Idriss Deby Itno, le candidat du coup KO

Avr 02, 2021

Pour la sixième fois, il est candidat à la présidentielle. Pour la sixième fois, il n’a pas l’intention de perdre. Pour les militants du parti au pouvoir le Mouvement Patriotique du Salut (MOS), il est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Pour les opposants, il incarne l’échec d’une démocratie sans alternance. Qui est Idriss Deby Itno, le candidat du consensus ? Portrait.

Né en 1952 à Berdoba, au sud-est de la ville de Fada dans le septentrion tchadien, Idriss Deby Itno est un enfant du désert. Ses études secondaires le mènent au Lycée franco-arabe d’Abéché puis au lycée Jacques Moudeina de Bongor où il décroche un baccalauréat scientifique. Il intègre l’école des officiers active de N’Djamena en 1975. En 1976, il décroche une licence de pilote professionnel (spécialité transport des troupes) à l’Institut aéronautique Amaury de la Grange (France).

Le Commandant en chef

1979, retour au bercail du soldat Idriss Deby devenu depuis 2006 Idriss Deby Itno. Dans les années du début de la guerre civile, Idriss Deby rejoint le camp de l’ex-président Hissée Habré. Quelques années plus tard, il est nommé commandant en chef des Forces armées du nord (FAN). En 1982, Habré, chasse le régime de Goukouni Weddeye. Un des artisans de cette victoire n’est nul autre qu’Idriss Deby. Sa loyauté est gratifiée par le grade de colonel et commandant en chef. Idriss Deby reprend le chemin de l’école. Direction la France où il suit les cours à l’École de guerre interarmées. Il revient au pays en 1986 et est nommé conseiller de Hissée Habré pour la défense et la sécurité.

1989. Les relations entre l’homme fort de N’Djamena et son bras droit se gâtent. Après une tentative de coup d’État le 1er avril 1989, Idriss Deby s’enfuit au Soudan avec quelques frères d’armes. Certains de ses compagnons trouvent la mort. Hassan Djamous, blessé est capturé. Idriss Deby réussit à regagner le Soudan puis la Libye. Il fonde le 11 mars 1990, le Mouvement patriotique du salut (MPS), un mouvement politico-militaire. Un an plus tard, il chasse Hissée Habré du pouvoir un 1er décembre 1990.

Le président de la République

Habré débarqué, Deby est porté à la présidence du Conseil d’État le 4 décembre. Il sera désigné président de la République par son mouvement devenu parti politique début 91. En 1996, une Constitution est promulguée. Le pays organise les premières élections pluralistes. 14 candidats étaient en lice. Idriss Deby est élu pour un premier mandat de cinq ans en 1996. Il recueille 43,82% au premier tour en battant Wadal Abdelkader Kamougué au second tour par 69,09%. En mai 2001, Idriss Deby brigue son second mandat. Il est réélu dès le premier tour avec 63,17% des voix.

La nouvelle constitution et la présidence ad vitam

Alors que son second mandat tendait à sa fin, le gouvernement fait modifier la Constitution de 1996 qui limitait le nombre du mandat à deux. La nouvelle Constitution promulguée en 2006 saute le verrou de la limitation des mandats. Le président peut être réélu autant de fois. Idriss Deby Itno rempile pour un troisième mandat en 2006. Les grandes figures de l’opposition ont boycotté le scrutin. Deby s’est fait réélire aisément avec 64, 67% au premier tour.

13 avril 2006. Les rebelles du Front uni pour le changement (FUC) ont réussi à atteindre N’Djamena. Une attaque fulgurante qui a fait vaciller son pouvoir. Mais le soldat Deby Itno réussit, à les défaire. « Ce sont des enfants qui ne connaissent pas N’Djamena. Ils sont tombés dans leur propre piège », avait-il déclaré en son temps. En février 2008, au cours de son troisième mandat, les rebelles regroupés au sein du Commandement militaire unifié (CMU) ont encore failli renverser son régime. Après deux jours de combats acharnés en pleine capitale, la situation se retourne en faveur du président Deby alors que tout le monde le croyait vaincu. Le gouvernement pointe du doigt le régime de Khartoum, dirigé par Omar Hassan El-Béchir d’être derrière cette tentative de déstabilisation.

Le gendarme du Sahel

2013. Le nord Mali est envahi par des terroristes. Bamako et Paris sollicitent N’Djamena. Le président déploie 2 000 soldats avec à leur tête le général Oumar Bikimo. En 2014, il enchaîne avec un déploiement au Cameroun puis au Nigeria et au Niger dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Le président Deby est auréolé et s’impose comme un partenaire incontournable de la communauté internationale dans la lutte contre le terrorisme. Sur le plan régional, il est vu comme un panafricaniste et le gendarme du Sahel.

2016. Le MPS investit le président sortant Idriss Deby Itno pour un cinquième mandat. Le candidat de l’émergence fait face aux candidats de l’alternance issus de l’opposition. Les grosses pointures de l’opposition à savoir Saleh Kebzabo, Mahamat Ahmat Alhabo, Laoukein Kourayo Médard, et l’ex « mpiste » Joseph Djimrangar Dadnadji sont alignées Deby. Face à leurs stratégies qui consistaient à l’amener à un second tour et le battre, Idriss Deby Itno sort le fameux concept « un coup KO ». Et c’est le coup KO au premier tour. Le candidat du MPS est réélu avec 59,92% de voix. Son mandat qu’il dédie au monde rural sera marqué par la censure des réseaux sociaux, les mesures d’austérité, les crises sociales marquées par les grèves et des manifestations, la réforme des institutions avec le fameux forum national inclusif 1 et 2. Avec le forum 1, une nouvelle Constitution instaurant la 4e République a été promulguée le 4 mai 2018. Le verrou de la limitation des mandats est remis. Mais cette fois, le mandat passe de cinq à six ans. Un an plus tard, un poste de vice-président et le sénat sont créés, mais non comblés.

Le Maréchal du Tchad

2020. Deby Itno retourne sa djellaba et sa veste pour porter de nouveau la tenue militaire. Il dirige en personne l’opération « colère Bohoma » qu’il lance le 31 mars après la sanglante attaque des terroristes de Boko Haram contre une base de l’armée tchadienne dans le lac Tchad. L’armée perd près de 100 soldats lors de cette attaque. Un affront que le général cinq étoiles a décidé de laver. « Je refuse cette défaite et la réplique doit être foudroyante», avait-il martelé. Du 31 mars au 8 avril, il supervise les opérations depuis son quartier général installé sur l’île de Kaiga Kindjiria. Résultat, la péninsule est nettoyée de tous les éléments terroristes. En juin, l’Assemblée nationale prend une résolution pour récompenser le soldat de toujours Idriss Deby Itno. La représentation nationale l’élève à la dignité de Maréchal pour « services rendus » à la nation. Le 11 août, date anniversaire d’indépendance du Tchad, il reçoit ses insignes et sa tenue de Maréchal.

Le 6 février 2021, le MPS investit pour la sixième fois Idriss Deby Itno, 69 ans, 30 ans au pouvoir pour un nouveau mandat, cette fois de 6 ans. Sa candidature est objet à contestation. Pour l’opposition, c’est un mandat de trop. Elle réclame l’alternance et affirme qu’il n’y a pas de démocratie sans alternance. Pour la majorité présidentielle, leur candidat est l’homme qui peut garantir la stabilité et la paix. Sa candidature est déposée par sa formation politique auprès de la Cour suprême. Le 2 mars, le domicile de Yaya Dillo, candidat déclaré et proche parent du président candidat, a été attaqué par la garde présidentielle. Le nouveau fait jaser à tel point que trois candidats déclarés à la présidentielle se retirent.  Les appels au report de l’élection se sont multipliés. Rien n’y fait. Le 13 mars, le Maréchal président candidat lance sa campagne électorale. Il promet un coup KO au premier tour à ses six adversaires restés en lice. Selon plusieurs observateurs, sa victoire prochaine ne fait pas de doute. Si cela se confirme, le Tchad aura à sa tête Idriss Deby Itno, au moins jusqu’en 2027 sinon plus. Selon la Constitution du 4 mai 2018, il peut se représenter en 2027, pour un autre mandat de six ans.

Christian Allahadjim

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