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Adieu Maréchal

Avr 20, 2021

Le président tchadien Idriss Deby Itno est décédé ce mardi 20 avril de suite des blessures infligées à la veille par les rebelles aux alentours de la ville de Nockou au nord de la province Kanem. Retour sur la vie de cet officier rusé et violent qui a marqué l’histoire de son pays.

Naissance en 1952 à Berdoba, un puit pour certains, un hameau pour d’autres situé au sud Est de  la ville de Fada au nord du Tchad. Idriss Deby Itno est un enfant du désert. Ses études le mènent au lycée franco-anglais d’Abéché puis au lycée Jacques Moudeina de Bongor où il décroche un baccalauréat scientifique. Il intègre l’école des officiers active de N’Djamena en 1975. En 1976, il décroche une licence de pilote professionnel (spécialité transport des troupes) à l’Institut aéronautique Amaury de la Grange (France).

Fidèle lieutenant de l’ancien président Hissein Habré

Il aime le métier des armes. Il aime le terrain. Il est mort comme il le voulait nous affirme un ex-compagnon. A notre question comment ? Il racle sa gorge, prend son souffle et dit « sur le terrain de combat ». 1979 marque le début de son ascension militaire. 1990 c’est celle de sa montée politique. L’année de la guerre civile. Idriss Déby collabore avec Hissein Habré, entré en rébellion en 1980 contre Goukouni Weddeye. Habré le nomme commandant en chef  des Forces armées du nord (FAN). En 1982, Habré, aidé par Deby, renverse le régime tenu par Goukouni. Sa loyauté est gratifiée par le grade de colonel. Idriss Deby reprend le chemin de l’école. Direction France où il suit les cours à l’École de guerre interarmées. Il revient au pays en 1986 et est nommé conseiller de Hissein Habré pour la défense et la sécurité.

1989. Les relations entre l’homme fort de N’Djamena et son bras droit ne sont pas au beau fixe. Après une tentative de coup d’État le 1er avril 1989, Idriss Déby s’enfuit au Soudan avec quelques frères d’arme. Certains de ses compagnons trouvent la mort. Hassan Djamous, blessé est capturé. Idriss Deby réussit à gagner le Soudan puis la Libye. Il fonde le 11 mars 1990, le Mouvement patriotique du salut (MPS), un mouvement politico-militaire qui chasse Hissein Habré du pouvoir le 1er décembre de la même année.

De la rébellion à la présidence de la République

Le coup d’État réussi, Deby est porté à la présidence du Conseil d’État le 4 décembre. Il sera désigné président de la République par son mouvement devenu parti politique début 91. En 1996, une Constitution est promulguée. Le pays organise les premières élections pluralistes. 14 candidats étaient en lice. Idriss Deby est élu pour un premier mandat de cinq ans en 1996, (il recueille 43,82% au premier tour et bat Wadal Abdelkader Kamougué au second tour par 69,09%). En mai 2001, Idriss Déby brigue son second mandat. Il est réélu dès le premier tour avec 63,17% des voix.

La nouvelle constitution et la présidence ad vitam

Alors que son second mandat tendait à sa fin, le gouvernement fait modifier la Constitution de 1996 qui limitait le nombre du mandat à deux. La nouvelle Constitution promulguée en 2006 saute le verrou de la limitation des mandats. Le président est réélu autant de fois que le peuple le voudra. Ce qui permet à Idriss Déby Itno de rempiler pour un troisième mandat en 2006. Les pontes de l’opposition ont boycotté le scrutin. Deby se fait réélire aisément avec 64, 67% au premier tour.

Vers la fin de son deuxième mandat, Idriss Deby a failli perdre son fauteuil. Le 13 avril 2006, les rebelles du Front uni pour le changement (FUC) ont réussi à atteindre N’Djamena. Mais celui qui se réclame toujours soldat a réussi à les défaire. « Ce sont des enfants qui ne connaissent pas N’Djamena. Ils vont tomber dans leur propre piège », avait-il déclaré en son temps. En février 2008, au cours de son troisième mandat, les rebelles regroupés au sein du Commandement militaire unifié (CMU) ont encore failli de peu renverser son régime. Après deux jours de combats acharnés en pleine capitale, la situation se retourne en faveur du président Déby alors que tout le monde le croyait sur le départ. Le gouvernement pointe du doigt le régime de Khartoum, dirigé par Omar Hassan El-Béchir d’être derrière cette tentative de déstabilisation.

Le gendarme du Sahel

2013. Le nord Mali est envahi par des terroristes. Bamako et Paris sollicitent N’Djamena. Le président déploie 2 000 soldats avec à leur tête le général Oumar Bikimo. En 2014, il enchaine avec un déploiement au Cameroun puis au Nigeria et au Niger dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans le Lac Tchad. Le président Deby est auréolé et s’impose comme un partenaire incontournable de la communauté internationale dans la lutte contre le terrorisme. Sur le plan régional, il est vu comme un panafricaniste et le gendarme du Sahel.

2016. Le MPS investit le président sortant Idriss Déby Itno pour un cinquième mandat. Le candidat de l’émergence fait face aux candidats de l’alternance issus de l’opposition. Les grosses pointures de l’opposition à savoir Saleh Kebzabo, Mahamat Ahmat Alhabo, Laoukein Kourayo Médard, et l’ex-mpiste Joseph Djimrangar Dadnadji sont alignées contre Déby. Face à leurs stratégies qui consistaient à l’amener à un second tour et le battre, Idriss Déby Itno sort le fameux concept « un coup K.O ». Et effectivement le coup K.O au premier tour a réussi : le candidat du MPS est réélu avec 59,92% de voix. Son mandat qu’il consacre toujours au monde rural sera marqué par la censure des réseaux sociaux, les mesures d’austérité, les crises sociales marquées par les grèves et des manifestations, la réforme des institutions avec le fameux forum national inclusif 1 et 2. Avec le forum 1, une nouvelle Constitution instaurant la 4e République a été promulguée le 4 mai 2018. Le verrou de la limitation des mandats est remis. Mais cette fois, le mandat passe de cinq à six ans. Un an plus tard, un poste de vice-président et le sénat sont créés.

Le Maréchal du Tchad

2020. Le président de la République, chef suprême des armées Idriss Déby Itno retourne ses djellaba et vestes pour porter de nouveau la tenue militaire. Il dirige en personne l’opération « colère Bohoma » qu’il lance le 31 mars après la sanglante attaque des terroristes appartenant à Boko Haram contre une base de l’armée tchadienne dans le lac Tchad. L’armée perd près de 100 soldats lors de cette attaque. Un affront que le général cinq étoiles a décidé de laver. « Je refuse cette défaite et la réplique doit être foudroyante », avait-il martelé. Du 31 mars au 8 avril, le chef suprême des armées supervise les opérations depuis son quartier général qu’il a installé  sur l’île de Kaiga Kindjiria. Résultat, la péninsule est nettoyée de tous les éléments terroristes. En juin, l’Assemblée nationale prend une résolution pour récompenser le soldat de toujours Idriss Déby Itno. La représentation nationale l’élève à la dignité de Maréchal pour « services rendus » à la nation. Le 11 août, date anniversaire d’indépendance du Tchad, il reçoit ses insignes et sa tenue de Maréchal.

Le 6 février 2021, le MPS investit pour la sixième fois Idriss Déby Itno, 69 ans, 30 ans au pouvoir pour un nouveau mandat, cette fois de six ans. Sa candidature est objet à contestation. Pour l’opposition, c’est un mandat de trop et réclame l’alternance. Pour la majorité présidentielle, leur candidat est l’homme qui peut garantir la stabilité et la paix. Sa candidature est déposée par sa formation politique auprès de la cour suprême. Le 2 mars, le domicile de Yaya Dillo, candidat déclaré et proche parent du président-candidat, a été attaqué par la garde présidentielle. La nouvelle a fait un boum que trois candidats déclarés à la présidentielle se retirent.  Les appels au report de l’élection se multiplient sur le plan national. Le 13 mars, le Maréchal président-candidat lance sa campagne électorale contre vents et marées. Et là encore il promet un coup K.O au premier tour à ses six adversaires restés en lice. Selon les observateurs avertis de la scène politique tchadienne, sa victoire ne fera pas de doute. Si cela se confirme, le Tchad aura à sa tête Idriss Déby Itno, pour au moins jusqu’en 2027 sinon plus. Car, selon la Constitution du 4 mai 2018, il peut se représenter en 2027, pour un autre mandat de six ans.

Malheureusement le destin en a décidé autrement pour le président Déby. Il est décédé ce mardi 20 avril 2021 alors que la Céni l’a proclamé, la veille, vainqueur de l’élection présidentielle avec 79, 32%. En bon soldat, Idriss Déby Itno est allé mourir là où tout a commencé : le champ d’honneur, le front arme à la main. « Le Maréchal du Tchad, président de la République, chef de l’Etat, chef suprême des armées, Idriss Déby Itno vient de donner son dernier souffle au front », a annoncé le porte-parole de l’armée, le général Azema Bermadoa à la télévision nationale. Le Maréchal est allé combattre au nord Kanem les rebelles du Front pour l’alternance et le changement au Tchad (FACT) dirigé par Mahamat Mahdi Ali. Blessé, il est évacué d’urgence à N’Djamena pour des soins. Il succombe de suite de ses blessures. Un conseil militaire de transition dirigé par son fils Mahamat Déby Itno est mis en place pour 18 mois. Un couvre-feu est instauré à partir de 18 heures.

Christian Allahadjim

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