IaltchadTribune

IaltchadTribune (122)

Dans un ouvrage intitulé Que font les armées étrangères en Afrique ? Réflexions autour des interventions militaires internationales dans les pays africains en crise[i], Dominic Johnson, journaliste au Taz (Die Tageszeitung, littéralement « Le Quotidien » allemand publié à Berlin et tiré à 60 000 exemplaires), chercheur senior à Pole Institute, faisait ce constat alarmant : « Il n'y a plus une seule semaine sans qu'une nouvelle atrocité attribuée aux extrémistes islamistes ne soit rapportée de l'Afrique […]. L'Afrique vit une ère de terreur, semblable à celle qui a secoué l'Europe il y a dix ans avec les attentats de Madrid et de Londres et les effets-contagions de la guerre en Irak. »

Les récentes attaques terroristes des combattants de Boko Haram, fin octobre, contre les forces de défense et de sécurité du Tchad, ont relancé le débat concernant la présence militaire française sur notre territoire national. L’émoi et la stupeur suscités par ce drame ont conduit une certaine opinion à questionner la possible contribution du dispositif militaire Barkhane à la lutte contre les terroristes qui mettent à mal notre souveraineté nationale et notre intégrité territoriale.

Mutualisation des forces, une nécessité stratégique

Il faut d’emblée relever que, pour le Tchad comme pour l’ensemble des États de son environnement régional, la mutualisation des forces contre la menace terroriste et autres tentatives de déstabilisation venues de l’extérieur est une nécessité stratégique, notamment pour le Cameroun, le Niger, le Nigeria et la République centrafricaine. La Force multinationale mixte a justement vocation à venir à bout de cette nébuleuse pernicieuse et multiforme qui a une mystérieuse capacité à renaître de ses cendres aussitôt qu’on la croit neutralisée, voire anéantie. Le véritable débat devrait donc porter sur la densification des capacités opérationnelles de cette force et l’efficacité opérationnelle de son déploiement.

Or, comme l'ont récemment souligné les autorités tchadiennes pour le déplorer, cette force multinationale mixte pâtit de ce que tous les États membres ne contribuent pas à parts égales à son déploiement, en hommes comme en moyens opérationnels. Comme naguère au sein du G5 Sahel, la participation des forces de défense et de sécurité tchadienne est bien supérieure à celle de nombre de pays membres de cette force. Elle a pourtant vocation à s’autonomiser comme un embryon d’armée panafricaine qui demeure un impératif stratégique et sécuritaire majeur pour l’Afrique.

L’Afrique s’est pourtant dotée, en 2002, d’une Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) à l’initiative de l’Union africaine et des Communautés économiques régionales (CER).

Cette institution, qui participe d’une initiative en parfaite adéquation avec les préoccupations sécuritaires du moment sur le continent africain, est un ensemble de textes de lois et d’institutions qui ont pour objectif de renforcer la sécurisation des États africains contre des menaces de déstabilisation diverses. Le Conseil de paix et de sécurité, le Groupe des sages, la Force africaine en attente, le Fonds africain pour la paix et le Système continental d’alerte rapide figurent au rang de ces institutions phares. Mais force est de constater que ces institutions, dont la nécessité n’est plus à prouver, ne donnent pas lieu à un déploiement opérationnel à la hauteur des menaces et des urgences sécuritaires auxquelles est confronté le continent. Comme c'est si souvent le cas, le lexique politique le plus ambitieux est très éloigné des mots qui le constituent.

Par ailleurs, cette architecture de paix et de sécurité s’investit très peu dans la prévention des crises, voire quasiment jamais. Le Conseil de paix et de sécurité de l'UA se met d’ordinaire en mouvement lorsqu’il s’agit de réagir à un coup d’État militaire ou à un conflit manifeste entre deux États ou au sein d’un État. Au regard de l’importance géostratégique du Tchad dans la région Afrique centrale ou dans l’espace soudano-sahélien, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine devrait jouer un rôle majeur, notamment pour la mobilisation des moyens qui permettraient de combattre une menace asymétrique telle que le groupe terroriste Boko Haram ou les Shebab de Somalie.

La France doit-elle aider l'armée tchadienne ?

Il est aberrant – comme le réclame une partie de l’opinion tchadienne – de demander à la France de protéger la souveraineté du Tchad dans un contexte où l’Hexagone est en procès dans une bonne frange des opinions publiques africaines au motif que le déploiement de son dispositif militaire en terre africaine est une survivance d’un passé colonial, qui est par ailleurs en totale contradiction avec le statut souverain des États africains.

L’implication ostensible des forces armées françaises dans la lutte contre le terrorisme djihadiste prêterait le flanc aux critiques parfois faciles et souvent acerbes d’un certain panafricanisme débridé qui verrait là une magnifique aubaine pour faire fructifier son fonds de commerce idéologique.

Aussi, est-il paradoxal de vouloir une Afrique souveraine et de s’en remettre aux puissances étrangères pour la sécurisation de ses frontières. Certes, on pourrait rétorquer à cet argument que les pays de l’Union européenne – un si grand ensemble géopolitique – s’en remettent au parapluie militaire américain pour leur sécurité, notamment par rapport au voisin russe. Il y a toutefois un bémol à apporter à cet argument. C’est notamment la force nucléaire russe qui est une menace pour la plupart des pays européens. Mais des menaces sécuritaires comme celles qui planent sur le Tchad relèvent davantage de la sécurité intérieure des États.

Il est du plus mauvais effet pour un État, face à des forces malfaisantes telles que la menace djihadiste, d’afficher des signes de fragilité, voire d’impuissance. S’il faut que le Tchad s’en remette à l’armée française pour éradiquer une menace extérieure, à l’instar de Boko Haram, qu’en sera-t-il des pays voisins qui sont confrontés à une menace similaire ?

La France est pourtant bien présente aux côtés du Tchad, sous divers aspects qui contribuent à divers titres à la sécurisation de son espace territorial.

Il faut souligner que la coopération militaire entre la France et le Tchad n’a pas pour seul objectif de se déployer sur les terrains d’opérations. Il s’agit d’une coopération multiforme. Elle est aussi bien opérationnelle que structurelle, comme le soulignait déjà un rapport d’information de l’Assemblée nationale française [ii] de juillet 2014 sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique : « Le but de la coopération y est clairement d’accompagner la montée en puissance des armées tchadiennes […]. »  Le budget alloué à la coopération structurelle atteint 12 millions d’euros par an, auxquels on peut agréger les 53 millions d’euros de dons et d’aides diverses fournis par la force Épervier. »

Cette coopération concerne également:

– l’appui au pilotage des restructurations et à la modernisation de l’armée tchadienne qui se décline en six sous-projets : la logistique, le renseignement, la formation, la reconversion, la gestion des ressources humaines et l’appui au commandement ;

– l’appui au commandement, qui porte un accent sur la formation – c’est-à-dire la sélection pour l’École de guerre et l’enseignement de la langue française –, les études et la liaison avec les armées.

La présence militaire française au Tchad n’a pas pour seul horizon stratégique le Tchad. Elle permet aux forces françaises de se projeter dans l’ensemble de la région Sahélo-saharienne.

Mais N’Djamena a été retenue en raison de son positionnement stratégique. La capitale tchadienne tient donc lieu de rampe de lancement pour la défense des intérêts de la France et de ses ressortissants, bien au-delà du seul territoire tchadien. En retour, l’État du Tchad en tire parti pour la sécurisation de son territoire en termes de renseignement, d’aides diverses et pour la formation de son personnel militaire : « Le choix a été fait de centraliser à N’Djamena le commandement du dispositif militaire français « régionalisé » déployé dans la bande sahélo-saharienne », note ce même rapport d’information.

Il ne faut pas perdre de vue que combattre les terroristes de Boko Haram, c’est faire face à une guerre de nature asymétrique. Le principe d’une guerre asymétrique, c’est l’imprévisibilité de l’adversaire, la spontanéité de ses attaques. Combattre un tel adversaire, c’est faire usage d’outils stratégiques qui ne relèvent pas de la guerre classique. Les guerres qui mettent en difficulté même les armées les plus aguerries au monde sont de ce registre. Dans l’histoire militaire, les guerres d’Indochine et du Viêt Nam sont encore bien présentes dans les mémoires. Elles ont été d’immenses désastres, aussi bien pour l’armée française que pour l’armée américaine. Elles échappent aux sophistications technologiques de l’armement moderne, en ce sens qu’elles s’appuient pour l’essentiel sur le facteur humain.

Un déploiement de l’armée française au sol n’est pas envisageable dans un tel contexte. C’est sur le terrain du renseignement prévisionnel qu’il est possible de faire évoluer la coopération militaire entre la France et le Tchad. Et même sur ce terrain, celle-ci sera d’une efficacité discutable. Les terroristes de Boko Haram ont cette particularité criminelle de se fondre dans les masses au point de se rendre invisibles, insoupçonnables, donc bien plus redoutables que ce que l’on pourrait prévoir d’un ennemi dans un combat classique.

S’il y a un autre terrain sur lequel pourrait utilement s’investir cette coopération, c’est dans une aide plus conséquente au développement autour du Bassin du lac Tchad. La misère à laquelle sont confrontées les populations de cette région, en plus des déplacements suscités par le réchauffement climatique, constituent des terreaux fertiles pour ces entrepreneurs de la terreur ; ils peuvent ainsi facilement recruter les bombes ambulantes n’ayant pour seule mission que de répandre la terreur au sein des populations qui ne demandent majoritairement qu’à vivre en bonne intelligence et en paix.

Tout au plus, malgré sa présence militaire sur le territoire tchadien, la France ne pourrait intervenir qu'à la demande expresse du Tchad, qui est un pays souverain. Une telle demande, au moment où nous écrivons ces lignes, n'a pas encore été formulée par les autorités tchadiennes.

Enfin, la communauté internationale, particulièrement la France, se tient prête – et cette proposition a toujours été réitérée – à aider le Tchad à lutter contre le terrorisme, en réponse à l'appel lancé par le président tchadien, Mahamat Idriss Deby Itno, dans ce sens, juste après l'attaque de Boko Haram. Un éventuel appui militaire de la France devrait se faire dans le strict respect de la souveraineté du pays. Ni plus, ni moins.

Éric Topona Mocnga
Journaliste au Programme francophone de la
 Deutsche Welle

[I] Dominic Johnson, Que font les armées étrangères en Afrique ? Réflexions autour des interventions militaires internationales dans les pays africains en crise La guerre internationale contre l’Internationale djihadiste : aujourd’hui la Somalie, demain le Nigeria, et après ? Actes du colloque international organisé par Pole Institute Goma (RDC), du 1er au 4 juillet 2014

[ii] Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du Règlement par la Commission nationale de la défense et des forces armées en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opérations en cours et présenté par les députés Yves Fromion et Gwendal Roullard.

« Heureux qui, comme militaire, s’est arrogé le pouvoir en Afrique dans la décennie 2020 »[2], met l’État sous coupe réglée, nargue les institutions multilatérales, et ô surprise, avec les compliments. « Autres temps, autres mœurs » dirait Cicéron. Simplement, la parole d’officier et la colonne vertébrale des pouvoirs, plus que jamais autocratiques, semblent avoir fait des progrès notables, mais en vacuité.

Au long printemps des coups d’État constitutionnels de la décennie 2010 qui ont sclérosé la gouvernance de l’essentiel des États d’Afrique, se greffe désormais celui des coups d’État militaires en apparence salvateurs, mais aux dividendes tout aussi évanescents.  

Confusion, reniement et outrance

Bénéficiant d’un rare alignement des planètes, Abdourahamane Tiani du Niger, Assimi Goïta du Mali, l’héritier Mahamat Idriss Deby du Tchad, Ibrahim Traoré du Burkina Faso, Mahamadi Doumbouya de la Guinée et dans une moindre mesure, Olingui Nguema[3] du Gabon, peuvent allègrement chacun :

  • Soumettre, faire et défaire les institutions, la constitution, les lois et règlements du pays comme jamais un président, avec la plus forte légitimité démocratique, n’aurait pu le faire[4]. Ainsi au Burkina Faso, les putschistes respectifs de janvier et septembre 2022 ont tenu à prêter serment sur la constitution du 5 novembre 2015, qu’ils ont pourtant suspendu, en présence, excusez de peu, de la quasi-totalité des représentations diplomatiques accréditées, et sans que le conseil constitutionnel n’y trouve à redire. Il en est de même de la ratification du traité de création de la Confédération de l’AES par des assemblées nationales qui plus est, de non élus, en lieu et place d’un référendum. On ne peut faire plus dans la confusion de genre ;

 

  • Faire de l’appareil sécuritaire du pays, des instruments dévolus quasiment à la surveillance et à la répression des médias et journalistes libres, des membres de la société civile, et surtout des opposants politiques. Ceux-ci étant pourchassés, enlevés, torturés et détenus dans des prisons parallèles en dehors de toute procédure légale. Il s’agit d’une véritable de chape de plomb sur la vie civile, politique et associative digne de l’époque de la dictature des partis uniques. Qui plus est, en ce qui concerne les pays en guerre, ce tropisme des services sur le personnel politique et associatif non-courtisan, regardé comme le plus grave danger par les putschistes, se fait au détriment de la surveillance indispensable des organisations terroristes qui pourtant, ne cessent de prospérer sur le terrain ;

 

  • Fouler aux pieds les instruments juridiques internationaux régissant les transitions politiques, et ce, y compris la charte éponyme que chacun d’eux a fait adopter lui-même « souverainement » comme c’est désormais l’usage de dire. En ce sens et par métaphore footballistique, l’héritier Déby du Tchad, a été à lui seul, à la fois : équipe engagée, arbitre central, juges de lignes, commissaire du match, ramasseurs de balles et public dans les gradins applaudissant à tout rompre ses propres prouesses, lors du « championnat de la transition » tchadienne. Comme par hasard, il a été déclaré vainqueur de la phase aller dont seuls des sparring parteners étaient autorisés à concourir. Il sera évidemment vainqueur sans appel de la phase retour qu’il s’apprête à livrer le 29 décembre 2024 sans adversaire. Il affirmait pourtant qu’il se tiendra à son rôle d’arbitre central : parole d’officier supérieur. Il a fait tout le contraire. Et cela, bien sûr avec les financements et félicitations de la fameuse « communauté internationale » ; l’Union Européenne et la France en tête, dont - il s’est bien moqué. C’est un cas d’école particulièrement éloquent et inspirant pour les autres putschistes de la décennie, en attente dans les starting block;

 

  • Faire de la CEDEAO, le mouton noir des organisations multilatérales, simplement parce qu’elle a opposé aux putschistes des sanctions économiques sur le fondement des dispositions de son protocole additionnel relatif à la démocratie, alors d’une part, qu’elle demeure la plus efficiente des organisations sous-régionales du Continent et d’autre part, qu’à une autre époque, elle avait levé des armées (ECOMOG) sans réprobation générale, pour rétablir des Présidents déchus par des putschs, notamment en Sierra Léone et en Gambie ou faire la guerre aux rebelles au Libéria et en Guinée-Bissau sous la mandature d’un certain Alpha Oumar Konaré ; alors Président de la République du Mali. C’est un peu cocasse, il faut l’avouer ;

 

  • Dénoncer la soumission de la CEDEAO à une France plus que jamais impérialiste et refuser de sortir de l’UEMOA et de la BCEAO qui pourtant conservent, institutionnellement des liens plus ou moins organiques avec l’impérialiste France, contrairement à la CEDEAO ; C’est encore un peu plus cocasse ;

 

  • Refuser le soutien militaire de la CEDEAO ou de l’Initiative d’Accra et en même temps, dénoncer à grand renfort, le défaut de soutien de la CEDEAO et de ses pays membres dans la lutte contre le terrorisme islamiste, malgré les offres répétées de disponibilité de l’organisation et ses concours financier et humanitaire substantiels, comme le fait le putschiste Burkinabé ;

 

  • Invoquer le panafricanisme et le patriotisme pour dénoncer des partenariats politiques et militaires d’hier jugés impérialistes, mais pour vite, les substituer par de nouveaux, tous aussi impérialistes, mais il est vrai, peu regardants à la démocratie et aux droits de l’homme ;

 

  • Dénoncer le pillage des ressources naturelles et le service de la dette asphyxiant, par et à l’égard des impérialistes néo-colonialistes d’hier pour les brader aussitôt aux non moins impérialistes d’aujourd’hui (Chine, Russie, Turquie, Qatar, Émirats Arabes Unis, Iran, Arabie Saoudite, etc.), à l’égard desquels l’endettement public du pays, aux conditions souvent usuraires, s’accroît de manière démesurée ;

 

  • Être capable d’expulser sans ménagement et de manière compulsive, les représentants diplomatiques de certains États (Allemagne pour le Tchad, France et Suède pour les trois pays de l’AES, etc.) et continuer paradoxalement à laisser croire à une mainmise toujours ferme de ces États impérialistes sur la politique et l’économie du pays ;

 

  • Être capable d’expulser les forces armées étrangères parmi les plus puissantes, les mieux équipées et entrainées (USA, France, Allemagne notamment) sans opposition de leur part, et continuer à dénoncer des tentatives de coups d’État de ces États, si ce n’est leur imputer la situation sécuritaire délétère du pays, qu’on était censé pouvoir régler en trois mois comme l’annonçait Ibrahim Traoré du Burkina Faso.

 

  • Être capable d’expulser au forceps une mission spéciale des Nations Unies (le cas de la Minusma au Mali) ou son représentant résident (au Burkina Faso) sans une mise au ban du concert des Nations et, aller à la tribune de l’ONU barrir comme un éléphant en dépit des usages diplomatiques qui professent un langage tout en finesse, subtilité, sous-entendus et esprit ou maïeutique. Il est vrai que feux les présidents Vénézuélien et Cubain, Hugo Chavez et Fidel Castro, coutumiers du fait, ont fait des émules sur le Continent ;

 

  • Invoquer le souverainisme populaire et ne jamais consulter le peuple si ce n’est à travers des assises dont les participants sont habilement sélectionnés pour leur obséquiosité à l’égard du putschiste ;

 

  • Interdire les médias internationaux pour les rendre inaccessibles à la population et ne pas craindre de se dépêcher de démentir par des communiqués ronflants, les informations traitées sur les ondes de ces mêmes médias, si ce n’est leur reprocher la non-couverture de ses propres exploits ;

 

  • Dénoncer le FCFA comme l’instrument de soumission, de pillage et de financement de la France par l’Afrique et ne pas inscrire la sortie de cette monnaie en tête des priorités de son agenda politique. Pis, laisser dénoncer à tort ou à raison, la mainmise de la France sur cette monnaie et ne rien entreprendre, à l’image de la passivité des dirigeants de la CEMAC, pour mettre fin aux comptes d’opérations auprès du trésor français[5], mais aussi, à la présence des administrateurs français au conseil de la BEAC, alors même que les dirigeants de l’UEMOA y sont parvenus depuis 2019 avec effet en 2021 ;

 

  • Être reconnaissant à l’égard de la France et demander, même à faire « ami-ami » avec elle au lendemain du coup d’État pour ensuite subitement la vouer aux gémonies pour un prétendu impérialisme hideux, mais seulement lorsque celle-ci refuse son concours et condamne le putsch comme l’ont fait les généraux Tiani ou Goïta[6]

       

  • Commettre des massacres de masse sur la population civile et les opposants politiques sous des prétextes fallacieux et s’opposer à toute enquête indépendante en invoquant l’ouverture d’enquêtes par le parquet national. Des enquêtes dont les suites et les conclusions ne seront jamais connues car elles n’ont, à la vérité, jamais existé. Il en est ainsi notamment, des massacres du 20 octobre 2022 dits du « Jeudi Noir » et de l’assassinat de l’opposant politique Yaya Dillo en février 2024 pour le Tchad ; des massacres du 27 mars au 1er avril 2022 de Mourra au Mali ; de ceux de Soro en février 2024 ; de Nouna en décembre 2022 ; d’Ouahigouya en février 2023 et de Karma en avril 2023 pour le Burkina Faso.

Justement, la situation du Burkina Faso détonne dans ce printemps putschiste. Ibrahim Traoré semble avoir été inspiré et conseillé par Assimi Goïta du Mali sur les protocoles de neutralisation de toute velléité de contestation de son pouvoir ; de lutte contre le terrorisme, de renversement des alliances avec les Occidentaux et du rapprochement avec Poutine, et aussi de la conservation du pouvoir. Mais, comme qui dirait, l’élève semble avoir désormais dépassé le maître.  

Le cas Burkinabé

Les burkinabé ne nageaient pas dans le bonheur et la prospérité sous le Président Rock Marc Christian Kaboré, en raison de la corruption et de l’incurie d’une partie de la classe politique. Mais ils jouissaient d’une part, d’une sécurité relative et d’autre part, des libertés publiques et individuelles sans commune mesure. Depuis, le « putsch dans le putsch » de septembre 2022, ils n’ont toujours pas pris le chemin du bien-être et de la prospérité, à l’exception peut-être des seuls « Wayiyan[7] ». Mais ils ont perdu certainement et la sécurité et la liberté. La sécurité a quasi-disparu en raison de l’explosion et de l’expansion des attaques terroristes de plus en plus violentes et atroces ; des attaques dont les massacres de Barsalogho du 24 août 2024 sont le symbole. Mais ils ont aussi perdu la sécurité en raison des représailles de l’armée et des VDP[8], toutes aussi violentes, sauvages et atroces sur des populations simplement soupçonnées de complaisance à l’égard des terroristes[9].

Quant-à la liberté d’aller et venir, de conscience, d’entreprendre ou seulement de vivre, elle n’existe pas dans les territoires de plus en plus vastes de l’arrière-pays et même dans certaines grandes villes comme Djibo que les terroristes contrôlent effectivement ou par blocus, malgré les rodomontades et forfanteries du pouvoir à Ouagadougou.

Inversement, dans les grandes agglomérations (Ouaga et Bobo, notamment), les libertés politique, syndicale, associative et de presse ainsi que la justice, sont mises sous cloche si ce n’est réduite à celle de promouvoir, défendre et applaudir aveuglement jusqu’à l’absurde, Ibrahim Traoré et son régime. Les téméraires contrevenants sont voués aux gémonies pour apatridie et négritude de salon. Ceux qui sont présents sur le territoire, sont enlevés et disparaissent sans aucune forme de procès ou sont enrôlés de force dans les rangs des VDP. Quant - à ceux qui sont hors du territoire, leurs proches n’échappent pas aux représailles en vertu du nouveau paradigme juridique de la responsabilité pénale du fait d’autrui. Les Wayiyans et les services de sécurité veillent au grain.

C’est une véritable expérimentation grandeur nature des ouvrages « 1984 » avec son « Big Brother », mais aussi « La ferme aux animaux » de George Orwel. Ce tableau est à quelques nuances près, sensiblement le même au Niger, au Mali, en Guinée[10] et au Tchad[11] où l’espace démocratique et la liberté de presse s’amenuisent à vue d’œil. Mais il est vrai, qu’avec ces néo-putschistes, le patriotisme, le souverainisme, le nationalisme et le panafricanisme aussi incompatibles qu’ils soient, sont saufs, du moins en apparence.

Reste que, répéter à longueur de temps : « souverainisme », « patriotisme » ou « panafricanisme » procède de l’incantation destinée à masquer le vide bilantielle comme l’indique l’Indice Ibrahim de la Gouvernance en Afrique (IIGA) 2024[12] pour ces pays. Mais elle est aussi un cache-misère pour ne pas avoir à rendre compte et répondre d’une gouvernance défaillante et s’éterniser au pouvoir. Et puis que vaut le souverainisme quand les problèmes majeurs, sécuritaires, économiques, sociaux et migratoires sont d’essence globale et appellent des solutions supra et transnationales, même pour les plus puissants des États de la planète ?   

Comme le disait Charles de Gaulle à propos de l’Europe, « bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : patriotisme, souverainisme, panafricanisme ! Mais ça n’aboutit à rien et ça ne signifie rien »[13] quand de surcroît on a simplement switcher une tutelle par une autre.  

Enfin, le patriotisme et à plus forte raison, le panafricanisme ne sont pas solubles dans l’exclusion d’une partie de ses concitoyens ou dans la complaisance à l’égard de sa famille, de son clan et de son ethnie ou de ses coreligionnaires. 

 

Abdoulaye Mbotaingar
Docteur en droit
Maître de conférences à l’université

[1] Cette tribune est la suite d’une première consacrée au même thème et intitulée : « Putschistes Et Vanité du Pouvoir Absolu », https://www.ialtchad.com/index.php/details/item/3333-putschistes-et-vanite-du-pouvoir-absolu

[2] Une paraphrase du célèbre poème « Heureux qui comme Ulysse » (1558) de Joachim du BELLAY.

[3] Olingui Nguema du Gabon est un cas à part. Même s’il n’est pas hasardeux de penser qu’il a conquis d’autorité le pouvoir pour le lâcher de sitôt, la transition qu’il conduit reste ouverte et il n’a pas rempli les prisons du Gabon d’opposants. Ceux-ci au contraire continuent de rentrer d’exil pour y prendre part et exercent librement leurs droits politique et civile.

[4] Encore que Faure Gnassingbé Eyadema du Togo, Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire, Faustin-Archange Touadéra de la RCA, encore mieux Kaïs Saïd de la Tunisie et bientôt Felix Tshisekedi de la RDC, notamment n’ont rien à envier aux putschistes militaires en termes de pouvoir absolu et de tripatouillage constitutionnel et institutionnel.   

[5] Au demeurant généreusement rémunérés désormais.

[6] Pour ce dernier, à l’occasion du « putsch dans le putsch » contre le président Bah N’DAW le 24 mai 2021.

[7] Soutiens actifs d’Ibrahim Traoré. Ils sont physiquement présents sur les ronds-points de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso, mais assurent aussi la veille en ligne et n’hésitant pas à désigner à la vindicte populaire ou aux services d’État, les cibles civiles à neutraliser. 

[8] Volontaires de la Défense de la Partie : des supplétifs de l’armée burkinabé.

[9] Les 53 morts et 20 disparus des massacres d’Inata du 14 novembre 2021 ayant justifié le coup d’État contre le président Kaboré font pâle figure devant les pertes militaires et civiles sous les deux régimes putschistes.

[10] Voir pour la Guinée : l’enlèvement et la disparition des opposants Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, ou encore les récentes dissolution, suspension ou mise en observation de la totalité des parties politiques, mais aussi la suspension des médias critiques.

[11]Voir, le journal Le Monde du 24 oct. 2024, « Au Tchad, les arrestations par les services de renseignement se multiplient » :https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/10/24/au-tchad-les-arrestations-par-les-services-de-renseignement-se-multiplient_6359190_3212.html 

[12] https://mo.ibrahim.foundation › files › 2024-10.

[13] Ch. de Gaulle, interview à l’ORTF, le 14 décembre 1965.

Les terroristes de Boko Haram ont commis une attaque sanglante (durant la nuit du dimanche 27 au lundi 28 octobre 2024) contre les forces de défense et de sécurité tchadiennes dans la région du lac, provoquant une indignation allant jusqu'au Vatican. Éric Topona Mocnga, journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle, analyse.

Le Pape Français dans sa prière de ce 1er novembre à l’occasion de la solennité de la Toussaint, a exprimé « (…) sa sympathie au peuple tchadien, en particulier aux familles des victimes du grave attentat terroriste d’il y’a quelques jours ». Le Tchad vient à peine de conclure un processus électoral apaisé dont les temps forts auront été l’adoption d’une nouvelle constitution par voie référendaire, et de l'élection présidentielle le 6 mai. Ces scrutins n’ont guère connu les soubresauts redoutés par certains analystes. Les regards étaient plutôt tournés vers l’organisation des prochaines élections locales (législatives, communales et provinciales), mais surtout et dans l’immédiat, la gestion des récentes inondations qui ont provoqué d’importants dégâts matériels et humains.

La décision du chef de l’Etat, Mahamat Deby Itno, de prendre la direction des opérations militaires à travers « l’opération Haskanite » pour neutraliser le serpent de mer qu’est devenu au fil des ans cette hydre terroriste du crime de masse, témoigne à suffisance de la gravité de l’enjeu pour la préservation de la stabilité des institutions nationales et de l’intégrité territoriale du Tchad.

Prendre du recul afin de poser un diagnostic du mal

Mais au-delà de la légitime indignation et du concert de condamnations, il y’a lieu de prendre du recul pour comprendre cet acte de barbarie innommable et les moyens de s’en prémunir.

Il faut d’emblée relever que les terroristes de Boko Haram, comme en 2020 sur la presqu’île de Bohoma (toujours dans la région du Lac dans l'ouest du Tchad) ont choisi de s’attaquer à une caserne militaire des forces armées tchadienne avec le même mode opératoire qui consiste à combiner surprise et une extrême barbarie. Il est manifeste qu’il s’agit d’installer dans l’esprit des populations riveraines du Bassin du Lac Tchad, où les déplacés se comptent déjà par centaines de milliers, la conviction selon laquelle les forces armées régulières, notamment celles qui sécurisent cette zone dans le cadre de la Force multinationale mixte (composée des forces armées du Nigeria, du Niger, du Tchad et du Cameroun, ainsi que l'armée tchadienne), ne sont pas à mesure de leur garantir sécurité et quiétude.

Par ailleurs, le fait de commettre des meurtres de masse et de s’emparer du matériel militaire, révèle que le groupe terroriste a des difficultés à s’approvisionner en armement, parce que coupé de ses bases arrières, et par conséquent n’a guère d’autre choix que de reconstituer sa capacité de nuisance par des attaques asymétriques au cœur des casernes militaires. Ce butin de guerre est justement le moyen criminel par lequel Boko Haram renforce ses capacités de nuisance pour commettre des vols de bétail ou des kidnappings avec demandes de rançons dans les pays voisins, précisément à l’extrême-nord du Cameroun ou au nord du Nigeria.

Inquiétudes

Une fois ce diagnostic effectué, on ne peut guère faire l’économie d’un questionnement sur les conditions, voire les complicités qui ont rendu possible cet assaut terroriste. Il a sans doute bel et bien fallu que les terroristes de la secte soient bien renseignés pour planifier avec efficacité cette attaque. Sans exclure de possibles infiltrations au sein des forces de défense et de sécurité tchadiennes. Boko Haram tire avantage de sa capacité à se fondre au cœur des populations, à investir ses agents dormants qui passent pour de paisibles citoyens, ce d’autant plus qu’ils s’investissent dans les actes ordinaires de la vie sociale.

Au regard de l’immensité du Bassin du Lac Tchad et de l’enjeu géostratégique qu’il représente pour de nombreux pays qui font partie de l’environnement régional du Tchad et subissent tout autant les attaques terroristes de la secte islamiste, il est urgent de se tourner vers l’avenir et de se poser la question de savoir s’il n’y a pas lieu de changer de cap pour mener avec succès ce combat vital pour les peuples et les Etats.

 Appel à l'aide et changements politiques majeurs

Par ailleurs, l’appel lancé par le chef de l’Etat Mahamat Idriss Déby Itno en direction de la communauté internationale est plus pressant que jamais. C’est le lieu de se demander s’il n’y a pas urgence non seulement à réactiver le G5 Sahel, mais aussi à doter cet indispensable outil contre la menace terroriste de réels moyens qui lui permettrait d’y faire efficacement face. Or, force est de constater que le G5 Sahel, depuis sa création en 2014, n’a pas été doté de moyens à la hauteur de ses missions, en dépit du soutien affiché de la France et de l’Union Européenne.

Par ailleurs, la réactivation éventuelle du G5 Sahel et la redéfinition de ses missions, pourrait se heurter aux bouleversements géopolitiques récents dans la région, au premier chef, la décision du Niger, du Burkina Faso, du Mali de faire cavaliers seuls au sein de la nouvelle Alliance des Etats du Sahel (AES), devenu confédération.

Cette dispersion des énergies dans la lutte antiterroriste, cet émiettement de la puissance militaire pour des pays qui ont un ennemi commun à combattre, aussi redoutable qu’imprévisible, n’est-il pas de nature à réduire à néant leurs efforts ? Or l’article 4 de la Convention qui créé le G5 Sahel va explicitement dans ce sens et stipule : « Considérant les défis auxquels fait face la région du Sahel, notamment : le renforcement de la paix et la sécurité, la lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière (…) »

L’heure est plus que jamais à l’urgence d’y réfléchir car, tous les Etats frontaliers du Tchad, au-delà des Etats sahéliens, font face à la même menace quasi-existentielle. Il est impératif pour neutraliser le serpent de mer djihadiste de converger plutôt, dans un mouvement centrifuge, vers une mutualisation des forces et non vers un mouvement centripète de dispersion, avec ses risques d’affaiblissement et d’inefficacité pour tous.

Eric Topona Mocnga, journaliste au service Afrique-Francophone de la Deutsche Welle à Bonn (Allemagne).

Jamais, l’exercice d’un pouvoir absolu, illégal et illégitime sur le continent Africain n’a bénéficié des circonstances aussi favorables.

En effet, les convulsions géopolitiques qui traversent la communauté internationale et dont les manifestations les plus parlantes sont la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine, la question Palestinienne et sa conflagration du moment (avec les guerres simultanées d’Israël à Gaza, au Liban, en Syrie et en Iran), le conflit latent de basse intensité de la Chine contre la Taïwan, la fièvre des crises migratoires qui donne des urticaires à l’Europe et à l’Amérique du Nord, l’émergence des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, South Africa) ou encore les poussées des partis extrémistes en Europe, ont entrainé non seulement, une perte de repères géostratégiques et des alliances, mais surtout un délitement de l’autorité des puissances, en particulier de l’Occident qui dictaient naguère la marche aux « petits » États.

Désacralisation des puissances Occidentales

Le délitement de l’autorité de l’Occident autrefois tout puissant, a pour corollaire, l’avilissement et la paralysie des institutions multilatérales (ONU, UA, CEDEAO, etc.) et des valeurs qu’elles incarnent notamment de démocratie, des Droits de l’Homme et de la bonne gouvernance, inspirées et garantie par l’Occident.

Contraint désormais de mettre sous le boisseau ses exigences de valeurs démocratiques et des Droits de l’Homme pour ne pas être mis hors-jeu diplomatiquement, militairement et économiquement par les régimes autoritaires de plus en plus nombreux et opportunément solidaires ainsi que la popularité transcendant les frontières nationales des hommes forts qui les animent, l’Occident qui n’impressionne désormais plus personne, subit, se détourne ou coopère lâchement.


Moralité, les putschs en Afrique ne suscitent plus la réprobation et encore moins la condamnation, si ce n’est du bout des lèvres lorsqu’ils ne sont pas purement acclamés comme dans la succession dynastique des Deby au Tchad. La Chine et la Russie qui d’ordinaire restaient passives, jouent désormais activement les béquilles financiers, militaires et diplomatiques des putschistes. Et pour se convaincre de l’impuissance désormais patente de l’Occident, il suffit de se rappeler le trésor d’imaginations en litotes, de la diplomatie et de l’armée étasuniennes pour ne pas braquer le général Tiani, président putschiste du Niger, qui venait pourtant de renverser Mohamed Bazoum, président démocratiquement élu et qui était leur allié de choix au Sahel. Peine perdue, Tiani finira par mettre hors du Niger les Boys en dictant le chronogramme et les modalités[1]. Les Boys seront également expulsés du Tchad dans les mêmes conditions. Il faudra se pincer pour le croire.

Quant à la France, sa prudence de gazelle à l’égard du capitaine Ibrahim Traoré qui venait de renverser le précédent putschiste, Sandaogo Damiba, n’a rien changé au destin de sa coopération militaire et de sa coopération tout court avec le nouveau Burkina Faso : ses forces spéciales Sabre ont dû faire leur paquetage et libérer fissa la base de Kamboisin à Ouagadougou le 18 février 2023 pour rentrer à Paris et ses diplomates sont expulsées du pays sans ménagement. Il est bien loin l’époque où l’armée française fait et défait les pouvoirs en Afrique. Elle pourrait toujours le faire du point de vue opérationnel, mais plus aucun politique à Paris n’acceptera d’en endosser la responsabilité politique et diplomatique. Preuve s’il en est, de la lente agonie de la France Afrique. Et tant mieux.

Il demeure cependant qu’en dépit de ces expulsions humiliantes et la présence de plus en plus marquée des Russes, chacune de ces puissances occidentales y compris la France, continuent de tendre la main aux néo-putschistes sahéliens qui pourtant la refusent bruyamment : soit par paranoïa, soit qu’ils ne veulent pas de témoins gênants sur le théâtre de leurs opérations militaires et politiques, mais surtout dans leur ménage avec Wagner hier et Africa Corps aujourd’hui.

Par ailleurs, le putschiste africain dont l’audience sous la géopolitique de la guerre froide, se limitait à l’un ou l’autre des blocs (soviétique communiste ou Occidental libéral), mais pas les deux à la fois, peut aujourd’hui revendiquer une double alliance et qui plus est, à ses propres conditions. L’héritier président Mahamat Deby Itno au Tchad avec sa double, triple ou quadruple alliances improbables (France, Russie, USA, Hongrie, Émirats Arabes Unis, Qatar, notamment) en est l’illustration.

Crépuscule de la Démocratie et des droits de l’Homme

Visiblement tout concoure au crépuscule de la démocratie libérale. Et pourtant, l’histoire en cours de l’humanité montre comme l’affirmait W. Churchill que celle-ci demeure « le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres ».  La preuve, même ceux qui font tout le contraire de ce que la démocratie induit, organisent des élections générales frelatées pour s’en attirer les faveurs et la reconnaissance. Ils invoquent par ailleurs, la légalité démocratique et institutionnelle fussent-elles cousues de fil blanc, pour s’opposer ou se prémunir contre toute remise en cause de leur pouvoir alors qu’ils ont eux-mêmes ouvert la boîte à pandore des coups d’État militaires ou constitutionnels. Que croient-ils qu’il se passera un jour dès lors que leur pouvoir absolu ne laisse comme seuls alternatifs aux citoyens et opposants que la soumission ou le putsch ?

Pour ainsi dire, libérés de la pesanteur démocratique et droit-de-l’hommiste de l’Occident et des instances multilatérales, le néo-putschiste dispose et exerce désormais un pouvoir absolu. Il n’est même plus sensible aux gémissements des Organisations Non Gouvernementale (ONG). Quant aux médias, soit ils sont censurés sur commande par les régulateurs plus que jamais zélés, soit, ils pratiquent eux-mêmes de l’auto-censure.

Mais pour autant qu’est-ce que les néo-putschistes sahéliens de la décennie ont fait de leur pouvoir absolu en termes de plus-value de progrès social et économique, de bien-être et de sécurité pour leur population ? La question se pose aussi pour l’indépendance, la souveraineté et le rayonnement du pays au-delà des narratifs et poncifs éculés sur la pseudo-souveraineté, un patriotisme frelaté et un panafricanisme de simple tribune ? Bien malin qui pourra y répondre. Mais une des explications plausibles serait dans leur impréparation à l’exercice du pouvoir.                      

Déficit béant de stature, de vision et de culture politique et idéologique

S’il existe un trait commun entre les néo-putschistes de la décennie 2020, et ce n’est pas leur faire injure que de le relever, c’est leur inculture politique et idéologique, voire leur inculture, tout court. Que pensent-ils du pouvoir politique et de son exercice ? Que veulent-ils faire du pouvoir ? Sur quel critère (économique, social, environnemental, diplomatique, politique, etc.) demandent-ils à être évalués un jour ? Que veulent-ils que l’Histoire retienne de leur exercice du pouvoir ? Quelle est leur vision politique intrinsèque au-delà de ce que les « spin doctor » leur mettent sous le nez devant micros et caméras et qu’ils ânonnent souvent scolairement ?

Ils se revendiquent pour certains de la révolution. Mais peut-on être un révolutionnaire accompli sans culture de ce courant politique ; laquelle ne peut être acquise que par la formation et une lecture assidue des penseurs émérites. Sans aller jusqu’à l’affirmation de Thomas Sankara lui-même, selon laquelle « un militaire sans formation politique n’est qu’un criminel en puissance », l’impression que les néo-putschistes donnent est qu’ils n’ont qu’un seul crédo, un seul idéal : rester au pouvoir et durer aussi longtemps qu’ils le pourront ; peu leur importe le prix à payer et le sacrifice pour la population, bref le sort du pays.

Mobutu Cessé Séko, Modibo Kéita, Houphouet Bogny, Hissein Habré, Ngarta Tombalbaye, Mathieu Kérékou, Sékou Touré, Julius Nyerere ; Jomo Kenyatta notamment, étaient tous autant qu’ils le sont, des dictateurs finis, accomplis et féroces. Mais, et ce n’est pas versé dans la réhabilitation que de leur reconnaître une stature d’homme d’État ; une vision du pouvoir, contestable sans doute ; et une culture politique dense et forte alors même qu’ils n’ont pas tous fait des études universitaires et encore moins fait science po. Si leur bilan en termes de démocratie et des droits de l’homme frise le néant et donne le frisson, ils ont, pour certains, développé économiquement et socialement leur pays, et pour d’autres, donner un nom à leur pays et la fierté à leurs concitoyens par l’aura de leur stature dans les cénacles internationaux. Peut-on en dire autant des néo-putschistes en particulier, sahéliens[2] ?

À chacun de se faire son opinion, mais une chose est certaine, si l’Afrique continue de sélectionner ses dirigeants par l’hérédité ou sur la seule foi du statut militaire, elle donnera encore longtemps raison à René Dumont qui prophétisait déjà en 1962 : « L’Afrique noire est mal partie ».

Abdoulaye Mbotaingar
Docteur en droit
Maître de conférences à l’université

[1] Tiani réservera le même sort à l’armée allemande. Seule l’Italie pour l’instant garde ses faveurs.

[2] Olingui Nguema du Gabon est un cas à part. Même s’il n’est pas hasardeux de penser qu’il a conquis d’autorité le pouvoir pour le lâcher de sitôt, la transition qu’il conduit reste ouverte et il n’a pas rempli les prisons du Gabon d’opposants. Ceux-ci au contraire continuent de rentrer d’exil pour y prendre part et exercent librement leurs droits politique et civile.

C’est dans un hôpital de Niamey que Hama Amadou a tiré sa révérence ce mercredi 24 octobre. Lorsqu’il rentre dans la fonction publique nigérienne en 1971, cet administrateur des douanes ne se destine pas à la politique. Il appartient plutôt aux premières vagues de ces hauts fonctionnaires qui ont pour mission de construire l’administration d’un pays indépendant depuis seulement onze années. À l’instar de nombre d’États africains, le Niger est indépendant depuis le 1er octobre 1960. Quatorze années plus tard, en 1974, le lieutenant-colonel Seyni Kountché renverse le premier président de la République, Hamani Diori. C’est le début d’une militarisation du pouvoir politique qui s’étendra sans interruption jusqu’à 1991. Car, après le décès de Seyni Kountché en 1987, le colonel Ali Saibou lui succède et dirigera le Niger jusqu’en 1993, période charnière pour l’histoire politique du Niger et de l’Afrique durant laquelle les partis uniques s’effondrent, les conférences nationales souveraines deviennent des constituantes, qui vont ouvrir la vie politique au pluralisme politique dans le cadre de processus démocratiques qui demeurent en cours.

Mahamane Ousmane est élu chef de l’État le 16 avril 1993 à l’issue de la Conférence nationale souveraine. Il dispose d’une majorité relative au parlement, ce qui limite considérablement sa marge de manœuvre pour gouverner sereinement le pays. En 1994, Mahamadou Issoufou, leader du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), quitte la coalition gouvernementale. Cette rupture contraint le président Mahamane Ousmane à dissoudre l’Assemblée nationale et à convoquer les Nigériens aux urnes pour de nouvelles élections législatives. 

Une carrière dense

À l’issue de ce scrutin, le chef de l’État sera contraint à une cohabitation.

Hama Amadou sera désigné président de l’Assemblée nationale tandis que Mahamadou Issoufou sera nommé aux fonctions de Premier Ministre, chef du Gouvernement. 

Hama Amadou fut au cœur des deux cycles politiques majeurs qui ont structuré la vie politique au Niger. Directeur de cabinet des présidents Seyni Kountché et Ali Saibou, il a su naviguer à bord du navire du parti unique comme du navire de la mouvance démocratique lorsqu’advint le multipartisme en 1991. Il fut opposé à Mahamadou Issoufou lors de la Conférence nationale souveraine tenue du 29 juillet au 03 novembre 1991 à Niamey. Deux décennies plus tard, en 2011, Hama Amadou apporta à Mahamadou Issoufou son soutien au second tour de sa présidentielle victorieuse. Mais ce fut de nouveau la brouille entre les deux hommes à la présidentielle de 2016, sur fond d’une histoire rocambolesque de trafic de bébés volés lors de laquelle l’ancien  Premier ministre  et ancien président de l’Assemblée nationale ainsi que son épouse, furent placés sous mandat de dépôt.

Morts et résurrection

De son parcours sur la scène politique nigérienne, l’on pourrait dire que celui de Hama Amadou a été jalonné de plusieurs vies et de plusieurs morts.

Parfois, vaincu ou défait, mais jamais politiquement enseveli. Il était de ces hommes politiques dont on pourrait dire que les défaites d’hier ou d’aujourd’hui sont le tremplin pour les batailles de demain, voire la motivation et le carburant des batailles à venir. Durant sa longue carrière politique, Hama Amadou a été aussi familier des palais et des ors de la République que des maisons d’arrêt ou du bannissement de l’exil. Suite au coup d’État du 27 janvier 1996 du général Ibrahim Baré Maïnassara, Hama Amadou exprime son opposition à ce coup de force. Sa formation politique le  Mouvement national pour la société de développement (MNSD-Nassara) matérialise son rejet du putsch en ralliant le Front pour la restauration et la défense de la démocratie (FRDD). Cet acte de défiance lui vaudra d’être interpellé par la police politique de son pays.  En 2008, incarcéré pour un chef d’inculpation de détournement de fonds publics, il bénéficie d’un non-lieu en 2012, après une mise en liberté provisoire en 2009. Comme Laurent Gbagbo et Pascal Affi N’Guessan dans la querelle autour de la présidence du Front Populaire Ivoirien (FPI) en Côte d’Ivoire, Hama Amadou est évincé de la présidence du MNSD-Nassara pendant sa détention. Mais fort de son aura et du capital de sympathie dont il jouit au sein d’une bonne frange de l’opinion nigérienne, il créera le 12 mai 2009 une nouvelle formation politique à vocation panafricaine, le Mouvement démocratique nigérien pour une fédération africaine (MODEN/FA) qui parviendra à acquérir un ancrage national. En exil en France, Hama Amadou s’oppose à un troisième mandat de Mamadou Tandja dont il fut le Premier ministre durant sept ans et se félicite du coup d’État de Salou Djibo. En 2015, de nouveau incarcéré dans l’affaire du « trafic des bébés volés », il battra campagne du fond de sa cellule en 2016 et se qualifie pour le second tour contre le chef de l’État sortant Mahamadou Issoufou. Il sera de nouveau incarcéré le 18 novembre 2019 dans la même affaire pour purger une peine de huit mois de prison. En février 2021, suite à un mouvement de contestation des résultats de la présidentielle, il est de nouveau incarcéré puis libéré pour raisons médicales qui le conduiront de nouveau en France pour bénéficier de soins appropriés.

 L’infamie du « trafic des bébés importés du Nigeria »

Avec la disparition ce jour de Hama Amadou, l’ex-chef de l’État, Mahamadou Issoufou exprime son chagrin et dit « pleurer son meilleur adversaire ». Les observateurs de la vie politique nigérienne voudraient bien accorder du crédit au chagrin de l’ancien chef de l’État. Il y’a toutefois lieu de souligner qu’il n’aura rien épargné à son « meilleur adversaire ». C’est grâce au soutien décisif de Hama Amadou en 2011, que Mahamadou Issoufou fut élu au second tour de la présidentielle et devint président de la République. 

Mais en 2013, le parti de Hama Amadou, alors président de l’Assemblée nationale, rompt l’alliance politique qui le liait au parti au pouvoir du Président Mahamadou Issoufou, le  Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya). Il s’ensuivra un feuilleton judiciaire qui aura tout l’air d’une chasse aux sorcières, d’une instrumentalisation de la justice à des fins politiques contre l’allié politique d’hier, qui aura décidé de recouvrer sa liberté de pensée et son autonomie politique dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. La même année, il est inculpé dans une procédure judiciaire pour « trafic de bébés importés » du Nigeria en même temps que sa deuxième épouse. Il s’exile en France et à son retour deux ans plus tard, le 14 novembre 2015, il est placé sous mandat de dépôt à la maison d’arrêt de Filingué, à 200 kilomètres de Niamey. Il sera condamné par contumace à un an de prison dans cette scabreuse affaire. Cette affaire n’entachera pas seulement la réputation et l’honneur de Hama Amadou. Sa vie familiale en sera profondément marquée et sa carrière politique aussi.

Cette accusation le suivra jusqu’à la fin de ses jours comme une ombre portée, tant et si bien qu’il n’aura eu de cesse de faire feu de tout bois pour rétablir son honneur.

 Hama Amadou et la junte actuelle à Niamey

À  son retour d’exil de France suite au coup d’État militaire qui aura renversé le président Mohamed Bazoum le 26 juillet 2023, Hama Amadou, au sujet de la situation politique dans son pays et le déclassement de la France, n’a pas fait mystère de son agacement sur ce qu’il considérait alors comme une politique étrangère française en Afrique à géométrie variable, une sorte de deux poids deux mesures de Paris face aux coups d’État militaires, selon que les putschistes étaient dans les bonnes grâces de la France ou non. Dans un entretien au Mondafrique, s’exprimant d’un ton libre duquel semblait poindre une rhétorique souverainiste, il dresse sans détours et en toute froideur l’état d’esprit des opinions africaines, que certains éditorialistes, diplomates et hommes politiques en France considèrent comme un sentiment anti-français :

« Les Nigériens n’ont aucune haine envers la France et envers les Français (…) S’il s’agit des intérêts de la France, le Niger n’a pas remis en cause, jusqu’à présent, les accords sur l’exploitation de l’uranium. Il n’a rien remis en cause. Il a seulement exprimé sa volonté de voir partir les bases françaises ». 

La liberté de ton de Hama Amadou est dans la juste continuité de ses prises de position antérieures sur les relations France-Afrique. À cet égard, on peut lui faire crédit d’une réelle cohérence.

Hama Amadou, le Niger, la France 

Hama Amadou n’a pas attendu la prise de pouvoir actuel des militaires à Niamey pour exprimer son souhait de voir advenir une refondation des relations entre la France et son pays. Déjà, en 2011, il estimait urgent et nécessaire de revoir la coopération entre les deux pays. D’une part en raison de l’insupportable déséquilibre qui caractérise cette relation bilatérale et qui n’a que trop duré, d’autre part du fait d’une mutation générationnelle profonde telle que la jeunesse nigérienne, comme la jeunesse africaine dans d’autres anciennes colonies françaises, ne comprennent pas que le logiciel des relations entre ces deux pays soit demeuré le même depuis l'accession du Niger à la souveraineté nationale et internationale : « Il n’est pas possible à long terme de continuer à avoir des relations dans lesquels l’un des partenaires gagne au détriment de l’autre. Je pense notamment à l’exploitation de l’uranium du Niger qui est réalisé depuis quarante ans par une société française, qui sert beaucoup les intérêts économiques de la France, mais dont l’exploitation n’a eu quasiment aucun impact financier sur le Niger, qui en est pourtant le propriétaire légitime. Il y a un ajustement d’intérêt, un rééquilibrage, à faire pour que la coopération soit profitable aux deux parties. Ce sont des choses que les plus jeunes, qui ont moins d’attaches sentimentales avec la France, vont de plus en plus mettre en relief, ce qui pourrait causer des problèmes. Il faut donc réajuster tout cela avec la France avant que certains ne veuillent les faire partir au bénéfice d’autres investisseurs étrangers »[1].

Dans le paysage politique nigérien, Hama Amadou n’était pas seulement une présence, c’était aussi une voix dont l’écho continuera de porter après sa disparition.

Éric Topona Mocnga, journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle, spécialisé dans les questions politiques et géopolitiques en Afrique et dans le monde.

 

[1] Hama Amadou, Premier ministre du Niger (1995-1996, 1999-2007), candidat à l’élection présidentielle (31 janvier 2011). L’ambition renouvelée du Niger.

L’information a été ébruitée en début de semaine et a fait le tour des réseaux sociaux et de la presse, africaine et française. Kémi Séba, le sémillant leader du mouvement néo-panafricaniste « Urgences panafricanistes » a été interpellé en plein Paris, le lundi 14 octobre 2024, par des agents cagoulés des services français de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) alors qu’il déjeunait avec un proche dans un restaurant.  Sa garde à vue a été levée mercredi en fin de journée. Selon le parquet, « les investigations sur l'infraction d'ingérence étrangère se poursuivent dans le cadre de l'enquête préliminaire ».

Notons que ce n’est pas la première fois que l’activiste panafricain est aux prises avec les forces de l’ordre et la justice française. Il a été plusieurs fois condamné par le passé pour incitation à la haine raciale.

Au demeurant, sa récente interpellation intervient dans un contexte tout à fait singulier. En effet, Kémi Séba a été déchu de sa nationalité française en juillet dernier, après avoir déchiré son passeport français sur la place publique, non sans dissimuler sa fierté de se voir ôter par la suite son statut de citoyen français. Dans la foulée, il se vit attribuer un passeport diplomatique nigérien par la junte au pouvoir dont il s’est rapproché et fut nommé conseiller spécial du chef de la junte militaire nigérienne, le général Abdourahamane Tiani.

Ce que fait courir Kémi Séba

Mais qu’est-ce qui fait courir le leader des Urgences panafricanistes, qui a trouvé au Niger une seconde patrie et est perçu par une certaine jeunesse africaine comme le rédempteur d’un panafricanisme authentique qui rendra aux peuples « afrodescendants » leur grandeur ?

Avant d’y répondre, il y a lieu de souligner que l’émergence véritable et durable de l’Afrique est une nécessité historique. Il ne fait guère de doute que l’Afrique contemporaine, comme celle de demain, après des siècles d’esclavage et de colonisation, de domination impérialiste et de néo-colonialisme, a besoin d’un supplément d’âme. Le berceau de l’humanité, pour y parvenir, dispose aujourd’hui du capital humain. Mais force est de reconnaître que l’Afrique demeure scandaleusement à la traîne et souffre d’une insupportable marginalisation, de politiques de prédation et de pillages qui se traduisent par un manque d’estime de soi de ses peuples, pis encore, d’un déclassement aux yeux du reste du monde, tant et si bien que dans les imaginaires s’est installé le préjugé selon lequel ce continent serait en proie à un déclin fatal.

Naissance de mouvements de la conscience noire

C’est pour déconstruire cette image d’Épinal et rendre aux peuples noirs en général cette estime de soi qu’en Afrique, aux Amériques et en Europe ont émergé, à l’aube du XXe siècle, des mouvements de la conscience noire, dont le point d’aboutissement en Afrique fut le mouvement panafricaniste avec ses pères fondateurs : Kwame Nkrumah, Julius Nyerere, Barthélémy Boganda, Hailé Sélassié, Ahmed Sékou Touré, Cheikh Anta Diop, entre autres.

Toutefois, le néo-panafricanisme actuel, dont le mouvement des Urgences panafricanistes se veut le prolongement en vue de la « continuité de la conscience historique » africaine chère à Cheikh Anta Diop, peut-il revendiquer une juste filiation intellectuelle avec le panafricanisme des pères fondateurs ? De quoi le néo-panafricanisme est-il le nom ?

Un début de réponse à ces interrogations plus actuelles que jamais réside dans le communiqué de la porte-parole des Urgences panafricanistes, Maud-Salomé Ekila, au lendemain de l’interpellation à Paris de Kémi Séba :

« Dans le cadre de ses activités politiques, Kémi Séba a commencé une tournée de sensibilisation des diasporas africaines sur la nécessité de soutenir et d’accompagner les processus souverainistes des peuples afrodescendants partout dans le monde. »

De l’exégèse minimale de cet extrait, il apparaît clairement que, dans sa posture messianique de porte-parole des peuples afrodescendants, Kémi Séba a initié la tournée qui l’a conduit à Paris, afin que les diasporas africaines fassent bloc autour des « processus souverainistes » des peuples dits « afrodescendants ».

Apologie des régimes militaires

Or, lorsque nous parlons de « processus souverainistes », il s’agit en réalité de quelques régimes d’Afrique de l’Ouest, et notamment de l’un de ceux pour lesquels il émarge actuellement. C’est le lieu de se demander en quel sens il s’agit de mouvements de « peuples afrodescendants ».  Tous ces nouveaux régimes militaires qui revendiquent aujourd’hui des « processus souverainistes » sont arrivés au pouvoir par des coups d’État militaires. Aucun de ces nouveaux pouvoirs, au moment de leur prise de pouvoir, n’a clairement affiché une idéologie panafricaniste, encore moins souverainiste. Ils ont plutôt essayé tant bien que mal de se conformer aux exigences de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) dont ils étaient membres, notamment pour un retour à la normalité constitutionnelle et à des pouvoirs civils. Ils s’y sont tenus jusqu’au moment où leur volonté affichée de conserver le pouvoir s’est avérée inconciliable avec l’agenda de l'institution sous-régionale qui, certes, n’est pas sans reproches.

Ces militaires en ont justement tiré parti pour emboucher les trompettes du combat contre le néo-colonialisme et pour la restauration de la dignité des peuples africains. C’est alors que s’est enclenché, dans les capitales de ces pays, un ballet de néo-panafricanistes venus leur apporter le vernis idéologique et la caution populaire qui leur faisaient tant défaut. Force est de reconnaître qu’à cette occasion le leader des urgences panafricanistes a su jouer sa partition comme il n’en avait jamais eu l’opportunité en terre africaine.

À l’heure du bilan, il y a lieu de se demander ce qu’il y a de « populaire » et de « souverainiste » dans les pratiques de pouvoir de ces régimes néo-panafricanistes.

 L'insécurité qu’ils se sont donné pour mission de combattre s’est accrue et menace la stabilité de ces États, comme c’est le cas actuellement au Mali et au Burkina Faso ; le respect des droits humains est en nette régression, l’opacité dans la gestion de la fortune publique et la corruption ne se sont jamais aussi bien portées, comme l’atteste le récent rapport de l’ONG Transparency International sur le Niger.

L'argent de Moscou

Mais le mouvement néo-panafricaniste et ses figures de proue ne sont pas à un reniement près. Ils ont tous en commun leur inféodation aux puissances de l’argent venu de Moscou. Ils ont ceci de singulier et d’effarant qu’ils sont alignés au garde-à-vous sur les positions de Moscou en matière de politique internationale et ne s’autorisent jamais la moindre critique, la moindre contradiction, même lorsqu’il y a lieu de porter de légitimes critiques sur la politique extérieure du Kremlin. À titre d’exemple, ils sont demeurés silencieux chaque fois que les mercenaires de l'Africa Corps (ex Wagner) se sont rendus coupables de multiples violations documentées de droits humains en République centrafricaine, au Soudan ou encore au Mali.

Tout aussi effarant, ils sont demeurés étonnamment silencieux au moment du décès dans des circonstances troubles de leur agent traitant Evgueni Prigogine, le truculent patron de l’entreprise paramilitaire Wagner, le 23 août 2023 à Koujenkino, dans un crash d'avion.

Ces silences coupables conduisent à se demander si le souverainisme de leur credo panafricaniste se limite à la dénonciation des abus de position dominante de l’Occident en Afrique. Plus grave, de quelle autonomie intellectuelle disposent-ils lorsqu’ils reçoivent leur pitance de la main de Moscou, comme l’a démontré récemment, preuves à l’appui, une enquête fouillée du magazine Jeune Afrique ?

Le temps des clarifications

Sur un plan strictement idéologique, il est grand temps de passer au crible les fondements culturels de ce néo-panafricaniste qui abuse parfois de concepts sans apporter les clarifications qui s’imposent. Vouloir faire croire qu’il existe une communauté de destin entre tous les afrodescendants à travers le monde est une escroquerie intellectuelle, historiquement et factuellement intenable. Quels intérêts politiques communs existent-ils entre une Kamala Harris, un Barack Obama et le général Abdourahamane Tiani, chef de la junte au pouvoir à Niamey ? Le fait d’avoir en commun avec un Américain noir, un Britannique noir ou un Brésilien noir un phénotype, une couleur de peau semblable, impose-t-il l’appartenance à une communauté politique ? Le mouvement des Urgences panafricanistes, autrefois Tribu K, de revendication raciale (dissous en juillet 2006 par les autorités françaises), qui postule l’idée d’une essence nègre, prospère cependant et, c’est le moins que l’on puisse en dire, sur un racisme à rebours comme l’attestent les condamnations de son leader pour incitation à la haine raciale, à l’instar d’Éric Zemmour, son pendant hexagonal.

Or, selon les termes de la Déclaration sur la race et les préjugés raciaux du 27 novembre 1978, adoptée par acclamation lors de la 20e session de la Conférence générale de l'Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), article 2.1 : « Toute théorie faisant état de la supériorité ou de l’infériorité intrinsèque de groupes raciaux ou ethniques qui donnerait aux uns le droit de dominer ou d’éliminer les autres, inférieurs présumés, ou fondant des jugements de valeur sur une différence raciale, est sans fondement scientifique et contraire aux principes moraux et éthiques de l’humanité ». Pourtant, le panafricanisme originel des William Edward Burghardt du Bois, dit « W.E.B. du Bois », Kwame Nkrumah, Aimé Césaire, Cheikh Anta Diop, Léopold Sédar Senghor ou Modibo Keïta est réellement de l’humanisme. Le kémitisme et le néo-panafricanisme actuels en sont fort éloignés.

Éclaireurs de conscience

Il y a donc urgence et nécessité, dans les cercles intellectuels et médiatiques, en Afrique comme dans sa diaspora, de déconstruire toutes ces idéologies factices qui sont devenues des fonds de commerce pour leurs promoteurs et contribuent à maintenir la jeunesse africaine dans une dangereuse impasse et dans l'obscurantisme. C’est à partir de l’observation froide, sans œillères envers le réel, que l’Afrique parviendra à se hisser à la hauteur des innombrables défis d’aujourd’hui et de demain et à les relever de manière urgente. On ne transforme guère la réalité historique sur la base des mythes, mais sur des réalités. La jeunesse africaine n’a pas besoin de messies, mais d’éclaireurs de conscience, afin qu’elle parvienne à la pleine maîtrise de son destin. Le développement de l’Afrique passe au préalable par la conceptualisation d’outils de pensée qui transforment le réel pour le bien-être des peuples.

Éric Topona Mocnga, journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle

Hier « franc des colonies françaises d’Afrique », puis « franc de la communauté financière africaine », et peut être dans un proche avenir "l'Éco", cette monnaie singulière et propre aux anciennes colonies de l’Afrique Occidentale Française (ex-AOF) et de l’Afrique Equatoriale Française (ex-AEF) poursuit sa mue et l’épilogue, à n’en pas douter, est encore fort éloigné.

En effet, rarement dans l’histoire monétaire, une monnaie n’a autant suscité controverses et polémiques, à l’exception du dollar dont la valeur ne repose plus sur les réserves d’or des États-Unis d’Amérique, mais sur le seul papier qui l’incarne. Mais le FCFA ne fait pas polémique pour de semblables raisons.

Le FCFA, contrairement à la plupart des monnaies à travers le monde, ne relève pas d’une décision financière souveraine, mais subie. À l’origine, cette monnaie fut imposée par la France à ses anciennes colonies d’Afrique afin de conserver une mainmise sur ces jeunes États indépendants, mais aussi et surtout de tirer des gains substantiels dans le cadre des échanges asymétriques, voire inégaux avec l’ancienne métropole coloniale. En outre, l’histoire du FCFA fut calquée sur le tracé des anciens empires coloniaux français en Afrique. Les pays de l’ex-AOF furent rattachés à une même banque centrale, à savoir la BEAC (Banque des États de l’Afrique Centrale), et ceux de l’ex-AOF à la BCEAO (Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest), toutes deux placées sous la tutelle opérationnelle de la direction française du trésor où sont logés leurs fameux comptes d’opération et sous celle de la Banque de France. Une filiation coloniale que précise avec davantage de précision l’économiste togolais Kako Nabupko :

« Le franc CFA a été imposé aux Africains dans le cadre de la colonisation française. Il est le produit de la création de la banque du Sénégal en 1855, créée grâce aux ressources versées par la métropole française aux esclavagistes en guise de réparation à la suite de l’abolition de l’esclavage le 27 avril 1848. Cette banque deviendra, au début du xxe siècle, la Banque de l’Afrique de l’Ouest (BAO), qui sera chargée d’émettre la monnaie ancêtre du franc CFA, qui naîtra officiellement le 26 décembre 1945, dix ans avant la création de l’Institut d’émission de l’Afrique occidentale française (AOF) et du Togo, lequel institut deviendra la BCEAO, Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, quelques années plus tard (1959). C’est dire si le fait monétaire en Afrique francophone épouse les contours de la violence esclavagiste, coloniale et post-coloniale, ce qui explique sans doute les critiques récurrentes et les tentatives de dépassement dont la zone franc fait l’objet »[1].

Stabilité monétaire

Ceux qui ont longtemps trouvé une justification à cet arrimage du FCFA au Franc français puis actuellement à l’euro mettent en avant l’argument de la stabilité dans un marché monétaire mondial extrêmement volatil et parfois agressif.

Or, au même titre que le contrôle de son intégrité territoriale, des forces armées et de police, la capacité pour un État à battre monnaie et à en faire fluctuer le cours en fonction de ses objectifs économiques sont des actes de souveraineté parmi les plus éminents. À cet égard, les voix qui militent pour l’accession de ces anciennes colonies françaises à leur souveraineté monétaire, au rang desquels le Tchad, ne manquent pas d’arguments de poids.

En effet, nulle part au monde, on n’a vu un État asseoir une politique économique et une stratégie de développement viable et pérenne sans disposer de la gestion souveraine de sa monnaie.

Pour un pays comme le Tchad où quasiment tous les fondamentaux d’une économie moderne et d’une transformation sociale véritable et progressiste restent à bâtir, son essor est quasiment impossible sous le corset de la tutelle monétaire, et ce pour deux raisons majeures. Par exemple, il devra forcément référer à la France qui jugera en dernier ressort de la faisabilité, voire de la viabilité de ses nouvelles orientations économiques en fonction par exemple de ses réserves de change.

Il faut se souvenir qu’en 2016, lorsqu’enflèrent les rumeurs sur une seconde dévaluation de la FCFA, à la réunion extraordinaire des chefs d’État de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) qui se tint à Yaoundé en présence de Michel Sapin, alors ministre français de l’économie et des finances, et de Christine Lagarde, alors directrice générale du FMI, la diminution drastique des réserves de change dans cette zone monétaire fut agitée comme un chiffon rouge qui aurait pu conduire au pire.

S’agissant précisément de cette dévaluation du FCFA évitée de justesse, celle qui fut effective en 1994 sur une décision unilatérale de la France, non seulement se traduisit par des conséquences tout aussi néfastes que les Plans d’Ajustement structurel (PAS), mais porta un coup d’arrêt brusque et dramatique aux programmes économiques alors en cours. Le Tchad n’en fut pas épargné.

La sortie du Tchad du Franc CFA serait donc à la fois un acte juste et sain de souveraineté, en outre un tremplin pour la conception et l’implémentation de politiques économiques efficaces.

Prisme aveuglant de l'idéologie

Il ne faut cependant pas dissimuler des vérités qui tombent sous le bon sens.

Le débat sur la sortie du Tchad du FCFA est parfois empreint de ces passions panafricanistes qui perçoivent tous les choix économiques ou politiques en Afrique sous le prisme parfois aveuglant de l’idéologie. En effet, il faut se ranger à l’évidence que toutes les économies africaines n’appartiennent pas à cette zone monétaire. De nombreux États africains disposent même d’une monnaie propre et en assurent sa gestion de manière souveraine. Mais la plupart, à l’observation, sont loin de figurer dans la catégorie des économies dites émergentes. Certaines économies, à l’instar de celle de la Côte-d’Ivoire, pourtant arrimée au FCFA, peuvent même se prévaloir de performances que lui envient nombre d’États africains monétairement souverains comme la Guinée, le Burundi ou encore la Gambie. La liste n'est pas exhaustive.

C’est ici qu’il faut convoquer l’exigence de bonne gouvernance.

Disposer pour le Tchad de la souveraineté monétaire souhaitée à juste titre, ce serait loin d’être la panacée de son développement. La gestion d’une monnaie implique à la fois une éthique de la responsabilité et des comportements vertueux sans lesquels toute économie s’effondrerait. Il ne faut pas perdre de vue que sous le Président Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga (1965 à 1997), le Zaïre disposait d’une monnaie éponyme, le zaïre. Mais que n’a-t-on vu dans les derniers moments du régime de Mobutu, cette monnaie perdre toute sa valeur d’antan, conjuguée à une expansion exponentielle de la pauvreté de masse, à cause des choix de gouvernance inconséquents, voire irresponsables.

Par ailleurs, il existe une réalité géopolitique dont il ne faut pas dissimuler les pesanteurs et les contraintes ; et celles-ci valent autant pour le Tchad que pour l’ensemble des économies de la zone franc. C’est leur appartenance à ces communautés économiques régionales (CER) que nous avons précédemment évoquées. L’intégration de l’économie du Tchad dans la zone CEMAC, avec toutes les contraintes juridiques, les partenariats économiques et le corset monétaire ne rendent pas facile la création isolée par l’un des États de cette zone, d’une monnaie nationale. Il va falloir non seulement négocier toute une batterie d’accords dont certains remontent à l’aube des indépendances, mais aussi hypothéquer la circulation des biens et des personnes au sein de cette zone économique et monétaire.

Or, il est important de souligner qu’entre le Tchad et le Cameroun, par exemple, les échanges de biens et services entre les peuples de ces deux pays remontent parfois à la période précoloniale. Certains de ces peuples entretiennent parfois une proximité ethnique, communautaire et religieuse séculaire sur laquelle se sont tissés des liens économiques.

C’est une réalité anthropologique similaire qui complexifie la création par les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) d’une zone économique et monétaire distincte de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Il se traduirait mécaniquement, des manques à gagner substantiels et immédiats entre le Burkina Faso et la Côte-d’Ivoire, le Mali et le Sénégal, le Mali et la Côte-d’Ivoire.

C’est bel et bien ces réalités intangibles, qui ont justifié la prudence des nouvelles autorités sénégalaises à sortir de l’UEMOA pour rejoindre l’AES, voire la normalisation inéluctable en cours entre le Bénin et le Niger après quelques mois de brouille diplomatico-économique.

En somme, pour le Tchad, comme pour tous les États actuellement tributaires du FCFA, la souveraineté monétaire doit être pensée comme l’un des maillons d’une stratégie de développement globale pour être un outil véritable de progrès.

Une sortie du Tchad du FCFA, pour être efficace, viable et pérenne, devrait être envisagée, au minimum dans le cadre d’une démarche collective des pays de la zone CEMAC. Les espaces macro-économiques intégrés s’imposent aujourd’hui et pour longtemps comme les seules entités de développement viables.

Quel pays de l’Union Européenne, ne pâtirait pas aujourd’hui d’une sortie unilatérale de la zone euro ? L’exemple du Brexit britannique est à cet égard un édifiant cas d’école.

Eric Topona Mocnga, journaliste au service Afrique-Francophone de la Deutsche Welle à Bonn (Allemagne).

 

[1] Kako Nabupko, Du Franc CFA à l’Eco, Demain la souveraineté Monétaire ? Fondation Jean Jaurès/Editions de L’Aube, Paris, 2021, PP. 13-14

En paraphrasant l’ancienne devise Olympique : « Citius, Altius, Fortius », il est permis d’affirmer à l’aune du processus transitoire en cours au Tchad que le système Deby-fils va toujours « Plus Vite, Plus Haut, Plus Fort » dans la « Hougoura[1] », soit, un continuum de mépris, de défiance, d’effronterie, d’ostracisme à l’égard d’une partie de la population au demeurant, narguée, outragée, offensée, humiliée sciemment et à satiété. Une frange de la population dont l’interminable purgatoire, confinant à l’ogonie, ne suffira pourtant pas à expier les torts congénitaux aux yeux du régime.

Les marqueurs institutionnels et politiques de cette « Hougoura » sont perceptibles notoirement hier et aujourd’hui dans la composition significativement déséquilibrée des Gouvernements et du Conseil National de Transition ; dans les forfaitures de la CONOREC ; dans les oukases de l’organisation et des résolutions du DENIS ; dans les outrances des processus électoraux référendaire constitutionnel et de la présidentielle, mais aussi dans les anomalies organiques que sont l’ANGE et le Conseil constitutionnel dans leur constitution et fonctionnement. 

Ajouter à cela, qu’il suffit d’un instantané de la hiérarchie militaire (généraux et officiers supérieurs) ou administrative (SG, DG et DAF des ministères et des entreprises publiques ; gouverneurs, préfets et consorts sous-préfets) pour constater l’évidence de la prégnance et de la dynamique de la relégation que subit cette partie de la population, quoique non assumée publiquement par le régime.

Mais la promulgation par le désormais Président de la République, le 16 août 2024, des lois respectives n° 013, 014 et 015/CNT/2024 dont il résulte, notamment la cartographie des circonscriptions électorales, franchit le Rubicon en officialisant la formalisation de la population tchadienne en sociétés de classes, d’ordres (ou de castes) à l’image de l’Ancien Régime en France, avec pour déterminant la géographie du pays.

À rebours du progrès civilisationnel dont il résulte l’abolition des privilèges de la naissance, ou encore la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, qui d’une part, prescrit l’égalité des citoyens et d’autre part, proscrit la discrimination fondée sur l’origine ethnique ou le lieu de naissance, la couleur de la peau ou la religion. À rebours de la Constitution de la 5e République dont le régime Deby-fils est pourtant le seul commanditaire et auteur, sauf à considérer qu’il ne croit lui-même pas un traitre mot des dispositions, le nouveau découpage électoral consacre formellement et littéralement la rupture d’égalité entre Tchadiens sans pour autant avoir été motivée par un impératif d’intérêt général. Il en est ainsi désormais :

  • des « Supers-Tchadiens » aux Borkou-Ennedi-Tibesti (BET), Kanem, Lac et Biltine. En grossissant à peine les traits, on pourrait dire que ceux-ci ont dans l’inconscient collectif, les attributs et privilèges de la classe de la noblesse.
  • ensuite des « Tchadiens de droit commun » aux Batha, Ouadaï, Guéra, Salamat et Chari Baguirmi. En exagérant à peine, cette population mêle à la fois ce qui correspondrait à la classe de clergé (sans le privilège) et celle de la bourgeoisie, mais aussi beaucoup de la classe de tiers-état. Ils peuvent néanmoins prétendre à la noblesse des premiers mais à condition de n’avoir pas d’ambition politique, d’orgueil, de fierté ou d’amour propre.
  • et enfin, des « Sous-Tchadiens » aux Mayo-Kebbi, Tandjilé, deux Logones et Moyen-Chari. Ceux-ci relèvent essentiellement du domaine de la classe des tiers-état. Pour eux, les portes closes de la fonction publique et si certains ont la chance d’y être, ils subiront la loi d’airain du plafond de verre ou du simple collaborateur dévoué, voire soumis, y compris lorsque leur compétence et leur productivité en font des valeurs étalons. Pour d’autres, rien, si ce n’est simplement la vulnérabilité des fonctions sans statut.

Si l’objectif des concepteurs de cette loi, était d’assurer une représentativité des vastes territoires désertiques du Nord, l’institution sénatoriale prévue par cette même Constitution de la 5e République est plus appropriée pour en être l’instrument et le réceptacle comme en atteste le droit comparé. En effet, aux USA et au Canada, deux pays marqués par des disparités entre les États ou Régions à forte densité démographique et d’autres, à très faible densité, mais pourvus de vastes étendus de territoires comme le sont les régions du Tchad, c’est la chambre haute, autrement dit, le Sénat qui assure la représentation et la défense des intérêts des États ou régions et à certains égards, des groupes sous-représentés dans la population générale comme les peuples autochtones (les indiens par exemple au Canada).

En ce qui concerne, la chambre basse, dite encore l’Assemblée nationale, elle assure de manière universelle et intemporelle sous toutes les latitudes, une représentation démographiquement proportionnelle à la population. Et c’est là, sa seule raison d’être. Sa composition repose sur un ratio immuable d’un ou d’une député (e) pour un seul et même quantum de population, indistinctement sur l’ensemble du territoire national. Ceci justifie au demeurant le caractère national du mandat des députés et procède de l’équation :  un homme ou une femme = une voix.

Dès lors, d’où peut bien venir l’inspiration des têtes pensantes du régime pour proposer ce projet devenu depuis, une loi inique et scélérate, mêlant l’abjection à l’ignominie doublée de la fourberie, si ce n’est la « Hougoura » et son corollaire : le sentiment que le régime et ses affidés peuvent tout se permettre sans rien craindre. Pour eux, il n’existe plus de limite à l’indécence et à l’indignité morale, éthique et religieuse dans la conduite de l’action publique. Pas de peur du jugement de l’Histoire ; plus de crainte du délitement du fragile tissu de la cohésion nationale à moins que ce ne soit le but recherché. Foin de la bienséance politique. Comme diraient, les sbires de l’ex-dictateur Burkinabé, Blaise Compaoré, à l’époque de leur splendeur : « on vous fait, et il n’y aura rien ».

Car comment comprendre qu’en dépit des suppliques répétées et de la force de l’argumentaire juridique, politique, sociologique et anthropologique des personnes aussi raisonnables, averties et clairvoyantes que peuvent l’être Messieurs Laona Gong Raoul, Béral Mbaïkoubou, l’Abbé Madou et des milliers d’autres citoyens célèbres ou anonymes de tous les horizons géographiques du pays, tous mus, autant qu’ils le sont, par la sauvegarde de la fragile unité nationale, ce projet de loi a poursuivi ne varietur, son parcours législatif accéléré jusqu’à son aboutissement ce 16 août 2024. Le cours de science politique d’un Takilal Ndolassem (pour une fois, sorti de son rôle de « fou du Roi »), administré magistralement au ministre d’État de l’Administration, complètement groggy par l’évidente démonstration, n’y changera rien non plus. Soit !

Mais alors :

  • quel désaveu pour Messieurs J.-B. Padaré ; Issa Doubraigne et tous les chapeaux à plumes du MPS du Sud du pays, enfourchant le narratif soporifique des 12 chantiers du Président Déby-fils, et de sa coalition Tchad Uni ! Peuvent-ils encore écumer l’arrière-pays méridional en professant l’unité, l’égalité des citoyens et la non-discrimination quand leurs propres militants ne peuvent prétendre à une représentativité équitable à l’Assemblée nationale concurremment aux « camarades » du même parti au Nord du pays ?
  • quelle méfiance peut bien inspirer le système à l’égard du Sud du pays dès lors qu’il ressort des résultats de la dernière présidentielle que le candidat Déby-fils est arrivé premier dans toutes les provinces du Sud, sauf trois. À moins qu’il y ait comme un doute sur la sincérité et la fiabilité des résultats instrumentés par l’ANGE et validés par le Conseil constitutionnel !
  • quel mépris pour le tchadien, d’ascendance allogène ou du Nord, vivant au Sud comme on en trouve dans tous les coins et recoins les plus isolés, totalement intégré à la population locale et à qui cette loi fait subir la perte de chance d’espérer devenir député surtout dans les grands centres urbains cosmopolites comme peuvent l’être : Sarh, Koumra, Doba, Moundou, Pala, Laï, Bongor, etc. ?
  • quelle double peine pour le Sud du pays subissant, en raison de la rigueur climatique rendant peu hospitaliers certains territoires du Nord, les transhumances à la fois du bétail et des hommes, augmentant ainsi de manière exponentielle la pression démographique et conflictogène que d’être moins bien représenté à l’Assemblée par rapport aux territoires désertés du Nord ?
  • quelle sera la prochaine étape dans l’imaginaire débordant de la « Hougoura » des têtes pensantes du régime ? Sans doute, une loi sur le « statut du Sud » à l’image des lois du régime de Vichy de 1940 et 1941 sur le statut des Juifs ; ainsi exclus de la fonction publique, des mandats publics, des professions libérales, commerciales et industrielles ?

« Toujours plus vite, plus haut, plus fort dans l’exclusion et l’ignominie ». Telle pourrait bien être la devise du régime de la 5e République du Tchad.

Abdoulaye Mbotaingar

Docteur en droit, maître de conférences à l’université

[1] Une expresse de l’arabe darija tchadien, mais qu’on retrouve également avec la même teneur dans certains pays du Maghreb comme l’Algérie ou le Maroc. Le propos de l’article, dont le signataire n’est pas linguiste, est d’en donner des déclinaisons dans le contexte politique du Tchad.

L’Université du Tchad qui a longtemps basculé dans le précipice à cause de l’élasticité de l’année, de l’amateurisme et de l’immixtion des vendeurs d’illusions, retrouve ses lettres de noblesse, à travers la qualité dans la transmission du savoir.
 
Traduisant dans les faits les nouvelles exigences pour un enseignement supérieur de qualité, le ministre d’État, ministre de tutelle, Dr Tom Erdimi a assaini et engagé des reformes l’Enseignement Supérieur. Des réformes appréciées par de nombreux étudiants tchadiens.
 
Les Universités du Tchad qui faisaient la fierté du pays à travers la qualité de son enseignement du savoir, avaient rompu depuis belle lurette avec les bonnes habitudes où l’année académique commence fin septembre et s’achève en juin. Les mauvaises habitudes s’étaient installées avec les événements douloureux que notre pays a connus. Ces habitudes ont conduit certains étudiants à fuir le pays pour aller massivement dans les pays voisins. Le Tchad a donc vu sa jeunesse quitter massivement le pays au moment où la manne pétrolière coulait à flots.
 
Les étudiants n’ont pas tort puisque l’année académique ne prend pas fin dans le temps légalement imparti. Ainsi, un étudiant inscrit en première année termine son cursus LMD (Licence Master Doctorat) en cinq (5) ans au lieu de trois (3) ans. La responsabilité de cette élasticité de l’année est partagée entre étudiants, enseignants et gouvernants.
 
L’élasticité de l’année académique a été un véritable enfer pour les étudiants et les administrateurs des académies. Le phénomène d’une année qui commence et se termine l’année suivante en pleine année académique a impacté négativement la réputation de nos universités.
 
L’actuel ministre de l’Enseignement Supérieur, Dr Tom Erdimi, a pris le pari de mettre fin à ce phénomène de chevauchement des années académiques. Aujourd’hui, le résultat est là, les étudiants et les enseignants vont profiter de leurs vacances. Les étudiants pourront se débrouiller pour économiser un peu d’argent, voire aider les parents dans les travaux champêtres pour certains, et paître les brebis pour d’autres. Quant aux enseignants, ils mettront ce temps à profit pour peaufiner et enrichir leurs cours à travers la recherche.
 
L’exemple du ministre Tom Erdimi est à suivre puisqu’il s’est fixé des nobles objectifs qu’il a pu atteindre en s’appuyant sur des collaborateurs compétents et intègres. Il est temps qu’on responsabilise des cadres en fonction de leur compétence et intégrité pour booster les différents secteurs clés du pays. C’est à ce prix seulement que l’économie et le problème de l’emploi de la jeunesse seront résolus. Les hautes autorités du pays devront s’en inspirer et puiser sur le vivier des cadres qui prennent de l’initiative. En revanche, il est temps de démettre ceux qui ont pour seul objectif de s’enrichir en s’appuyant sur des cadres incompétents cooptés sur fond du népotisme.

MS Lasah

Comme le comique de répétition, les élections présidentielles au Tchad se suivent et se ressemblent, à la gloire et à l’éternité des Deby, mais corrélées à la densification du cauchemar de la population devant plus que jamais faire le deuil  de l’eau, de l’électricité, des routes, des écoles,  des hôpitaux et des dispensaires de qualité, de l’emploi, etc.  Au pays de Toumaï, « tout change pour que rien ne change ». 

Des célébrations d’un autre âge

Le comique de répétition, c’est d’abord et trivialement dans la constance des célébrations de la victoire d’un autre âge par des tirs à l’arme lourde, évidemment mortels mais que le gouvernement laisse faire et justifie par un argument, lui aussi d’un autre âge et sans condamnation ni enquête. Faut-il du sang, des vies humaines et des larmes des familles, tirant déjà le diable par la queue, pour donner de l’éclat à une élection dont la réalisation et la mise en scène sont fidèles aux scripts connus d’avance par le public ? Des victimes dont il est interdit aux services de soins de communiquer à la presse le nombre au nom d’un secret médical dont le gouvernement réinvente la nature et le régime juridique. Ce n’est rien de moins qu’une double peine pour les victimes invisibilisées et interdites d’empreinte sur la mémoire collective nationale.

Preuve de la forfaiture électorale
 
Le comique de répétition, c’est ensuite dans la célérité et la confusion conduisant le président du Conseil constitutionnel à administrer en mondovision la preuve de la forfaiture de l’Agence Nationale de Gestion des Élections (ANGE). En effet, les procès-verbaux (PV) par bureau de vote, en trois copies sont en principe convoyés à la fois par la province vers N’Djamena par les délégués respectifs de l’ANGE et ventilé à leur arrivée entre le ministère de l’Administration du territoire, le Conseil constitutionnel et L’ANGE elle-même. Dès lors, comment l’ANGE peut-elle avoir pu traiter informatiquement les plus de 26000 PV et consolider les résultats alors même que le Conseil constitutionnel censé les avoir reçus en même temps qu’elle, prenait à témoin l’opinion publique pour attester de leur réception le même jour ? Un miracle que même la providence ne sert plus et encore moins la science. Qui plus est, outre le caractère fastidieux du traitement manuel, pour des raisons d’intégrité, le protocole de traitement prescrit plusieurs niveaux de validation par PV saisi, ce qui alourdit le délai de compilation. Même avec un logiciel amélioré de numérisation permettant un traitement automatisé de PV, un tel résultat paraît impossible dans ce laps de délai. À la limite, si encore, les ANGES provinciaux avaient le pouvoir de compiler et traiter les PV localement comme cela se fait dans les démocraties qui se respectent, pour ne transmettre électroniquement à l’échelon central à N’Djamena que les tableaux Excels, la consolidation nationale des résultats en une journée pourrait paraître raisonnable. Or, le code électoral ne confère pas ce pouvoir aux ANGES provinciaux qui d’ailleurs n’ont pas pris des dispositions en personnels et en équipements pour ce travail, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement déployant des trésors d’imaginations pour défendre la forfaiture, sauf à en avouer une autre ? Des experts, mais un peu bras cassés.
  
Expertise en tripatouillage

Le comique de répétition, c’est aussi dans la prévisibilité de l’assujettissement irréfragable de la chaîne de la gouvernance des élections au pouvoir MPS, mais également de l’opacité et de l’artificialité des résultats que celle-ci proclame. Seul un naïf pourrait être convaincu par les vernis du changement de dénomination de la CENI à l’ANGE et du lifting purement cosmétique du nouveau Code électoral ou encore de l’autonomisation du Conseil constitutionnel de la Cour Suprême. Le président des Transformateurs qui depuis la primature voit et subit au quotidien les limites et entraves à l’exercice, était pourtant le seul à croire et défendre dans les médias et meeting, l’amélioration qualitative de l’objectivité de la gouvernance des élections. Est-ce de l’autopersuasion ou de l’incantation ? Mystère ! Il doit s’en mordre les doigts, tout comme l’Union Européenne qui assure pourtant l’essentiel du financement du processus électoral de l’ANGE, mais dont les observateurs qu’elle a parrainés n’ont pas reçu l’agrément espéré dans un cynisme très travaillé.
 
Les présidents respectifs de l’ANGE, de la Cour suprême et du Conseil constitutionnel ainsi que le ministre d’État de l’Administration du territoire sont notoirement connus pour être des soldats à l’expertise pointue en ingénierie de tripatouillage et d’entourloupe juridique et institutionnelle du régime. Il n’y a qu’à se souvenir de la fameuse Commission Ad hoc n° 1 du DNIS à qui le pays doit non seulement la prolongation de la transition et les pleins pouvoirs au président de la transition, mais surtout son éligibilité à la présidentielle en violation flagrante de la Charte africaine de la démocratie et des résolutions du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union Africaine (UA). Il n’y a encore qu’à se souvenir de la légalisation du Consil Militaire de Transition (CMT) pour des prétendues « vacances d’intérim » du Président de la République au décès de Deby père, en contradiction flagrante avec la Constitution d’alors du pays. Et selon les observateurs de la Francophonie, deux versions à la fois de la constitution et du code électoral en vigueur sont en circulation au Tchad. Encore une de leur trouvaille ! D’où la tentation d’opérer quelques rappels que les circonstances ne rendent pas superflus.

Centralité du ministère de l’Administration

La tentation est grande de rappeler avoir prévenu sans mérite que les résultats des présidentiels ne seront pas fonction des suffrages exprimés, mais de la distribution arbitraire de voix opérée depuis les bureaux du ministre de l’Administration du territoire ; l’ANGE et le Conseil constitutionnel ne tenant qu’un rôle de simple paravent[1]. La célérité des résultats et les scores respectifs de Déby fils et de Pahimi Albert comparés à ceux de Succès Masra en sont la preuve éclatante. Sans mépris pour Mr Pahimi Albert, son score comme l’affirme le politologue Roland Marchal, ne peut s’expliquer que par la volonté du système de miner la légitimité et la popularité de Succès Masra et ainsi de l’humilier. La célérité et l’enthousiasme à féliciter l’héritier, est au demeurant, le continuum de son positionnement politique classique dans l’accompagnement des Déby depuis son tête-à-queue dans le dos de Monsieur Kassiré Koumakoye en 1996. Il en sera rétribué comme d’habitude, à l’instar d’ailleurs de tous les sept autres candidats qui se sont dépêchés, à qui le premier, pour féliciter l’heureux vainqueur.  Un début de réponse sûrement à la question du pourquoi de la sur-candidature des ressortissants du sud aux élections présidentielles[2]. Il en résulte qu’au Tchad, qu’importent les conditions du vote et du dépouillement, c’est le mécano du back-office électoral, c’est-à-dire de l’arrière-cour, qui détermine des résultats.   

Mise en garde contre l’idylle mortifère

La tentation est aussi grande de rappeler avoir prévenu du caractère mortifère pour le souffle de l’espoir suscité dans le pays par l’idylle du chef des Transformateurs avec l’héritier Deby en vertu de l’Accord de Kinshasa[3]. Cette idylle, manifestement furtive, a peut-être permis aux Transformateurs d’organiser la campagne présidentielle dans les conditions de confort matériel et financier, mais pour quelle issue ? Si ce n’est leur concours à la légitimation de la normalisation de la succession héréditaire à la tête d’une République.  Le régime n’a jamais été et ne sera jamais disposé à ouvrir la compétition présidentielle ; mais il a toujours besoin de sparing partener. La légitimité populaire manifeste pour ne pas dire stratosphérique de Succès Masra devrait, nous semble-t-il, le mettre hors de portée de ce statut avilissant dans lequel se complaisent le commun des chefs de partis politiques alimentaires au Tchad. Le recours devant le Conseil constitutionnel est certes nécessaire par souci de conformité à la légalité, mais il n’y a rien à attendre de cette institution aussi gangrénée si ce n’est davantage par les marqueurs du MPS que l’ANGE. La démission de la primature maintenant ne permettra pas non plus de rétablir la vérité des urnes, mais remobilisera la troupe pour les élections législatives et locales où il faudra faire front et masse avec l’opposition crédible dont le GCAP ; aussi bien pour la réforme du code électoral, la révision des listes que des candidatures communes en étant la locomotive. Après seulement, il sera possible au regard des rapports de forces électorales conférant au pire, une minorité de blocage, de négocier et de conclure éventuellement un accord programmatique transparent de gouvernement avec le régime. Si tant est qu’il permette d’améliorer le quotidien de la population.         

Paix du boucher avec le mouton à l’abattoir

La tentation est encore grande de rappeler qu’on peut ne pas être pour le conflit et encore moins pour la guerre et même l’abhorrer comme la grande majorité des Tchadiens.  Mais il y en a assez de cette stabilité et de cette paix péroré mécaniquement, depuis les tourelles des chars de guerre et des automitrailleuses lourdes ; ou encore depuis des fenêtres des V8 en parade, ou des scintillantes résidences de tours d’ivoire, en intimidant, en terrorisant et en narguant une population démunie dans toutes les latitudes. Cette paix du régime est bien celle du boucher avec le mouton à l’abattoir, du maître avec l’esclave dans la plantation ; du chasseur avec le gibier dans une battue ; du braqueur avec sa victime pendant le forfait ou encore, de l’usurier avec l’emprunteur indigent désormais à la rue. La victime peut avoir marre, et même trois fois marre de la paix de celui dont le genou entrave le cou et l’asphyxie. Ne pas le crier haut et fort n’est nullement une expression de son consentement à l’asservissement.

Orée d’un nouveau long chapitre de Deby à la tête du pays
Elle est enfin de rappeler que Deby père avait présidé aux destinées du Tchad pendant 31 ans. Son fils a repris le flambeau à 37 ans. Il débute son premier mandat de Président tout court à 40 ans. La constitution actuelle limitant l’éligibilité à deux mandats consécutifs, il devrait rendre le pouvoir après son second mandat en 2034. Mais au regard de son appétit pour le pouvoir qui n’a d’égal que celui de son feu père, il n’aura pas beaucoup de mal à trouver des experts en ingénierie institutionnelle, les mêmes d’ailleurs que ceux en exercice ou d’autres de la lignée, pour lui proposer des kits de modification de la constitution pour sceller la fin de la limitation des mandats comme son père naguère en 2006. Tchadiens, vous avez aimé le père, vous adorerez le fils.
 
Reste qu’il a fait des émules dans les rangs des juntes militaires qui essaiment désormais l’Afrique. Brice Olingui GUEMA du Gabon et Assimi Goïta du Mali viennent de lui emboîter le pas en organisant des assises nationales sur- mesure, comme le DNIS Tchadien, destinées à prolonger la transition et/ou normaliser le pouvoir transitoire par leur éligibilité à l’élection présidentielle. Ils seront suivis sous peu par Ibrahim TRAORÉ du Burkina Faso dont les assises sont déjà dans les tuyaux. Viendront certainement par la suite, Mamadi DOUMBOUYA de la Guinée et Abdourahamane TCHIANI du Niger.  Le Tchad à défaut d’être précurseur dans aucun domaine économique, social, scientifique, culturel et sportif, l’est en cette matière au grand dam de la Charte africaine de la démocratie dont il signe ainsi la désuétude ou mieux, le requiem. Il en est de même du désœuvrement désormais des membres de la CPS de l’UA. 


[1] https://www.ialtchad.com/index.php/details/item/3195-masra-fin-de-l-illusion-du-co-pilotage
[2] https://www.ialtchad.com/index.php/details/item/3230-schisme-electoral-entre-nord-et-le-sud
[3] https://www.ialtchad.com/index.php/details/item/3079-accord-de-kinshasa-ou-mirage-d-une-co-gouvernance
 

Abdoulaye Mbotaingar
Docteur en droit, maître de conférences à l’université

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