Tantôt maintenue tantôt interdite, la marche pacifique de ce samedi semble avoir été un échec. Sur l’itinéraire prévu et dans les quartiers, les manifestants ont fait place aux forces de l’ordre. Reportage.
N’Djamena, capitale du Tchad. Samedi 8 mai, jour de la deuxième marche pacifique initiée par la Coordination des actions citoyennes (CAC) dénommée Wakit Tama pour protester contre la mise en place du Conseil Militaire de Transition (CMT).
Walia, dans le 9e arrondissement. Le soleil s’est levé, il y a deux heures déjà. Mais le quartier est bien calme. Pourtant le 27 avril dernier, ce secteur a été le théâtre de violentes manifestations. Ce samedi, il est sous une haute surveillance sécuritaire. Des véhicules bourrés des éléments du Groupement mobile d’intervention de la Police (GMIP) et des militaires sont garés à des endroits stratégiques : établissements scolaires, ronds-points, devanture de l’hôtel 3AS.
Devant le lycée de Walia, plus de 4 véhicules du GMIP font instantanément la ronde afin de disperser toute tentative de rassemblement de personnes sur ce lieu. Il faut rappeler qu’à la marche précédente, ce lycée a été investi par les manifestants, brûlant des pneus bloquant ainsi la circulation sur l’unique route nationale. Un peu devant, au niveau du Lycée privé AGORA, un homme a mis le feu sur un tas de saletés. Instant d’après, un véhicule de marque Toyota L200 bourré d’éléments s’arrête : « qui a mis le feu ? » lui demande avec insistance le chauffeur. Le monsieur, l’air perdu répond vaguement que ce n’est pas lui. Les policiers le laissent et continuent leur chemin.
Au niveau de l’hôtel 3AS, au moins 5 véhicules militaires sont garés. Comme il n’y a aucun mouvement dans le secteur, certains éléments prennent une pause dans les véhicules, d’autres sont couchés à même le sol.
Sous le viaduc du pont de Chagoua, la présence de ces hommes en treillis donne l’impression qu’une guerre se prépare. Véhicules militaires, policiers, des armes de gros calibre sont visibles. Malgré ce déploiement impressionnant, les activités tout autour du pont semblent fonctionner normalement.
À l’espace FEST’AFRICA où devait commencer la manifestation, ce sont toujours les forces de sécurité qui ont pris d’assaut les lieux alors qu’il était déjà 9 heures passées. Elles sont sur place au petit matin. « Les leaders ne sont pas encore arrivés, mais déjà les policiers sont venus chasser les gens qui étaient là ce matin », dit un vendeur.
À quelques mètres, nous apercevons un véhicule de police s’arrêter devant un jeune tenant dans sa main une chemise cartonnée, téléphone à l’oreille. Un policier s’approche de lui et demande à fouiller la chemise. Une fois le spectacle fini, nous nous sommes approchés du jeune homme : « ils m’ont demandé qui j’appelle. Je lui ai répondu que c’est mon petit pour qu’il vienne me déposer quelque part en ville ». Heureusement, il n’a pas été arrêté.
Même constat à Atrone, Habbena et Gassi dans le 7e arrondissement, réputés bastion de la contestation. Ces quartiers sont pris d’assaut par les forces de l’ordre composées de militaires, des éléments du GMIP, de la Garde nationale et nomade du Tchad (GNNT) et des gendarmes. L’avenue Mathias Ngarteri communément appelée l’axe CA7, connu pour être un terrain d’affrontement entre manifestants et forces de l’ordre, est calme ce samedi. La circulation est fluide. L’axe menant du rond-point 10 octobre jusqu’au quartier Ambatta est l’endroit ciblé par les forces de l’ordre qui font de navettes pour traquer tout récalcitrant. Devant le sous-poste de police situé derrière le centre de santé d’Atrone, plus de 5 véhicules bourrés d’hommes en treillis sont stationnés dans le but de veiller sur le sous-poste, qui le 27 avril dernier est pris en otage par les manifestants. Des camions-citernes chauffe-eau du GMIP sillonnent également la zone.
Malgré tout ce dispositif mis en place, cela n’a pas empêché de groupes de manifestants de sortir. Toutefois, leur action a été vite étouffée par les forces de l’ordre qui patrouillent sans cesse ces zones. Aucun cas de brûlure des pneus n’est signalé dans ces quartiers.
Selon le coordinateur de Wakit Tama, Me Max Loalngar, les autorités les ont piégés. « Elles ont dit que la marche allait être autorisée. Donc nous avons indiqué un lieu de rassemblement et un itinéraire. Mais avant que le rassemblement ne soit effectif, les forces de l’ordre ont commencé par tirer sur les gens », s’insurge-t-il. Du coup, la marche pacifique qui devrait être encadrée s’est transformée en des manifestations sporadiques.
Si la marche de ce jour, comparée à celle du 27 avril, semble ne pas avoir drainé assez de monde, Me Max Loalngar estime que c’est une réussite sur le plan idéologie. « Parce que cela a permis de constater que les autorités de transition sont de mauvaise foi. Elles ont adopté une attitude guerrière en dévoilant leur caractère sectaire », dit-il.
Bilan : Wakit Tama évoque une quinzaine d’arrestations à N’Djamena dont 9 devant la base de l’opération Barkhane. Une vingtaine d’autres à Moundou et une dizaine à Sarh. 10 blessés dont 3 graves sont également enregistrés à N’Djamena. Un journaliste de la télévision nationale habitant le quartier Atrone, Djimitibeye Yemingaye a été tabassé par les militaires alors qu’il était devant son domicile. Une équipe des journalistes de la Rfi aussi ont été brièvement interpellées à l’espace Fest’Africa. Leur enregistrement a été effacé. Officiellement, les autorités n’ont pas encore fait une communication.
Christian Allahadjim
Togyanouba Santanan
Allarassem Djimrangar