monde à contrôler véritablement son pétrole ". Vol ou pas vol, à chacun de trouver un qualificatif pour cette sinueuse opération "cleptopétrolière". Ce n'est nullement la faute aux autres, loin s'en faut mais aux Tchadiens uniquement.

Lors de la visite au Tchad en 1976 de M. Kurt WALDHEIM ancien Secrétaire Général des Nations Unies (1972 à 1981), il était question de créer une division pétrolière avec un centre de documentation. À cet effet, une mission des Nations Unies conduite par un certain Rouyer, a séjourné au Tchad et a jugé concluante et très positive, l'extraction du gisement de Sédigui. Pour ce qui est des formations des cadres, le PNUD s'en chargera. Puis arrive la guerre qui remet les compteurs à zéro. Arrivé au pouvoir, Hisseine Habré s'empare du "dossier pétrole" et crée au niveau de la Présidence de la République, le Bureau des Affaires Pétrolières (BAP). Depuis lors, c'est la Présidence qui s'immisce contradictoirement dans le dossier pétrole jusqu'à nos jours. Et c'est là, le péché originel !

Économie : Sur le plan économique les résultats de l'Enquête sur la Consommation et le Secteur Informel au Tchad (ECOSIT, 96/97), donnent des seuils de pauvreté alimentaire de 173 frs CFA et de pauvreté globale de 218 frs cfa par tête et par jour. Tous ces seuils sont inférieurs au standard international d'un dollar US par tête et par jour. L'incidence de la pauvreté alimentaire est de 42% et celle de la pauvreté globale de 54% (ECOSIT). L'Indice de Développement Humain (IDH) de 2003 place le Tchad au 165 ième rang sur 175 Etats du monde, avec un taux d'inflation de 5,2%. Le PIB par habitant est estimé à 230 $ par an, moins de la moitié de la moyenne de l'Afrique subsaharienne. Le Tchad, dont 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté, connaît une situation d'insécurité alimentaire chronique. Les investissements directs étrangers en 2003 sont de 901 millions de dollars US, les importations de 775 millions de dollars et les exportations de 196 millions de dollars [7][7].

Malgré l'arrivée de l'or noir, le Tchad reste un pays à vocation agricole, dont le potentiel est encore largement sous-exploité : faute de moyens, seuls 10% des 20 millions d'hectares de terres arables sont en culture. Avec un cheptel de 16 millions de têtes (principalement de bovins et d'ovins mais également de caprins, de camelins, d'équins, d'asins), l'élevage représente le second poste d'exportations, alors que le secteur cotonnier, qui fait vivre plus de 350.000 exploitants, a fortement souffert de la chute des cours mondiaux. 

De 1997 à 2004, la croissance du PIB réel par habitant a été en moyenne de 7,6%, taux deux fois supérieur à celui de la population, ce taux relativement élevé est dû essentiellement aux investissements massifs dans le secteur pétrolier supportés exclusivement par les bailleurs car il aurait fallu plus de trois ans et 3,7 milliards de dollars d'investissement pour achever la construction du complexe pétrolier de Doba et de l'oléoduc de 1070 km le reliant au port de Kribi, sur la côte camerounaise. Un défi que le consortium américano-malaisien ExxonMobile-Chevron-Petronas n'a pas hésité à relever. Mais depuis la commercialisation du brut, le Tchad devrait connaître, au cours des prochaines années, une croissance à deux chiffres. Son PIB devrait passer de 2,6 milliards de dollars en 2003 à 4,2 milliards de dollars en 2004, soit une croissance record de … + 58% en un an, ce qui devrait vraisemblablement amener à une légère amélioration des conditions de vie au Tchad plutôt qu'une constante décroissance en tout de vue.

Les ventes de pétrole du site de Doba pourraient rapporter, au cours des vingt-cinq prochaines années, et en fonction du prix moyen du baril, jusqu'à un milliard de dollars par an, une somme sur laquelle l'Etat tchadien percevra 12,5% de royalties (redevances). Sous la pression de la Banque Mondiale, avant le lancement des travaux, les autorités tchadiennes se sont vues dans l'obligation de promulguer une loi sur l'utilisation de leurs futurs revenus pétroliers. Celle-ci stipule que 80% des recettes doivent être versées à des secteurs prioritaires (santé, éducation, infrastructures), 10% déposés sur un fonds destiné aux générations futures et 5% consacrées au développement de la région de Doba. Restent donc 5% que le gouvernement peut, en quelques sorte, utiliser à sa guise [8][8]. Ce qui est sûr, les générations futures risqueraient de vivre longtemps avec les ruines et les décombres qui sont l'œuvre de leurs prédécesseurs.

Sur 225.000 barils/jour, le Tchad en a 27.000, le reste au consortium. Le Cameroun perçoit 0,41 dollar sur chaque baril passant par Kribi. Initialement, le baril devrait coûter 13 dollars mais avec la flambée du cours mondial du pétrole, le baril vient de dépasser les 55 dollars soit plus de 4 fois le prix initial. Et pourtant, celui du Tchad ne vaut qu'à peine 28 dollars parce que de "qualité inférieure" dit-on. Cela signifie qu'au lieu de percevoir 75 milliards de frs CFA par an, somme initialement prévue, le Tchad percevrait environ le double par an, toujours insuffisant car si notre douane était performante, elle rapporterait environ 100 milliards par an, donc supérieur au revenu du pétrole. Est-ce acceptable ? Déjà à son temps, l'ancien responsable du consortium M. Petit faisait croire, lors d'une rencontre avec les cadres à Moundou, que " le pétrole du Tchad est de mauvaise qualité, trop parcellisé et dont le transport dans l'oléoduc consomme une quantité fabuleuse d'énergie ". Dans ce cas alors, pourquoi voir accepté avec tant d'engouement d'en être le patron ?

Energie : En matière énergétique, les négociations n'ont pas porté sur la fourniture en énergie pour la population et les services étatiques, alors que le pétrole c'est d'abord et avant tout l'énergie. "Le pétrole de Doba est de qualité très moyenne, selon les documents techniques, et sa valeur marchande subit une décote de deux dollars par rapport au baril brent, le pétrole de référence sur les marchés internationaux. Il s'agit d'une huile lourde visqueuse, avec une forte teneur en eau, mais toujours selon les documents du consortium, pratiquement exempte de soufre (à vérifier). L’exploitation des champs pétroliers de Doba générerait 424,7 millions de tonnes de gaz carbonique". Notre analphabétisme pétrolier ne nous autorise aucune critique de cette aubaine qui se transforme en catastrophe.

"Tout le gaz naturel produit sera utilisé, selon toujours les documents techniques adoptés, pour la génération d'électricité destinée aux installations. Il n'y aura donc pas de surplus utilisables pour la consommation énergétique du Tchad ni de champs de torchères brûlant dans l'atmosphère le gaz libéré et non exploité, dégageant fumées noires et quantités massives de gaz carbonique". En d'autres termes, il n'y a pas de gaz naturel pour le Tchad alors que le gaz est torché à longueur du temps et notoirement visible dans la zone pétrolière. " Conscient du rôle vital que l'industrie du pétrole s'est assurée à travers le monde, l'Etat tchadien a accordé au mois de septembre 1969, un permis exclusif de recherche d'hydrocarbures liquides et gazeux, dans notre pays à la Société américaine "CONTINENTAL OIL COMPANY" (CONOCO) pendant une période de cinq années renouvelables ".[9][9] Comme on peut le voir dans les documents originels, l'exploitation de gaz au bénéfice du Tchad a bel et bien été prévue dès les premiers accords.

La situation énergétique au Tchad demeure toujours délicate. Au niveau de la STEE, outre les appuis matériels fournis par les pays (Libye, France) et les bailleurs, le Tchad a bénéficié de 55 millions de dollars de la Banque Mondiale pour soutenir la STEE, puis très récemment, de 30 millions de dollars fournis par la Banque Islamique de Développement pour l'achat des groupes afin d'amener la puissance de la STEE à 30 mégawatts plutôt qu'à peine 13 MW actuellement. Toutefois, l'électricité tchadienne est excessivement chère, avec un coût au kilowattheure qui est l'un des plus élevés du monde : 0,32 euro (210 frs cfa) au Tchad contre, par exemple, 0,16 euro (105 frs cfa) au Mali et 0,04 euro (26 frs cfa) au Ghana (soit 8 fois moins qu'au Tchad). En cause : le prix du carburant, qui représente 80% du chiffre d'affaires de la STEE. Le Tchad a beau être producteur de pétrole depuis juillet 2003, le brut ne peut être utilisé pour fournir de l'électricité à la capitale, car le pays ne dispose pas des infrastructures nécessaires. La mise en exploitation du gisement de Sedigui, au nord du Lac-Tchad, doté d'un brut léger donc plus facilement utilisable, permettrait d'obtenir un carburant moins cher. Jusqu'à présent, ce projet n'a pas abouti. La construction d'une raffinerie et d'un pipeline confiée, de gré à gré, à une société soudanaise du nom de CONCORP n'a jamais été achevée, et la société a disparu avec des millions de dollars du contrat. Pour relancer le secteur énergétique du pays, il faudra donc également assainir la gestion de la STEE, minée par des défauts de paiement. Véolia, filiale de Vivendi, s'y est essayée sans succès et a résilié, en avril 2004, le contrat de gestion qui la liait à la société depuis 2000. Depuis lors, l'Etat a repris les commandes [10][10].

Dans la zone de Komé-Miandoum-Bolobo par contre, où que vous vous tournez c'est face à l'énergie électrique. Quatre turbines développant chacune 30 mégawatts (soit 120 mégawatts au total dont 60 seulement utilisés), fonctionnant directement avec du gaz ou du fuel lourd (donc une source d'énergie gratuite en quelque sorte) sont installées. Les négociations n'ayant pas abordé l'aspect énergétique du pays, le consortium a cru bon installer du 110 volts au lieu du 220 volts, tension électrique incompatible à la plupart de nos appareils. Aucune clause d'éclairage des villes n'a été signée. Résultat, Doba, la capitale du pétrole vit dans l'obscurité la plus totale. Un projet d'électrification est en cours à partir d'une source autre que celle du consortium. Sur le site pétrolier existerait une mini raffinerie étant donné que les appels d'offres relatifs aux travaux n'ont guère fait mention de la fourniture en carburant. De surcroît l'importation de carburant dans la zone pétrolière semble invisible. Et pourtant, ils tournent à l'essence et au gasoil, ces centaines d'engins et de véhicules loués par le consortium ou lui appartenant.

Environnement : Les écoulements du brut sont une certitude. Cependant, le traitement des produits aux abords de la Pendé entraîneront la pollution du Logone, puis du Chari et donc du Lac-Tchad qui contient plus de 300 espèces vivantes. La disparition de ces espèces sera une perte du patrimoine non seulement national mais régional, voire mondial. Qu'adviendrait-il des personnes qui auront consommé ces eaux polluées ? Par ailleurs l'absence de sincérité du consortium ne cache-t-elle pas des conséquences funestes ? Les moyens sécuritaires sont-ils à la hauteur du désastre encouru ? Le Tchad, ce pays de lumière et de beauté ne se retrouvera-t-il pas hors du temps ?

Impréparations et/ou sournoiseries : Nos méchancetés et sournoiseries nous ont rendus très vulnérables. Le projet prévoit pour la partie amont (l'extraction du pétrole) le forage, et les installations ce qui suit : centre de contrôle des opérations et logements du personnel, construction d'un aérodrome permanent permettant l'atterrissage d'avions gros porteurs, construction et/ou réhabilitation de routes, installation des infrastructures des média etc…, le tout dans la zone de Bebedja, ce qui entraînera inéluctablement des infrastructures connexes : hôtels, restaurants, manèges pour distraction, établissements scolaires pour enfants des expatriés, bancaires, des industries agroalimentaires, médias, supermarchés, laiterie, pressing, autres services, etc. Rien n'a été fait parce que les Tchadiens eux-mêmes s'y sont opposés. À qui la faute alors ? Comme quoi ici chez nous, on ne change pas une équipe qui gâche. L'impréparation au Tchad est légion à tout point de vue. À titre d'exemple, plus de 6000 ouvriers se salissent les tenues chaque jour. En estimant que 3000 tenues sont nettoyées quotidiennement à 2000 frs la pièce, la société de pressing qui s'y installera, récolterait quotidiennement 6 millions de francs. Aussi curieux que cela puisse paraître, Doba ne dispose d'aucune station d'essence ni de gasoil. Que vaut une poubelle sans ordures ?

Lors du lancement des travaux, le consortium a demandé l'existence d'une personne ou entreprise capable de fournir 35.000 œufs par semaine en prévision à l'atteinte de la vitesse de croisière des travaux. Personne n'était capable de fournir cette quantité et les Camerounais auraient sans nul doute gagné le marché. Il avait sollicité les services d'une entreprise spécialisée en soudure des pipelines, il n'en existe pas au Tchad. Les Philippins ont gagné donc le marché. La construction d'habitations démontables gagnée par la "Tchad Cameroun Construction" (TCC), une entreprise étrangère et les routes par Bouygues alias "David Terrassement". "Catering International & Services" (CIS) dont le siège est en Europe a raflé la fourniture en alimentaire. Les ouvriers sont alimentés en fruits à partir du Cameroun, fruits issus des arbres plantés cinq années plus tôt en vue de desservir les travailleurs des chantiers. Un débrouillard de Bébédja est parvenu à obtenir un petit marché de fourniture de poulets, pour un chiffre d'affaires d'environ quatre millions de frs cfa seulement par mois. Un jour, le responsable des achats de CIS, un certain M. Escalier lui écrit en ces termes : " Nous n'achetons que du poulet PAC congelé, empaqueté individuellement, d'un poids minimum de 950 grammes et d'un poids maximum de 1100 grammes", une manière simple de l'exclure. Décidément, le marché a été attribué à une entreprise étrangère. Pour l'heure, les légumes, la fourniture de poisson et quelques insignifiants marchés sont acquis par quelques nationaux courageux. C'est à peine si les Tchadiens arrivent à décrocher des postes moyens.

En fin juillet 2002, David Terrassement alias BOUYGUES quittait le Tchad pour le Gabon. Les chauffeurs tchadiens réquisitionnés à cet effet, n'ont droit qu'à 100.000 frs maxi pour une durée de 16 jours pour y convoyer les véhicules en traversant le Cameroun et le Gabon. Aucun autre droit ni protection ne leur ont été accordés même si le délai imparti s'avère insuffisant. Tant pis pour leur retour ou en cas d'accident. En somme, les travailleurs sont laissés pour compte, leurs droits n'étant pas protégés par l'Etat. Il faut saluer ici la société civile tchadienne, quelques partis politiques qui ont pu faire fléchir le consortium afin de dédommager des paysans.

A cette allure, le Tchad parviendra-t-il pour autant à résorber la pauvreté qui touche la majorité de sa population avec le pétrole ? Rien n'est moins sûr, tant les problèmes à résoudre sont nombreux… . Ici comme ailleurs, rien n'indique qu'il n'enrichira pas, en premier lieu, une caste politico-économique gravitant autour du pouvoir. Le processus de répartition des recettes pétrolières fait bien, en théorie, l'objet d'une "surveillance" internationale imposée par la Banque Mondiale dont l'objectif est de favoriser le développement de secteurs socialement prioritaires (santé, éducation, infrastructures). La définition de ces secteurs et l'application de mesures de contrôle restent néanmoins des plus incertains puisque les premiers 4,5 millions de dollars reçus lors de la signature du contrat d'exploitation des gisements de Doba, ont été utilisés par le gouvernement pour l'achat d'armes [11][11]. Les Tchadiens n'ont pas honte d'être pauvres mais leur pauvreté est bigrement incommode.

Quelques pistes de solutions :

Plus on cherche, plus on se rend compte que le domaine du pétrole est un endroit où les secrets sont aussi immenses qu'un océan de sable. Cependant, point n'est besoin de doigter nos partenaires. Les régimes successifs ont enseigné aux Tchadiens la résignation étant donné que le glaive l'a toujours emporté sur le bouclier. Le résultat est édifiant car même dans les négociations avec des tiers, l'ombre de la résignation plane. Belle leçon intériorisée.

Malgré les déboires et maladresses ayant entachées le parcours sinueux de jaillissement du pétrole, tout n'est pas perdu car nous ne sommes pas encore assis sur le tranchant d'un rasoir. il existe encore des pistes de solutions devant conduire le Tchad à majorer sa part quand bien même le Cameroun et le consortium le tiennent virtuellement par la gorge à travers le débouché. Pour beaucoup subsistent l'envie de changer et la peur du changement. C'est là une histoire de conversion de la monnaie sans dépréciation.

Point 1 : Bonne gouvernance : les dirigeants tchadiens pourraient redresser la barque s'ils pensent légitimement avoir commis des gaffes. Mais hélas, rien ne peut se faire sans l'application d'une bonne gouvernance, ce qui parait tard puisque les choses vont en empirant. Tout ce qui se passe est proportionnel à la faiblesse d'un gouvernement en matière de gestion du pays. " Gérer c'est prévoir, ne pas prévoir c'est gémir ". Le cri strident de tout un peuple pour arrêter le désastre des accords, est monté jusqu'à Dieu mais il n'est pas arrivé à l'oreille du Gouvernement qui a choisi une gestion solitaire avec les siens. Pour le cas d'espèce, le non tripotage des textes constitutionnels fait bel et bien partie de ladite bonne gouvernance.

Point 2. : Réajustements : les Tchadiens doivent refuser ce qu'on leur refuse et que l'important soit dans le regard, non dans les choses regardées ; première attitude à adopter. De temps à autres, des réajustements des termes de conventions sont à suggérer voire imposer à nos partenaires afin de remédier à certaines insuffisances car rien n'est statique. Réfléchir sur d'autres types de débouchés est plus qu'une nécessité, c'est une obligation. En cas de refus, le Tchad se devra de déroger sans pour autant dériver. Il faut oser car mauvais est le soldat qui ne rêve pas d'être général.

Point 3 : Non extrapolation de la présente convention : la convention signée avec le consortium ne peut être dupliquée et servir de modèle à d'autres accords futurs à l'instar de ENCANA, cette société à laquelle le Gouvernement a attribué, les yeux fermés, de grands espaces (plus de 300.000 km²) et qui, au grand dam des cieux, a emboîté le pas à la convention du consortium puisqu'il s'agit d'une sous-traitance avec ce dernier, ce qui est désormais à proscrire.

Point 4. Syndicat des travailleurs pétroliers (STP) : le STP sera affilié à l'Union des Syndicats du Tchad (UST), l'objectif étant de protéger les droits des travailleurs, bref d'accorder aux travailleurs le droit d'avoir des droits. Désobéir est également un devoir. C'est illégal mais légitime. À Komé, même les professionnelles du sexe, les prostituées sont constituées en association avec comme présidente, une camerounaise… Il faut montrer ce qu'on n'ose pas dire et dire ce qu'on n'ose pas montrer.

Point 5. Création d'une Société des Hydrocarbures du Tchad (SHT) : véritable bureau d'études en la matière, la SHT disposera outre les services techniques ad hoc et l'administration, des services juridiques, économique, socio-environnemental. La SHT aura des rôles techniques : conception et analyse des documents techniques, contrôle, propositions en tous points de vue, recueil tous azimuts  des informations relatives au pétrole, bref elle se professionnalisera et produira des consultants dont la compétence sera sollicitée tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays plutôt que de regrouper de manière hâtive, anarchique, ponctuelle, et occasionnelle, des individus (très souvent non qualifiés) dont le rôle à chaque rencontre, ne se limite qu'à écouter et à signer les documents sans lecture profonde. Cette société devra s'atteler à élaborer des contrats types en bonne et due forme pour des éventualités.

Point 6. Raffinerie : une raffinerie de grande capacité pour satisfaire les besoins tant intérieurs qu'extérieurs ; ce qui baissera de manière drastique le coût de l'électricité, du transport et partant, stimulera la création des petites et moyennes entreprises, un moyen de juguler substantiellement la fraude. Le pétrole du Tchad étant qualifié de lourd, ses dérivés quoique l'on dise sont multiples, notamment le bitume pour le revêtement des routes.

Point 7.  Énergie : des turbines devront être mises à la disposition du Tchad pour la fourniture en électricité. Étant donné la disponibilité en carburant, le Tchad devra se doter de quatre turbines de 30 mégawatts, une quantité nettement capable de supporter l'électrification de tous les chefs-lieux de région, de département et de sous-préfecture à un coût accessible à tous les citoyens.

Point 8. Gaz : l'usage de gaz par les ménages est un problème d'information, d'éducation et de formation à l'endroit des citoyens. On n'y gagnerait beaucoup en substituant le gaz au bois dont la coupe devient de plus en plus onéreuse aussi bien pour l'Etat que pour les populations. Certains pays limitrophes du Tchad en excellent.

Point 9.  Réseau de chemins de fer : Contrairement à l'eau, le pétrole ne durera pas une éternité. Le Tchad doit donc se prendre très tôt afin de trouver dans la décennie courante, un débouché autre que celui du Cameroun : un réseau des chemins de fer reliant en priorité le Tchad à l'Afrique de l'Ouest à partir du Nigeria. De par sa situation géographique, le Tchad pourrait disposer de marché potentiel au sein duquel une portion du pétrole aussi infime soit-elle sera aisément écoulée. Il s'agit de la fourniture en carburant de la région ouest africaine. Carrefour économique potentiel, il jouit d'une position stratégique à tout point de vue puisque limité à l'ouest par le pays le plus peuplé d'Afrique, le Nigeria ; à l'est le pays le plus vaste, le Soudan ; au nord, l'un des pays les plus riches, la Libye ; quoi de plus envieux ! Par ailleurs, le développement du réseau routier national facilitera non seulement la circulation mais favorisera l'éclosion des activités connexes, les brassages intercommunautaires, un gage pour la paix à partir duquel naîtra le nouvel embryon d'une nation. C'est à ce prix seulement que les Tchadiens regarderont le projet avec un léger optimisme.

En somme, les exigences des Tchadiens sont à l'échelle de leurs malheurs et ce serait pour nous une lourde faute que de ne pas apercevoir notre propre bonheur. Au regard de tout ce qui précède, on ne peut se vouer à personne, moins encore au gouvernement et au consortium. Les gestes de victoire sur un fond de ruine ont conduit le bas-peuple à l'optimisme, à la jubilation, à l'imprudence et au silence, lors qu'il n'en est rien. Par conséquent, le mutisme, l'indifférence de chacun de nous, nous rattraperont. Descartes l'avait déjà vu avec une admirable clarté : " la liberté d'indifférence est le plus bas degré de la liberté ". Et puis, à quoi servirait l'archo-profito-situationnisme ? Si ce n'est qu'aux individus qui tirent leurs profits dans des situations anarchiques ! En dernier ressort les Tchadiens demeurent les seuls responsables de leur avenir car "tout esclave a en main, le pouvoir de briser sa servitude" (Jules César). L'avenir est-il seulement entre les mains de Dieu ? Non ! Aide-toi et le ciel t'aidera. Ce serait donc une utopie meurtrière que d'attendre la délivrance promise par le ciel. Il faut lutter pour la vie sans avoir peur de la mort même si depuis, nous luttons avec l'énergie du désespoir.

Caman  Bédaou  Ouma

Héritage politique de Fronçois NgartaTombalbaye et les origines de la crise institutionnelle permanente

L’éditorialiste du pouvoir MPS M. Djonabaye Dieudonné dit Bendjo, ex-porte-parole du journal N’Djaména Bi-hebdo et de la Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme (LTDH), avait réalisé un reportage très intéressant diffusé à la Télé- Tchad, avec des images d’époque montrant feu le président François N’garta Tombalbaye dans sa croisade contre le Soudan du général Djafar El-Nimayri en 1965. L’objectif déclaré était d’établir un parallélisme quasi- absolu entre les déclarations et le combat « natio- naliste » de Tombalbaye d’avec celui du général Idriss Deby Itno (IDI) qui serait, selon le réalisateur, l’héritier spirituel du premier président.
Nous n’allons pas nous intéresser à cet aspect de la question ; nous saisissons la balle au bond pour faire plutôt une analyse historique sommaire, surtout à l’attention des jeunes tchadiens qui ne disposent d’aucun repère pour connaître la vraie histoire de leur pays.

À l’origine
Qu’est-ce qui avait amené Tombalbaye à s’attaquer au Soudan en 1965 ? Pour mieux le comprendre, il faut revenir au contexte de l’époque. Cette année-là, le premier mouvement armé contre le pouvoir central de Fort-Lamy venait de se créer au Soudan, en l’occurrence le FLT de Mahamat Ahmat Moussa[1][2]. Un autre groupe, le FROLINAT (Front de libération nationale du Tchad), celui qui allait bouleverser le destin de ce pays, était en gestation et sera créé l’année suivante à Nyala, toujours au Soudan. Donc, à l’origine du conflit tchado soudanais, il y eu le rôle majeur du grand voisin dans la formation de la contestation armée contre un pouvoir X installé à N’Djaména. Le Soudan était sous la forte influence du régime nationaliste pan arabiste de Gamal Nasser en Égypte. L’idéologie dominante était la lutte contre l’impérialisme occidental qui chercherait à détruire l’identité culturelle et religieuse du monde arabo- musulman. Tous les mouvements de contestation armée qui verront le jour ici et là reprendront à leur compte cette idéologie comme base de leur programme politique. Les mouvements armés tchadiens ne seront pas du reste [2][3]. C’était le prix du soutien des pays arabes !

Les causes
Ce que ne disait pas Tombalbaye, c’est sa propre responsabilité dans la tournure des évènements. En effet, Tombalbaye une fois au pouvoir à la faveur de l’Indépendance, se soucia plus de la conservation de son fauteuil et fit les mauvais choix politiques qui lui coûteront finalement la vie. En 1962, il imposa une révision constitutionnelle renforçant ses prérogatives et imposa le parti unique pour couper l’herbe sous les pieds de ses adversaires, à l’époque presque tous originaires du « grand Nord » (Koulamallah, Abbo Nassour, etc.). La démocratie parlementaire fructueuse de 1946 fut abolie au profit de la dictature et du pouvoir personnel. Ce qui déboucha sur la première révolte populaire du 16 septembre 1963 à Fort-Lamy (Quartier Mardjane Daffack et consorts) réprimée dans le sang par la toute jeune armée tchadienne encadrée par des officiers français.

Les soutiens extérieurs
Tombalbaye s’appuya sur le soutien de la Françafrique et de la Légion étrangère française pour nourrir son arrogance politique et son penchant pour l’exclusion. Ses opposants, qui ne pouvaient pas se renier en ralliant le parti unique PPT RDA, préférèrent jouer sur l’opportunité du soutien arabe via le Soudan, pour organiser leur réplique à cette dictature. La géopolitique régionale leur allait être favorable, car avec le boom pétrolier des années 70, les pays arabes allaient disposer de grands moyens de pression sur l’Occident pour imposer leur volonté hégémonique sur l’Afrique subsaharienne. Dès lors, nos deux grands voisins du Nord et de l’Est prendront de l’ascendance sur la quasi-totalité des élites dites « nordistes » du Tchad, devenant les parrains incontournables de leur marche progressive vers le pouvoir. Tombalbaye désabusé se retournera contre le Sud à qui il imposera, sous couvert d’initiation ‘Yondo’[3][4] chez les Saras d’une part et en lançant la périlleuse et brutale « opération 750 tonnes de coton » au village de Kalgoua de l’autre, un climat insupportable d’oppression des fonctionnaires, de délation et d’incarcérations de dignitaires militaires soupçonnés de prendre conscience de l’état déliquescent du régime, (le mythe de Moabaye planton au ministère du plan’[4][5]). La trahison et la mort clôtureront son épopée politique.

Les premières illusions de victoire
Cependant, le FROLINAT ne connaîtra sa véritable apogée qu’après Tombalbaye. Pourquoi ? Parce que l’ancien président était un homme intelligent et rusé. Après avoir utilisé la Légion française pour affaiblir les foyers rebelles du Centre- Est entre 1968-1970 (Le fondateur Ibrahim Abatcha a été capturé, tué et décapité vers Am Timan, sa tête exposée au bâtiment de l’actuel Ministère des Relations Extérieures), Tombalbaye se tourna brusquement vers les pays arabes, rompit avec Israël, libéra et réhabilita ses opposants « nordistes » devenus ses plus farouches partisans. Des transfuges du FROLINAT furent récompensés avec des postes sensibles dans l’appareil d’Etat. Tombalbaye s’allia les faveurs de certaines chefferies puissantes du grand Nord, tel que Iriba ou des tribus hostiles au FROLINAT en l’occurrence les arabes Missiriés de feu Acyl Ahmat, qui lui prêteront main forte jusqu’à sa chute et sa mort. Ces manœuvres mirent un temps en difficulté les groupes rebelles du FROLINAT.

Le tournant
Après avoir joué pour Tombalbaye, un personnage obscur allait marquer une rupture dans les plans machiavéliques de celui-ci. Il s’agit de Hissène Habré (HH). Initialement « infiltré », semble-t-il par Tombalbaye et les services secrets français dans la rébellion pour la contrôler de l’intérieur, HH allait vite trouver ses propres marques, ayant constaté le vide intellectuel et idéologique qui prévalait au sein de ladite rébellion. Favorablement accueilli par Goukouni Oueddeï et placé à la tête de la 2e armée basée au Tibesti, HH allait organiser le rapt des européens dont Mme Françoise Claustre en 1972 à Bardaï. La rébellion du FROLINAT allait bénéficier durablement du coup médiatique de cette affaire « terroriste » de prise d’otage. Tombalbaye échouera aux portes de Bardaï. Sa volte-face anti-française (opération authenticité, campagne contre « Dopelé » Foccart [5][6]) lui coûtera la vie des mains des membres de sa propre armée et non pas du FROLINAT son ennemi juré !

L’incompétence des successeurs
Arrive au pouvoir, le 13 avril 1975, le Conseil Supérieur Militaire (CSM), pratiquement le régime le plus médiocre qu’a connu le pays. Les officiers de Tombalbaye, mal préparé à la gestion du pays et manquant de culture politique, allaient précipiter l’Etat dans la déchéance irrésistible. Le général Félix Malloum, chef de l’Etat, se trouva bien seul à croire en sa « politique de réconciliation nationale » avec la rébellion du FROLINAT, la fameuse politique de « la main tendue ». Dans son entourage militaire, deux tendances opposées : les partisans de la force autour de Kamougué d’un côté et de l’autre ceux de la neutralité de l’armée avec feu général Djogo. Très vite, les incohérences des militaires donnèrent le change aux deux grands groupes du FROLINAT issus de la scission [6][7] de 1976 entre HH (CCFAN) et Goukouni Oueddeï (FAP) de se réorganiser, de s’équiper d’armements modernes et de menacer directement la capitale N’Djaména. La spécificité arabe blanche vaudra la création du Conseil Démocratique et Révolutionnaire (CDR) de Acyl Ahmat, souvent considéré à tort ou à raison comme la marque de l’invasion arabe et islamiste sur le Tchad.

La fin d’un système de gouvernance
Avec la chute de la prestigieuse garnison de Faya-Largeau en février 1978, la plupart des cadres civils et militaires « nordistes » furent convaincus que le pouvoir « sudiste » vacillant de Malloum ne se relèverait plus jamais et que la route de N’Djaména était désormais ouverte. C’est alors qu’interviendra la lutte des tendances dites « politico-militaires » pour la conquête du pouvoir par les armes dans le jeu politique tchadien. Le premier qui s’installe aux bords du Chari devra s’imposer aux autres, telle sera jusqu’à ce jour la règle cynique de l’alternance, après le coup de force institutionnel fait par Tombalbaye ! La défaite de Faya-Largeau, qui démontra l’irresponsabilité des membres du CSM accrochés aux délices du pouvoir à N’Djaména, causera le basculement de la grande majorité des « sudistes » dans la tendance radicale « anti-nordiste FROLINAT », civils et militaires compris. Désormais, le mot d’ordre politique des « sudistes » sera jusqu’à ce jour « La Survie » à tout prix. Sans entrer dans trop de détails connus ou volontairement occultés, on retiendra simplement qu’après avoir perdu pied à N’Djaména (le pouvoir central), les « sudistes » tenteront l’expérience de l’autonomie dans un premier temps avec Kamougué sous le Comité permanent pendant 3 années au Sud (« Zone méridionale »). Cette expérience finira en queue de scorpion à cause des divergences inter-sudistes ravivées : une partie de l’ex-armée nationale tombée dans le piège de la défense du « terroir d’origine » de la majorité des soldats « sudistes » et devenue simple tendance, se rallia à HH et mis fin à l’aventure du Comité permanent.
Cependant, la propension à la résistance « sudiste » ressuscitera une première fois sous HH avec les groupes Codos, sans réussir l’unité idéologique des « sudistes ». Puis, sous le régime actuel avec les groupes de Ketté Moïse et Laoukein Bardé, disparus. Il parait évident que les « sudistes » ont bien abandonné l’option de la lutte armée qui ne leur a pas réussi, en comparaison avec les mécontents du grand Nord. Aujourd’hui, certains « sudistes » attendraient comme des sujets hébétés l’avènement d’un Tchad unitaire, laïc, républicain (égalité des citoyens) et démocratique (Accord du 13 août 08 ?), qu’ils croient que d’autres, confusément « les rebelles », « les français » ou autres qui prennent des risques, accepteraient de le leur gratifier généreusement ?

Le nœud du problème
La grande leçon à tirer du règne chaotique du CSM étant que la résolution du problème tchadien dépend du contenu qu’on lui donne et de la capacité des hommes à s’assumer. Le CSM a perdu pour avoir marginalisé les forces vives du Nord, les cercles d’influences ethniques et religieuses, le recrutement et le bon traitement des « nordistes » dans l’armée. Malgré la valeur militaire incontestable et la bravoure de nombre d’officiers et soldats « sudistes » de l’époque, ils seront pris au piège dans une guerre qui n’était plus celle d’une armée nationale mais des fractions tribales, régionales, religieuses. Ils ne pouvaient plus tenir sur un terrain hostile avec des populations réclamant leur départ et ne reconnaissant plus le pouvoir vacillant qu’ils défendaient. Aux « sudistes » d’en faire le bilan aujourd’hui !

Le recours
Pour revenir au Soudan, ce pays continuera à jouer un rôle grandissant dans le placement des chefs de guerre à la tête du Tchad, en l’absence d’une vision commune de l’Etat et de la république défendue par nos élites. Le Soudan n’est que le cheval de Troie d’un faisceau de puissances étrangères qui décident du sort des tchadiens restés immatures politiquement. Ce sont toujours des tchadiens qui vont, comme en 1965, demander l’aide soudanaise pour venir détruire leur pays, en tentant de s’emparer du pouvoir. Au contraire d’un autre voisin puissant du Nord qui avait un véritable conflit frontalier avec le Tchad, le Soudan attend patiemment d’être sollicité sans se fatiguer. À qui la faute ?

Leçons
Il est de la responsabilité des compatriotes qui ont souvent flirté avec le Soudan depuis ces lointaines années, de faire le bilan de leurs gains, par rapport à tout ce que le pays a perdu et continue de perdre encore à cause d’eux. La vision rétrograde de l’Etat butin de guerre et vache à lait, la stratification de la société selon une logique pro esclavagiste, la violence qui fonde le droit et la tribu qui doit dominer sur l’Etat, qu’est-ce qu’ils ont apporté de « révolutionnaire » et qui pourrait être retenu comme tel tant par les tchadiens avertis que par les historiens ? Personne n’assumera cette responsabilité à leur place devant l’Histoire. Il est vrai que les luttes dites de « libération nationale » en Afrique et ailleurs se sont appuyé sur le soutien transfrontalier pour gagner. Cependant il n’y pas d’exemples, à notre connaissance, aboutissant à l’aliénation de l’identité et de la souveraineté d’un pays, comme ce fut le cas chez nous.
En résumé
, l’héritage politique de Tombalbaye n’est pas étranger aux tentations qui détournent l’esprit des pseudos révolutionnaires une fois au pouvoir. Un, que ce serait-il passé si Tombalbaye n’avait pas changé la florissante démocratie parlementaire des années 46-60 par le système de la pensée unique et le culte de la personnalité pour assouvir sa soif de pouvoir personnel ? Deux, voyons un seul instant la liste des évènements lugubres de notre sombre passé qui n’auraient peut-être pas eu lieu : révolte et répression urbaine du 16 septembre 1963, disparition des hommes politiques tels que Jean Baptiste, Silas Sélengar et d’autres en prison sous la torture (prémices de la DDS), révolte de Mangalmé 1965, coup d’Etat militaire du 13 avril 1975, etc., etc. Trois, y aurait-il eu le phénomène de la rébellion armée et de tous les cauchemars qu’il ne cesse d’infliger aux tchadiens ? Quatre, Tombalbaye aurait-il été tué par sa propre armée fatiguée de poursuivre un « ennemi intérieur » perpétuellement reconvertible ?           

Gains et pertes
Tombalbaye avait bien géré la république, avec un petit budget d’une dizaine de milliards CFA, une gendarmerie de 1500 hommes mal équipés mais formés, disciplinés et déterminés, une administration territoriale tenue avec prudence par des cadres dont le niveau dépassait rarement le Bac mais qui se souciaient de la Loi , etc. Ce qui l’a perdu, c’est son obstruction à la démocratie qui l’avait pourtant amené au pouvoir, la soif du pouvoir personnel, éternel. La majorité des Saras Madjingaye[7][8] n’avaient pas connu physiquement Tombalbaye durant son règne, mais eux et les autres « sudistes » paieront chèrement et injustement pour lui jusqu’à ce jour, même les faits imaginaires inventés pour recruter et motiver plus de combattants contre son régime !

Erreurs fatales
Tombalbaye a voulu torpiller la règle du suffrage universel et du pluralisme démocratique, dans un pays complexe, pour être toujours « l’homme providentiel » ou « l’ombre du manguier » selon des griots de l’époque. Tous ses efforts et ses succès éphémères ont favorisé sa déchéance dans la folie du pouvoir, sa chute et sa mort violente. Son ami El Hadj Ahidjo du Cameroun fut plus sage en partant à temps : son pays tient encore debout et continue d’attirer les responsables tchadiens qui veulent « décompresser » le week-end !

Conséquences
En plus du conflit graduel Nord-Sud, Tombalbaye avait laissé faire son entourage tribalisé qu’il voulait transformer en cour royale haïtienne. Résultats : en 1978, au plus fort de la débâcle de l’armée majoritaire « sudiste » au grand Nord, des émeutes éclatèrent au Mayo Kebbi, contre l’hégémonie politique des Saras, les supposés « parents » naturels de Tombalbaye. Cette blessure sud-sud continue encore à entretenir des rancunes entre « sudistes » à l’esprit primitif, se traduisant par des coups bas et des incompréhensions systématiques à tout bout de chemin, pour leur grand malheur ! Si les élites du grand Nord seraient en train de vivre tragiquement le revers de la médaille du FROLINAT, leurs compatriotes « sudistes » ont baissé les bras depuis longtemps. Les leaders publiques « sudistes » sont restés handicapés par leur réflexe unique de survie et l’indifférence quasi volontaire envers la situation chaotique généralisée dans le grand Nord, telle une cynique revanche. Comme si personne ne devrait franchir le vrai faux mûr Nord-Sud qui est déjà pourtant tombé de lui-même, faute d’arguments, sous le coup des évènements contradictoires !

Le chant du cygne
Si aujourd’hui la classe politique crie à l’unisson que la solution passe par la mise en œuvre de l’Accord du 13 août 08, a-t-elle tiré les bonnes leçons depuis Tombalbaye, quand on sait que les leaders de cette époque s’accrochent encore au perchoir sans rien apporter de nouveau ? Qui est réellement pour le triomphe du suffrage universel : un bulletin = une voix = un (e) citoyen ayant réellement qualité pour voter ? Qui est prêt à abandonner les armes, par amour pour son pays et à se plier aux règles communes dans tous les domaines ? Pourquoi depuis plus de vingt ans, en matière pénale et criminelle, on consacre deux catégories de tchadiens irréconciliables : d’un côté les gens de la dia au-delà du 16ème parallèle et de l’autre l’écrasante majorité des ethnies préférant l’entente et la conciliation entre elles ? Quand un jour le pouvoir inévitablement changerait de pôle socio idéologique, quelle sera la coutume qui sera imposée ? Etc.

Et demain ?
Quand on sait ce qui se passe au Darfour, après avoir été pratiqué plus de 2O ans dans le Sud Soudan, quand on se réfère aux modes préconisés par ceux qui préfèrent le chemin de Rabah pour arriver au pouvoir et s’y maintenir en pratiquant la cruauté légendaire de ce dernier, on est encore loin de trouver une élite affranchie pour écourter les maux et fléaux importés au pays des Sao et de Toumaï. Le Harmattan souffle toute l’année du Nord-Est au Sud-Ouest et assèche tout sur son passage. Quand les Toyota ayant remplacé les chevaux de Rabah s’en mêlent, petit à petit, le Tchad devient un gigantesque désert, avec comme décor les champs de combats fratricides, une nature dégradée et des populations cannibalisées qui s’entredévorent çà et là loin de ce qui pourrait leur apporter réellement la paix et un peu de repos sur cette terre !… Tombalbaye avait-il pensé à tout cela ?

Enoch DJONDANG

[8]1] Des erreurs pourraient être faites sur les dates, les lieux et certaines nominations sans changer le fond du dossier ;
[9][2] Ce mouvement rebelle rallia le CSM du général Malloum avec 150 hommes ;
[10][3] Contrairement aux autres mouvements de libération nationale africains, ceux du Tchad n’avaient pas de véritables références idéologiques hormis la reprise laconique du discours nassérien
[11][4] Cette campagne ‘initiatique’ était politisée et visait à rééduquer les potentiels opposants de son groupe ethnique
[12][5] Matraquage médiatique organisé sous forme de satyres injurieuses et lues à la radio avant les infos
[13][6] Imitation aveugle du Mobutisme et caricature de Jacques Foccart sous le sobriquet de ‘Dopelé’
[14][7] ‘Officiellement’, la cause serait l’occupation de la bande d’Aouzou par la Libye  ;
[15][8] Ethnie d’origine du premier président de la république, région de Koumra dans le Sud ;

Dossier: « A l’occasion du 4e anniversaire de son investiture, le 08 août 05 : Portrait d’Idriss Déby, ses atouts et ses faiblesses  »

Pour commencer, nous tenons à signaler que cet article ne relève pas de l’utilisation « des procédés détestables, indignes et mensonges pour provoquer le scandale [1][1][1]», et ne donnerait lieu en France à aucune poursuite de la part de la DGSE ou du Secrétaire Général du Gouvernement français, moins encore aux menaces d’escadrons de la mort. Il est en symbiose totale avec la Constitution et la loi n°029 sur le régime de la presse au Tchad. Pourquoi dresser un portrait du Président Idriss Déby (ID) ? D’abord parce qu’il est un homme public, sa vie privée n’est pas concernée. Il gère le sort de tout un peuple au quotidien, donc nos destinées individuelles sont liées d’une certaine manière aux faits et gestes de ce seul personnage. Ceci étant, qui est celui qui dirige le Tchad depuis une quinzaine d’années ?

Les atouts du Président Idriss Déby 

Il faut comprendre une chose : il n’y a pas d’école ou de diplôme de référence pour devenir Président de la République. Tout part d’une conjugaison de circonstances et de la personnalité. L’histoire du général Déby est couramment remontée à l’époque où il était Commandant en Chef (COMCHEF) des Forces Armées Nationales Tchadiennes (FANT) d’Hissène Habré, avant sa révolte le 1er avril 1989. Or, il faut aller plus loin dans le temps.

Un, Idriss Deby est avant tout un militaire, un vrai militaire engagé régulièrement pour faire carrière avec l’uniforme. Il n’est pas un maquisard produit du FROLINAT, comme beaucoup d’autres chefs de guerre. IDRISS DÉBY avait été moulé dans le système politico-militaire qu’il combattra par la suite, celui des régimes dits « sudistes » de Tombalbaye-Malloum. De ce fait, il détient les mots de passe nécessaires pour maîtriser et neutraliser cet ancien système de gouvernance. C’était un atout considérable pour sa destinée, face aux « lobbies sudistes ».

Deux, du côté des « nordistes », la logique du rejet systématique des « sudistes » a fonctionné à merveille pour verrouiller complètement l’expression politique démocratique et s’assurer l’allégeance grâce aux vieux démons du conflit « nord-sud » ; jusqu’à ce que ce créneau atteigne sa saturation et cède définitivement la place au clanisme pur et dur qui n’a plus rien à voir avec la solidarité coreligionnaire. IDRISS DÉBY s’impose aujourd’hui comme la seule réalité politique et militaire du Nord, situation ambiguë puisqu’il a en face de lui une pléiade d’expressions politiques divergentes au Sud : Ce déséquilibre entretenu est-il un atout pour lui et pour les nordistes ou un danger à moyen terme ?  

Trois, Idriss Deby était entré dans les rangs du FROLINAT-FAN (Front de Libération Nationale du Tchad-Forces Armées du Nord) au bon moment, comme du sang neuf ; ainsi, il pourra mieux s’adapter à la logique dictatoriale de Hissène Habré pour devenir l’un des piliers du pouvoir de celui-ci. D’ailleurs, Hissène Habré se méfiait beaucoup d’IDRISS DÉBY qu’il croyait utiliser comme un pion. En 1985 déjà, les mouchards de la DDS de la région de Biltine soupçonnaient IDRISS DÉBY et son cousin feu Brahim Mahamat Itno[2][2][2] d’avoir massivement recruté des Bidéyat[3][3][3] (300 éléments) à Aramkolé dans l’intention de tenter un coup d’Etat. Rien d’étonnant que trois ans plus tard, les officiers et combattants Béri soient obligés de quitter précipitamment N’Djaména et les autres garnisons pour le Darfour, pour créer le Mouvement Patriotique du Salut (MPS) actuellement au pouvoir. C’est le grand atout d’IDRISS DÉBY : la solidarité active de son groupe ethnique ne lui a jamais fait défaut !  Jusqu’à preuve du contraire, la minorité clanique dissidente du groupe Abbas Koty et du CNR est restée marginale. Aucun autre chef politico-militaire, excepté Habré en son temps, n’a eu tant de soutien de « ses parents » comme IDRISS DÉBY.

Quatre, Idriss Deby considère ses amis et collaborateurs comme de potentiels adversaires : ainsi, il sait mieux que quiconque, même mieux que les marabouts, à quel moment la puissance et l’aura d’un collaborateur pourrait devenir un danger pour lui. Et il évite au mieux de se laisser surprendre, quitte à pousser à la gaffe. Nombre de chefs rebelles sont tombés dans son piège, en croyant être plus malins. Toutes les oppositions politico-militaires en gestation actuellement sont nées des préoccupations sécuritaires du général IDRISS DÉBY. À cela, il faut ajouter tous ceux qu’il a habilement ralliés à sa cause après les cures de diète sèche imposée aux partis d’opposition. Disposer des armes de ses adversaires pour les combattre est un art qui constitue l’un des atouts incomparables d’IDRISS DÉBY.

Cinq, Idriss Deby connaît les mentalités tchadiennes mieux que quiconque, que n’importe quel leader politique ou de la société civile. Sa capacité de s’adapter à la diversité de ses interlocuteurs lui permet d’avoir toujours une marge de manœuvre secrète, quelle que soit la situation. Si ses pourfendeurs l’accusent de ne pas être un homme de paroles, c’est parce que dans la pratique politique locale, il y a deux paroles qui font foi selon : ce qui se dit pour l’opinion et ce qui se concocte dans les salons de thé. En usant couramment de la délation, les interlocuteurs du Président IDRISS DÉBY le conforte et le légitime dans son rôle de maître des jeux. Tout ce qu’ils vomissent pour gagner un poste ou une place au soleil, IDRISS DÉBY y trouve des données supplémentaires pour décider en son âme et conscience. Peu importe qu’on l’accuse de favoriser l’instabilité politique institutionnelle permanente : pour le Président IDRISS DÉBY, premiers ministres, ministres, colonels, préfets et autres ne sont que des passagers qui peuvent être débarqués à tout moment, en l’air, lors d’une escale, selon la seule volonté du commandant de bord qu’il est, après Dieu. Il connaît l’insatiabilité des cadres tchadiens pour les postes, en l’absence d’un sens civique et de dignité élevée. En les remplaçant constamment, il s’assure le zèle des plus cyniques prêts à tout pour satisfaire leurs ambitions mondaines. Et il semble avoir pleinement raison puisque les candidats se font toujours plus nombreux !

Six, Dans le même ordre d’idée, selon la logique des états-majors, IDRISS DÉBY a toujours le dernier mot sur ses adversaires : ceux qui se retrouvent en prison ou clochardisés dans la rue peuvent s’estimer heureux d’avoir la vie sauve ! Même en exil, il ne faudrait pas croire échapper facilement au poing du général IDRISS DÉBY. Seul Dieu pourrait vous protéger si vous êtes dans la ligne de mire et non pas vos mille précautions ! Cet aspect des choses rend IDRISS DÉBY extrêmement redoutable, comme César, et apprécié des stratèges politico-militaires français qui n’en demandent pas mieux. Pour ces milieux à la logique implacable, c’est plutôt un grand atout.

Sept, ses traits de caractère lui auront souvent porté chance sur le plan stratégique. Par exemple, ce fut en douceur qu’il acheva de régler le litige tchado-libyen d’Aouzou et il devint tactiquement le pilier de la CENSAD. Dans cette position, il s’impose comme le garant de la paix des braves entre les visées libyennes et le nationalisme tchadien. Malgré les méfiances, en dépit de l’existence du Mouvement pour la Démocratie et la Justice au Tchad (MDJT) Toubou, le remuant voisin du Nord ne pourra se passer si vite des services du général IDRISS DÉBY, s’il veut prétendre viabiliser son espace vital CENSAD. Paradoxalement, l’arrivée en force des intérêts pétroliers américains dans le décor est un atout supplémentaire pour dissuader le voisin du Nord de ne plus réitérer les aventures d’invasion et de déstabilisation d’antan.

Huit, par rapport aux Français, IDRISS DÉBY reste la seule carte encore valable à moyen terme. En effet, le général Déby a rendu d’immenses services à la préservation du pré carré français en Afrique Centrale, par les interventions militaires en RDC, au Rwanda, au Congo, en Centrafrique. L’armée française a donc une grosse dette envers lui. Aucun autre leader, même ancien militaire, ne peut rivaliser sur ce point de relations soudées entre les généraux légionnaires de Paris et IDRISS DÉBY. Leur lobby ayant la mainmise totale sur la politique de la sous-région, c’est une garantie et un atout supplémentaire pour le général Déby. Paris n’est toujours pas prêt d’accepter l’arrivée au pouvoir à N’Djamena d’un civil, de surcroît par la voie légitime des urnes. Patassé en avait fait l’amère expérience en Centrafrique et IDRISS DÉBY dut être sollicité pour mettre un terme à « son imposture » (selon ses propres termes). Ce rôle de gendarme régional, à lui seul, justifie aux yeux de Paris, la préférence perpétuelle pour IDRISS DÉBY.

Ce sont là quelques atouts principaux qui font d’IDRISS DÉBY l’homme indispensable du point de vue des puissances intéressées par le Tchad. Peu importe les tableaux sombres que les Tchadiens eux-mêmes, à travers les partis politiques et les associations civiles, font de l’œuvre du Président Déby et de son régime. Pour le moment, l’ensemble des intérêts collectifs des Tchadiens pèse peu sur la balance par rapport à ce que représentent, en terme de garantie par les atouts d’IDRISS DÉBY, les intérêts mercantilistes et stratégiques à court et à moyen terme des puissances étrangères. Le pouvoir au Tchad est avant tout un point d’équilibre entre intérêts géostratégiques étrangers, et cela pour des années encore. Le président Déby l’avait lui-même déclaré un jour.

L’exploitation du pétrole ne fera qu’accroître ces pesanteurs d’ingérences extérieures : les acteurs politiques tchadiens devraient définitivement cesser de jouer aux choristes naïfs en continuant de ne voir que des principes et des idéaux charitables du côté des partenaires de leur pays. Il faudrait désormais s’exercer à faire les parallèles avec des intérêts implacables, en vertu desquels des surprises fort désagréables pourraient leur être servies collectivement. S’en prendre à la personne de Monsieur Jean-Pierre Berçot est une marque de naïveté indélébile des auteurs de la pétition adressée au Quai d’Orsay contre ses propos du 14 juillet 2005. Car il n’a fait qu’exprimer une position très officielle de son pays, qu’on le comprenne ou non ! Les élites tchadiennes sont peut-être en retard sur la nouvelle lecture de la réalpolitique africaine, sur la Françafrique et le redéploiement américain, qui est déjà d’ordre public international. N’est-il pas temps de se décoloniser mentalement et d’évoluer ?
Alors IDRISS DÉBY aurait-il, par ces atouts relevés ci-haut, une baraka éternelle ? Tout homme, quoi qu’il fût par sa puissance, par sa fortune ou sa réussite sociale, a des faiblesses qui peuvent parfois causer sa ruine totale, mieux que les coups de ses adversaires.

Les faiblesses du président Deby

Premièrement, la plus grande faiblesse du Président IDRISS DÉBY, c’est sa faiblesse envers les siens, ses proches Béri des clans Kouryara et Ourara. Il est vrai qu’il avait pu compter sans limite sur leur solidarité tribale, mais le destin de chef d’Etat est personnel et unique. Ni en monarchie, ni en république dans l’histoire de l’humanité, ce rôle ne se partage avec un clan, une tribu, une ethnie entière. En pratiquant la discrimination en faveur des siens, d’une ampleur jamais connue auparavant, dans un pays où plus de deux cent ethnies différentes cohabitent tant bien que mal, IDRISS DÉBY a créé une confusion et un danger difficilement contournable pour l’avenir des siens. Ceux-ci auraient de meilleures perspectives s’ils avaient gardé leur place naturelle parmi les composantes de la nation. Malheureusement, la confusion profonde et aveugle entre eux et le pouvoir d’IDRISS DÉBY amplifie les risques de péril qui planent sur la fin éventuelle d’un régime quelconque en Afrique. Même si nous autres sommes si vulnérables et méprisables, nous devons avoir le courage et l’amour de prévenir ceux de nos compatriotes qui ne savent pas là où ils vont, quitte à ne récolter que violence et souffrance.

Deuxièmement, tout tient à la personne physique du Président IDRISS DÉBY. Personne dans son entourage ne dispose des mêmes atouts que lui pour profiter un jour de son héritage politique. Tous ces pantins, avec les mêmes appuis extérieurs et la même baraka, n’auront pas la trempe nécessaire. C’est pourquoi, dans les milieux des puissances, la disparition d’IDRISS DÉBY est d’abord perçue comme une catastrophe. Et c’est IDRISS DÉBY qui l’aurait voulu ainsi, dans la pure tradition napoléonienne. Car avec ses atouts, il pouvait, s’il le voulait, très bien construire une véritable armée nationale sous contrôle. Une telle armée serait seule en mesure de mieux stabiliser les acquis de son pouvoir et éviter les revanches génocidaires. Une armée clanique, en son absence, cristallisera les ressentiments de la majorité des Tchadiens contre elle (et le groupe tribal de référence). À court terme, l’armée tribale sera gagnante dans une confrontation post-Déby, mais à moyen terme on ne voit pas comment elle échapperait au rouleau compresseur des milices populaires et fragments d’armée résiduelle des autres groupes ethniques du Nord au Sud, qui se seraient réarmés et réactivés entre temps ? La seule possibilité d’éviter une telle probabilité chaotique, c’est de régler tout de suite la question de la réorganisation de l’armée nationale. La conscience du général Idriss Déby, en tant qu’officier supérieur formé dans les traditions républicaines, est vivement interpellée en faveur de la paix pour les générations montantes, lasses des guerres pour la guerre sans fin !

Troisièmement, dans le même ordre d’idées, le sujet étant très sensible et dangereux, il y a en vérité moins de risques pour IDRISS DÉBY en décidant de ne plus briguer un autre mandat qu’en insistant pour rester coûte que coûte au pouvoir. Car les tares et les avaries de son régime, en prenant des proportions incontrôlables, priveront IDRISS DÉBY de ses atouts plus rapidement et mieux que ne l’auraient fait ses adversaires. Pour se donner une carrure et une légitimité propre qu’ils n’ont pas, ceux-là même qu’il a fabriqué et tant chéri contre les autres, déclencheront par maladresse et excès de confiance l’apocalypse tant redoutée. Et ils y seront cyniquement encouragés jusqu’à l’autodestruction totale du clan. Cette hypothèse, le Président Déby l’avait lui-même émise dans ses commentaires lors de l’affaire brumeuse du coup de force manqué du 16 mai 2004. Ce n’est donc ni une diffamation, ni une injure ni une incitation à la haine tribale, mais une probabilité reconnue par le Président lui-même ! Alors, comme un adage de chez nous le dit : « Qui peut détacher de ses liens l’hyène, mieux que celui qui l’a attachée ? ».

Nous préférons nous arrêter là, car pour ça seulement on peut vous couper la tête ou vous jeter dans la fosse aux lions ! Mais vraiment, si l’on devait approfondir cet exercice d’analyse politique, on aboutirait quand même à la confirmation de l’adage selon lequel « les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent ». Nous voyons venir la clameur et la réprobation virulente, de part et d’autre contre cet article. Cependant, en empruntant une logique de « militaro », comme l’aurait mieux dit notre regretté ami Roné Béyem, nous sommes sûrs d’une chose : nous serons mal lus et mal compris, une fois de plus ! Advienne que pourra !  

Djondang Enoch

[1][1][1] Propos de Son Excellence Jean-Pierre Berçot Ambassadeur de France au Tchad le 14 juillet 2005, et qui tient lieu actuellement de leitmotiv pour la répression sévère et « pour l’exemple » de l’exercice de la liberté d’opinion.
[2][2][2] Redoutable Ministre de l’Intérieur d’Hissène Habré, arrêté et tué après le 1er avril 1989 par la DDS,  terrible police politique de la dictature déchue.
[3][3][3] Sous-groupe ethnique des Zaghawa vivant entre Fada et Iriba dans le Nord-Est du Tchad voisin Darfour soudanais. Zaghawa et Bidéyat se regroupe sous l’appellation Béri distincte des Goranes et Toubous.  

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