jeudi 12 décembre 2024

Et de quatre : l’Armée Française plie encore bagages, contrainte par Deby

Written by  Déc 06, 2024

Il fallait à l’héritier, Président Déby un haut fait d’arme pour attester de sa bravoure et l’élever au mérite et à la dignité paternels à l’instar du rite de passage du jeune Massaï au Kenya et en Tanzanie dont la crinière et la queue du lion qu’il vient de vaincre, marquent l’entrée dans le cercle des guerriers et célèbrent la notoriété. Le scalpe des bases militaires françaises au Tchad que l’héritier Déby vient d’offrir au peuple tchadien paraît faire office d’acte de bravoure.

Mais il s’agit d’une bravoure de portée relative car sa dénonciation de l’Accord de défense avec la France qui aurait été éclatante il y a trois ans à sa prise de pouvoir, intervient après celles respectives d’Assimi Goïta du Mali, d’Ibrahim Traoré du Burkina Faso, d’Aboudouramane Tiani du Niger et même de quelques heures après celle de Diomaye Faye du Sénégal. C’est à une France, dont les deux genoux sont à terre en Afrique ; une France démonétisée, désacralisée qui n’est plus que l’ombre d’elle-même en termes d’influence dans le giron francophone et qui ne fait plus peur à aucun dirigeant africain que l’héritier Déby a porté ce 28 novembre 2024 une estocade vespérale. Mais il demeure que sa décision est incontestablement populaire.

Une Décision Populaire au Tchad mais aussi en France

Au Tchad, la dénonciation de la présence militaire française est manifestement populaire. Elle est saluée au-delà même des cercles intéressés des partisans du régime, faits d’entrepreneurs politiques, associatifs et intellectuels au réflexe pavlovien, applaudissant à tout rompre, jusqu’à l’absurde, le moindre clignement des yeux de l’héritier Président Déby.

Les raisons et les motivations de cette adhésion populaire ne sont pas toujours convergentes d’un camp à l’autre, quand elles ne sont pas purement et simplement fantasmagoriques ou pour cause des frustrations nées des difficulté d’obtention de visa Schengen. Mais le fait est indéniable.

Une Popularité tans-partisane

Il en est ainsi des opposants politiques de Wakit Tama qui ont toujours fait de cette dénonciation l’une de leurs principales revendications. De même, si l’appareil du parti Les transformateurs reste circonspect, il en va autrement de ses jeunes militants aux yeux de qui, l’héritier Déby semble trouver grâce par cette décision en dépit de son lourd passif à l’égard du parti.  Il en va d’autant aussi ainsi pour la masse des cadres arabisants et leurs troupes pour qui la France et tout ce qui la symbolisent et a fortiori son armée, constituent la cause unique de leur déconsidération dans l’administration et les entreprises publiques. Mais, il en va encore plus ainsi de la cohorte des docteurs en tout genre et ingénieurs formés dans l’ex-bloc soviétique ou dans l’actuelle Fédération de Russie, souffrant d’un déficit d’image et de crédibilité dans l’opinion publique par rapport à ceux formés en Occident et particulièrement en France. Ceux-ci espèrent de la perspective d’un éventuel rapprochement stratégique avec la Russie de Poutine, une bien meilleure ambassade dans la haute administration et dans l’opinion publique.

Ambivalence de la relation du clan familial et ethnique Déby à l’égard de la France

Ensuite, il y a surtout le clan Déby constitué des généraux, ministres, secrétaires généraux, directeurs généraux, directeurs administratif et financier des ministères et des entreprises publiques, ambassadeurs, grands opérateurs économiques et premières fortunes du pays, tous, au cœur du nucléaire du pouvoir tchadien, à qui la France a tout offert, mais qui entretiennent avec elle une relation éminemment ambivalente. D’un côté, le clan apprécie les faveurs institutionnel, politique, diplomatique, militaire et économique de la France, les facilités de voyages ou d’études dans les universités et académies militaires en France où vit désormais l’essentiel de la famille et de la progéniture ; des faveurs à  l’égard du clan qui constituent au demeurant le ressort de la détestation de la France par la catégorie des « Tiers-états »[1] de la population tchadienne » et qui expliquent la popularité de la dénonciation de l’Accord de défense auprès de ceux-ci.  Mais de l’autre côté, le clan Déby éructe dès que la France s’autorise à émettre la moindre observation ou critique, fut-elle non-publique, sur la gouvernance, la démocratie et les droits de l’homme. Ainsi, le clan paraît, a priori apprécier et soutenir la dénonciation de l’Accord de défense par l’héritier Président. Elle lui permet d’avoir à ne plus s’expliquer ou à répondre de ses oukases, même s’il n’en mesure pas encore toutes les conséquences et implications.    

Seul le GCAP fait exception

Pour ainsi dire, si jamais le pouvoir venait à autoriser une manifestation de soutien à la décision de l’héritier, il y aura incontestablement foule dans les rues non seulement de N’Djamena la capitale, mais aussi de toutes les grandes villes des provinces du Tchad. Contre une France qui cristallise toutes les frustrations et mécontentements, faisant d’elle, l’exutoire tout trouvé et partagé des opposants et partisans du régime, il n’y a plus grand monde pour plaider sa cause. Dans ces conditions, le GCAP autour de Max Kemkoye paraît bien seul pour faire entendre raison.

Une Popularité dans les rangs des entrepreneurs panafricanistes

Au-delà des frontières nationales tchadiennes, la décision de l’héritier Président est chaudement applaudie par la foule des entrepreneurs panafricains pour qui, l’étalon de la souveraineté ne se mesure qu’à l’aune de la seule rupture de ban avec la France, peu importe la sujétion à l’égard de tout autre puissance impérialiste. Et cela, même si, d’une part, personne au Tchad ne peut croire que la France ait jamais réussie à imposer la moindre décision à Déby père ou à son héritier de Président ; et d’autre part, les bénéficiaires de la coopération et de la présence militaire française au Tchad depuis 1990 sont pour l’essentiel les membres du clan Déby et non, la masse de la population. L’une des preuves parmi d’autres, de l’impuissance clinique de la France à l’égard du régime est fournie par l’héritier Président lui-même qui dans son autobiographie[2], laisse entendre qu’il a peu gouté aux tentatives répétées du Président Macron de le dissuader de se présenter à l’élection présidentielle à l’issue de la transition. Évidemment qu’il s’est présenté auxdites élections, qu’il a gagné haut la main et sans la moindre protestation publique de la France, sommée d’en prendre acte.   

Une Popularité en France aussi

Mais, et aussi paradoxale que cela puisse paraître, à l’exception des hiérarques diplomates et surtout militaires qui encaissent un nième naufrage en ce qu’ils n’ont encore rien vu venir malgré la forte présence de la DGSE comme ce fut le cas au demeurant pour les coups d’États au Mali, au Burkina Faso, et au Niger, la dénonciation de l’Accord de défense par Déby semble bien accueillie en France. Si l’on en juge par la réaction des lecteurs d’un certain nombre de grands et sérieux médias, la France n’a plus les moyens financiers et d’intérêts stratégique, diplomatique et économique d’entretenir une présence militaire en Afrique et en particulier dans les pays du Sahel. Il s’agit qui plus est, des ersatz des corps expéditionnaires de l’empire colonial, indéfendables désormais. Leur démantèlement procède de l’ordre des choses. Pour le commun des Français, les enjeux stratégiques et militaires du pays sont désormais en Europe avec la question Ukrainienne et la menace Russe ; les enjeux économiques en Afrique sont au Nigéria, Angola et Afrique du Sud, au Maghreb ou encore dans la protection des lignes d’approvisionnement en Mer rouge et dans le golfe d’Aden. Et sur le plan diplomatique, il y a belle lurette que les pays africains francophones qui faisaient le poids de la France dans les instances internationales ne la suivent plus dans les votes des résolutions à l’ONU par exemple. Ainsi donc, Le retour en France des militaires servant souvent d’assurance-vie aux potentats africains, est plutôt bien accueilli. Le seul reproche fait au Président Macron est celui de n’avoir pas tiré les enseignements des expulsions lancinantes par les pays de l’AES en ayant l’initiative de la fermeture des bases françaises au Tchad que de subir une nième humiliation. Comme l’écrit le Journal Le Monde dans son éditorial du 2 décembre 2024, « Emmanuel Macron a adopté, sous l’influence d’une partie des milieux politiques et militaires français, une stratégie de petits pas, peu lisible, visant le maintien d’une présence réduite et plus discrète », au lieu de poser « la perspective claire de retrait qu’impose la situation ». Il a tenté « de gagner du temps en nommant un « envoyé spécial », Jean-Marie Bockel, dont le rapport remis lundi 25 novembre, vient d’être largement balayé par les décisions de Dakar et de N’Djamena ». Résultat : « un camouflé d’autant plus cinglant qu’il est double » constate le Journal du soir.     

Bref, cette dénonciation de la présence militaire française au Tchad offre à l’héritier Deby son « quart d’heure warholien ». Mais pour populaire qu’elle soit sur les deux bords, il ne demeure pas moins qu’elle est manifestement inélégante dans la forme.  

Une Décision inélégante dans la forme

S’il apparaît que le plaidoyer du ministre français des affaires étrangères pour le report des élections législatives et locales du 29 décembre 2024 a été la causalité immédiate du courroux ayant conduit l’héritier Deby à décider de la rupture abrupte de la coopération militaire, il ne demeure pas moins que cette décision n’est pas spontanée. Elle ne l’est pas en raison d’une part de nombreux griefs que le Président tchadien reproche à la France et en particulier « l’affaire des costumes à prix d’or », et d’autre part, sa volonté d’émancipation d’une tutelle qu’il juge désormais encombrante. Mais alors, pourquoi ne l’avoir pas fait dans les formes que commandent une relation partenariale d’exception comme celle qui liait la famille Deby à la France ? Pourquoi l’avoir fait de manière aussi inutilement humiliante pour l’État français lui-même, son ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot qu’il venait à peine de recevoir en audience et surtout pour l’état-major de l’armée française qui a toujours été le meilleur avocat du régime dans les institutions françaises même aux pires moments ?    

Le coup de pied de l’âne

Car l’héritier Président Deby ne devrait pas oublier notamment que :

  • Sans la présence de Macron aux funérailles de son feu père, le parterre de chefs d’États africains ne seraient pas venus à N’Djamena l’adouber, et lui offrir la respectabilité et la reconnaissance des pairs en raison notamment de l’incertitude sur leur sécurité, consécutive à l’offensive des rebelles du FACT ;
  • Sans l’entregent et la flamboyance d’alors de Macron et de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, le CPS de l’UA, aurait certainement mis au ban le Tchad pour cause de transition anticonstitutionnelle, entrainant les réactions en chaine d’ostracisme de la communauté internationale à son égard. Il en sera de même de la facilitation de la CEEAC qui aurait été non-complaisante à son égard.
  • Sans l’entregent du ministre des Finances Bruno Lemaire, le Tchad n’aurait pas pu bénéficier, en accès privilégié, du cadre commun du G20 permettant la restructuration de la dette asphyxiante pour ses finances, en particulier celle à l’égard de la société Glencore en 2023. Il n’aurait ainsi pas pu bénéficier de l’appui budgétaire des institutions de Bretton Woods ;
  • Sans le compagnonnage de la France, l’Union Européenne aurait suspendu sa coopération au développement pour coup d’État ou pour élection non transparente et non inclusive.

Certes le régime aurait survécu, mais sans la respectabilité et l’honorabilité et avec des difficultés de trésorerie pouvant infliger de lourdes souffrances et sacrifices à la population. Dès lors, la brutalité de la dénonciation unilatérale et sans information préalable du partenaire par les canaux diplomatiques de l’Accord de coopération et de défense, réalise, rien de moins qu’un véritable « coup de pied de l’âne ». Mais à y réfléchir, ce n’est pas si surprenant dès lors qu’elle a été mise en musique par le ministre des Affaires étrangères, Monsieur Abdramane Koulamallah dont le prédécesseur dans la fonction, Mahamat Saleh Annadif, ne croyait pas si bien dire lors de la passation de pouvoir, qu’il est taillé pour le job[3].  

Une Décision dont - il faut assumer les conséquences et implications

Côté français. Certes, en dehors de la prise d’acte de la dénonciation par le porte-parole du ministère des affaires étrangères, aucun officiel politique ou militaire ne s’est publiquement prononcé sur la décision du Tchad. La France gère d’autres priorités plus urgentes comme trouver une personne consensuelle pour former un gouvernement stable d’ici l’été prochain. Mais l’armée française, forte de ses expériences malheureuses au Mali, au Burkina et au Niger, a acquis un savoir-faire en matière de démantèlement express de ses bases. Elle quittera irrémédiablement le Tchad à l’issue du délai de préavis conventionnel de six mois à compter de la notification officielle de la dénonciation que la France n’a toujours pas encore reçue. Pour l’armée française, il n’y aura plus de terrain d’entrainement en conditions réelles pour ses pilotes et son infanterie. Plus d’argument d’Opex au Tchad pour promouvoir l’attrait de nouvelles recrues. Plus d’accélération de carrières pour ses officiers en Opex et d’indemnités d’Opex.  

Coté tchadien. Ne jamais oublier qu’à côté des intérêts, les États ont surtout de la mémoire. Ensuite, le Tchad est un pays ouvert aux quatre vents et qui a le bonheur doublé du malheur d’avoir notamment comme voisins la Libye et le Soudan d’où peuvent déferler en une seule journée des colonnes de rebelles sorties de nulle part pouvant fondre sur la capitale N’Djamena.  La surveillance aérienne, les renseignements et les tirs de barrage et de sommation de l’armée française qui en la matière ont fait toujours leur preuve au bénéfice du régime Déby, ne seront désormais plus là.

Sur le plan diplomatique et économique, la présence militaire française au Tchad qui était le déterminant du parapluie, toujours ouvert et de la perfusion continue de la France en dépit et malgré les turpitudes invraisemblables et innommables du régime, relèveront désormais du passé. La relation bilatérale passera de privilégiée et d’exception à banale et d’ordinaire comme avec n’importe quel autre régime autocratique pour ne pas dire dictatorial. De même le robinet de l’AFD dont un récent article, bien informé[4], mettait en exergue la variété des domaines et l’amplitude des interventions, cessera de couler à flot pour la même raison.

Pour la population, passer l’euphorie de la gloire, le départ de l’armée française ne changera pas un iota au quotidien. Il ne changera pas non plus la brutalité du régime qui au contraire, débarrassé de la présence ombrageuse de la France et de la courtoisie de devoir s’expliquer, donnera libre cours aux penchants qu’il a du mal contenir, de bannissement des libertés individuelles et publiques ou encore de la liberté de la presse. Quand-à la démocratisation du pays, le régime en prononcera purement et simplement le requiem. 

Mais il n’y aura plus la France pour alibi.

Abdoulaye Mbotaingar

Docteur en droit, maître de conférences à l’université      

[1] A. Mbotaingar, Ialtchad Presse - Découpage électoral ou la politique de la « Hougoura »,

https://www.ialtchad.com/index.php/details/item/3302-decoupage-electoral-ou-la-politique-de-la-hougoura

[2] Mahamat Idriss Déby Itno, De Bédouin à Président, Va – Éditions, 2024.

[3] Voir, Édito du Le Journal Le pays du 31 mai 2024, https://www.lepaystchad.com/36322/

[4] E. Topona Mocnga, Ialtchad Presse - Coopération Tchado-Française : polémique autour d'une aide, https://www.ialtchad.com/index.php/details/item/3353-cooperation-tchado-francaise-polemique-autour-d-une-aide

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